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Date : 20040202

Dossier : IMM-5052-02

Référence : 2004 CF 173

Ottawa (Ontario), le 2 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                CENGIZ ILKER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                  MOTIFS E L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, relativement à une décision en date du 18 septembre 2002 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés) (la Commission) a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision suivant laquelle il n'a pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger, ainsi qu'une ordonnance renvoyant l'affaire à la Commission pour qu'elle soit jugée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

Contexte

Introduction

[3]                Le demandeur est un citoyen de la Turquie qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de ses origines ethniques et de sa religion, à savoir la religion alevie et l'ethnie laz, et de ses opinions politiques présumées, à savoir sa participation à l'Emek Gencligi, l'aile Jeunesse du Parti travailliste, l'EMEP. Le demandeur affirme que les autorités le recherchent parce qu'il a protesté contre les prisons de type « F » en Turquie. Il soutient également qu'il a la qualité de personne à protéger parce qu'il sera exposé au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il retourne en Turquie.

Décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)


[4]                L'audience a eu lieu le 26 août 2002. Dans la décision motivée qu'elle a rendue le 18 septembre 2002, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible et que ses craintes n'étaient pas fondées.

[5]                La Commission a estimé que le demandeur était demeuré vague et imprécis tout au long de l'audience.

[6]                La Commission a conclu que les alevis sont libres de pratiquer leur religion en Turquie et que les sunnites ne peuvent attaquer les alevis impunément, contrairement à ce que le demandeur prétendait.

[7]                La Commission a souligné que le demandeur avait beaucoup de mal à expliquer sa présumée position par rapport au parti au sein duquel il affirmait avoir milité. D'une part, le demandeur voulait faire croire à la Commission qu'il était ciblé par les autorités en raison de l'ampleur de ses activités au sein de l'EMEP alors que d'autre part, il attribuait son rôle limité au sein de l'EMEP à sa crainte des autorités. La Commission a estimé que les réponses incompatibles et compliquées du demandeur laissaient croire que ses présumées activités étaient, au mieux, peu importantes.


[8]                Le demandeur soutenait qu'en avril 1998, il avait été interrogé et torturé par la police après avoir tenté de poser des affiches à l'occasion des célébrations du 1er mai pour le compte de l'EMEP. Il affirmait aussi que lui et ses amis d'origine ethnique laz avaient essayé en vain de créer une association. La Commission a estimé que le demandeur avait enjolivé son témoignage pour donner plus de poids à sa demande d'asile, car des détails importants brillaient par leur absence dans l'exposé circonstancié contenu dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[9]                Le demandeur soutenait qu'en juillet 1999, il avait été détenu et interrogé par des policiers et que ceux-ci lui avaient demandé de devenir un espion pour eux. Dans son témoignage, le demandeur a précisé qu'après l'incident survenu en juillet 1999 et avant un autre incident remontant à mai 2000, la police l'avait laissé tranquille. Toutefois, dans l'exposé circonstancié contenu dans son FRP, le demandeur affirmait que la police ne l'avait pas laissé tranquille au cours de cette période. Le demandeur a expliqué qu'il n'avait eu aucun contact avec la police, mais qu'il savait qu'il était surveillé. La Commission a déclaré qu'elle avait de la difficulté à croire que le demandeur pouvait continuer à assister à des réunions de l'EMEP dans ces conditions. La Commission a estimé que le témoignage incohérent et invraisemblable du demandeur minait sa crédibilité et permettait de penser que le présumé incident de juillet 1999 ne s'était jamais produit.


[10]            Le demandeur a déclaré que l'EMEP est une organisation légale, mais il a précisé que la police croyait que le Parti Révolutionnaire Communiste de Turquie (le TDKP) était une branche de l'EMEP. Or, suivant la preuve documentaire, le TDKP est une organisation illégale. La Commission a estimé illogique que l'EMEP, une organisation légale, soit considérée comme englobant une aile illégale, en l'occurrence le TDKP.

