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Date : 19971223

 

Dossier : T‑866‑95

ENTRE :

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

requérant

 

- et -

 

HELMUT OBERLANDER

 

intimé

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

[1]   Le requérant présente une requête pour obtenir des directives établissant la procédure à suivre à l’égard du présent renvoi. Avant d’aborder les détails de la requête du requérant, je vais décrire brièvement l’historique de la présente affaire afin de mettre les choses en perspective.

[2]   En janvier 1995, le registraire de la citoyenneté canadienne a envoyé un avis de révocation à l’intimé. L’objet de l’avis était d’informer l’intimé de l’intention du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le requérant) de présenter un rapport au gouverneur en conseil recommandant la révocation de la citoyenneté de l’intimé. L’avis informait également l’intimé de son droit de renvoyer l’affaire à la Section de première instance de la Cour fédérale.

[3]   À la demande de l’intimé, le requérant a ensuite déposé un avis de renvoi devant la Cour, sollicitant un jugement déclaratoire selon lequel l’intimé a obtenu sa citoyenneté par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Peu de temps après, en mai 1995, le requérant a déposé un avis de requête pour obtenir des directives procédurales.

[4]   La requête du requérant pour obtenir des directives a rapidement été embrouillée par un certain nombre de différends procéduraux qui, pour diverses raisons, ont persisté pendant près d’un an. En raison d’événements non liés à la présente requête, un sursis d’instance a été accordé dans le présent dossier. Ce sursis a par la suite été annulé par arrêt de la Cour d’appel fédérale, confirmé par la Cour suprême du Canada le 25 septembre 1997.1

[5]   Environ un mois après la levée du sursis par la Cour suprême dans la présente affaire, le requérant a retiré la requête initiale pour obtenir des directives et a déposé la requête modifiée pour obtenir des directives dont la Cour est actuellement saisie.2 Le requérant demande de nouveau des directives concernant la procédure à suivre dans le présent renvoi. Plus particulièrement, le requérant demande une ordonnance :

 

(1)   Obligeant l’intimé à signifier et à déposer un résumé des faits et des éléments de preuve sur lesquels il a l’intention de se fonder lors de l’instruction de l’affaire;

 

 

 

(2)   Exigeant des deux parties qu’elles remettent une liste de documents comportant :

 

 

 

  (a) une description suffisante de tous les documents pertinents à toute question en cause qui :

 

 

 

  (i)   sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et pour lesquels aucun privilège n’est revendiqué;

 

 

 

  (ii)   sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et pour lesquels un privilège est revendiqué;

 

 

 

  (b) une déclaration indiquant que la partie n’a connaissance d’aucun document pertinent autre que ceux figurant dans la liste;

 

 

 

(3)   Exigeant de l’une ou l’autre des parties qu’au moment où elle prend connaissance que la liste des documents signifiés et déposés par elle est inexacte ou déficiente, elle signifie et dépose une liste supplémentaire, corrigeant l’inexactitude et la lacune dans les meilleurs délais;

 

 

 

(4)   Exigeant de chacune des parties qu’elle permette à l’autre partie d’inspecter tous les documents dont il est fait état dans la liste des documents, sauf ceux pour lesquels un privilège est revendiqué, pendant les heures de bureau, à une heure convenue par les parties, pas moins de quinze jours avant la signification de la liste des documents, et de tirer des copies desdits documents, aux frais de la partie effectuant l’inspection;

 

 

 

(5)   Prévoyant que les deux parties puissent procéder à un interrogatoire préalable de l’autre partie, étant précisé que dans le cas du requérant, la personne assujettie à l’interrogatoire sera un représentant du requérant choisi par lui;

 

 

 

(6)   Prévoyant que l’une ou l’autre des parties puisse par voie d’avis (formulaire 23, Règles de la Cour fédérale) exiger que l’autre partie admette l’authenticité de tout documents. Une fois que cet avis a été signifié, advenant le défaut par la partie signifiée, dans les vingt jours ou tout autre délai prolongé accordé par la partie qui a signifié l’avis ou par la Cour, de signifier à l’autre partie un affidavit niant l’authenticité du document ou présentant les motifs de sa non-admission, la partie signifiée sera réputée avoir admis l’authenticité dudit document;

 

 

 

(7)   Prévoyant qu’une partie puisse, au moins trente jours avant le début de l’instruction demander, par voie d’avis (formulaire 24, Règles de la Cour fédérale), à l’autre partie d’admettre, aux fins de l’audition de la présente affaire seulement, tout fait précis mentionné dans ledit avis;

 

 

 

(8)   Prévoyant que toute partie qui entend présenter une preuve d’expert à l’audience signifie et dépose, au moins trente jours avant le début de l’audience, un affidavit exposant l’essence de la preuve proposée par chaque témoin expert;

 

 

 

(9)   Fixant des dates d’achèvement de chacune des étapes mentionnées aux paragraphes (1), (2) et (5) ci-dessus;

 

 

 

(10) Fixant la date de l’instruction de la présente affaire.

 

[6]   L’intimé s’oppose aux parties de la requête par lesquelles le requérant demande le genre d’échange préalable de renseignements que l’on retrouve normalement dans une action civile. L’intimé s’oppose en particulier à la demande de plaidoirie réciproque du requérant, à la production préalable de documents et à l’interrogatoire préalable, comme il est énoncé aux paragraphes 1 à 5 de la requête. Du même coup, l’intimé soutient que l’ampleur de la divulgation que le requérant est disposé à lui communiquer est insuffisante.

