Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200915


Dossier : IMM-5393-19

Référence : 2020 CF 896

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 15 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ALI WAQAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté son appel, au motif qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’affaire. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

I.  Le contexte

[2]  M. Waqas, le demandeur, est un citoyen pakistanais de 31 ans et un musulman chiite. Il soutient que le Parti du peuple pakistanais (le PPP) l’a pris pour cible, ainsi que sa famille, en raison de leur soutien au parti opposé, le parti Ligue musulmane du Pakistan — Noon. Il affirme en particulier que des partisans du PPP l’ont kidnappé et battu en 2004, puis à nouveau en 2006, et qu’ils continuent de harceler sa famille.

[3]  M. Waqas allègue qu’en 2009, son père l’a envoyé en Équateur après que des menaces de mort lui eurent été adressées. Il a ensuite déménagé à plusieurs reprises dans différentes villes, avant d’arriver aux États-Unis en 2014. Bien qu’il ait initialement fait l’objet d’une mesure d’expulsion et ait été détenu pendant plus de quatre mois par les services d’immigration, il a finalement obtenu un permis de travail. Il a présenté une demande de renouvellement environ un mois avant son expiration, mais n’a jamais reçu de réponse.

[4]  M. Waqas est entré au Canada en mai 2017 et a demandé l’asile, invoquant sa crainte d’être tué par des partisans du PPP à son retour au Pakistan.

[5]  Dans une décision datée du 6 septembre 2018, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de M. Waqas. La SPR a jugé que M. Waqas n’était pas crédible et que son récit n’était qu’une invention. La SPR a conclu que M. Waqas n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et qu’il n’y avait aucun fondement crédible à sa demande au titre de l’article 107 de la Loi.

[6]  M. Waqas soutient que, en suivant la recommandation de son ancien conseil d’interjeter appel de la décision de la SPR devant la SAR, à un moment où il était très stressé, il n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire et a donc dépassé le délai prescrit pour ce faire. La décision de la SAR fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  L’appel a été rejeté par la SAR dans une décision en quatre paragraphes datée du 7 août 2019 (la décision). La SAR a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel, conformément au paragraphe 110(2) de la Loi, lequel prévoit qu’il ne peut être fait appel d’une décision de la SPR rejetant une demande en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[8]  M. Waqas a soulevé plusieurs questions dans son mémoire. Toutefois, aucune de ces questions ne concerne la décision de la SAR. En effet, bien qu’il fasse référence à la [traduction« Commission » en général, les questions qu’il soulève, tant procédurales que de fond, ont trait à l’audience et à la décision de la SPR. Les erreurs alléguées sont les suivantes :

  1. La SPR a manqué à l’équité procédurale en tenant une audience avec une interprétation de mauvaise qualité;
  2. M. Waqas s’est vu nier l’équité procédurale en raison de l’incompétence de sa conseil devant la SPR;
  3. La décision de la SPR était déraisonnable;
  4. La commissaire a fait preuve de partialité.

[9]  Au moment où il a présenté ses arguments écrits, au début d’octobre 2019, M. Waqas n’était pas représenté par un avocat. Il a néanmoins retenu les services d’un avocat pour le représenter devant la Cour en mars 2020. Aucune autre observation écrite n’a été déposée entre ce moment-là et l’audition du contrôle judiciaire. À l’audience, l’avocat de M. Waqas a concédé que son client n’avait rien signifié à son ou ses anciens représentants, et il ne contestait plus leur compétence devant la Cour. Je conviens qu’il s’agissait de la position de principe à adopter, étant donné le non-respect du protocole de la Cour fédérale du 7 mars 2014 concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés, ou le fait de ne pas avoir par ailleurs alerté le ou les conseils précédents quant aux allégations.