[11]            Le demandeur affirmait qu'en mai 2000, il avait pris part au défilé du 1er mai avec un contingent de l'EMEP. Aux dires du demandeur, malgré le fait que le défilé se soit déroulé sans incident, il a par la suite été appréhendé par la police, il a été interrogé au sujet du TDKP et de l'EMEP, il a été invité à devenir un espion à la solde de la police, il a été battu et torturé et il a été relâché le lendemain avec un avertissement.

[12]            La Commission a estimé qu'il était invraisemblable que les autorités permettent la tenue du défilé du 1er mai mais qu'une fois le défilé terminé, elles arrêtent le demandeur. De plus, la Commission a déclaré qu'elle pouvait difficilement imaginer que le demandeur soit relâché après avoir commis des actes qui transgressaient les nombreux ordres que lui avait donnés la police de ne pas participer aux activités de l'EMEP.


[13]            En août 2000, alors que le demandeur distribuait des prospectus sur les prisons de type « F » avec sa petite amie, des policiers ont arrêté cette dernière alors que lui réussissait à s'échapper. Il affirme être entré en contact avec un agent qui lui a trouvé un emploi sur un navire ainsi qu'un passeport et un livret de marin. La Commission a conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que si le demandeur était recherché par les autorités, il n'aurait pas pu quitter le pays comme il prétendait l'avoir fait. La Commission s'est dit d'avis que cela ne faisait que démontrer que les autorités ne s'intéressaient nullement au demandeur et nier la véracité du présumé incident à l'origine de sa fuite.

[14]            La Commission a estimé que le fait que le demandeur n'avait pas demandé l'asile aux États-Unis et qu'il avait attendu 20 jours après son arrivée au Canada pour présenter une demande d'asile indiquait qu'il n'avait pas de crainte subjective et démentait ses allégations qu'il était recherché par les autorités turques.

[15]            Comme elle estimait que le demandeur n'était pas crédible, la Commission n'a accordé aucune valeur au rapport psychologique qui lui avait été soumis.

[16]            Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

Prétentions et moyens du demandeur

[17]            Le demandeur affirme que le tribunal a commis une erreur de droit en concluant que son témoignage n'était pas crédible.

[18]            Le demandeur soutient qu'il ressort du dossier que la conclusion de la Commission suivant laquelle il était demeuré vague et imprécis est injustifiée.

[19]            Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle la preuve documentaire ne permettait pas de penser que le demandeur serait en danger parce qu'il est de religion alevie est illogique et abusive, car la Commission avait déjà relevé que la demande d'asile du demandeur n'était pas fondée uniquement sur le fait qu'il était de religion alevie mais aussi sur les opinions politiques qui lui étaient imputées.

[20]            Le demandeur affirme que le témoignage qu'il a donné au sujet de ses rapports avec l'EMEP ne créait aucune confusion. À son avis, il a affirmé dans les termes les plus nets qu'il appuyait l'EMEP, mais qu'il avait attendu plusieurs années avant d'en devenir membre et ce, pour diverses raisons, dont le fait qu'il éprouvait des craintes parce que les autorités opprimaient les membres du parti davantage que ses sympathisants et ses partisans.

[21]            Le demandeur soutient également que la conclusion de la Commission suivant laquelle il avait enjolivé son témoignage au sujet de sa détention de 1998 est manifestement déraisonnable.


[22]            Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en rejetant les explications qu'il avait fournies au sujet des contradictions entre son témoignage et son FRP pour répondre aux questions qui lui étaient posées pour savoir si la police l'avait laissé tranquille après l'incident de 1999. Suivant le demandeur, les conclusions tirées par la Commission à cet égard étaient déraisonnables, compte tenu des difficultés que comporte le fait de témoigner par le truchement d'un interprète.

[23]            Suivant le demandeur, la Commission a commis une erreur en affirmant qu'il était invraisemblable que le demandeur poursuive ses activités après avoir été arrêté et après avoir fait l'objet de menaces.

[24]            Le demandeur affirme qu'il n'a pas dit que l'EMEP appuyait le TDKP, mais bien que la police considérait l'EMEP comme la façade légale du TDKP ou comme une aile du TDKP.