[7]   À l’appui de sa thèse, l’intimé a fait valoir un argument très étoffé que je vais tenter de résumer dans les paragraphes qui suivent. Cette tâche est compliquée par le fait que l’intimé, en plus de faire valoir son propre argument, a entièrement adopté l’argument tout aussi vaste, mais pas entièrement complémentaire, présenté par l’intimé dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck (T‑938‑95). En gardant cela à l’esprit, ce qui suit représente, à mon avis, les caractéristiques principales de la position de l’intimé.

[8]   L’intimé retrace en détail les événements entourant la promulgation du par. 7(3.71) du Code criminel.3 Il soutient que le par. 7(3.71) représente [traductionl’« engagement » du législateur visant à [traduction] « traiter les présumés criminels de guerre » au moyen de poursuites criminelles. L’intimé fait remarquer que la présente instance porte sur des allégations de crimes de guerre et laisse entendre qu’il est poursuivi pour crimes de guerre sous le couvert d’un renvoi relatif à la révocation de la citoyenneté. De l’avis de l’intimé, le « fond » de la cause du requérant dans la présente instance constitue une preuve de criminalité individuelle, par opposition à une preuve de fraude, de fausse déclaration ou de dissimulation de faits essentiels, comme le prévoient les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté. L’intimé est donc d’avis qu’il est accusé en tant que criminel de guerre et que, en ce qui concerne le litige portant sur les crimes de guerre en l’espèce, du moins,4 il devrait bénéficier de la protection procédurale, de la preuve et de la Charte s’appliquant normalement aux affaires visées par le processus pénal.

[9]   Bien que l’intimé ait soutenu que l’espèce constitue une poursuite criminelle menée sous le couvert d’un renvoi relatif à la révocation de la citoyenneté, il considère néanmoins ces procédures comme une tentative de l’État de lui retirer la citoyenneté canadienne. En ce qui concerne cette dernière qualification, l’intimé s’oppose à la requête du requérant pour quatre motifs généraux :

  1. La procédure proposée par le requérant contrevient à l’alinéa 11c) de la Charte.

  2. La procédure proposée par le requérant contrevient à l’article 7 de la Charte.

  3. La procédure proposée par le requérant entre en conflit avec l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits

  4. La procédure proposée par le requérant contrevient aux règles de justice naturelle et d’équité.

[10]   Dans la foulée de la description que fait l’intimé de la présente instance, à savoir une tentative de lui retirer sa citoyenneté et de l’expulser, l’intimé prétend qu’il est une personne [traduction« accusée d’une infraction » au sens de l’article 11 de la Charte. L’intimé soutient en outre que l’alinéa 11c) fait totalement obstacle aux parties de la requête du requérant qui exigent la contraignabilité préalablement à l’instruction.

[11]   À cet effet, l’intimé s’appuie sur l’opinion incidente de la juge Wilson dans l’arrêt R. c. Wigglesworth,5 dans lequel elle a conclu que la protection accordée par l’article 11 va au-delà des affaires purement criminelles. Dans le cadre de sa décision, la juge Wilson a formulé deux critères de rechange afin de déterminer si une instance particulière met en jeu l’article 11.

[12]   Le premier critère décrit par la juge Wilson est le critère de la « nature même ». Une question relèvera de l’article 11 en vertu du critère de la « nature même » si elle vise à promouvoir l’ordre public dans une sphère d’activité publique. Selon l’intimé, la présente instance répond au critère de la « nature même » de la juge Wilson étant donné qu’elle est de nature publique et vise à réparer un tort causé à la société en général.

[13]   Le deuxième critère proposé par la juge Wilson est le critère de la « véritable conséquence pénale ». Une affaire est réputée revêtir une véritable conséquence pénale si l’ampleur de la sanction imposée donne à penser qu’elle vise à réparer un tort causé à la société. L’intimé soutient que l’instance répond également à ce deuxième critère, étant donné qu’elle vise à obtenir la « confiscation » de sa citoyenneté au motif d’une fraude contre le public et qu’elle aboutira à son expulsion.

[14]   S’il est tranché que l’alinéa 11c) ne s’applique pas à la présente instance, l’intimé prétend qu’il peut néanmoins s’opposer aux parties contestées de la requête du requérant en vertu de l’article 7 de la Charte. Selon l’intimé, les plaidoiries réciproques, la production de documents préalables et l’interrogatoire préalable, dans le contexte de la présente instance, violent la « protection résiduelle » interdisant l’auto-incrimination prévue à l’article 7.

[15]   Pour appuyer la notion selon laquelle l’article 7 s’applique en l’espèce, l’intimé invoque la jurisprudence où la protection accordée à la personne en vertu de la composante « liberté » de l’article 7 a été interprétée de façon à englober non seulement le fait d’être libre de toute restriction physique, mais également la liberté de circulation. Selon l’intimé, le concept de liberté de circulation englobe la liberté de ne pas être déplacé par la force. L’intimé fait remarquer que l’article 7 doit être interprété par renvoi aux autres dispositions de la Charte et que le paragraphe 6(1) de la Charte garantit aux citoyens canadiens le droit « de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir. ». L’intimé conclut, selon ce raisonnement, que le droit des citoyens canadiens de demeurer au Canada ou d’en sortir constitue une composante du droit à la « liberté » au titre de l’article 7 et que le paragraphe 6(1) de la Charte indique également que la liberté de ne pas être déplacé par la force constitue une « liberté » au sens de l’article 7.

