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                                                                                                                     Date : 20040809

                                                                                                        Dossier : IMM-5897-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1089

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                GURWINDER KAUR JUDGE

                                           (alias GURVINDER KAUR JUDGE)

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                La demanderesse, une citoyenne de l'Inde, est venue au Canada en 2002 et a présenté une demande d'asile en vertu de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en affirmant qu'elle craignait pour sa vie ou qu'elle allait être soumise à des traitements cruels et inusités. La demanderesse allègue qu'alors qu'elle travaillait comme réceptionniste auprès de Chawala Import/Export, une société indienne, son superviseur l'a informée que la société _ était impliquée dans le trafic de stupéfiants _, qu'on s'attendait à ce qu'elle se prostitue et qu'elle serait tuée si elle refusait. La demanderesse n'a pas demandé l'aide de la police parce qu'elle croyait que celle-ci entretenait des rapports étroits avec ses employeurs et collaborait avec eux.

[2]         Dans une décision datée du 25 juin 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de la demanderesse. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[3]         Les principales conclusions tirées par la Commission dans sa décision peuvent être résumées de la façon suivante :

·           La Commission a conclu que le récit de la demanderesse a été fabriqué parce que les événements constituant le fondement de sa demande se sont trop opportunément produits au moment où elle essayait de venir au Canada. De plus, la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve objectif quant à son emploi ou à la société auprès de laquelle elle a allégué avoir travaillé.


·            À titre subsidiaire, la Commission a conclu que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l'État. La Commission a souligné que l'Inde était une démocratie parlementaire de longue date, qu'elle possédait un appareil judiciaire indépendant, et a conclu que _ la preuve [...] objective n'indique pas que la police cible de jeunes femmes qui [dénoncent des criminels impliqués] dans d'importantes opérations de trafic de stupéfiants _. Selon la Commission, la preuve présentée relativement à certaines violations des droits de la personne commises par la police et aux mauvaises conditions suivant l'arrestation avait trait à des incidents impliquant de présumés criminels, militants et terroristes. Ceci n'était pas suffisant en soi pour prouver que l'État ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger la demanderesse, ou qu'il serait déraisonnable de la part de la demanderesse de demander la protection de la police dans l'avenir.

Questions en litige

[1]        La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau de prouver qu'elle avait essayé d'obtenir la protection de l'État?


2.         La Commission a-t-elle enfreint les règles de justice naturelle en concluant que la question de la protection de l'État était une question déterminante, en n'entendant que les questions touchant la protection de l'État et en refusant ensuite d'ajouter foi aux prétentions de la demanderesse?

Analyse

[2]         La question de la protection de l'État est déterminante en l'espèce. Même si l'on suppose, sans l'affirmer, que la conclusion tirée par la Commission quant à la crédibilité enfreint les règles de justice naturelle, une telle erreur n'est pas nécessairement fatale. Bien qu'habituellement un manquement à la justice naturelle permet d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision, le renvoi de la décision n'est pas nécessaire si l'affaire soulève une question pour laquelle il existe une réponse _ inéluctable _, étant donné que l'instance décisionnelle serait juridiquement tenue de rejeter la demande du demandeur (Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.), paragraphe 9).


[3]         Dans la présente affaire, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de preuve claire et convaincante selon laquelle l'État ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger la demanderesse, et que la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l'État si elle retournait en Inde. Cette conclusion, si elle est bien fondée, entraînera inexorablement l'échec de la demande de la demanderesse fondée sur l'alinéa 97(1)b) du fait qu'elle équivaut à l'omission de remplir une des exigences de cet alinéa. Il serait inutile de renvoyer l'affaire à la Commission dans un tel cas.

[4]         La demanderesse soutient qu'il existe un lien entre la conclusion de la Commission quant à la crédibilité et la conclusion concernant la protection de l'État. Je n'en vois pas. La Commission a accepté le récit de la demanderesse pour les besoins de l'évaluation de la possibilité de bénéficier de la protection de l'État mais, à cet égard, l'absence de preuve documentaire à l'appui des allégations de la demanderesse a été déterminante. Par conséquent, j'analyserai la question de la protection de l'État.

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau de prouver qu'elle avait essayé d'obtenir la protection de l'État?

