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Date : 20060606

Dossier : IMM-1676-05

Référence : 2006 CF 691

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

JHONNY ROBERTO NAVARRETE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               Un mariage de façade ne constitue pas un moyen par lequel parrainer une entrée au Canada. Les apparences ne peuvent se substituer à la bonne foi quand il n’existe aucune intention de vivre en permanence avec le conjoint parrainant la demande.

 

[2]               Le [traduction] « véritable critère de la véracité du récit d’un témoin dans une affaire déterminée doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions ». (Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.).)

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               Il s’agit d’une demande d’autorisation, déposée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pour introduire une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 23 février 2005 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), accueillant l’appel en matière de parrainage interjeté par le défendeur contre le rejet de la demande d’établissement déposée par l’épouse du défendeur. 

 

CONTEXTE

[4]               Le défendeur, M. Jhonny Roberto Navarrete, est né le 11 février 1973 en Équateur. Il a obtenu le droit d’établissement au Canada le 7 décembre 1996, après avoir été parrainé par sa mère. 

 

[5]               Mme Maria Roselina De Jesus, la demanderesse dans la demande de résidence permanente, serait l’épouse de M. Navarrete. Elle est née le 9 mai 1976 en République dominicaine. Mme Maria Roselina De Jesus a trois enfants, âgés de 9, 10 et 13 ans. Elle n’est plus en contact avec le père de ses enfants. 

 

[6]               M. Navarrete a visité la République dominicaine du 18 décembre 1999 au 3 janvier 2000; il y a alors rencontré Mme Maria Roselina De Jesus et ses enfants à la plage. Il est retourné en République dominicaine le 18 novembre 2000 et y est resté deux semaines. Il a épousé Mme Maria Roselina De Jesus le 25 novembre 2000, le même jour où s’est mariée la sœur de celle‑ci. M. Navarrete est de nouveau retourné en République dominicaine pour une visite de deux semaines en décembre 2002.  

 

[7]               M. Navarrete a pris des mesures pour parrainer l’immigration au Canada de Mme Maria Roselina De Jesus et de ses trois enfants. Le bureau canadien des visas à Port‑au‑Prince, en Haïti, a reçu la demande de résidence permanente le 4 juin 2001.   

 

[8]               Le bureau des visas a reçu des renseignements anonymes selon lesquels M. Navarrete est le conjoint de fait de la sœur de Mme Maria Roselina De Jesus, Mme Gleidys De Jesus, et selon lesquels Mme Gleidys De Jesus a épousé M. Jose Abel Felipe en République dominicaine le même jour où M. Navarrete a épousé Mme Maria Roselina De Jesus. Également, selon ces renseignements, M. Felipe a déposé une demande d’immigration au Canada, mais n’a pas divulgué son casier judiciaire qui comprend une déclaration de culpabilité pour viol. La sœur de M. Felipe est Mme Marisol Felipe, qui est mariée à M. Michael Campbell. Ces derniers travaillent pour une société d’experts‑conseils en immigration, Immigration Assistance Centre, dont les services ont été retenus tant par M. Felipe que par Mme Maria Roselina De Jesus et leurs parrains (M. Navarrete et Mme Gleidys De Jesus). La demande de résidence permanente de M. Felipe a finalement été rejetée. Mme Gleidys De Jesus a déposé un appel en matière de parrainage auprès de la Section d’appel de l’immigration, mais le désistement de cet appel a été prononcé le 9 septembre 2003.   

 

[9]               En raison des renseignements anonymes, l’agent des visas a procédé à une seconde entrevue le 12 mars 2002. Après l’entrevue, l’agent des visas a conclu que le mariage n’était pas authentique et que la demande ne constituait qu’un moyen de permettre à Mme Maria Roselina De Jesus de rejoindre le reste de sa famille au Canada.

 

[10]           M. Navarrete a été informé du rejet ainsi que de ses droits d’appel prévus par la LIPR. Il a interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration, qui a accueilli l’appel le 23 février 2005. Il s’agit de la décision à l’étude dans la présente demande de contrôle judiciaire.   