[16]   L’intimé fait ensuite valoir qu’un examen du processus de révocation révèle deux menaces à ce droit à la « liberté » défini de façon large suffisantes pour faire intervenir l’article 7 dans la présente instance. Tout d’abord, la décision de révoquer la citoyenneté entraîne la perte du droit, prévu au par. 6(1), de demeurer au Canada ou d’en sortir, ce qui entraîne une privation de la « liberté » telle que définie ci-dessus. Ensuite, l’éventualité d’une expulsion consécutive à la décision de révoquer la citoyenneté de l’intimé constitue une crainte d’atteinte à son droit de ne pas être déplacé par la force, ce qui se traduit encore une fois par une privation de « liberté ».

[17]   L’intimé maintient que sa « liberté » garantie en vertu de l’article 7 entre en jeu dans la présente instance malgré le fait que la Cour ne tranche pas ultimement la question de la révocation de sa citoyenneté ou de son expulsion du Canada. Selon l’intimé, l’applicabilité de l’article 7 de la Charte à la présente instance doit être examinée à la lumière de certains énoncés de politique du gouvernement indiquant que l’on peut présumer que des décisions visant la révocation et l’expulsion suivront une décision favorable de la Cour.

[18]   L’alinéa 2e) de la Déclaration des droits prévoit que toute audition pour la définition des « droits et obligations » d’une personne doit respecter les principes de justice fondamentale. Le requérant reconnaît que les principes de justice fondamentale énoncés à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits se limitent à des considérations de procédure. Le requérant soutient toutefois que les considérations de procédure qui sous-tendent les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte, notamment le principe interdisant l’auto-incrimination, s’appliquent également aux principes de justice fondamentale énoncés à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits. L’intimé prétend que la présente instance déterminera ses droits et obligations en vertu de la Loi sur la citoyenneté et que la même analyse de l’effet de l’article 7 sur la requête du requérant s’applique à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits.

[19]   Enfin, le requérant fait valoir qu’en l’absence d’une disposition particulière de la Loi sur la citoyenneté ou des Règles de la Cour fédérale prévoyant la contrainte préalable dans les cas de révocation de la citoyenneté, la Cour devrait établir une procédure conforme aux principes de justice naturelle dans le contexte du droit administratif. À cet égard, l’intimé prétend que la règle moderne en matière de divulgation est fondée non pas sur la norme civile mais sur la norme pénale établie par l’arrêt R. c. Stinchcombe.6

Dispositif

[20]   Je vais d’abord traiter des prétentions de l’intimé concernant le caractère de la présente instance. L’intimé est d’avis que le renvoi du requérant à la Cour constitue une façon détournée d’entreprendre une poursuite pour crimes de guerre contre lui. Cette perception est fondée en grande partie sur la compréhension qu’a l’intimé des raisons qui sous-tendent la tentative du requérant de révoquer sa citoyenneté. Selon l’intimé, le requérant n’est pas motivé par des considérations relatives à la Loi sur la citoyenneté, mais par la croyance que l’intimé a participé à des crimes de guerre.7 Le litige relatif aux crimes de guerre devient donc le véritable objet ou le « fond » de la présente instance, et la question de savoir si l’intimé a fait une fausse déclaration dans le cadre de l’obtention de sa citoyenneté n’en est que la toile de fond. De l’avis de l’intimé, cela confère un caractère criminel à la présente instance et le met à l’abri des parties contestées de la requête du requérant.

[21]   Il est utile à ce stade d’examiner les dispositions législatives qui donnent lieu à la présente instance, soit les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, qui prévoient :

 

10.   (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

 

 

 

  (a) soit perd sa citoyenneté;

 

 

 

  (b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

 

 

 

  (2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens. 1974-75-76, ch. 108, art. 9.

 

 

 

18.   (1) Le ministre ne peut procéder à l’établissement du rapport mentionné à l’article 10 sans avoir auparavant avisé l’intéressé de son intention en ce sens et sans que l’une ou l’autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

 

 

 

  (a) l’intéressé n’a pas, dans les trente jours suivant la date d’expédition de l’avis, demandé le renvoi de l’affaire devant la Cour;

 

 

 

  (b) la Cour, saisie de l’affaire, a décidé qu’il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

 

 

 

 

 

  (2) L’avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu’a l’intéressé, dans les trente jours suivant sa date d’expédition, de demander au ministre le renvoi de l’affaire devant la Cour. La communication de l’avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l’intéressé.

 

 

 

  (3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel. 1974-75-76, ch. 108, art. 17.

 

[22]   Ainsi, les articles 10 et 18 donnent à la Cour un mandat législatif très précis. La Cour doit trancher la question de savoir si une personne a obtenu, conservé ou repris la citoyenneté ou y a renoncé par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si la Cour doit fonctionner dans le cadre des paramètres de ce mandat, il est clair que ni le motif du requérant, ni la nature de ce qui sous-tend la fraude alléguée ne peuvent avoir d’incidence sur le caractère de l’instance. Les articles 10 et 18 ne confèrent pas à la Cour une compétence non confirmée susceptible de changements et d’adaptations selon la nature et la gravité des circonstances donnant lieu à l’affaire dont elle est saisie. Que ce qui sous-tend la fraude présumée concerne des crimes de guerre ou quelque chose d’aussi banal que l’état matrimonial, la seule question sur laquelle la Cour peut se prononcer demeure exactement la même, à savoir si la personne concernée a obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[23]   Je remarque que la perception qu’a l’intimé du caractère de la présente instance est également fondée sur certains commentaires formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Tobiass. Dans cette affaire, la Cour a qualifié les actes qui, selon le requérant, ont été dissimulés par l’intimé au cours de l’obtention de la citoyenneté, d’« activités criminelles les plus iniques [...] parmi les plus haineu[ses] de l’histoire ».8 Ce sont certainement des commentaires accablants. Toutefois, à mon avis, il est important que ces commentaires soient examinés dans le contexte dans lequel ils ont été formulés.

