Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051109

Dossier : IMM-1990-05

Référence : 2005 CF 1514

ENTRE :

                                                   GARY CHRISTOPHER ROLFE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition, le 3 novembre 2005, à Toronto, d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle une agente d'immigration, au Consulat général du Canada à Buffalo (New York), a informé le demandeur qu'il [Traduction] « [...] ne répond[ait] pas aux critères pour obtenir un visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs autonomes » . La décision qui fait l'objet du contrôle est en date du 4 février 2005; elle résulte d'une demande présentée par le demandeur ou en son nom en juin 2002 pour que lui soit délivré un visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs autonomes.

[2]                Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[3]                Le demandeur présente des compétences tout à fait exceptionnelles. Dans une lettre qui accompagne la demande de visa, son avocat indique :

[Traduction]

M. Rolfe a mené une vie éclectique, hors du commun. Son parcours est original, tout comme ses talents et aptitudes.

M. Rolfe est originaire du Royaume-Uni, ce qui n'a rien d'exceptionnel ni d'éclectique. Après avoir terminé ses études secondaires de niveau « O » [niveau de premier cycle], il est devenu joueur de cricket professionnel et s'est adonné à cette profession durant quatre ans. Par la suite, il a occupé un emploi de garde-chasse; dans le cadre duquel il était responsable principalement de l'élevage de faisans, depuis la ponte jusqu'à l'âge adulte. Il s'est ensuite intéressé au dressage, à la garde et à la gestion de chiens de chasse. En septembre 1997, il s'est inscrit à la Demonfort University, où il a poursuivi avec succès un cours de deux ans au terme duquel il a obtenu un Higher National Diploma en gestion des loisirs de plein air. Il semble qu'au cours de ces études, il ait entrepris de parfaire ses talents d'écrivain et de photographe.

[4]                À l'été de 1996, M. Rolfe s'est engagé dans une expédition qui l'a mené dans les Alpes françaises pour escalader le Matterhorn. Il fait valoir qu'à cette occasion, il a acquis de l'expérience dans l'utilisation du piolet, des crampons et des cordes fixes.

[5]                De juillet à septembre 1998, M. Rolfe a dirigé à travers les jungles du Belize une équipe de dix-sept (17) personnes vouées à la préservation du milieu. À la suite de cette expérience, il a prononcé des allocutions et présenté des diaporamas à l'intention des commanditaires et du grand public. Il a aussi fait l'objet d'une couverture médiatique locale et régionale grâce à des articles dans la presse écrite et des entrevues à la radio.

[6]                Au cours des hivers de 1998 et 1999, M. Rolfe a eu l'occasion de vivre l'expérience d'expéditions hivernales aux côtés d'explorateurs polaires. Ces expéditions, soutient-on, lui ont permis d'acquérir une [Traduction] « connaissance pratique du travail avec les chiens de traîneau » , avec tout ce que cela comporte. Il semble qu'il ait aussi appris à maîtriser toutes les facettes des expéditions hivernales dans l'Arctique, y compris la cuisine pour des groupes, l'habillement en climat polaire et l'aménagement d'abris. L'expérience arctique est devenue pour lui une passion; c'est de cette passion qu'est né son désir d'immigrer au Canada.

[7]                Les démarches de M. Rolfe en vue d'obtenir un visa qui lui permettrait d'immigrer au Canada et, plus précisément, de s'établir dans l'Arctique canadien, ont été marquées d'écueils.

[8]                Comme il a été mentionné, sa demande de visa a finalement été rejetée par lettre en date du 4 février 2005. La partie pertinente de la lettre de refus est reproduite ci-dessous :

[Traduction]

Le paragraphe 12(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit que la sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.


Le paragraphe 100(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés de 2002 énonce que pour l'application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1) [du Règlement].                                                                          

Le paragraphe 88(1) du Règlement définit le « travailleur autonome » comme un étranger qui a l'expérience utile et qui a l'intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

« Expérience utile » s'entend d'un travail autonome dans l'un ou l'autre des domaines énumérés ci-dessous, effectué pendant au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle-ci :

i) un travail autonome relatif à des activités culturelles ou sportives;

ii) la participation à des activités culturelles ou sportives à l'échelle                    internationale;

iii) l'expérience dans la gestion d'une ferme.

« Activités économiques déterminées » s'entend des activités culturelles et sportives ou de l'achat et de la gestion d'une ferme.

Le paragraphe 100(2) du Règlement édicte que si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n'est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l'agent met fin à l'examen de la demande et la rejette. Vous ne répondez pas à la définition de « travailleur autonome » énoncée au paragraphe 88(1) du Règlement, parce que je ne suis pas convaincue que votre expérience à titre d'explorateur, de guide d'expéditions nordiques et d'entraîneur de chiens huskies soit reconnue comme une forme d'activité culturelle ou sportive ou une expérience dans la gestion d'une ferme aux fins de l'article 88 du Règlement. Vous ne satisfaites pas aux exigences du paragraphe 100(1) du Règlement.

