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                                                                                                                                            Date : 20010816

                                                                                                                                         Dossier : T-598-01

                                                                                                               Référence neutre : 2001 CFPI 901

Entre :

                                                                FRANCIS MAZHERO

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL

ENSEIGNANT DU YUKON, DEBRA FENDRICK, MAVIS FISHER,

MARGUERITE-MARIE GALIPEAU, CHRIS GONNET, MONICA LEASK, PAUL NORDAHL, KEITH PARKKARI, VALERIE STEHELIN et SIEDO TZOGOEFF

                                                                                                                                                       défendeurs

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

[1]         Le demandeur s'adresse à la Cour, présumément sur le fondement de

l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7, et de l'article 300 et d'autres dispositions des Règles de la Cour fédérale et de l'article 276 de la Loi sur l'éducation du Yukon, L.Y. 1990, ch. 25, et de l'alinéa 2d) et des articles 7, 15 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, et sur le fondement de la compétence inhérente de la Cour.

en vue d'obtenir les réparations suivantes :

le contrôle judiciaire de la décision en date du 8 mars 2001 par laquelle la Commission des relations de travail du personnel enseignant du Yukon (la Commission) a refusé d'examiner la plainte portée par le demandeur le 22 février 2001 contre Marguerite-Marie Galipeau, Chris Gonnet, Paul Nordahl, Valerie Stehelin et Siedo Tzogoeff;


une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus enjoignant à la Commission d'instruire sa plainte selon la procédure accélérée.

[2]         Voici les moyens invoqués par le demandeur pour justifier les réparations qu'il sollicite :

  • 1.                    La Commission a, arbitrairement, abusivement, de mauvaise foi et sans motif juste ou valable, refusé d'instruire la plainte formulée par le demandeur contre Messieurs Galipeau, Gonnet, Nordahl, Stehelin et Tzogoeff; et
  • 2.                    Le refus injustifié de la Commission de statuer sur sa plainte a causé au demandeur et aux membres de sa famille un préjudice grave qui constitue un abus de procédure et un déni de justice naturelle; et
  
  • 3.                    Par sa décision, la Commission a nié au demandeur son droit à la liberté d'association et à la sécurité de sa personne qui lui sont garantis par l'alinéa 2d) et les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et elle a fait preuve de discrimination à son égard en contravention des principes de justice fondamentale.
  

[3]         Il ressort du dossier de la Cour que deux des défendeurs nommément désignés, à savoir la Commission des relations de travail du personnel enseignant du Yukon et Marguerite-Marie Galipeau, ont tenté, par voie d'exception préliminaire, de contester la compétence de la Cour en l'espèce, en présentant une requête reconventionnelle visant à obtenir une ordonnance rejetant la demande du demandeur. Cette exception préliminaire a été soulevée le 11 juin 2001 à Vancouver. Les défendeurs en question ont éprouvé de la difficulté à procéder à la signification de leur acte de procédure, comme le signale Nicole Adams aux paragraphes 2, 3 et 4 de l'affidavit qu'elle a souscrit le 25 juillet 2001 à Kelowna, en Colombie-Britannique, et qui a été déposé le 25 juillet 2001. Voici ce qu'elle écrit :

[TRADUCTION]

[...]

2.                    Sont jointes au présent affidavit à titre d'annexe « A » des copies des lettres d'accompagnement adressées par notre bureau le 7 juin 2001 à tous les intéressés, y compris au demandeur, et précisant les documents qui leur ont été signifiés.

3.                    Sont jointes au présent affidavit à titre d'annexe « B » une copie de l'accusé de réception de la société « A-1 » Delivery de Whitehorse (Yukon) en date du 8 juin 2001, indiquant que M. Mazhero a reçu signification du document conformément à nos instructions avec les lettres d'accompagnement jointes au présent affidavit à titre d'annexe « A » avec les pièces jointes mentionnées dans les lettres en question.


4.                    Le 25 juillet 2001, nous avons pris des dispositions pour que le dossier de la requête des défendeurs soit signifié de nouveau à M. Mazhero par A-1 Delivery. Une copie conforme de la lettre que j'ai adressée à A-1 Delivery le 25 juillet 2001 pour leur donner pour instructions de signifier de nouveau notre dossier de requête au domicile de M. Mazhero a été jointe au présent affidavit à titre d'annexe C.