[10]  L’avocat de M. Waqas a cependant fait valoir un nouvel argument qui n’apparaît pas dans les observations écrites, à savoir que la Cour devrait suspendre sa décision pour une période de 30 jours (ou plus) pour permettre à son client de contester la décision de la SPR, comme cela aurait dû être fait à l’origine. La Cour n’a pas à examiner les arguments soulevés à un stade avancé de l’instance, à l’audience même en l’espèce (voir, par exemple, Yue c Banque de Montréal, 2020 CF 468 au para 39). Je vais néanmoins me pencher sur cet argument et, ce faisant, reformuler les questions auxquelles la Cour est appelée à répondre :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant l’appel?
  2. La Cour devrait-elle examiner les arguments relatifs à l’audience et à la décision de la SPR?
  3. En cas de réponse affirmative à la question ci-dessus, la Cour devrait-elle intervenir quant à la décision de la SPR?

[11]  Le bien-fondé des décisions administratives, y compris celles de la SPR et de la SAR, est présumé être examiné selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). En l’espèce, ni l’intention du législateur ni le principe de la primauté du droit ne permettent de réfuter cette présomption. En examinant le caractère raisonnable, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

IV.  Analyse

A.  La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[12]  M. Waqas ne soulève aucun argument se rapportant précisément à la décision de la SAR. Il ne soutient pas que la décision était déraisonnable (ni, d’ailleurs, qu’on lui a refusé l’équité procédurale devant la SAR). Néanmoins, comme la décision de la SAR est l’objet du présent contrôle judiciaire, je vais expliquer brièvement en quoi elle est raisonnable. La décision ne comporte que quatre paragraphes :

[1]  M. Ali Waqas est un citoyen du Pakistan. Il interjette appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 6 septembre 2018 et rejetant sa demande d’asile déposée au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]  Au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR, la SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.

[3]  Selon le paragraphe 110(2) de la LIPR, n’est pas susceptible d’appel « la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile […] ».

[4]  La Section d’appel des réfugiés n’a donc pas compétence pour instruire la présente affaire.

[13]  Le paragraphe 110(2) de la Loi prévoit des restrictions quant aux situations où une décision de la SPR peut être portée en appel. En particulier, comme l’a fait remarquer la SAR, l’alinéa 110(2)c) empêche d’interjeter appel lorsque la décision de la SPR fait état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile. En l’espèce, la SPR a conclu qu’il y avait [traduction« absence de minimum de fondement à la présente demande, au sens de l’article 107 de la Loi ». Par conséquent, la conclusion de la SAR selon laquelle elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel était tout à fait raisonnable. Bien que brefs, les motifs fournis font état d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAR est assujettie (Vavilov au para 85). Ainsi, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la SAR.

B.  La Cour devrait-elle se pencher sur les arguments relatifs à la décision de la SPR?

[14]  Bien que M. Waqas se présente devant la Cour pour demander le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, la plupart de ses autres arguments portent sur les lacunes alléguées de la décision de la SPR. Toutefois, la décision de la SPR n’est pas celle pour laquelle l’autorisation a été accordée. M. Waqas reconnaît avoir dépassé le délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR devant la Cour. Ce délai est prévu à l’alinéa 72(2)b) de la Loi : pour les décisions rendues au Canada, la demande doit être déposée dans les 15 jours suivant la date où le demandeur est avisé de la décision ou en a eu connaissance. Comme il a été mentionné ci-dessus, la SPR a rendu cette décision il y a plus de deux ans.

[15]  Bien que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 72(2)c), de proroger le délai « pour motifs valables », cela se produit généralement lorsque le demandeur a présenté, en même temps que la demande d’autorisation, une demande de prorogation de délai connexe. En fait, cette étape de la procédure est expressément exigée par l’article 6 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Comme il en a récemment été fait mention dans la décision Kiflom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 205, au paragraphe 25, « [l]e dépôt des demandes dans le délai prescrit est une exigence obligatoire et les prorogations à la suite du dépôt tardif d’une demande de contrôle judiciaire ne sont pas accordées de manière systématique. Elles doivent être justifiées par les demandeurs. »

[16]  Pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai, la Cour examine si le demandeur a démontré i) une intention constante de poursuivre sa demande; ii) que la demande est bien-fondé; iii) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai et iv) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai (Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 (QL) (CAF) au para 3 [Hennelly]). Il n’est pas nécessaire que ces quatre critères militent tous en faveur de la partie requérante. La question primordiale est de savoir si une prorogation de délai sert les intérêts de la justice (Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 62).

