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Date : 20000417


Dossier : IMM-2771-99

ENTRE :

     SORAYA AKTER

     et

     ISRATH JAHAN

     Demanderesses

     ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur


    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, en date du 20 avril 1999, en vertu de laquelle la Section du statut a conclu que les demanderesses n"étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.

FAITS

[2]      La demanderesse principale Souraya Akter et sa fille Israth sont citoyennes du Bangladesh.

[3]      La demanderesse principale s"est mariée avec Eunus Rahman, un politicien et homme d"affaires, le 10 janvier 1994. Cette même année, il fut emprisonné par ses opposants politiques.

[4]      Le harcèlement de la police ainsi que les visites du Bangladesh Nationalist Party"s ("BNP") et du Jamaat-e-islami ("Jamaat") en décembre, ont porté la demanderesse principale à se réfugier chez ses parents. En 1995, son mari s"est enfui pour le Canada où il revendiqua le statut de réfugié. Ce qui lui fut refusé.

[5]      En mai 1995, la demanderesse principale a ouvert une école avec l"aide d"autres femmes. L"école a été dénoncée parce qu"elle n"enseignait pas des valeurs religieuses. Les membres du comité Salish, un comité d"arbitrage du village, ont porter ce fait à l"attention du frère de la demanderesse principale et ont fait de la propagande. Ce dernier a frappé la demanderesse principale.

[6]      En janvier 1996, le frère de la demanderesse principale lui a demandé de divorcer son mari et d"épouser un Maulana. Elle a refusé et il l"aurait battu encore une fois. Elle a informé la police mais cette dernière, jugeant qu"il s"agissait d"un problème familial, a décidé de ne pas intervenir.

[7]      En mars, son frère a confisqué la part de la succession de la demanderesse principale.

[8]      En avril 1996, son frère l"a accusée d"avoir une relation avec le voisin, Selim Miah et de porter l"enfant de ce dernier. M. Miah ainsi que la demanderesse principale reçurent des avis de comparution devant le Salish. Sa mère l"envoya alors chez les parents de son mari. Le comité la condamna à 50 coups de fouets, quant à Selim Miah, il reçut une amende de 5000 takas. Il aurait payé un pot-de-vin au frère de la demanderesse principale.

[9]      Son frère l"aurait par la suite accusée d"avoir volé son argent.

[10]      Elle a fui le Bangladesh avec sa fille Israth en juin 1996.

[11]      Les demanderesses revendiquent le statut de réfugié, alléguant une crainte de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social (famille et femmes).



DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]      La Commission a soulevé plusieurs omissions, contradictions et invraisemblances.

[13]      Elle a noté que la demanderesse principale a prétendu qu"il n"était pas nécessaire d"obtenir l"autorisation de son frère, l"aîné de la famille, pour ouvrir une école. Lorsque la Commission lui a signalé que la coutume requiert l"autorisation, elle a prétendu que son oncle la lui aurait donnée.

[14]      La Commission a noté que la demanderesse principale affirmait que tous les élèves étaient des femmes, alors qu"à une autre reprise, elle a affirmé qu"il y avait des enfants et des femmes illettrées.

[15]      La Commission n"a pas cru qu"elle était condamnée à 50 coups de fouet par le Salish, suite à des soupçons qu"elle était enceinte. La Commission note que la demanderesse principale n"était pas enceinte à ce moment et n"aurait pu être condamnée, tel qu"elle le prétend. D"ailleurs, elle n"avait aucune information en ce qui a trait à la procédure lors du procès. Elle n"avait pas non plus une copie de son acte d"accusation, qu"elle prétend avoir déchiré dans un instant de colère. De plus, les lettres des organisations Potenga Cooperative Society et Potenga Women Education Center ne mentionnent pas les problèmes avec le Salish et la police.

[16]      La demanderesse principale a raconté qu"elle était partie vivre chez ses parents, suite aux problèmes qu"elle a eus à sa maison. La Commission a noté que la maison de ses parents se trouvait à trois ou quatre kilomètres de sa maison.

[17]      La Commission a noté que les certificats de naissance étaient datés le 20 juin 1996, alors que les demanderesses étaient nées le 3 février 1974 et le 25 novembre 1994. La demanderesse principale n"a pu expliquer cette contradiction.

[18]      La Commission a rejeté la revendication de la demanderesse principale. Vu que la revendication de Israth, sa fille, est basée sur celle de sa mère, elle suit le même sort.

LES PRÉTENTIONS DES DEMANDERESSES

[19]      Les demanderesses soumettent que le tribunal a commis une erreur en concluant qu"il n"était pas plausible que la demanderesse principale ait pu ouvrir une école pour les femmes sans l"autorisation de son frère. L"explication de la demanderesse principale était logique et plausible.

[20]      Les demanderesses allèguent que le tribunal a commis une erreur en concluant que la demanderesse principale avait ajusté ses réponses lorsqu"elle se sentait prise. La demanderesse principale soumet respectueusement qu"elle a témoigné sous serment et que toutes ses déclarations verbales et écrites sont vraies et faites de bonne foi.