[25]            Suivant le demandeur, la Commission a tiré une conclusion déraisonnable en estimant qu'il était invraisemblable que les autorités permettent la tenue du défilé du 1er mai et qu'elles arrêtent le demandeur une fois le défilé terminé, car la Commission a ignoré des éléments de preuve contenus dans le FRP du demandeur suivant lequel les autorités voulaient l'interroger et renouveler leur offre pour qu'il devienne un espion pour elles.

[26]            Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle le récit que le demandeur avait donné de l'incident survenu en août 2000 était invraisemblable parce qu'il ne pouvait avoir quitté le pays en raison des contrôles exercés à l'aéroport est intenable puisqu'il a quitté le pays par bateau.


[27]            Suivant le demandeur, la Commission a ignoré ses affirmations qu'il n'a pas présenté de demande d'asile aux États-Unis parce qu'il n'avait pu quitter le navire à ce moment-là.

Prétentions et moyens du défendeur

[28]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[29]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il n'existait pas suffisamment de preuves crédibles ou dignes de foi établissant que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté pour un des motifs énoncés dans la Convention ou qu'il avait la qualité de personne à protéger.

[30]            Le défendeur nie que la conclusion que la Commission a tirée au sujet du comportement du demandeur ne peut être retenue.


[31]            Le défendeur affirme que la preuve documentaire contredisait les dires du demandeur au sujet du harcèlement dont il affirmait avoir été victime du fait de sa religion. Le défendeur ajoute que la mention par le demandeur d'éléments de preuve documentaire se rapportant à des militants était hors de propos et déplacée.

[32]            Le défendeur trouve logique l'analyse de la Commission suivant laquelle le demandeur enjolivait son récit et essayait de se dépeindre comme un farouche militant pour justifier sa demande de protection sur le fondement de ses opinions politiques.

[33]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur avait enjolivé son récit lors de son témoignage.

[34]            Le défendeur affirme qu'en rejetant les explications données par le demandeur pour justifier les contradictions relevées entre son témoignage et son FRP, la Commission n'a pas tiré de conclusion abusive ou arbitraire mais qu'il lui était loisible de tirer cette conclusion en sa qualité d'arbitre des faits.

[35]            Le défendeur affirme que c'est à bon droit et à juste titre que la Commission en est arrivée à des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur au motif que ses déclarations étaient tout simplement invraisemblables. Suivant le défendeur, l'inférence tirée par le tribunal ne visait pas les actes du demandeur, mais plutôt sa capacité de continuer à participer à des réunions sans en être empêché par la police.

[36]            Le défendeur affirme qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que la preuve documentaire comporte certaines allusions au caractère illégal de l'EMEP si, comme le prétendait le demandeur, l'EMEP était bien une aile du TDKP. Le demandeur n'aurait, selon le défendeur, cité aucun des éléments de preuve documentaire soumis à la Commission pour corroborer l'assertion que l'EMEP est considéré comme un paravent du TDKP.

[37]            Suivant le défendeur, la Commission a tiré une conclusion raisonnable en estimant qu'il était invraisemblable que les autorités permettent la tenue d'un défilé pour arrêter le demandeur une fois ce défilé terminé. À titre subsidiaire, le défendeur fait valoir que cette conclusion ne constituait pas un aspect essentiel de la décision de la Commission.

[38]            Le défendeur nie que la Commission ait mal examiné la preuve documentaire relative aux contrôles exercés aux frontières, étant donné que le document cité ne se limitait pas aux aéroports et qu'il traitait de la sécurité à toutes les frontières du pays.

[39]            Le défendeur affirme que la Commission avait le droit de tenir compte du temps que le demandeur avait laissé s'écouler avant de présenter sa demande d'asile au Canada.

[40]            Question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tirant des conclusions abusives au sujet de la crédibilité du demandeur au vu des éléments dont elle disposait?


Dispositions législatives applicables

[41]            Voici les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Analyse et décision

[42]            Pour en arriver à sa décision, la Commission a tiré plusieurs conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur. Je vais les aborder à tour de rôle.