 

DÉCISION À L’ÉTUDE

[11]           M. Navarrete a interjeté appel du rejet de la demande de résidence permanente qu’il a présentée pour son épouse, Mme Maria Roselina De Jesus, et ses enfants. La demande a été rejetée en application du paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172 (l’ancien Règlement), parce que l’agent des visas a jugé que Mme Maria Roselina De Jesus s’était mariée principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada à titre de parent et non dans l’intention de vivre en permanence avec M. Navarrete. 

 

[12]           Les doutes de l’agent des visas sont exposés dans sa lettre de refus datée du 30 avril 2002, écrite après qu’il eut reçu la lettre anonyme et le dossier de la Section d’appel de l’immigration (SAI) concernant la demande de résidence permanente présentée par la sœur de Mme Maria Roselina De Jesus pour son époux. À la suite de la lettre anonyme, l’agent des visas a changé sa décision favorable, a ordonné l’annulation du visa et a envoyé la lettre de refus. L’agent des visas a conclu qu’il y avait possiblement fraude puisque M. Navarrete était accusé d’être le conjoint de fait de la sœur de Mme Maria Roselina De Jesus dont le désistement de l’appel auprès de la SAI pour défaut de comparution a été prononcé le 9 septembre 2003.  

 

[13]           Dans le cadre de l’appel, la SAI a jugé que M. Navarrete s’était acquitté du fardeau de montrer qu’il n’était pas visé par le paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement. Elle a conclu que le mariage ne visait pas principalement à obtenir l’admission au Canada pour Mme Maria Roselina De Jesus et que cette dernière avait l’intention de vivre en permanence avec M. Navarrete à titre de conjointe de ce dernier. Elle a conclu que Mme Maria Roselina De Jesus appartenait à la catégorie des parents. L’appel a donc été accueilli.     

 

QUESTIONS

[14]           Les questions en l’espèce sont les suivantes :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en s’imposant des restrictions par rapport à la preuve?

3.      La Commission a-t-elle commis une erreur en rapportant incorrectement la preuve?

4.      La Commission a-t-elle commis une erreur en n’accordant aucune valeur à la preuve du ministre?

5.      L’évaluation de la preuve par la Commission était-elle abusive et manifestement déraisonnable?

 

ANALYSE

Régime législatif

[15]           La Commission ne renvoie qu’au paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement. L’article 4 de la LIPR établi un critère différent de celui du paragraphe 4(3). L’analyse, selon le mémoire des arguments du demandeur, était fondée sur le paragraphe 4(3) en raison de l’époque où s’est déroulée l’affaire. L’analyse suivante est également fondée sur le paragraphe 4(3) parce que cela s’inscrit dans la suite logique des conclusions de la Commission.

 

[16]           L’article 4(3) de l’ancien Règlement est rédigé ainsi :

4.     (3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s’est marié principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada à titre de parent et non dans l’intention de vivre en permanence avec son conjoint.

4.     (3) The family class does not include a spouse who entered into the marriage primarily for the purpose of gaining admission to Canada as a member of the family class and not with the intention of residing permanently with the other spouse.

 

Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle applicable à une décision de la SAI concernant une demande de parrainage des membres de la famille et se fondant sur des conclusions de faits est la décision manifestement déraisonnable. (Sanichara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015, [2005] A.C.F. no 1272 (QL), au paragraphe 11; Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 815 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 21; Jaglal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 685, [2003] A.C.F. no 885, au paragraphe 13; Satinder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 504, [2001] A.C.F. no 784 (QL), au paragraphe 14; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 347, [2002] A.C.F. no 461 (QL), aux paragraphes 17-18.) De même, la norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. (Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (QL), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), au paragraphe 4.)

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve?

[18]           Comme le précisent les propres lignes directrices de la Commission, le fardeau de la preuve devant la Commission incombe à M. Navarrete. Dans le cadre d’un appel, il n’incombe pas au ministre de démontrer que le rejet par un agent des visas d’une demande de résidence permanente était correct. (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Heera, [1994] A.C.F. no 1594 (QL), au paragraphe 2; Document de référence de la SAI : Appels en matière de parrainage, chapitre 6, section 6.2.2 : Mariages aux fins de l’immigration.)