Le dossier de la Cour ne renferme aucun autre document déposé par l'une ou l'autre des parties.

[4]         La question de compétence de cette Cour en pareilles matières revient fréquemment, mais la jurisprudence sur la question n'est pas très constante. Dans la livraison d'octobre 1986 du magazine NATIONAL de l'Association du Barreau Canadien, on trouve un article de Becky Striegler, de Whitehorse, intitulé : Yukon not bound by federal bilingualism rules, Court decides, qui traite d'une décision rendue par le juge Perry Meyer, de la Cour territoriale du Yukon. L'auteur y déclare notamment ce qui suit : [TRADUCTION] « Les pouvoirs attribués à l'assemblée législative du Yukon sont analogues à ceux qui sont conférés aux législatures provinciales. Le territoire du Yukon n'est pas un ministère du Parlement fédéral [...] C'est une province qui en est à ses premiers balbutiements, mais qui est dotée de la plupart sinon de la totalité des attributs d'une province » . Dans une décision publiée unanime, l'arrêt Bradasch c. Warren et al. [1990] 3 C.F. 32, 111 N.R. 149, 1993 Federal Court Practice, Sgayias & al., p. 81, la Cour d'appel fédérale déclare ce qui suit : « Le droit du Yukon est dans son entier un droit fédéral [. . .] Ainsi donc, le droit de la responsabilité délictuelle dans le Yukon relève, en termes constitutionnels, du droit fédéral, et ce droit s'applique en l'espèce par effet de la Loi sur le Yukon, une loi du Canada » . Le juge Joyal, de notre Cour, a procédé à une analyse fouillée de la jurisprudence applicable dans le jugement Heafey c. Canada, (1991) 46 F.T.R. 123. D'autres analyses fort utiles de la jurisprudence ont été aussi effectuées dans les décisions Re Fortier Arctic Ltd. and Liquor Control Board of Northwest Territories, (1972) 21 D.L.R. (3d) 619, (1971) 5 W.W.R. 62 (le juge Morrow) et Re Pfeiffer and Commissioner of the Northwest Territories, (1977) 75 D.L.R. (3d) 407 (le juge Tallis). Sauf erreur, les trois décisions susmentionnées sont bien fondées.


[5]         La décision la plus récente qui a été rendue au sujet des institutions territoriales et de la compétence de notre Cour à leur égard est certainement l'arrêt unanime que la Section d'appel de notre Cour a rendu le 4 juillet 2001 dans l'affaire La Reine c. Fédération Franco-Ténoise *** et Président de l'Assemblée législative des T.N.-O. et Commissaire aux langues des T.N.-O. et Commissaire aux langues officielles du Canada, dans les dossiers nos A-555-00 et A-558-00. Les jugements, ci-après appelés l'arrêt Fédération Franco-Ténoise, ont été rédigés par le juge Décary qui a regroupé le Commissaire des Territoires, le président de l'Assemblée législative et le Commissaire aux langues sous le vocable de « défendeurs territoriaux » .

[6]         Dans le dossier A-555-00, la question de fond était celle de savoir si la Cour fédérale était compétente à l'égard des défendeurs territoriaux, alors que, dans le dossier A-558-00, la question en litige était celle de savoir si l'action validement instituée en Cour fédérale contre Sa Majesté la Reine ne devait pas être suspendue de manière à ce que l'affaire puisse être déférée à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest.

[7]         Le juge Décary a écrit ce qui suit :

[6]            Le 13 mars 2000, Sa Majesté, s'appuyant sur l'alinéa 50(l)b) de la Loi sur la Cour fédérale, demandait la suspension de l'instance, pour le motif que la Cour fédérale n'avait pas compétence sur tous les défendeurs et qu'il serait plus approprié de saisir le seul tribunal ayant compétence pour trancher tout le litige, soit la Cour suprême des Territoires.

[7]            Le 8 septembre 2000, monsieur le juge Rouleau rejetait les deux requêtes (Fédération Franco-ténoise c. Canada, [2001] 1 C.F. 241 (1re instance).