[24]   Dans l’arrêt Tobiass, la question dont la Cour était saisie était de savoir si un sursis d’instance était justifié. Pour mettre en balance les valeurs concurrentes en jeu dans l’octroi d’un sursis, la Cour a tenu compte de l’intérêt de la société à veiller à ce que des mesures soient prises à l’égard des personnes soupçonnées d’avoir participé à des crimes de guerre. C’est cet aspect qui a incité la Cour à formuler les observations suivantes : « [...] l’intérêt du Canada à ne pas donner refuge à ceux qui ont dissimulé leur participation en temps de guerre à des atrocités l’emporte sur tout préjudice prévisible que la poursuite des procédures pourrait causer aux appelants [...] », et, « Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c’est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale. ».9

[25]   C’est dans ce contexte que la Cour a commenté la nature des actes que le requérant prétend que l’intimé a dissimulés. À aucun moment la Cour suprême a-t-elle signifié que le caractère de ces instances varie selon la nature des actes réputés sous-jacents à la fraude alléguée ou indiqué que notre Cour, lorsque saisie d’un renvoi au titre de l’article 18, devrait se préoccuper d’autre chose que ce qu’elle a compétence de trancher en vertu de la loi. Dans cette perspective, la gravité des crimes allégués est pertinente, mais seulement dans la mesure où elle sert à établir la fraude alléguée.

[26]   Dans ce contexte, les observations citées ci-dessus par la Cour suprême donnent toutefois foi à la notion selon laquelle la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration sont complémentaires de nature et constituent des éléments constitutifs d’un régime plus vaste. Comme l’a fait remarquer la juge McGillis dans la décision Copeland :10

 

En examinant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté, on constate que les règles de droit concernant l'immigration et la citoyenneté sont de nature complémentaire et qu'elles établissent, ensemble, le régime législatif qui permet à un immigrant d'entrer et de demeurer au Canada et d'acquérir la citoyenneté. À cet égard, la Loi sur l'immigration régit l'admission, l'exclusion et le renvoi des non-citoyens, alors que la Loi sur la citoyenneté réglemente notamment les situations dans lesquelles un immigrant peut obtenir le droit d'acquérir la citoyenneté. En ce sens, la Loi sur la citoyenneté contrôle la phase finale de l'immigration d'une personne au pays. La nature complémentaire de ces deux lois apparaît très clairement dans les cas où la perte de la citoyenneté par application de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté prend effet à l'égard d'une personne. Dans ce cas, le statut de cette personne au Canada et la question de son renvoi éventuel du pays sont régis par les dispositions de la Loi sur l'immigration. Il est également utile de souligner que la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté prévoient toutes les deux une procédure de renvoi, notamment aux articles 40.1 et 18, respectivement, dans le cadre de laquelle un juge de la Cour doit tirer des conclusions de fait pour aider le ministre et le gouverneur en conseil à s'acquitter de leurs responsabilités légales concernant la question de savoir si certaines personnes devraient être autorisées à demeurer au Canada, en qualité de citoyens ou autrement.

 

 

 

En l'espèce, je suis convaincue que les principes d'interprétation fondamentaux énoncés dans la décision Ahani c. Canada, précitée, s'appliquent en matière de citoyenneté. J'ai donc conclu que la portée de la procédure prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté doit être analysée dans le contexte des principes et des politiques qui sous-tendent les règles de droit relatives à l'immigration et à la citoyenneté, et non dans le contexte du droit criminel. En fait, comme je l'ai déjà mentionné, le juge qui préside un renvoi en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté tire uniquement une conclusion de fait concernant les circonstances dans lesquelles une personne a acquis la citoyenneté canadienne. Pour paraphraser mes propos dans la décision Ahani c. Canada, précitée, cette conclusion de fait est purement et simplement une question d'immigration. En l'espèce, je souscris à l'opinion exprimée par le juge Collier dans la décision Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, précitée, selon laquelle un renvoi formé en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté est de nature civile et on doit lui appliquer la norme de la preuve en matière civile.

 

[27]   Je suis d’accord avec l’interprétation qu’a faite la juge McGillis du cadre administratif dans lequel fonctionne un renvoi relatif à la citoyenneté et avec sa conclusion selon laquelle une telle procédure est de nature civile. L’argument de l’intimé selon lequel il a le droit de s’opposer à certaines parties de la requête du requérant, compte tenu du caractère de la présente instance, est rejeté.

[28]   Comme il a été mentionné précédemment, l’intimé conteste également la requête du requérant au motif qu’elle est incompatible avec les principes interdisant l’auto-incrimination énoncés aux articles 7 et 11 de la Charte. Plus précisément, l’intimé soutient qu’aux fins de la présente instance, il est [traduction] « accusé d’une infraction » en vertu de l’alinéa 11c) et que cette instance porte atteinte à sa « liberté » telle qu’elle est énoncée à l’article 7.