[5]         La demanderesse soutient qu'elle n'était pas tenue de se réclamer de la protection de l'État dans la mesure où la preuve révélait que celle-ci n'aurait pas pu être assurée (Canada (Procureur général)c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Elle fait valoir que sa croyance que la police collaborait avec les agents de persécution constitue une justification suffisante de son omission de demander la protection de la police.


[6]         La capacité d'une personne de bénéficier de la protection de l'État est une conclusion de fait qui est assujettie à la norme de la décision manifestement déraisonnable (Czene c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 912 (C.F.) (QL), paragraphe 7; Charway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 701 (C.F.) (QL), paragraphe 10; Doka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 554 (C.F.) (QL), paragraphes 9 et 10; Alli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 252 (C.F. 1re inst.)).

[7]         Dans certaines affaires, les faits nous amènent forcément à nous demander s'il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur d'asile essaie d'obtenir la protection de l'État avant de fuir un pays en particulier. Une telle analyse peut déboucher sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur l'omission de faire cet effort. L'analyse factuelle et l'appréciation de la preuve qui donnent lieu à cette conclusion d'expectative raisonnable ressemblent, à mon avis, à l'analyse prospective de la question de la protection de l'État. Il faut donc avoir recours à la même norme de contrôle, à savoir la norme de la décision manifestement déraisonnable.


[8]         C'est à la demanderesse qu'il incombe de produire des éléments de preuve réfutant la présomption selon laquelle elle peut bénéficier de la protection de l'État. Le test applicable est objectif, et la demanderesse est tenue de _ démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder _ (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, page 234 (C.A.F.)).

[9]         À la page 724 de l'arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsque la protection de l'État _ aurait pu raisonnablement être assurée _, la Commission peut tirer une inférence défavorable en se fondant sur l'omission du demandeur d'asile de solliciter l'aide des autorités de l'État :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas oùla protection de l'État [TRADUCTION] _ aurait pu raisonnablement être assurée _. En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visépar la définition de l'expression _ réfugiéau sens de la Convention _s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicitéla protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

[10]             En l'espèce, il est clair que la Commission a entendu et compris le témoignage de la demanderesse selon lequel celle-ci croyait que la police était _ de mèche _ avec ses employeurs. Il s'agissait là d'une croyance subjective; comme je l'ai mentionné ci-dessus, le test applicable à la question de savoir si la protection de l'État _ aurait pu raisonnablement être assurée _ est objectif. Il ne suffit pas que la demanderesse croie tout simplement qu'elle ne peut pas se prévaloir de la protection de l'État.


[11]       À mon avis, la Commission a examiné de façon appropriée la preuve dont elle disposait et a conclu que la demanderesse n'a pas présenté de preuve claire et convaincante réfutant la présomption relative à la protection de l'État. Même si la preuve documentaire soumise a fait état de difficultés rencontrées par les femmes désireuses d'obtenir l'aide de la police en Inde ou de rapports signalant des violations des droits de la personne commises par la police à l'encontre de présumés criminels et terroristes, comme l'a constaté la commissaire, rien ne porte à croire que _ la police cible de jeunes femmes qui [dénoncent des criminels impliqués] dans d'importantes opérations de trafic de stupéfiants _. Le dossier renfermait des preuves suffisantes pour permettre à la Commission d'arriver à la conclusion que la preuve documentaire ne corroborait pas la croyance de la demanderesse selon laquelle elle ne pouvait pas bénéficier de la protection de l'État. Par conséquent, il ne s'agit pas d'une conclusion manifestement déraisonnable. Par ailleurs, en ce qui a trait à la conclusion concernant la preuve documentaire, il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l'État si elle retournait en Inde.

Conclusion


[12]       Je conclus donc que même s'il est possible que la Commission ait enfreint les règles de justice naturelle lorsqu'elle a apprécié la crédibilité de la demanderesse, cette erreur n'a pas eu d'incidence sur la question déterminante dont elle était saisie. Je suis d'avis que la conclusion relative à la capacité de la demanderesse de bénéficier de la protection de l'État n'est pas entachée d'erreur. La demande sera rejetée.

[13]       Les parties n'ont proposé aucune question aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

_ Judith A. Snider _

                                                  

Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5897-03

INTITULÉ :                                        GURWINDER KAUR JUDGE

(alias GURVINDER KAUR JUDGE)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 28 JUILLET 2004   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Lorne Waldman                                     POUR LA DEMANDERESSE

Pamela Larmondin                                 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Waldman and Associates                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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