[8]            En ce qui a trait à la requête en rejet présentée par les défendeurs territoriaux, le juge en vient à la conclusion que les conditions requises par la Cour suprême du Canada dans ITO- International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, pour établir la compétence de la Cour fédérale sont ici rencontrées : les trois défendeurs territoriaux faisant à son avis partie de la « Couronne fédérale » , il y a, par le biais de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, attribution de compétence à la Cour fédérale; les Ordonnances édictées par le gouvernement des Territoires constituent des règles de droit fédéral; et la loi invoquée en l'espèce étant en fin de compte la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. 1985, ch. N-27, il s'agit là d'une loi du Canada au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[9]            En ce qui a trait à la requête en suspension d'instance présentée par Sa Majesté, le juge se contente d'en disposer dans les termes suivants :

[36]          Étant donné la conclusion de la Cour quant à la question de la compétence, je suggère de rejeter la requête sur cette question.

                 [...]


[11]          Les motifs qui suivent renverront à l'occasion à des dispositions de textes constitutionnels antérieurs à la Loi constitutionnelle de 1982 qui n'ont toujours pas de version française officielle. J'utiliserai les textes qu'a proposé en 1990 le Rapport du comité de rédaction constitutionnelle française chargé d'établir, sous le régime de l'article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, un projet de version française de certains textes constitutionnels.

[12]          La Loi sur les territoires du Nord-Ouest appelle « ordonnance » ce que l'Assemblée législative des Territoires appelle « loi » . C'est le terme « ordonnance » , bien sûr, qui est correct, mais rien ne découle en pratique de l'emploi de l'un ou l'autre des termes que ne désavoue d'ailleurs pas le Parlement du Canada. Je note que la Loi sur le Nunavut, sanctionnée en juin 1993 (L.C. 1993, ch. 28), emploie le terme « loi » pour désigner un texte législatif qu'adopte la législature du Nunavut.

[8]         Le juge Décary a poursuivi, aux paragraphes [24] à [29], en citant bon nombre d'exemples tirés des lois fédérales pour démontrer que le législateur fédéral soustrait lui-même les territoires du Nord du Canada au champ d'application des lois fédérales. Il écrit ensuite ce qui suit, au paragraphe [30] :

[30]          Ces lois établissent très certainement que le Parlement a pleinement exercé le pouvoir que lui a conféré l'article 4 de la Loi constitutionnelle du Canada de 1871 de « prendre des mesures relatives à la paix et à l'ordre dans les territoires non compris dans les provinces existantes ainsi qu'à leur administration et à leur bon gouvernement » . Le Parlement me semble avoir fait le maximum de ce que lui permet la Constitution pour donner aux Territoires du Nord-Ouest un statut se rapprochant de celui des provinces mais ne l'égalant pas.

[31]          Ces lois viennent aussi rappeler, du simple fait qu'elles existent, qu'il est nécessaire, pour que les lois fédérales ne s'appliquent pas aux Territoires, qu'elles le disent directement, comme dans le cas de la Loi sur les langues officielles, ou indirectement, comme par l'application de l'article 35 de la Loi d'interprétation.

[...]

[33]          Je comprends de l'article 30 qu'il établit la même corrélation, pour les fins de l'application de la Charte, entre les provinces et les Territoires, qu'établit l'article 35 de la Loi d'interprétation entre les provinces et les Territoires pour les fins de l'application des lois fédérales. Cet article doit être lu de concert avec l'article 31, qui précise que la Charte « n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit » . Ce n'est donc pas parce que les Territoires sont à certaines fins assimilés à des provinces que leurs compétences législatives sont élargies par la Charte et qu'ils peuvent se dire les égaux, sur le plan des compétences législatives, des provinces.

[34]          Je comprends de l'article 32 --lequel se trouve sous le titre « Application de la charte » -- qu'il vise à s'assurer que tous les champs de compétence législative prévus par la Constitution sont couverts par la Charte, peu importe que ces compétences soient exercées par le gouvernement fédéral, par les gouvernements provinciaux ou par les gouvernements territoriaux du Nord-Ouest et du Yukon. Je ne partage pas l'avis du procureur des Franco-ténois selon qui l'article 32 viendrait diluer la portée de l'article 30. L'article 32 dit simplement que la Charte s'applique aux champs de compétence exercés par les Territoires, lesquels sont attribués au Parlement du Canada par la Constitution. La Charte, en somme, s'applique à tous les champs de compétence, même ceux dont l'exercice est délégué aux Territoires par le Parlement.

