Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



     Date : 20000620

     Dossier : T-4-00


Ottawa (Ontario), le 20 juin 2000

En présence de M. le juge Pinard


Entre :

     THE CORPORATION OF THE MUNICIPALITY

     OF CHATHAM-KENT

     demanderesse

     (intimée)

     et


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES

     INDIENNES et DU NORD, LE MINISTÈRE

     DES AFFAIRES INDIENNES et DU NORD

     défenderesse

     (appelante)


     ORDONNANCE

     L'appel de la défenderesse (appelante) est rejeté avec dépens.



YVON PINARD

JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.



     Date : 20000620

     Dossier : T-4-00


Entre :

     THE CORPORATION OF THE MUNICIPALITY

     OF CHATHAM-KENT

     demanderesse

     (intimée)

     et


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES

     INDIENNES et DU NORD, LE MINISTÈRE

     DES AFFAIRES INDIENNES et DU NORD

     défenderesse

     (appelante)


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD


[1]      Le ministre des Affaires indiennes et du Nord (le ministre) en appelle de deux ordonnances du protonotaire Lafrenière (le protonotaire), en date du 10 mars 2000. Les deux appels ont été entendus ensemble.

[2]      La municipalité de Chatham-Kent (la municipalité) et M. Rigby demandent le contrôle judiciaire d'une décision que le ministre aurait prise le 23 décembre 1999 de signer un règlement et une entente de fiducie avec la Première nation Caldwell. L'ordonnance de mandamus demandée au sujet de l'avis juridique du ministère de la Justice n'est qu'un accessoire. Leurs avis de demande sont pratiquement identiques en ce qu'il s'agit des motifs avancés et des réparations demandées.

[3]      Dans deux décisions identiques, le protonotaire a rejeté les requêtes du ministre pour obtenir la radiation des avis de demande de la municipalité et de M. Rigby. Le paragraphe pertinent est rédigé comme suit :

         [traduction]

             J'ai examiné avec soin les arguments des parties. Selon moi, cette demande est fort complexe. Même après avoir entendu de longues plaidoiries, je ne sais pas encore exactement quelle décision les demandeurs contestent. On n'a pas non plus démontré que la demande est dans les délais. Toutefois, même au vu des solides arguments présentés par la défenderesse, je ne peux conclure que l'avis de requête introductive d'instance n'a « aucune chance d'être accueilli » et qu'il s'agisse ici d'un cas exceptionnel où il y a lieu de radier l'avis. Je me range sans réserves à la conclusion du juge Nadon dans L'Association des distillateurs canadiens c. Canada (Ministre de la Santé)[[1998] J.C.F. no 753, aux pages 3 et 4] :
             À mon sens, l'intimé aurait dû se contenter de déposer le dossier de la demande et ensuite débattre devant le juge présidant l'instruction des raisons pour lesquelles l'avis introductif d'instance devait être rejeté.


[4]      Dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la Cour d'appel fédérale a décidé que bien que les juges conservent le pouvoir discrétionnaire de reprendre l'affaire depuis le début à l'occasion de l'appel d'une décision du protonotaire, ce pouvoir ne devrait être exercé que dans certaines circonstances limitées. Écrivant au nom de la majorité, le juge MacGuigan a défini la norme de contrôle à appliquer par un juge des requêtes lorsqu'il doit décider d'intervenir ou non dans une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire :

             Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
             a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
             b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. [. . .]
         Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[5]      La question doit être tranchée par la Cour, dans l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire de reprendre l'affaire depuis le début au vu du dossier dont le protonotaire était saisi. En fait, dans les deux cas la requête du ministre devant le protonotaire portait sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Si le protonotaire avait radié les demandes de la municipalité et de M. Rigby, comme le demandait le ministre, ses ordonnances auraient mis fin à l'affaire. Ceci veut dire que la question dont le protonotaire était saisi n'est interlocutoire que parce qu'il a rejeté les requêtes du ministre. Pour reprendre les termes du juge MacGuigan, J.C.A., dans Aqua-Gem, précité, aux pages 464 et 465 :

             . . .Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).


[6]      Dans Symbol Yatchs Ltd. c. Pearson, [1996] 2 C.F. 391, à la page 399, le juge Nadon a refusé de tenir compte d'éléments de preuve dont le protonotaire n'était pas saisi lorsqu'il a pris la décision contestée :

             En l'espèce, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'ordonnance du protonotaire porte sur une question qui a une influence déterminante sur l'issue de l'affaire étant donné que ladite ordonnance a pour effet de mettre fin à l'action des demandeurs. Cependant, je ne puis examiner l'ordonnance qu'en tenant compte des éléments de preuve dont le protonotaire était saisi au moment où il l'a rendue. Par conséquent, il m'est impossible--et c'est ce que j'ai indiqué aux parties à l'audience--de prendre en considération les affidavits que les demandeurs désirent verser au dossier. J'ignore pourquoi ils n'ont pas déposé ces affidavits à l'appui de leur demande du 22 septembre 1995 mais, d'après moi, ces éléments de preuve, s'ils étaient disponibles, auraient dû être soumis au protonotaire.
             Il s'agit d'un appel de la décision du protonotaire, et il est maintenant trop tard pour présenter des éléments de preuve qui auraient dû être soumis plus tôt. . . .