[43]            Le demandeur était vague et imprécis

La Commission a estimé que le demandeur était demeuré vague et imprécis. Comme la Commission a eu l'occasion d'observer le demandeur à l'audience, je suis d'avis, après examen de la transcription, que rien ne me justifierait d'infirmer la décision de la Commission sur ce point.

[44]            La preuve documentaire et la religion du demandeur et ses opinions politiques imputées

Le demandeur faisait reposer sa demande sur le fait qu'il était « de religion alevie et d'ethnie laz [et qu'il était] gauchiste et partisan de l'EMEP (le Parti travailliste) » . La Commission a examiné la preuve documentaire et a écrit, à la page 2 de sa décision, que « les sunnites ne peuvent attaquer les alevis impunément comme le prétend le demandeur d'asile. La preuve documentaire souligne également que les alevis sont libres de pratiquer leur religion » .

[45]            Le demandeur affirme que cette conclusion est illogique étant donné que sa demande ne reposait pas uniquement sur le fait qu'il est un alevi, mais aussi sur les opinions politiques qui lui étaient imputées. Le demandeur affirme par ailleurs qu'il ressort à l'évidence de la preuve documentaire que ceux qui sont perçus comme des militants sont exposés à des risques.

[46]            Je suis porté à abonder dans le sens du défendeur lorsqu'il affirme que cette conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité portait sur les allégations de harcèlement du fait de sa religion que le demandeur avait formulées et qu'il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion. Plus loin dans ses motifs, la Commission aborde le volet de sa demande d'asile dans laquelle le demandeur traite des opinions politiques qui lui avaient été imputées en tant que partisan de l'EMEP.

[47]            Degré de participation du demandeur au sein de l'EMEP

Le demandeur a témoigné qu'il n'était pas un membre du EMEP mais un simple sympathisant. Voici ce que la Commission écrit à ce sujet à la page 3 de sa décision :

Le tribunal estime que le demandeur d'asile a eu beaucoup de mal à expliquer sa présumée position relativement au parti au sein duquel il allègue avoir participé. D'une part, il aurait voulu faire croire au tribunal qu'il était ciblé par les autorités à cause de l'étendue de ses activités au sein du EMEP, mais d'autre part, il a attribué son peu de participation au sein du EMEP à sa crainte des autorités. Ces réponses incompatibles et compliquées laissent croire au tribunal que les présumées activités et le présumé profil du demandeur d'asile étaient, au mieux, peu importants.

[48]            Le demandeur n'est pas d'accord pour dire que ses réponses étaient incompatibles ou que son témoignage au sujet de son appartenance à l'EMEP était confus. Le demandeur affirme que la Commission n'a pas expliqué [TRADUCTION] « en quoi il est invraisemblable que le demandeur, qui affirmait être déjà persécuté, souhaite se soustraire à d'autres mesures de répression ou de persécution en ne devenant pas un membre en règle de l'EMEP » . Voici un extrait de la transcription sur ce point (pages 31 et 32) :

[TRADUCTION]

LE PRÉSIDENT :    . . . Pourriez-vous de nouveau nous expliquer pourquoi vous preniez part aux activités de cette organisation sans en être un membre en règle?

LE DEMANDEUR :               Je suis un sympathisant de l'aile Jeunesse du MF parce que la police s'en prend à ses membres en règle.

LE PRÉSIDENT :    Mais je croyais qu'elle s'en prenait aussi à vous.

LE DEMANDEUR :               Oui, ils nous pourchassaient aussi parce que j'avais participé à de nombreux incidents - excusez-moi - de nombreux événements et de nombreuses activités. J'avais l'habitude de fréquenter ce lieu. Voilà pourquoi.

LE PRÉSIDENT :    Mais alors, pourquoi ne pas devenir un membre en règle et (inaudible) votre position?


LE DEMANDEUR :               J'ai songé à devenir membre, mais j'avais peur parce que les membres en règle font l'objet de pressions et qu'ils sont davantage opprimés.