[29]   Dans la décision Canada (Secrétaire d’État) c. Delezos,11 le juge Muldoon, saisi d’un renvoi en vertu de l’article 18, a été confronté à l’argument selon lequel l’intimé dans cette affaire se trouvait dans la même position qu’une personne accusée d’une infraction. L’on plaidait que, étant donné que l’intimé avait déjà été reconnu coupable de l’infraction d’avoir émis de faux documents dans le cadre de l’obtention de la citoyenneté canadienne, il ne pouvait pas être jugé pour la même infraction de nouveau au cours de l’instance de renvoi. L’alinéa 11h) de la Charte était invoqué.

[30]   Le juge Muldoon, après avoir fait remarquer que l’intimé n’était pas menacé de quelque conséquence pénale que ce soit dans l’instance de renvoi, a conclu que l’enquête était entièrement de nature civile. La décision du juge Muldoon a par la suite été citée par la Cour d’appel, avec approbation, dans l’arrêt Hurd c. Canada.12

[31]   Dans l’arrêt Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens,13 la Cour d’appel a réitéré qu’un renvoi formé en vertu de l’art. 18 n’a aucune conséquence pénale. Dans cette affaire, le juge Linden, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré que la décision rendue à l’égard d’un renvoi formé en vertu de l’art. 18 constitue une conclusion de fait de la Cour qui n’est pas définitivement déterminante pour trancher les questions de droits juridiques. Le juge Linden a déclaré ce qui suit :14

 

Même si la décision faisait suite à une audience au cours de laquelle de nombreux éléments de preuve ont été produits

 

 

 

il s'agissait simplement d'une conclusion de fait de la part de la Cour

 

 

 

qui devait constituer le fondement d'un rapport du ministre et, à terme,

 

 

 

d'une décision du gouverneur en conseil,

 

 

 

comme le décrivent l'article 10 et le paragraphe 18(1).

 

 

La décision n'a déterminé en fin de compte aucun droit juridique.

 

[32]   Ce passage a été cité par la Cour suprême du Canada, avec approbation, dans l’arrêt Tobiass. Plus particulièrement, la Cour suprême a fait sienne cette opinion incidente comme reflétant le « [...] genre de décision que la cour est appelée à rendre sous le régime du par. 18(1) [...] » de la Loi sur la citoyenneté, contrairement aux décisions qui tranchent définitivement les questions relatives aux droits et obligations et à partir desquelles un appel peut être interjeté.15

[33]   Plus loin dans l’arrêt Luitjens, le juge Linden s’est fondé sur la logique sous-jacente au passage cité ci-dessus pour expliquer pourquoi l’absence de droit d’appel d’une décision rendue relativement à un renvoi n’a pas contrevenu à l’article 7 de la Charte. Il a déclaré :16

 

Je considère que l'article 7 ne supprime pas la force exécutoire

 

 

 

du paragraphe 18(3). Tout d'abord, au moment où la Cour a rendu sa

 

 

 

décision, au moins, l'article 7 n'était pas en cause parce que

 

 

 

l'on n'avait pas encore porté atteinte au droit de M. Luitjen

 

 

 

« à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Le juge de première

 

 

 

instance a simplement statué que M. Luitjen avait obtenu la citoyenneté

 

 

 

canadienne par fausse déclaration. Cette conclusion pourrait peut-être bien

 

 

 

servir de fondement aux décisions d'autres tribunaux, qui pourraient  

 

 

 

porter atteinte ultérieurement à ce droit, mais cela n'est pas le cas de la

 

 

 

décision dont il est question en l'espèce Il ne s’agit donc que d’une étape

 

 

 

d’une action qui peut aboutir ou non à la révocation définitive de la

 

 

 

citoyenneté et à l’expulsion ou l’extradition de l’intéressé. Il peut y avoir un

 

 

 

droit de révision ou d’appel à une étape ultérieure, et cela est

 

habituellement le cas.

 

[Souligné dans l’original]17

 

[34]   L’avocat de l’intimé laisse entendre que ce passage, dans la mesure où il se rapporte à l’article 7 de la Charte, constitue une remarque incidente et est incompatible avec la jurisprudence « bien établie » de la Cour suprême.18 Je ne souscris à aucune de ces prétentions. Tout d’abord, l’énoncé est clairement en ratio car il tranche la question même sur laquelle la Cour d’appel a été appelée à se prononcer. Ensuite, je ne crois pas que la jurisprudence mentionnée par l’intimé soit « bien établie » à l’égard de la proposition selon laquelle le raisonnement exprimé par le juge Linden est mauvais en droit. En fait, la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Tobiass confirme qu’une décision rendue sous le régime de l’art. 18 n’est pas définitive pour quelque droit en common law que ce soit, ce qui appuie fortement la conclusion du juge Linden au sujet de l’article 7 de la Charte.

[35]   De plus, je ne crois pas que la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Nguyen c. Canada20 aille à l’encontre de la décision dans l’arrêt Luitjens. Dans l’arrêt Nguyen, le requérant avait déjà fait l’objet d’un avis de danger pour l’opinion publique émis par le ministre, et la contestation en vertu de l’article 7 visait le régime prévu par la Loi sur l’immigration pour disposer ces personnes. C’est dans ce contexte que le juge Marceau s’est ainsi exprimé au nom de la Cour :21

 

Une mesure législative peut être contestée même si ses parties sont en elles-mêmes acceptables. En effet, l'action réciproque de ses parties peut créer un contexte complètement nouveau et imposer une approche différente. C'est là, je crois, l'attitude qu'a adopté la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli, précité.