[...]


[36]          Cette procédure de modification constitutionnelle établit sans l'ombre d'un doute non seulement que les Territoires ne sont pas une province, mais aussi que le Parlement fédéral ne peut sans le consentement des provinces transformer les Territoires en province.

[9]         Dans l'affaire Fédération Franco-Ténoise, le juge Décary a poursuivi en examinant le statut des Territoires pour l'application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Il a cité la définition de l'expression « office fédéral » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale et a analysé les décisions Re Fortier Arctic Ltd. and Liquor Control Board of Northwest Territories (précité), Re Johnston et Procureur général du Canada, (1977) 72 D.L.R. (3d) 615, et Re Pfeiffer and Commissioner of Northwest Territories (précitée). Il écrit ce qui suit :

[48]          Ces décisions sont à mon avis bien fondées. Les ministres et institutions des Territoires ne sont pas des « offices fédéraux » à l'égard desquels la Cour fédérale peut exercer un pouvoir de contrôle.

La conclusion que le juge Décary a exprimée au paragraphe [48] précité et à laquelle ont souscrit à l'unanimité les juges qui composaient la formation saisie de cette affaire constitue la conclusion nécessaire pour pouvoir trancher la présente requête. D'ailleurs, les propos que le juge Décary a tenus dans l'arrêt Fédération Franco-Ténoise méritent amplement un examen attentif du lecteur.

[10]       La Cour estime qu'elle ne peut connaître de la requête présentée par Francis Mazhero en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 octobre 2000 par la Commission des relations de travail du personnel enseignant du Yukon au sujet de Marguerite-Marie Galipeau. Le tribunal compétent pour procéder à ce contrôle judiciaire est la Cour suprême du Yukon.

  

                                                                                                                                          « F.C. Muldoon »                     

                                                                                                                                                                 Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                                                                                            Date : 20010816

                                                                                                                                         Dossier : T-598-01

Ottawa (Ontario), le 16 août 2001

En présence de Monsieur le juge Muldoon

Entre :

                                                                FRANCIS MAZHERO

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL

ENSEIGNANT DU YUKON, DEBRA FENDRICK, MAVIS FISHER,

MARGUERITE-MARIE GALIPEAU, CHRIS GONNET, MONICA LEASK, PAUL NORDAHL, KEITH PARKKARI, VALERIE STEHELIN et SIEDO TZOGOEFF

                                                                                                                                                       défendeurs

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR, STATUANT SUR la requête présentée par le demandeur en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue d'obtenir de la Cour une ordonnance rejetant avec dépens la requête que les défendeurs, la Commission des relations de travail du personnel enseignant du Yukon et Marguerite-Marie Galipeau, ont déposée devant la Section de première instance de la Cour fédérale le 11 juin 2001 :

ACCUEILLE avec dépens la requête déposée le 11 juin 2001 par les défendeurs en question au motif que la Cour fédérale n'est pas compétente pour instruire et juger la présente affaire.

                                                                                                                                          « F.C. Muldoon »                     

                                                                                                                                                                 Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-598-01

INTITULÉ :                              Francis Mazhero c. Commission des relations de travail du personnel enseignant du Yukon etal.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE MULDOON

DATE DES MOTIFS :           17 août 2001

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Francis Mazhero                       POUR LE DEMANDEUR

Peter A. Gall                                POUR LES DÉFENDEURS

(Marguerite-Marie Galipeau et al.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Francis Mazhero                       POUR LE DEMANDEUR

Whitehorse (Yukon)

Heenan Blaikie                        POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver (C.-B.)                      (Marguerite-Marie Galipeau et al.)

Austring Fendrick Fairman Parkkari         POUR LES DÉFENDEURS

Whitehorse (Yukon)                    (Keith Parkkari et al.)

Ministère de la Justice du Yukon                         POUR LE DÉFENDEUR

Whitehorse (Yukon)                                             (Mavis Fisher et al.)

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