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                                                                                                                                            Date: 20000602

                                                                                                                                      Dossier: T-1436-98

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                     demandeur

et

SATISHBAI RAMBAI PATEL

                                                                                                                                                      défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration contre la décision par laquelle le juge de la citoyenneté R. Meagher a approuvé la demande de citoyenneté que le défendeur Satishbai Rambai Patel avait présentée. Le ministre s'oppose à l'attribution de la citoyenneté à une personne qui s'est absentée du pays pendant 794 jours dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, de sorte que sur les 1 095 jours nécessaires il lui manque 429 jours au cours de la période de quatre ans prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Le défendeur, qui agissait pour son propre compte, a soutenu qu'il avait fait du Canada le centre de son mode de vie et qu'il s'était absenté pour affaires. Il a soutenu que ses périodes d'absence devraient être prises en compte en tant que périodes de résidence par déduction de façon que les conditions de résidence soient remplies.

[2]         La décision du juge de la citoyenneté se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Même s'il lui manque 413 jours aux fins de la résidence, le demandeur, au moyen d'une déclaration crédible d'action et d'intention et de la remise de documents irréfutables, a selon l'APPROCHE THURLOW prouvé qu'il s'était établi et qu'il avait réellement axé son mode de vie sur le Canada. Au cours de la période pertinente, entre la date où le demandeur a obtenu le DROIT D'ÉTABLISSEMENT et celle OÙ IL S'EST ABSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS, les indices habituels étaient présents en ce qui concerne le domicile, la carte d'assurance sociale, la carte d'assurance-maladie, le compte bancaire, l'inscription dans des écoles canadiennes et la création d'une société canadienne.

Les périodes d'absence sont attribuables aux efforts continus que le demandeur a faits pour promouvoir des produits et services canadiens.

Pendant toutes les périodes d'absence, le demandeur a maintenu des attaches avec le Canada.

Tous les biens et actifs étrangers ont été liquidés de la façon appropriée en temps opportun.

L'entreprise commerciale canadienne du demandeur est florissante et emploie huit citoyens canadiens.

Toutes les autres conditions relatives à la citoyenneté ont été remplies; par conséquent, j'ai approuvé la demande.


[3]         En parlant de l'APPROCHE THURLOW, le juge entend se référer à la décision que l'ancien juge en chef a rendue dans l'affaire Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, (1978) 88 D.L.R. (3d) 243, où il a été conclu que le demandeur qui n'a pas résidé au Canada pendant la période de 1 095 jours prévue par la loi pourrait néanmoins compter ses absences comme des périodes de résidence. Pour ce faire, le demandeur devrait démontrer qu'il « a fait [du Canada] le centre de son mode habituel de vie » avant de s'absenter et qu'au cours de ses absences, il n'a pas cessé de le faire. C'est ainsi qu'est apparue la notion de résidence par déduction dans le droit canadien de la citoyenneté. Le sort qu'a connu cette notion depuis qu'elle a été établie dans cette branche du droit est trop bien connu pour qu'il en soit de nouveau fait mention.

[4]         Le demandeur est arrivé au Canada le 4 août 1990 à titre d'immigrant ayant reçu le droit d'établissement. Il déclare qu'il a tenté de trouver du travail, mais qu'il a eu de la difficulté à en trouver à cause du ralentissement économique. Il s'est de temps en temps rendu en Angleterre et en Tanzanie où il exploitait sa propre entreprise. Pendant qu'il était au Canada, il a acheté une maison et une voiture pour sa famille, qui restait au pays pendant qu'il voyageait. Il a obtenu une carte d'assurance sociale et une carte d'assurance-maladie de l'Ontario et il s'est abonné à la bibliothèque; il a également ouvert un compte bancaire. Il paie l'impôt sur le revenu canadien depuis au moins 1993.

[5]         Le demandeur s'est à maintes reprises absenté du Canada. Après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada, il a effectué un premier voyage à l'étranger du 15 février au 25 juin 1991. À l'exception d'un bref séjour aux États-Unis, il est resté au Canada jusqu'au 12 février 1992; il s'est ensuite absenté jusqu'au 4 mai 1992. Il a continué à s'absenter ainsi pour de longues périodes jusqu'à la date à laquelle il a demandé la citoyenneté ainsi que par la suite. Les périodes d'absence, dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté, sont ci-après énumérées :

du 11-04-1993 au 19-06-1993, 69 jours;

du 01-09-1993 au 22-10-1993, 51 jours;

du 22-12-1993 au 31-12-1993, 9 jours;

du 02-02-1994 au 11-04-1994, 68 jours;

du 12-05-1994 au 19-05-1994, 7 jours;

du 28-05-1994 au 05-08-1994, 69 jours;


du 12-10-1994 au 01-02-1995, 112 jours;

du 14-05-1995 au 11-10-1995, 150 jours;

du 08-01-1996 au 03-04-1996, 86 jours;

du 18-05-1996 au 24-07-1996, 67 jours;

du 14-09-1996 au 17-12-1996, 94 jours; et

du 15-03-1997 au 07-07-1997, 114 jours*;