[49]            Suivant le demandeur, cette conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable. J'ai examiné les éléments entourant cette question et je ne suis pas de son avis. Même si la conclusion de la Commission n'est pas celle à laquelle j'en serais venu, c'était une des conclusions que la Commission pouvait à bon droit tirer.

[50]            Enjolivement du témoignage du demandeur

Voici ce que la Commission écrit, à la page 3 de sa décision, sous la rubrique « Présumés incidents de persécution » :

En avril 1998, le demandeur d'asile était, semble-t-il, en train de poser des affiches du 1er mai au nom du EMEP lorsque lui et deux de ses amis ont été menés au poste de police, interrogés et torturés. Le demandeur d'asile a été relâché après avoir été averti de se tenir loin du EMEP.

Le demandeur d'asile a déclaré que lui et ses amis d'origine laz ont tenté de créer une association, mais en vain. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer en détail les efforts qui avaient été déployés et pourquoi leur projet avait échoué, le demandeur d'asile a donné plusieurs réponses : la police les surveillait lorsqu'ils se rassemblaient, la police leur téléphonait ou certains de ses amis étaient détenus. Aucun de ces détails importants relativement aux autorités ne figure dans l'exposé circonstancié contenu dans le FRP du demandeur d'asile. Le tribunal est d'avis que le demandeur d'asile a manifestement embelli son témoignage afin de donner plus de poids à sa demande d'asile.


[51]            Le demandeur affirme que la Commission a conclu qu'il avait enjolivé son témoignage au sujet de sa détention à la suite de la pose d'affiches, en avril 1998, à l'occasion du défilé du 1er mai. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas de lien logique entre sa détention d'avril 1998 et le rôle qu'il a joué en ce qui concerne l'organisation laz. Le demandeur affirme qu'il ressort de la transcription qu'il n'a pas déclaré à l'audience que les tentatives infructueuses qui avaient été faites pour former une association laz constituaient un élément important de sa demande. Le demandeur fait par ailleurs valoir qu'il n'a jamais prétendu qu'il avait été détenu ou maltraité par la police en raison des tentatives faites en vue de constituer une association laz.

[52]            Après avoir examiné l'exposé circonstancié contenu dans le FRP du demandeur ainsi que les pages 9 à 11 de la transcription, je ne crois pas que les « détails importants relativement aux autorités » qui, selon la Commission, ne figuraient pas dans l'exposé circonstancié contenu dans le FRP du demandeur d'asile se rapportent à l'incident d'avril 1998. Au paragraphe 9 de son FRP, le demandeur déclare catégoriquement qu'il a été détenu et torturé après avoir posé des affiches à l'occasion du défilé du 1er mai en avril 1998. Dans son témoignage, le demandeur affirme qu'il a été détenu par la police pendant deux jours et demi et qu'il a été interrogé après avoir posé les affiches.

[53]            Après les questions posées au demandeur au sujet de l'incident d'avril 1998, l'échange suivant a eu lieu (pages 11 et 12 de la transcription) :

[TRADUCTION]

L'AVOCAT :                         Bon, j'aimerais maintenant savoir si vous jouiez un rôle quelconque au sein de la collectivité laz.

LE DEMANDEUR :              Nous avons essayé en vain de créer une association laz.

LE PRÉSIDENT : Expliquez-nous les démarches qui ont été entreprises et les raisons pour lesquelles elles ont échoué.


LE DEMANDEUR :              Nous avons essayé, mes amis et moi-même, de créer une association, une association communautaire, mais nous étions constamment surveillés par la police et nous étions (inaudible) et nous avions peur des conséquences qui pouvaient en découler de sorte que nous n'avons pas pu présenter de demande.

LE PRÉSIDENT : Le fait que vous étiez surveillés de près et que vous n'avez pas pu présenter de demande ne nous éclaire pas beaucoup. Quelles démarches avez-vous entreprises en vue de créer cette association?

LE DEMANDEUR :              Je me réunissais avec une quinzaine de mes amis dans un café et là, nous discutions de notre projet de création d'une association communautaire laz, mais une fois sortis du café, la police nous téléphonait pour nous demander ce que nous comptions faire, etc.