 

[19]           Le critère découlant du paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement est un critère à deux volets que le juge Michel Beaudry a examiné dans la décision Sanichara, précitée, aux paragraphes 14‑15 :

[…] Le paragraphe 4(3) établissait un critère à double volet pour déterminer si le conjoint était exclu de la catégorie des parents. Pour qu’un conjoint soit refusé, il devait être démontré que (1) le conjoint s’était marié principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada à titre de parent, et (2) qu’il n’avait pas l’intention de vivre en permanence avec son conjoint :

 

[…]

 

Ce double critère permettant d'exclure un conjoint de la catégorie des parents a été réitéré dans la décision Horbas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 359 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Strayer, plus tard juge à la Cour d'appel, déclarait ce qui suit :

 

Il faut d'abord souligner qu'il s'agit d'un critère à deux volets. Ainsi, aux termes du paragraphe 4(3), le conjoint n'est exclu que s'il s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admissibilité au Canada et non avec l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

 

[...]         

 

Il ne faut pas perdre de vue que ce paragraphe ne peut servir de fondement au rejet d'une telle demande que si le conjoint parrainé s'est marié principalement dans le but d'immigrer et s'il n'a pas l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

 

 

[20]           Selon la jurisprudence, il incombe au parrain de prouver que le demandeur n’est pas visé par le paragraphe 4(3) de l’ancien Règlement. Pour décider si un demandeur a l’intention ou non de vivre en permanence avec le parrain, il faut examiner les intentions du demandeur, et non l’opinion ou les intentions du parrain. (Canada (Solliciteur général) c. Bisla, [1994] A.C.F. no 1785, au paragraphe 10.)

Donc, afin de déterminer si un époux est exclu en vertu du paragraphe 4(3), il faut faire l'analyse mandatée par l'affaire Horbas. Toutefois, malgré le fait que c'est l'intention du parent parrainé qui prime, il revient au demandeur de présenter de la preuve pour attaquer la conclusion de l’agent d’immigration que le mariage n’est pas un mariage de bonne foi, puisque le droit d'appel est celui du parrain.

 

[…]

 

Ce qui ressort de la jurisprudence, est une obligation de la part du demandeur de démontrer, sur une balance de probabilité, que l'époux parrainé ne s'est pas marié dans le seul but d'immigrer au Canada et qu'il a l'intention de vivre en permanence avec lui. Donc malgré le fait que c’est l’intention du parent parrainé qui prime, il revient au demandeur de présenter de la preuve pour attaquer la conclusion de l’agent d’immigration que le mariage n’est pas un mariage de bonne foi, puisque le droit d’appel est celui du parrain.

 

(Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 296 (QL), 2001 CFPI 144, aux paragraphes 24 et 27.)

 

 

[21]           En l’espèce, la Commission a implicitement fait retomber le fardeau de la preuve sur le ministre, en concluant que l’« argument [du ministre] n’est pas étayé par la preuve et qu’il est, au mieux, hypothétique ». En fait, le ministre a bel et bien produit une preuve. C’est la Commission qui a commis une erreur en n’accordant aucune valeur à la preuve du ministre à cet égard.   

 

[22]           La Commission n’a fourni aucun motif pour expliquer sa conclusion selon laquelle Mme Maria Roselina De Jesus avait l’intention de vivre en permanence avec M. Navarrete. La Commission n’a pas non plus fourni de motif pour expliquer sa conclusion selon laquelle Mme Maria Roselina De Jesus ne s’était pas mariée dans le but d’immigrer. Au contraire, la Commission a tout simplement accepté l’affirmation de M. Navarrete sans la vérifier en la comparant aux faits pertinents et sans s’assurer que cette déclaration pouvait être objectivement fondée, comme elle en a le devoir. (Heera, précitée, au paragraphe 2.)