*(dont 12 jours au cours des quatre années)

Nombre de jours d'absence au cours des quatre années              794 jours

[6]         Dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, le demandeur s'occupait, semble-t-il, de sourçage en vue de trouver du matériel de piscine et de cuve thermale en Amérique du Nord pour des sociétés tanzaniennes. En 1993, il a constitué une société appelée Technocrafts International (Canada), il exerçait ses activités, semble-t-il, sous cette raison sociale. Il a présenté certains éléments de preuve montrant qu'il avait essayé d'acheter une entreprise canadienne après le mois de septembre 1997, c'est-à-dire en dehors de la période de résidence de quatre ans. Ces éléments de preuve peuvent être pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si le demandeur a des attaches au Canada, mais ils n'ont rien à voir avec la question de la résidence. Selon toute apparence, les absences du demandeur semblent se poursuivre.

[7]         Dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999) 164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. no 410, (C.F., 1re inst.), le juge Lutfy (tel était alors son titre) a examiné la jurisprudence sur ce point et a considéré la question comme étant une question de norme de contrôle. Étant donné que les décisions rendues par cette cour à ce sujet ne sont pas uniformes, et puisque toutes ces décisions font autorité, le juge Lutfy a conclu que dans la mesure où le juge de la cour de la citoyenneté suit l'une des approches adoptées par les juges de cette cour, il n'y a pas lieu d'intervenir dans sa décision :


La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[8]         En l'espèce, le juge de la citoyenneté semble avoir appliqué la décision rendue par le juge Thurlow dans la décision Re Papadogiorgakis, supra. Pour contester la décision, le ministre ne se fonde pas sur le fait que la décision Papadogiorgakis n'a pas été suivie comme elle devait l'être, mais il affirme plutôt qu'il aurait fallu appliquer l'approche énoncée dans la décision Re Harry (1998) 144 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.). Selon cette approche, on compte simplement les jours réels de résidence physique en se fondant sur l'idée selon laquelle une absence d'un an est déjà prévue et que toute autre absence, pour quelque motif que ce soit, a pour effet de rendre le demandeur non admissible.

[9]         Comme je l'ai fait remarquer dans la décision Leung c. Canada (1992) 2 Imm.L.R. (3d) 297 :

Peu importe le critère qu'il convient d'appliquer aux fins de l'al. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, de nombreux juges reconnaissent que le fait de s'absenter du pays afin de gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille ne met pas fin à la résidence, si une résidence a été établie. Dans Re Yuen Wah Stephen Lo, [1996] J.C.F. no 1585, une décision rendue par M. le juge MacKay, le demandeur est arrivé au Canada en provenance de Hong Kong à titre de résident permanent, le 20 juillet 1990. Il s'est installé immédiatement dans sa nouvelle demeure et il a acquis tous les indices habituels de la résidence : permis de conduire, carte de santé, comptes bancaires, etc. Incapable de se trouver un emploi au Canada, il a accepté un poste que lui a offert son ancien employeur en 1992, poste qui l'amenait à faire de longs séjours à l'étranger. Au cours des quatre années qui ont précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté, il ne s'est trouvé au pays que pendant 475 jours; il lui manquait donc 620 jours pour satisfaire à l'exigence de 1 095 jours prévue dans la Loi. Le juge MacKay a conclu que le demandeur avait établi et maintenu sa résidence au Canada et il a accueilli l'appel. Les similitudes que présentent cette affaire et l'espèce sont nombreuses et convaincantes.


[10]       La présente affaire semble être du même genre que l'affaire Leung, supra. Comme dans l'affaire Leung, il existe peu d'éléments de preuve, sinon aucun, qui tendent à montrer que le demandeur prenait part à la vie sociale au Canada, mais comme je l'ai alors dit :

L'existence de telles activités annule la conclusion selon laquelle le Canada n'est pas l'endroit où la personne a centralisé son existence. L'absence de telles activités n'établit pas le contraire, étant donné que chaque personne a une capacité et une tolérance qui lui sont propres à l'égard d'activités sociales. Les personnes dont la tolérance sur ce plan est moindre ne sont pas nécessairement moins attachées au pays.

[11]       Cela étant, je ne crois pas qu'il y ait lieu de modifier la décision du juge de la citoyenneté. L'appel est rejeté.

ORDONNANCE

L'appel de l'ordonnance que le juge de la citoyenneté a rendue le 28 mai 1998 est rejeté.

             « J.D. Denis Pelletier »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   T-1436-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Satishbai Rambai Patel

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 15 septembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Pelletier en date du 2 juin 2000

ONT COMPARU :                                              Marianne Zoric              POUR LE DEMANDEUR

Satishbai Patel              POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :           Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)                        POUR LE DEMANDEUR

Satishbai Patel

Richmond Hill (Ontario)             POUR SON PROPRE COMPTE

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