[21]      Les demanderesses soutiennent que le tribunal a commis une erreur en concluant qu"il y avait une contradiction dans l"histoire de la demanderesse principale, puisqu"elle aurait mentionné le fait que vingt-cinq enfants étudiaient à son école. La demanderesse principale maintient qu"il ne s"agit que d"une erreur, puisque ce sont des femmes qui étudiaient à son école. Elle a immédiatement corrigé sa déclaration spécifiant qu"elle parlait de vingt-cinq étudiants et non des enfants. Les demanderesses notent qu"il s"agit d"un élément mineur.

[22]      Les demanderesses argumentent que le tribunal a commis une erreur en reprochant à la demanderesse principale qu"il n"était pas plausible qu"elle soit accusée de porter l"enfant d"un homme, alors qu"elle n"était pas enceinte à ce moment-là. Elle fait valoir qu"elle n"était pas responsable de la plausibilité de l"accusation, puisque ce n"était pas elle qui l"avait portée. D"ailleurs, puisque le Salish est arrivé à ses conclusions en l"absence de la demanderesse principale, il était logique et plausible que la demanderesse principale ne puisse fournir les détails demandés.

[23]      Les demanderesses notent que le tribunal reproche à la demanderesse principale une contradiction entre son témoignage et son F.R.P. Puisque le Salish était composé de membres du Jamaat, il était logique que les deux lettres produites ne mentionnent pas spécifiquement le Salish puisqu"elles mentionnaient les membres du Jamaat. Les demanderesse n"étaient pas responsables du style de ces lettres, ni de leur contenu.

[24]      Les demanderesses notent que le tribunal leur reproche de ne pas expliquer la raison pour laquelle les deux naissances ont été enregistrées le même jour, lorsque les certificats de naissance ont été obtenus en juin 1996. Les demanderesses affirment qu"elles ne savent pas la raison.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[25]      Le défendeur fait valoir que les inférences sur lesquelles le tribunal fonde sa décision ont été tirées de façon raisonnable et conformément aux principes de droit, applicables en l"espèce. La Commission était justifiée d"apprécier la crédibilité de la demanderesse principale en s"appuyant sur des critères, tels la rationalité et le sens commun.

[26]      Le défendeur soumet que la Commission pouvait également tenir compte du comportement et de la façon de témoigner de la demanderesse principale, afin d"apprécier sa crédibilité.

[27]      Le défendeur constate que la demanderesse principale tente de parfaire sa preuve en donnant les explications déjà fournies, mais non retenues par le tribunal. Il lui appartenait de dissiper toute incohérence dans son récit, avec une preuve que la Commission juge satisfaisante.

QUESTION EN LITIGE

[28]      La Commission a-t-elle erré en rejetant les revendications des demanderesses au motif qu"elles n"étaient pas crédibles?

ANALYSE

[29]      La Cour d"appel fédérale a élaboré la norme de contrôle applicable aux conclusions d"invraisemblance dans l"arrêt Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[30]      Les demanderesses argumentent que le tribunal a commis une erreur en rejetant leurs explications à l"effet que les élèves étaient des femmes et non des enfants. Je note que la Commission a soulevé l"absence d"autorisation pour ouvrir l"école, comme étant une invraisemblance majeure. Elles ont qualifié la question à savoir si les élèves étaient des femmes ou des enfants, comme étant un "minor element of contention". Cette qualification clarifie que la Commission a basé sa conclusion sur la question d"autorisation plutôt que sur la question des élèves. La décision d"accepter ou de rejeter les explications de la demanderesse principale quant à son erreur, revient à la Commission en tant que juge des faits.

[31]      En ce qui a trait au procès, la Commission a rejeté l"allégation de la demanderesse principale, à l"effet qu"elle aurait été condamnée à cinquante coups de fouets parce qu"elle portait le fruit d"une relation illicite avec son voisin. La Commission a fait remarquer que la demanderesse principale n"était pas enceinte et qu"il était invraisemblable qu"elle soit condamnée à une telle sentence. Cette conclusion était fondée sur le témoignage de la demanderesse principale, à l"effet qu"elle n"était pas enceinte.

[32]      Quant aux autres invraisemblances reliées aux dates de naissance et le lieu de résidence, les conclusions de la Commission, comme celles notées ci-haut, étaient tirées de la preuve.

[33]      La Commission était mieux placée pour apprécier la crédibilité des demanderesses, à travers le témoignage et le comportement de la demanderesse principale.

[34]      Vu que la Commission a conclu que la demanderesse principale n"était pas crédible, elle pouvait rejeter les allégations qu"elle était accusée pour vol par son frère et poursuivit par la police.

[35]      La Cour d"appel fédérale a déclaré dans l"arrêt Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, et plus particulièrement à la page 244 sous la plume du juge MacGuigan:

     Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

[36]      Le procureur des demanderesses a fait un travail exceptionnel pour attirer l"attention de la Cour sur certains éléments susceptibles de supporter sa position.

[37]      Bien que le procureur des demanderesses ait relevé certaines erreurs mineures dans la décision, aucune me saurait justifier l"intervention de cette Cour.

[38]      La décision de la Commission était basée sur la preuve présentée. Elle n"était pas fondée sur une conclusion de fait erronée ou tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[39]      La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[40]      Aucun des procureurs n"a soumis de question sérieuse pour certification.




                         Pierre Blais

                         Juge


VANCOUVER, COLOMBIE BRITANNIQUE

Le 17 avril 2000

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