 

[23]           Pour décider si Mme Maria Roselina De Jesus avait l’intention de vivre en permanence avec M. Navarrete, la Commission doit examiner les intentions de Mme Maria Roselina De Jesus et non l’opinion ou les intentions de M. Navarrete. (Bisla, précitée, aux paragraphes 10 et 13.) La Commission n’a évalué que peu, voire pas du tout, les intentions de Mme Maria Roselina De Jesus à l’époque de son mariage, mais elle a pris en compte les intentions actuelles de M. Navarrete d’acheter une maison et le fait qu’il envisageait de déménager en République dominicaine pour demeurer avec Mme Maria Roselina De Jesus si elle ne pouvait venir au Canada.  

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en s’imposant des restrictions par rapport à la preuve?

[24]           Dans ses motifs, la Commission déclare : « Le tribunal reconnaît que, dans la pratique, la SAI ne tient pas compte des lettres anonymes, car elles sont très préjudiciables et qu’elles ne font pas l’objet de contre-interrogatoires, et que, par conséquent, elles n’ont aucune valeur. »

 

[25]           Le ministre soutient qu’il n’existe aucune pratique générale. Le ministre soutient de plus que la Commission a commis une erreur en n’accordant aucune valeur aux lettres. Selon les alinéas 175(1)b) et c) de la LIPR, la SAI n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision. La Commission commet une erreur en s’imposant « des restrictions dont le Parlement [l’]a libéré[e] ». (Fajardo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 915 (C.A.F.), au paragraphe 4.)

 

[26]           Le ministre soutient que les renseignements contenus dans les « lettres anonymes » auraient dû être pris en compte puisque leur valeur pouvait être corroborée par d’autres éléments de preuve se trouvant dans le dossier devant la Commission.

 

[27]           Cependant, même si la Commission n’est pas liée par les règles légales de présentation de la preuve, il est raisonnable pour la Commission de refuser d’accorder de la valeur aux renseignements communiqués par lettre anonyme. La source, les motifs ainsi que les renseignements fournis par ce type de lettres ne peuvent toujours être vérifiés. En conséquence, les renseignements ne sont pas nécessairement dignes de foi. La Cour ne peut conclure que cette pratique de la Commission est incorrecte et elle conclut qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de refuser de prendre en compte cette lettre dans les circonstances. 

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en rapportant incorrectement la preuve?

[28]           En certains endroits dans ses motifs, la Commission a rapporté incorrectement la preuve. Par exemple, elle a affirmé que Mme Maria Roselina De Jesus est née le 9 mai 1996 alors qu’elle est née le 9 mai 1976. Ces erreurs en elles-mêmes ne sont pas fatales. Cependant, l’accumulation de ces erreurs jumelée à d’autres erreurs soulève un doute sérieux sur le caractère raisonnable du jugement. 

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en n’accordant aucune valeur à la preuve du ministre?

[29]           La Commission a mal compris la pertinence de la preuve produite par le ministre. Le ministre a déposé une preuve selon laquelle le dos d’une photographie prise en utilisant l’« Advanced Photo System » est marqué par un timbre-dateur. La date marquée représente la date où a été prise la photographie. En l’espèce, la photographie produite par M. Navarrete présente la marque « Advanced Photo System JAN 1/97 ». La conclusion qu’il faut tirer de la preuve du ministre est que cette photographie n’a pu être prise en 1999 et qu’elle a été prise en 1997.   

 

[30]           La Commission a rejeté catégoriquement la preuve du ministre, car elle l’a jugée fondée « sur l’opinion [du ministre] plutôt que sur les faits ». Il est clair, sur le vu des motifs et de la déclaration, que la Commission n’a pas compris la preuve, car la Commission a fait observer que la photographie n’avait pas été produite pour examen. Toutefois, l’élément important n’était pas la photographie, mais plutôt la marque indiquant la date.    

 

L’évaluation de la preuve par la Commission était-elle abusive et manifestement déraisonnable?