[7]      Quant aux principes s'appliquant à une requête en radiation d'un avis de requête introductive d'instance, le protonotaire souligne avec raison que l'arrêt principal est David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588. Comme le dit le juge Strayer, J.C.A., aux pages 596 à 597 et 600 :

             . . . En fait, l'examen d'un avis de requête introductive d'instance se déroule à peu près de la même façon que celui d'une demande de radiation de l'avis de requête : la preuve se fait au moyen d'affidavits et l'argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même. . . .
             . . . Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête. (La note de bas de page n'est pas citée.)


[8]      Selon moi, les demandes de radiation du ministre en l'instance s'appuient sur deux arguments : que la décision du ministre ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire et, subsidiairement, qu'il n'y a pas eu de décision.

[9]      Je dois d'abord souligner que le règlement qui a été déposé par le ministre à l'appui de ses appels ne faisait pas partie de la preuve présentée au protonotaire. Je ne peux donc en tenir compte dans ma décision.

[10]      Pour décider que la décision du ministre ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire, la Cour devrait rejeter l'argument de la municipalité, sur lequel M. Rigby s'appuie aussi, qui porte que les décisions discrétionnaires peuvent faire l'objet d'un contrôle. La Cour devrait aussi rejeter l'argument portant que les demandes ne sont pas prématurées. On trouve à l'onglet 2 (Feuillet de renseignements sur le règlement des revendications territoriales de la Première nation Caldwell) du Cahier de breffage technique Caldwell1 :

         [traduction]

         La Première nation Caldwell et le gouvernement du Canada sont arrivés à une entente de principe afin de régler la revendication des Caldwell portant sur les terres au sud de la rivière Thames en Ontario.
         L'entente de principe deviendra un règlement final dès qu'il aura été ratifié par un vote des membres de la Première nation Caldwell et signé par les chef et conseil de la Première nation et par le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada.

[11]      De la même façon, pour décider qu'il n'y pas eu de décision, la Cour devrait rejeter l'argument qui porte que les commentaires du ministre aux médias peuvent être interprétés comme la communication d'une décision finale. Cet argument semble se fonder sur divers articles de journaux inclus au dossier de demande de la municipalité, déposé le 7 mars 2000, y compris les extraits suivants :

-      Presse canadienne, « Report won't scuttle native land deal » , The London Free Press (23 décembre 1999), page A6 :

         [traduction]

             Nonobstant un rapport récent qui met en cause la valeur historique de la revendication, le ministre des Affaires indiennes, M. Robert Nault, a annoncé que le règlement d'une revendication territoriale autochtone controversée serait maintenu. M. Nault a déclaré ceci :
             « Selon moi, ceci (le rapport) ne change rien à nos obligations juridiques . . . Nous allons finaliser le règlement » .
-      K. McCrindle, « Nault green lights Caldwell deal » , The Chatham Daily News (23 décembre 1999), page 1 :

         [traduction]

             Le ministre des Affaires indiennes, M. Robert Nault, a donné le « feu vert » à la revendication territoriale controversée de la Première nation Caldwell, nonobstant un rapport récent mettant en cause la valeur historique de la revendication.
             Lors d'un appel conférence avec les médias mardi, M. Nault a déclaré ceci : « Selon moi, ceci (le rapport) ne change rien à nos obligations juridiques. Nous allons finaliser le règlement » .

-      D. Schmidt, « Caldwell deal not negotiable, minister says » , Windsor Star (26 janvier 1999), page A1 :

         [traduction]

             La ministre des Affaires indiennes, Mme Jane Stewart, a déclaré ceci aux adversaires de l'entente fédérale lors d'une série de réunions tenues à Chatham lundi : L'obligation juridique du Canada envers la Première nation Caldwell porte sur des territoires et non sur des sommes d'argent, et elle n'est pas négociable.


[12]      Au vu des éléments susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le point de vue avancé par la municipalité et par M. Rigby est « manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » .

[13]      En conséquence, l'appel est rejeté avec dépens.




YVON PINARD


JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 juin 2000



Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              T-4-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          The Corporation of the Municipality of Chatham-Kent c. Sa Majesté la Reine et autres


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 7 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. le juge Pinard

EN DATE DU :              20 juin 2000



ONT COMPARU

M. Alan Pope                              POUR LA DEMANDERESSE

M. Jonathan Batty et Mme Charlotte Bell, c.r.          POUR LA DÉFENDERESSE



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Alan W. Pope, bureau d'avocats                  POUR LA DEMANDERESSE

Timmins (Ontario)

M. Morris Rosenberg                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                 

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Pièce B à l'affidavit de Brian Knott, souscrit le 15 décembre 1999, document no 4.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.