 

[36]   En l’espèce, il n’y a pas d’attaque contre le régime législatif dans son ensemble. Tout ce qui est avancé, c’est que l’article 7 de la Charte est invoqué lorsqu’un avis de révocation atteint l’étape d’un renvoi devant la Cour. La décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Luitjens en décide autrement et, à mon avis, tranche l’argument fondé sur l’article 7.22

[37]   Pour en revenir à l’alinéa 11c) de la Charte, il est clair, d’après la jurisprudence que j’ai citée, que la présente instance ne satisfait pas au critère de « nature même » ni au critère de « véritable conséquence pénale » énoncés par la juge Wilson dans l’arrêt Wigglesworth (précité). Un renvoi en vertu de l’article 18 ne constitue pas une procédure criminelle ou quasi criminelle et, en tant que telle, n’entraîne aucune conséquence pénale.

[38]   Même si je devais aller au-delà de la présente instance et supposer, comme l’intimé l’allègue, que la révocation résulterait nécessairement d’une décision favorable dans le présent renvoi, je ne crois pas que l’on pourrait affirmer que l’article 11 s’applique.

[39]   La confiscation des fruits de la fraude ne constitue pas une punition en tant que telle. En soi, la restitution de quelque chose obtenu par fraude ou tromperie représente un événement purement neutre.23 Une instance dont le seul but consiste à placer une personne dans la situation où elle se serait trouvée si aucune fraude n’avait été commise est de nature civile; aucune sanction punitive n’est en cause.

[40]   L’arrêt Amway of Canada Ltd.24 sur lequel l’intimé s’est largement appuyé pour faire valoir que la confiscation de sa citoyenneté constitue en réalité une conséquence pénale illustre exactement le contraire. La juge Reed, concluant que la confiscation pécuniaire constituait une sanction punitive, a fait remarquer que la confiscation en question ne visait pas le paiement de droits et de taxes qui avaient été éludés, mais qu’elle imposait des paiements importants excédant les sommes dues. Cette conclusion de fait a servi de fondement au raisonnement qui l’a amenée à conclure qu’une sanction punitive était demandée. Sa conclusion aurait nécessairement été différente si la demande s’était limitée au paiement des droits et taxes qui avaient fait l’objet de la fraude. La Cour d’appel a tiré la même conclusion que la juge Reed en s’appuyant sur le même raisonnement.25

[41]   La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Vidéotron Ltée.26, sur laquelle l’intimé s’est également largement appuyé, n’est plus utile puisque la sanction possible d’un an d’emprisonnement dans cette affaire était sans équivoque de nature punitive.

[42]   Il est également important de noter que, dans l’arrêt Benner c. Canada, la Cour suprême a qualifié la citoyenneté canadienne de « précieux privilège ».27 Une personne ayant obtenu la citoyenneté canadienne par fraude sait ou devrait savoir que son statut de citoyen canadien est précaire. Notre Loi sur la citoyenneté a toujours imposé aux demandeurs de citoyenneté l’obligation de répondre véridiquement aux questions et, depuis au moins 1946,28 la Loi prévoit que lorsque le ministre de la Citoyenneté est en mesure d’établir que la citoyenneté a été obtenue par fraude, elle risque d’être révoquée. La Loi impose donc aux demandeurs de citoyenneté l’obligation de dire la vérité et accorde à l’État le droit d’obtenir la révocation de la citoyenneté s’il peut être démontré que cette obligation n’a pas été respectée. Cela fait partie du contrat social qui lie quiconque choisit de devenir citoyen canadien.

[43]   Le retrait par l’État d’un privilège au motif qu’il a été acquis à l’origine par fraude selon un recours prévu par la loi à cette seule fin ne constitue pas une sanction punitive. Le recours en cause ne constitue pas davantage une sanction punitive que celui, par exemple, recherché par un assureur poursuivant un assuré pour obtenir l’annulation d’un contrat d’assurance au motif qu’il a été initialement obtenu par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Dans les deux cas, le recours se limite à reprendre ce à quoi on n’a jamais eu droit.

[44]   En ce qui concerne la révocation possible de la citoyenneté de l’intimé et en supposant, aux fins de discussion, que le renvoi résultera nécessairement d’une décision favorable en l’espèce, je ne crois toujours pas que cela équivaudrait à une conséquence pénale aux fins de l’article 11.

[45]   La question de savoir si le renvoi du Canada d’une personne non admissible aux termes de la Loi sur l’immigration constitue une forme de sanction punitive ou si les procédures visant à obtenir le renvoi d’une telle personne tombent par ailleurs sous le coup de l’article 11 de la Charte a été tranchée péremptoirement.

[46]   Dans l’arrêt Rudolph c. Canada, le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a déclaré :29

 

Une personne dont l’expulsion est prévue ne se présente pas devant la Cour en tant que personne accusée d’une infraction.