Le paragraphe 11(1) de la Loi prévoit que l'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par le règlement, lesquels seront délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. Le paragraphe 2(1) précise que sauf disposition contraire, toute mention de la « présente loi » vaut également mention dès règlements pris sous son régime.


[9]             Avec égards, je serais plutôt surpris que le demandeur n'ait pas été quelque peu déconcerté à la lecture de la lettre précitée. Il est pour le moins difficile de comprendre pourquoi l'agente d'immigration a conclu que le demandeur n'était pas un « travailleur autonome » du fait qu'elle n'était pas convaincue que l'expérience du demandeur en tant qu'explorateur, guide d'expéditions nordiques et entraîneur de chiens huskies serait reconnue comme une forme d'activité « culturelle » ou « sportive » ou comme la « gestion d'une ferme » . En deux mots, la conclusion présentée au demandeur ne s'accompagnait d'aucune véritable explication.

[10]         Dans la décision Adu et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[1], la juge MacTavish a écrit ce qui suit aux paragraphes [10], [11] et [14] de ses motifs :

Dans Baker, la Cour suprême du Canada a mentionné que, dans certaines circonstances, l'obligation d'agir équitablement exige qu'une décision soit motivée par écrit. C'est le cas en particulier lorsque, comme en l'espèce, la décision a des conséquences importantes pour la personne ou les personnes concernées. Selon la Cour, « [ i]l serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise » [...]

L'importance de rendre des décisions « motivées » a été reconnue de nouveau par la Cour suprême trois ans plus tard dans R. c. Sheppard [...], où la Cour a indiqué que les parties qui n'ont pas gain de cause devraient savoir exactement pourquoi. Même si Sheppard était une affaire criminelle, le raisonnement que la Cour y a adopté a été appliqué dans le contexte administratif en général et dans le contexte de l'immigration en particulier [...]

[...]

À mon avis, ces « motifs » n'en sont pas du tout. Il s'agit plutôt essentiellement d'un résumé des faits et de l'énoncé d'une conclusion, sans aucune analyse étayant celle-ci[2].                                                                                        [références omises]

La remarque de la juge MacTavish dans la dernière phrase précitée s'applique directement aux faits et circonstances de la présente affaire.


[11]         Bien que l'arrêt Baker, précité, établisse clairement que les notes informatisées d'un agent ou d'une agente comme celle dont la décision fait l'objet du présent contrôle peuvent tenir lieu de motifs, les notes de l'agente dont la Cour dispose en l'espèce ne se qualifient guère plus comme des motifs que le texte de la lettre de refus, cité précédemment.

[12]         Autrement dit, la décision qui ne fait qu'énoncer une conclusion ne satisfait pas à l'obligation de fournir des motifs suffisants[3]. Or, c'est précisément ce que l'agente a fait en l'espèce.

[13]         Dans un affidavit qu'elle a déposé à la Cour, l'agente a fourni des détails quant à sa décision, et l'on pourrait bien conclure qu'elle a fourni des motifs à l'appui de sa décision. Cependant, il n'est pas possible de remédier à une décision qui présente des lacunes intrinsèques dans le cadre d'un litige qui découle de cette décision.


[14]         En conséquence, je conclus que l'agente a failli à son devoir d'équité procédurale envers le demandeur. À l'issue de l'audience, j'ai informé les avocats que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie et que la décision serait annulée et l'affaire renvoyée à un autre agent du défendeur pour réexamen. Ni l'une ni l'autre partie, une fois informée de la décision de la Cour, n'a proposé qu'une question soit certifiée. La Cour est convaincue que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale dont l'issue serait déterminante dans le cas d'un appel. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                                        « Frederick E. Gibson »           

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                        IMM-1990-05

INTITULÉ :                                       GARY CHRISTOPHER ROLFE

c.        

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE : Le 3 novembre 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :Le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 novembre 2005

COMPARUTIONS :

Irvin H. Sherman                                  POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                          POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       

Martinello & Associates

255 Duncan Mill Road

Bureau 208,

Don Mills (Ontario) M43B 3H9           POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice         

130, rue King Ouest

Bureau 3400, Case 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6 POUR LE DÉFENDEUR



[1]2005 CF 565, 26 avril 2005.

[2]La référence à « Baker » , dans le premier paragraphe de la citation, renvoie à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dont le paragraphe 43 contient la phrase citée.

[3]Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), au paragraphe 22.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.