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Date : 20060309

Dossier : IMM-3836-05

Référence : 2006 CF 310

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

MARIA BONNIE ARIAS GARCIA et

ROBERT SALGADO-ARIAS et

RODOLFO VALDES-ARIAS

(ALIAS RODOLFO ARIAS-GARCIA)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LA MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Les demandeurs contestent la décision négative à l'encontre de leur demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR), datée du 26 mai 2005, et rendue par l'agente d'ERAR.

[2]                En juillet 1999, au Mexique, la demanderesse et son mari M. Valdes se séparèrent et entamèrent des procédures judiciaires concernant la garde de leur enfant Rodolfo.

[3]                Le 6 décembre 2001, un tribunal mexicain accordait la garde provisoire de Rodolfo à la demanderesse et des droits d'accès à M. Valdes.

[4]                La demanderesse fit émettre pour Rodolfo un certificat de naissance portant un nom autre que le sien. Un passeport mexicain fut émis pour Rodolfo sous ce faux nom.

[5]                Le 24 juin 2002, les demandeurs sont arrivés au Québec avec un statut de visiteur.

[6]                En février 2003, ils sont retournés au Mexique pour des entrevues avec les autorités québécoises au sujet des certificats de sélection du Québec.

[7]                Le 28 avril 2003, des certificats de sélection du Québec ont été émis au nom des demandeurs, incluant le certificat de sélection pour Rodolfo émis sous son faux nom.

[8]                Cette même journée, un jugement mexicain renversa le jugement du 6 décembre 2001 et confia la garde de Rodolfo à M. Valdes.

[9]                Le 28 mai 2003, suite à un séjour de plus de deux mois au Mexique, les demandeurs sont revenus au Québec.

[10]            Le 22 octobre 2003, la garde de Rodolfo fut restituée à la demanderesse suite à un nouveau jugement mexicain.

[11]            Leur statut de visiteur prenant bientôt fin, la demanderesse et ses deux enfants sont allés aux États-Unis le 9 novembre 2003. Ils furent arrêtés au poste frontalier de Lacolle au motif d'enlèvement en contravention à une ordonnance de garde et en vertu de deux mandats d'arrestation émis par le Mexique les 25 juin et 25 septembre 2002.

[12]            Un rapport 44(1) a été émis contre les demandeurs, et leur dossier a été déféré à la Section de l'immigration (SI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR).

[13]            La demanderesse demanda alors l'asile pour elle et ses enfants.

[14]            Le 17 novembre 2003, la demanderesse a présenté, devant la Cour supérieure du Québec, une requête en vue d'obtenir la garde de Rodolfo. Ce même jour, M. Valdes présenta, devant la même cour, une requête exigeant le retour immédiat de Rodolfo au Mexique, en vertu de la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, L.R.Q., ch. A-23.01 (la LACEE).

[15]            Le 7 janvier 2004, la Cour supérieure du Québec accueillit la requête de M. Valdes et ordonna le retour immédiat de Rodolfo au Mexique.

[16]            Le 8 juin 2004, la Cour d'appel du Québec accueillit l'appel interjeté par la demanderesse à l'encontre du jugement de la Cour supérieure, cassa ce jugement, et rejeta la requête de M. Valdes.

[17]            Le 6 octobre 2004, un jugement mexicain prononçant le divorce entre les parties, confia la garde de Rodolfo à la demanderesse et attribua l'autorité parentale aux deux parents.

[18]            Le 19 janvier 2005, la SI émit une mesure d'expulsion contre les demandeurs.

[19]            Le 26 mai 2005, l'agente d'ERAR a rendu une décision négative à l'encontre de la demande d'ERAR présentée par la demanderesse aux motifs qu'il n'y a pas de risque personnel pour elle et ses enfants au Mexique et que la protection de l'État leur est disponible.

ANALYSE

[20]            La norme de contrôle qui s'applique à une décision d'un agent d'ERAR, dépend de la nature de la question. La norme de contrôle pour une question de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable, pour une question mixte de droit et de fait, celle de la décision raisonnable simpliciter, et pour une question de droit, celle de la décision correcte.