 

[47]   Dans l’arrêt Hurd c. Canada, le juge McGuigan, s’exprimant au nom d’un autre tribunal, est arrivé à la même conclusion pour essentiellement les mêmes motifs.30

[48]   Enfin, dans l’arrêt Chiarelli c. Canada, le juge Sopinka a exprimé l’opinion de la Cour selon laquelle l’expulsion ne constitue pas une sanction punitive.31

[49]   L’intimé s’oppose également à la requête du requérant au motif que l’instance sollicitée est incompatible avec les principes de justice naturelle et d’équité qui s’appliquent aux procédures administratives se situant à l’extrémité supérieure de l’éventail judiciaire. L’intimé soutient que les principes modernes du droit administratif exigent une divulgation complète de la part du requérant et, en même temps, l’isolent pratiquement de la contrainte préalable.

[50]   Je n’ai pas connaissance d’une jurisprudence qui établit qu’une partie visée par une procédure administrative peut être effectivement isolé de la contrainte préalable. Quoi qu’il en soit, l’argument de l’intimé repose sur ce qu’il perçoit comme un vide en ce qui concerne les règles régissant la tenue du présent renvoi. C’est dans le contexte de ce vide que l’on demande à la Cour d’établir une instance globale fondée sur les principes modernes du droit administratif et sans égard aux règles de pratique existantes. Il s’impose donc d’examiner les règles pertinentes.

[51]   La Règle 920 des Règles de la Cour fédérale est la seule règle qui traite expressément de la procédure à suivre dans un renvoi fait en vertu de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Elle prévoit ce qui suit :

 

Les dispositions suivantes s’appliquent à l’audition d’une affaire (article 18 de la Loi) :

 

 

  (a) sur réception d'une demande voulant que l'affaire soit renvoyée devant la Cour, présentée par une personne (ci-après appelée la « personne ») à l'égard de laquelle le Ministre a l'intention de faire un rapport conformément à l'article 9 de la Loi, le Ministre, s'il décide de renvoyer l'affaire devant la Cour, doit faire parvenir au greffe une copie de la demande et de son renvoi devant la Cour

 

  (b) le Ministre doit, dans les 14 jours qui suivent, déposer au greffe et signifier à la personne,

 

  (i) la demande présentée par cette personne conformément au paragraphe 13(1) de la Loi,

 

  (ii) la décision du juge de la citoyenneté sur dette demande,

 

  (iii) un résumé des faits et de la preuve sur lesquels le Ministre a l'intention de s'appuyer à l'audition de l'affaire

 

  (iv) une liste des noms et adresses de tous les témoins qu’il a l’intention d’assigner à l’audition de l’affaire et de tous documents qu’il a l’intention de présenter en preuve;

 

  (c) les dispositions des Règles 906, 907, 908, 909, 910, 915, 916, 917 et 919 doivent également recevoir application en autant qu’elles sont applicables.

[52]   Parmi les règles applicables à un renvoi en vertu de l’alinéa c) de la Règle 920, la seule règle pertinente aux fins des présentes est la Règle 919. Elle porte que :

Les dispositions pertinentes de la partie I s’appliquent à un appel entendu en vertu du présent chapitre; et lorsque, dans un appel de ce genre, surgit une question qui n’est pas autrement prévue par la Loi, ou par le présent chapitre, elle doit être traitée de la façon prescrite par la Cour.

[53]   La partie I des Règles regroupe les Règles 1 à 5 et traite notamment des définitions et du calcul des délais. La Règle 5, également appelée règle des lacunes, est particulièrement pertinente :

Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d’une loi du Parlement du ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l’événement si aucune requête de ce genre n’a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie

  (a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou

 

  (b) avec la pratique et à la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l’objet des procédures,

selon ce qui, de l’avis de la Cour, convient le mieux en l’espèce.

[54]   La règle 919 incorpore donc la règle 5 qui, à son tour, donne instruction à la Cour d’adopter une procédure par renvoi aux « autres dispositions des présentes Règles, [...] ». Il s’ensuit qu’il n’existe pas de vide dans les règles prescrites pour l’audition d’un renvoi en vertu de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Les règles de pratique s’appliquent pleinement, sous réserve des adaptations nécessaires en fonction des particularités du recours juridique prévu à l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté.

[55]   L’application des règles de pratique pertinentes ne porte nullement atteinte au droit de l’intimé d’être traité équitablement, en stricte conformité avec les principes de justice naturelle. En ce qui concerne les préoccupations de l’intimé au sujet du fait que le requérant n’a pas divulgué les documents et les renseignements pertinents, les règles de pratique lui donnent les moyens d’obtenir la divulgation complète de la cause du requérant ainsi que tous les documents et renseignements pertinents.

[56]   Les règles de pratique ont été élaborées précisément dans le but de faciliter un règlement équitable des questions dont la Cour est saisie, et je suis donc disposé à les adopter par analogie afin de permettre l’instruction appropriée du présent renvoi. Je ne souscris toutefois pas à la thèse de l’intimé selon laquelle, dans le cadre procédural prévu par les Règles ou à l’extérieur de celui-ci, les principes de justice naturelle ont pour effet de le mettre à l’abri de l’obligation de présenter une preuve dans le cadre de la présente instance.

[57]   Une ordonnance établira donc la procédure à suivre en l’espèce en faisant référence aux règles de pratique régissant les actions. Pour ce qui est des détails de la requête du requérant en vue d’obtenir des directives, les demandes énoncées aux paragraphes 3, 4, 6, 7 et 8 seront accordées essentiellement telle que formulées.