LE PRÉSIDENT : Dites-en plus, parce que dans votre FRP, il n'est pas question d'appels téléphoniques de la police.

LE DEMANDEUR :             La police exerçait des pressions sur nous à ce sujet et quelques-uns de mes amis ont été détenus pendant quelques heures et ont été interrogés au sujet de nos activités et de nos visées parce que les gens avaient peur des problèmes que cela pouvait entraîner. Nos tentatives ont donc échoué.

LE PRÉSIDENT : Pourquoi n'avez-vous pas parlé de ces difficultés dans votre FRP? Vous parlez seulement de vos craintes.

LE DEMANDEUR :              J'avais peur parce que je ne voulais pas revivre les mêmes incidents. Je l'ignore.

[54]            Voici le texte du paragraphe 10 de l'exposé circonstancié contenu dans le FRP du demandeur :

[TRADUCTION] Je rencontrais régulièrement mes amis laz. Nous tentions de mettre sur pied une association mais nous n'avons pas réussi parce que les gens avaient peur des conséquences [...]


[55]            Je suis d'avis que les détails importants qui, selon la Commission, ont été omis ont trait aux raisons pour lesquelles le demandeur et ses amis n'ont pas constitué d'association. La Commission a signalé à juste titre que ces détails ne figuraient pas au paragraphe 10 du FRP du demandeur et il était donc loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait enjolivé cette partie de sa demande.

[56]            Incohérences de la preuve au sujet de l'intervention de la police - juillet 1999 à mai 2000

Voici ce que la Commission écrit à la page 4 de ses motifs :

Dans son témoignage de vive voix, le demandeur d'asile a déclaré qu'après l'incident survenu en juillet 1999, la police l'a laissé tranquille jusqu'à ce qu'un incident se produise en mai 2000. Cependant, dans l'exposé circonstancié contenu dans son FRP, le demandeur d'asile a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] Les agents de la police secrète ne m'ont pas laissé tranquille. Ils m'ont suivi partout. Ils ont surveillé la maison de ma soeur. Ils ont interrogé mes soeurs et mon beau-frère au sujet de mes activités.

[57]            Je constate qu'à la page 15 du procès-verbal de l'audience de la Commission, le demandeur semble dire qu'après l'incident de juillet 1999 et avant celui de mai 2000, il a été détenu par la police pendant une journée. Or, à la page 16 de la transcription, le demandeur dit que la police s'est contentée de le laisser tranquille pendant cette période. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer cette contradiction entre son témoignage et l'exposé circonstancié contenu dans son FRP, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

LE DEMANDEUR :               Je n'ai eu aucun contact avec la police, mais je savais que j'étais surveillé, parce que je fréquentais l'aile Jeunesse du MF, que je participais aux assemblées du parti et la police me surveillait.

[58]            Après examen de la transcription et du FRP du demandeur, je suis d'avis qu'il était loisible à la Commission de conclure que ces éléments de preuve contradictoires avaient pour effet de miner la crédibilité du demandeur.

[59]            Capacité du demandeur de continuer à assister aux réunions de l'EMEP

La Commission a conclu ce qui suit à la page 4 de sa décision :

Le tribunal a du mal à croire que le demandeur d'asile se soit fait pointer une arme à la tempe, qu'il ait été questionné et averti au sujet de l'EMEP, qu'il ait été surveillé par la police, mais que malgré tout, il ait pu continuer à assister aux réunions de l'EMEP.

Le demandeur estime que cette conclusion est manifestement déraisonnable compte tenu des règles de droit relatives aux conclusions en matière de vraisemblance. Je suis d'avis que la Commission disposait de suffisamment d'éléments de preuve en l'espèce pour pouvoir tirer cette conclusion et j'estime que cette conclusion n'était pas manifestement déraisonnable.

[60]            Arrestation du demandeur après le défilé du 1er mai en 2000

La Commission déclare ce qui suit, à la page 5 de ses motifs :

Le demandeur d'asile a reconnu que la section des jeunes de l'EMEP compte plus d'un millier de membres. Par conséquent, le tribunal estime qu'il est invraisemblable qu'une personne qui n'a aucun profil et qui n'est pas membre de l'EMEP intéresse les autorités à ce point et que ces dernières permettent la tenue d'un défilé du 1er mai, mais qu'une fois la marche terminée, elles arrêtent le demandeur d'asile.