[21]            En l'espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  1. L'agente d'ERAR a-t-elle erré en ne prenant pas réellement en considération les menaces et l'intérêt de l'enfant Rodolfo?
  2. L'agente d'ERAR s'est-elle fondée sur des rapports de recherche de la CISR la teneur desquels les demandeurs ne furent jamais informés?
  3. L'agente d'ERAR a-t-elle erré en n'expliquant pas comment l'État peut protéger Rodolfo contre un troisième enlèvement?

[22]            Pour ce qui est de la première question, puisqu'il s'agit d'évaluer une question de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa propre conclusion à celle de l'agente d'ERAR à moins qu'il ne soit démontré que cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose, ce qui renvoie à la norme de la décision manifestement déraisonnable: Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501, [2003] A.C.F. no 1904 (C.F.)(QL). Une décision manifestement déraisonnable exige de démontrer qu'aucun des raisonnements avancés pour étayer la décision ne pouvait raisonnablement amener le tribunal à rendre la décision prononcée (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247).

[23]            En ce qui concerne la deuxième question, il s'agit d'une question d'équité procédurale et donc la norme de contrôle ne s'applique pas : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539 aux paragraphes 100-103.

[24]            Quant à la troisième question, dans l'affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (C.F.)(QL), au terme d'une analyse pragmatique et fonctionnelle, j'ai conclu que la norme de contrôle pour les questions de protection de l'État est celle de la décision raisonnable simpliciter. Une décision déraisonnable n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé : Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc : [1997] 1 R.C.S. 748 au paragraphe 56.

[25]            Dans le présent dossier, l'agente d'ERAR a clairement indiqué que son objectif était d'analyser les risques de retour des demandeurs au Mexique. Celle-ci a conclu que bien que l'ex-mari de la demanderesse essaie d'obtenir la garde de son fils Rodolfo, la preuve n'a pas démontré que celui-ci a posé ou poserait des gestes correspondant aux articles 96 et 97 de la LIPR. De plus, la preuve documentaire confirmait que malgré le fait que la violence conjugale reste un problème répandu au Mexique, une femme victime de violence familiale pouvait s'adresser aux autorités publiques. L'agente d'ERAR a statué que les éléments au dossier ne lui permettaient pas de conclure que de retour au Mexique, la demanderesse et ses deux enfants, feraient face à la persécution, la torture, des menaces à leur vie ou des traitements ou peines cruels et inusités.

[26]            Les demandeurs soutiennent en premier lieu que l'agente d'ERAR a erré en ne prenant pas réellement en considération les menaces et l'intérêt de l'enfant Rodolfo. De façon générale, la violence conjugale et l'enlèvement d'un enfant à deux occasions, sans compter les menaces d'enlever l'enfant par la suite, sont certainement des gestes qui entrent dans la catégorie des traitements que visent les articles 96 et 97 de la LIPR.

[27]            L'agente d'ERAR a tenu compte des faits suivants pour conclure à l'absence de risque personnel en cas de retour :

·         Alors qu'il est connu que M. Valdes demandait la garde de l'enfant Rodolfo, il n'a pas été démontré qu'il a posé ou qu'il poserait des gestes correspondant aux articles 96 et 97 de la LIPR;

·         Alors que la demanderesse allègue l'existence d'un incident de violence conjugale, lequel expliquerait qu'elle aurait quitté le domicile conjugal avec ses enfants, elle n'a pas indiqué avoir déposé de plainte de violence conjugale contre M. Valdes.

[28]            Vu ces circonstances, je suis satisfaite qu'elle a considéré les faits pertinents et que sa conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

[29]            Quant à la preuve documentaire, les demandeurs soutiennent que l'agente d'ERAR s'est fondée sur des rapports de recherche de la CISR et qu'ils ne furent jamais informés de la teneur de ces documents.

[30]            Dans l'arrêt Mancia c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.), la question était de déterminer si un agent d'immigration contrevient aux principes de justice naturelle lorsqu'il ne divulgue pas, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays.