[31]           Pour évaluer l’intention du conjoint parrainé, la Commission doit prendre en compte les déclarations incompatibles ou contradictoires, les tentatives antérieures du requérant pour obtenir l’admission au Canada, les mariages antérieurs et l’intérêt mutuel (connaissance, contacts, liens familiaux et soutien financier). Cette liste n’est pas exhaustive. (Document de référence de la SAI, précité, sections 6.3.1 à 6.3.7)

 

[32]           L’évaluation qu’a faite la Commission des facteurs ci‑dessus et de la preuve produite touchant ces différents facteurs, et plus particulièrement le facteur de l’intérêt mutuel, était abusive.   

 

[33]           M. Navarrete ne connaissait que très peu de choses de l’ancienne union de fait de Mme Maria Roselina De Jesus. Il ne savait pas le nom du père biologique des trois enfants (l’ancien conjoint de fait de Mme Maria Roselina De Jesus). Dans son témoignage, il a été vague sur la cause de la rupture de l’ancienne union de fait de Mme Maria Roselina De Jesus. Il a été incapable de dire si Mme Maria Roselina De Jesus avait jamais été hospitalisée par suite de violences infligées par son ancien conjoint de fait. Finalement, M. Navarrete ne savait pas quand Mme Maria Roselina De Jesus avait vu son ancien conjoint de fait pour la dernière fois.  

 

[34]           En outre, M. Navarrete n’était pas certain que Mme Maria Roselina De Jesus avait la garde des trois enfants et n’a produit aucun document à cet effet. Il n’a pas non plus pris de mesures pour adopter légalement les trois enfants de Mme Maria Roselina De Jesus. 

 

[35]           Aucune preuve ne faisait état de soutien financier envoyé à Mme Maria Roselina De Jesus et à ses trois enfants avant la seconde entrevue au bureau des visas le 12 mars 2002. En 2003, M. Navarrete n’a envoyé que 700 $ à Mme Maria Roselina De Jesus et à ses trois enfants alors que son revenu brut s’élevait à 115 000 $.

 

[36]           Devant la Commission, M. Navarrete n’a pas produit de preuve corroborante démontrant qu’il y avait eu des contacts par téléphone et aucune des lettres ou des cartes produites n’étaient accompagnée d’une enveloppe affranchie.

 

[37]           Devant la Commission, M. Navarrete n’a pas produit de bail établissant qui était le locataire actuel à son adresse. Il a produit une photographie de ses vacances en République dominicaine en 1999. Le ministre a soumis une preuve selon laquelle la photographie avait été prise en janvier 1997 et non en décembre 1999. 

 

[38]           Le [traduction] « véritable critère de la véracité du récit d’un témoin dans une affaire déterminée doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions ». (Faryna, précité.)

 

[39]           En l’espèce, les deux sœurs (Maria et Gleidys) se sont mariées le même jour à Saint‑Domingue. M. Navarrete a témoigné que Mme Gleidys De Jesus lui aurait demandé en juin ou juillet 2000 de ne pas dire à Mme Maria Roselina De Jesus qu’elle aussi prévoyait se marier le même jour en novembre 2000. M. Navarrete a aussi témoigné n’avoir pas accordé beaucoup d’importance à la chose parce qu’il trouvait cette famille un peu étrange. La Commission a accepté cette explication, la jugeant « insolite, mais non déraisonnable, dans les circonstances ».  L’explication de M. Navarrete s’accorde difficilement avec la preuve et, en fait, entre en contradiction avec son propre témoignage – la Commission ayant aussi accepté son témoignage selon lequel il aime vraiment beaucoup la famille de Mme De Jesus parce qu’il la trouve [traduction] « terre à terre ».

 

CONCLUSION

[40]           En tirant ces conclusions erronées sans égard à la preuve, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle selon l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ainsi qu’une erreur de droit selon l’alinéa 18.1(4)c) de la même loi. Parce que la Commission s’est fondée sur ces conclusions erronées pour accueillir l’appel, la décision de la Commission est annulée et renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci procède à un nouvel examen.   

 

JUGEMENT

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à un nouvel examen;

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1676-05

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                    c.

                                                                                    JHONNY ROBERTO NAVARRETE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 23 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DEMANDEUR

Ronald Poulton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                          FOR THE RESPONDENT

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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