Le demandeur affirme que cette conclusion ne peut être confirmée car, en la tirant, la Commission a fait fi des éléments de preuve contenus au paragraphe 13 de son FRP. J'ai examiné la conclusion de la Commission de même que les déclarations que l'on trouve au paragraphe 13 du FRP et je suis d'avis que, bien que ces éléments de preuve pouvaient donner lieu à des interprétations différentes, la conclusion de la Commission était tout à fait raisonnable.

[61]            Poursuite des activités du demandeur

Le demandeur a été relâché après sa présumée arrestation lors du défilé du 1er mai. La Commission a précisé qu'elle pouvait difficilement imaginer que le demandeur « ait simplement été relâché en dépit de son comportement qui transgressait de façon manifeste et répétitive les nombreux ordres que lui avait donnés la police de ne pas participer aux activités de l'EMEP » . Le demandeur affirme que cette conclusion n'est pas justifiable. Je ne suis pas de son avis. J'estime en effet qu'il s'agit d'une conclusion que la Commission pouvait légitimement tirer et à l'égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue, compte tenu du fait qu'elle siège en tant que tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire.

[62]            Contrôles à la frontière

La Commission a conclu que le demandeur n'aurait pas été en mesure de quitter la Turquie par bateau, même avec l'aide d'un agent. La Commission a fondé sa conclusion sur les éléments de preuve documentaires suivants que l'on trouve à la page 7 de sa décision :

Le contrôle de presque toutes les frontières du pays est effectué de manière efficace au moyen d'un réseau informatique. Le nom de toutes les personnes qui sortent de la Turquie à l'aéroport d'Istanbul est automatiquement entré dans le système informatique qui vérifie s'il ne figure pas sur la liste des individus qui ne doivent pas quitter le pays pour des raisons, par exemple, de fraude fiscale ou d'activités criminelles. La délivrance d'un passeport exige un permis de sortie.

[63]            Suivant le demandeur, cette inférence est injustifiée puisqu'il a quitté la Turquie par bateau et non par avion. Pourtant, on parle, dans la preuve documentaire, du « contrôle de presque toutes les frontières du pays » . Je suis d'avis qu'il s'agit d'une des conclusions que la Commission pouvait tirer.

[64]            Défaut de demander l'asile aux États-Unis

Le navire du demandeur a fait escale aux États-Unis mais, aux dires du demandeur, le capitaine ne l'a pas autorisé à quitter le navire. Pourtant, le capitaine ne lui a pas remis de permis lorsqu'il a quitté le navire au Canada. La Commission a déclaré ce qui suit à la page 8 de sa décision :

Les États-Unis sont signataires du Protocole de 1967. Le tribunal estime que le fait que le demandeur d'asile n'a pas présenté de demande d'asile à la première occasion et qu'il a attendu si longtemps avant de présenter une demande d'asile, risquant ainsi l'expulsion vers le même pays qu'il prétend avoir fui, indique qu'il n'a pas de crainte subjective et dément ses allégations voulant que les autorités turques le recherchent.

[65]            Il m'apparaît improbable que le capitaine qui avait accepté le demandeur à bord de son navire en Turquie l'empêche d'en débarquer au premier lieu où il pouvait demander l'asile. Faute d'explications claires sur ce point, j'estime qu'il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

[66]            Comme j'en suis arrivé à la conclusion qu'il était loisible à la Commission de tirer les conclusions auxquelles elle en est arrivée, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[67]            Aucune des deux parties n'a demandé la certification d'une question grave de portée générale.

                                        ORDONNANCE

[68]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                            _ John A. O'Keefe _               

                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario)

Le 2 février 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                             IMM-5052-02

INTITULÉ :                            CENGIZ ILKER

                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE JEUDI 7 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE LUNDI 2 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Briget O'Leary                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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