[31]            La Cour d'appel fédérale a décidé que l'équité procédurale n'exige pas que les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays soient divulgués avant que l'affaire soit tranchée, s'ils étaient accessibles et s'il était possible de les consulter au moment où le demandeur a présenté ses observations. Je remarque que l'agente d'ERAR s'est appuyée sur la preuve documentaire provenant de sources bien connues: le département d'État américain, Amnistie internationale, la CISR et l'Encyclopédie Encarta. Étant donné la décision dans l'arrêt Mancia, ci-dessus, la preuve ne révèle pas que ces sources documentaires n'étaient pas accessibles aux demandeurs. En conséquence, l'équité procédurale n'exige pas que ces documents aient été divulgués avant que l'affaire ne soit tranchée.

[32]            Les demandeurs soutiennent enfin que l'agente d'ERAR a erré puisqu'elle n'explique pas comment l'État peut protéger Rodolfo contre un troisième enlèvement.

[33]            Il faut d'abord rappeler le critère élevé exigé par la jurisprudence afin de démontrer l'incapacité de l'État de protéger ces citoyens. Ceux-ci doivent démontrer par une preuve claire et convaincante que « l'État est tellement désorganisé, chaotique qu'il n'est pas capable de protégé ses citoyens » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.)(QL).

[34]            L'agente d'ERAR a relevé les faits suivants pour appuyer sa conclusion selon laquelle l'État du Mexique a fait des efforts dans le passé pour protéger les demandeurs :

Les tribunaux mexicains ont pris cause et fait pour la demanderesse, lui ont confié à plusieurs reprises la garde provisoire de Rodolfo, et même octroyé sa garde définitive dans le jugement final de divorce d'octobre 2004. Lors de l'incident au cours duquel M. Valdes n'avait pas retourné l'enfant suite à l'exercice de son droit de visite, la police a remis l'enfant à la mère. La demanderesse a elle-même témoigné devant la Cour supérieure du Québec avoir bénéficié de la protection des tribunaux et de la police mexicaine.

[35]            De plus, l'agente d'ERAR a tenu compte de la preuve objective sur le Mexique qui faisait état des garanties juridiques pour les femmes relativement à la garde de leur enfant, ainsi qu'aux mécanismes en place lorsqu'une femme est victime de violence conjugale. Selon moi, dans ces circonstances, il n'était pas déraisonnable pour l'agente d'ERAR de conclure que la protection offerte par l'État du Mexique est adéquate.

[36]            Il m'est impossible de trouver qu'une telle conclusion « est à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir : Centre communautaire de l'Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84 aux paragraphes 9-12.

[37]            Finalement, les demandeurs font valoir que le défendeur a procédé, à la même époque, à une analyse différente et est parvenu à un résultat opposé, dans un dossier similaire, soit le dossier Herma.

[38]            Je suis d'accord avec mon collègue le juge Gibson que le fait qu'un autre agent d'immigration soit arrivé à une conclusion contraire dans un dossier semblable a peu de valeur. Des motifs expliquant le résultat différant, bien que souhaitable, ne seraient pas utiles si l'agent estimait tout simplement que la décision de l'autre agent était erronée ou si les faits n'étaient pas identiques : Addullahi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) (1996), 122 F.T.R. 150 (C.F. 1ère inst.). Dans la présente affaire, bien que je reconnaisse qu'il y ait des similitudes, il existe également d'importantes différences entre les deux dossiers. Or, il s'agit essentiellement de conclusions de fait et non de droit. L'agente d'ERAR n'avait pas à tenir compte des conclusions de fait tirées dans d'autres affaires. Celle-ci n'était pas liée par la décision dans Herma. Chaque dossier est un cas d'espèce qui doit être évalué selon son propre mérite.

[39]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR soit rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3836-05

INTITULÉ :                                        MARIA BONNIE ARIAS GARCIA,

                                                            ROBERTO SALGADO-ARIAS,

                                                            RODOLFO VALDES-ARIAS (ALIAS RODOLFO ARIAS-GARCIA) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal, (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 1er février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAM LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                       Le 9 mars 2006

COMPARUTIONS:

Me Jean El Masri

POUR LES DEMANDEURS

Me Ian Demers

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

EL MASRI DUGAL

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la justice

Montréal, (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

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