[17]  M. Waqas n’a ni demandé de prorogation de délai ni expliqué pourquoi il faudrait en accorder une. Cela constitue un vice fondamental en l’espèce, car, sans une prorogation de délai, la Cour ne peut pas maintenant examiner les arguments visant la décision de la SPR.

[18]  À l’audience, s’il est vrai que l’avocat de M. Waqas a reconnu qu’aucune demande de prorogation n’avait été déposée, il a tout de même utilisé la procédure erronée devant la SAR pour faire valoir que son client, en proie au stress, avait clairement démontré une intention de contester la décision relative à la demande d’asile. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’avocat de M. Waqas, citant la décision Mahdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 218 au para 15 [Mahdi], a demandé à la Cour de suspendre son jugement dans le cadre du présent contrôle judiciaire pour une période de 30 jours, ou pour une période telle qu’elle permettrait à son client de déposer la demande appropriée, vraisemblablement pour une autorisation et un contrôle judiciaire de la décision de la SPR, avec une demande connexe en prorogation de délai.

[19]  Je ferai deux observations concernant ce nouveau motif soulevé (outre ce que j’ai fait remarquer plus haut concernant le fait que l’avocat de M. Waqas a eu des mois pour en donner avis, ses services ayant été retenus en mars 2020).

[20]  Premièrement, l’avocat n’a invoqué aucun fondement juridique pour que la Cour puisse accorder une suspension de son jugement. Je souligne que, dans l’affaire Mahdi, contrairement à la situation en l’espèce, le demandeur avait contesté à juste titre la décision sous-jacente relative à « l’absence d’un minimum de fondement » devant la SPR. Dans cette décision, mon collègue le juge Michael Phelan, a conclu que la décision de la SPR était déraisonnable et que le demandeur avait été privé à tort d’un droit de recours devant la SAR. Le juge Phelan a apparemment suspendu son jugement dans l’affaire Mahdi pour permettre au demandeur de faire appel devant la SAR, et a décidé que, si aucun appel n’était alors interjeté, la suspension expirerait. Toutefois, si un appel devait être interjeté, le juge Phelan a décidé que la Cour rejetterait alors le contrôle judiciaire (accueilli), au motif de son caractère théorique, sans porter atteinte au droit de demander un contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Ainsi, la situation dans la décision Mahdi était entièrement différente de celle en l’espèce, car la décision sous-jacente visant M. Waqas était tout à fait raisonnable.

[21]  Deuxièmement, le fait que M. Waqas ait pu démontrer une intention de contester la décision de la SPR n’est pas déterminant pour établir si sa demande de prorogation est fondée. Comme il a été mentionné lors de l’audition de la présente affaire, si M. Waqas souhaite déposer une telle demande et solliciter une prorogation de délai, il peut certainement le faire. Cependant, une intention constante, actuelle et antérieure, de poursuivre sa demande n’est que l’un des facteurs énoncés dans la décision Hennelly. Il convient de relever que, si M. Waqas n’a pas été représenté pendant une certaine période devant la Cour, ce qui j’en conviens rend les choses plus difficiles, il a néanmoins été représenté par un avocat au cours des six derniers mois devant la Cour, et a été représenté à toutes les étapes précédentes, y compris dans le cadre de ses demandes d’asile devant la SPR et la SAR.

V.  Conclusion

[22]  La décision de la SAR de rejeter l’appel pour défaut de compétence est la décision que la Cour doit examiner. Cette décision était raisonnable, et M. Waqas ne semble pas faire valoir le contraire. Ses arguments visent plutôt à démontrer en quoi la décision antérieure de la SPR était à la fois injuste et déraisonnable. Toutefois, l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, laquelle nécessiterait une demande de prorogation de délai, n’a été ni demandée ni accordée. Pour ces motifs, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5393-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5393-19

INTITULÉ :

ALI WAQAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 septembre 2020

JUGeMENT et motifs :

le juge DINER

DATE DES MOTIFS :

le 15 septembre 2020

COMPARUTIONS :

Edwin Boeve

POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edwin Boeve

Avocat

Whitby (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.