[58]   En ce qui concerne la demande de signification et de dépôt par l’intimé d’un résumé des faits et des éléments de preuve,32 la forme et le contenu de celui-ci devraient être déterminés en fonction des principes régissant les actes de procédure. Cela permettra de clarifier ce qui est en cause entre les parties et facilitera le règlement des différends qui pourraient survenir au cours de l’interrogatoire préalable et de la communication de documents. L’intimé devra donc déposer une déclaration écrite de la thèse qu’il entend faire valoir dans le cadre de la présente instance. Dans sa déclaration, l’intimé devra admettre la véracité des allégations de faits apparaissant dans l’exposé sommaire des faits du requérant qu’il considère fondées, réfuter celles qu’il entend contester, faire part de son ignorance envers celles dont il ignore si elles sont véridiques et indiquer s’il les admet ou non.33 Le document devra également comporter un énoncé précis des faits importants sur lesquels l’intimé a l’intention de se fonder,34 et devra plaider toute question qui, si elle n’est pas expressément plaidée, pourrait prendre le requérant par surprise.35

[59]   En ce qui concerne les documents36, les deux parties seront tenues de déposer et de signifier un affidavit de documents conformément à la règle 448 et un avis d’inspection, conformément à la règle 452. Les interrogatoires préalables37 devront être effectués oralement. Dans le cas du requérant, la personne interrogée sera un représentant du requérant choisi par lui.

[60]   En ce qui concerne la demande de fixation des dates,38 la Cour est en mesure de fixer les dates du dépôt de la déclaration de l’intimé, de l’échange mutuel d’affidavits de documents, de l’inspection de ceux-ci et de la conduite des interrogatoires préalables. L’ordonnance prévoit le dépôt de la déclaration de l’intimé dans les 30 jours suivant le 1er janvier, le dépôt mutuel des affidavits de documents et des avis d’inspection dans les 60 jours et l’achèvement des interrogatoires préalables dans les 120 jours.

[61]   Selon ce calendrier, la Cour aurait été en mesure de fixer la date de l’instruction avant le congé d’été. Toutefois, l’avocat du requérant a indiqué au cours de l’audience qu’il a maintenant l’intention de demander une ordonnance pour la présentation d’éléments de preuve provenant de l’étranger. Il a en outre ajouté qu’il n’était pas en mesure de présenter cette demande maintenant. On m’a laissé entendre que les témoins proposés, bien qu’ils aient été identifiés, n’avaient pas encore été contactés et que la logistique nécessaire pour organiser la commission rogatoire envisagée n’était pas en place. Le requérant a indiqué que la requête serait présentée avant avril 1998.

[62]   J’ai fait part de mon étonnement face à ce retournement de situation à l’avocat du requérant en audience publique. Le présent renvoi est en instance depuis 1995. Dans son avis de requête initial pour obtenir des directives, le requérant demandait une ordonnance pour la présentation d’éléments de preuve provenant de l’étranger. En octobre 1997, après la levée du sursis de l’instance par la Cour suprême et que les parties aient été informées que toutes les requêtes préalables en suspens devraient être réglées, le requérant a retiré sa requête originale pour obtenir des directives et a déposé une requête modifiée selon laquelle il ne sollicitait plus d’ordonnance de commission rogatoire. L’audience de décembre visait à régler toutes les requêtes en suspens de manière à permettre que l’instruction du renvoi en vertu de l’article 18 puisse se faire sans plus tarder.

[63]   C’est dans ce contexte que l’avocat du requérant a indiqué à brûle-pourpoint, lors de l’audience, qu’il avait maintenant encore l’intention de solliciter une ordonnance pour la présentation d’éléments de preuve provenant de l’étranger, mais qu’il n’était pas en mesure de le faire pour l’instant du fait que les enquêtes nécessaires n’avaient pas encore été effectuées. Compte tenu du fait que le requérant a déclaré, devant les deux sections de la présente Cour et devant la Cour suprême, que la présente affaire était de la plus grande urgence étant donné l’âge avancé des témoins et le fait qu’ils sont à l’article de la mort, le retrait de la demande en octobre suivi de l’annonce imprévue deux mois plus tard qu’elle sera tôt ou tard présentée de nouveau est tout simplement aberrant.39

[64]   Toute question ayant trait à la déposition d’éléments de preuve provenant de l’étranger aurait déjà dû être soumise à la Cour. Au lieu de cela, trois mois après que la Cour suprême ait levé le sursis de la présente instance, la Cour demeure dans l’attente d’une requête qui pourrait ne pas être déposée avant un certain temps et qui, si elle est accueillie, aura nécessairement une incidence sur le moment où le présent renvoi pourra être entendu. Bien qu’à première vue le requérant demande à la Cour de fixer une date pour l’instruction du présent renvoi, sa conduite empêche la Cour de le faire.

[65]   Une ordonnance est rendue aujourd’hui conformément aux présents motifs.

  Marc Noël

  Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 décembre 1997


__________________

  1   Arrêt Canada c. Tobiass et al. N° 25811, 25 septembre 1997 (à venir).

  2   Le retrait de la demande de commission rogatoire visant à recueillir des éléments de preuve à l’étranger et l’ajout d’une demande de communication mutuelle constituent la seule différence importante entre cette requête et la requête originale déposée en mai 1995.

  3   Les paragraphes 7(3.71) à 7(3.77) constituent le cadre législatif conçu par le législateur pour permettre la poursuite criminelle rétrospective des personnes accusées d’avoir commis des crimes de guerre extraterritoriaux et des crimes contre l’humanité.

  4   c.-à-d. la question de savoir si de tels crimes ont été commis ou non.

  5   [1987] 2 R.C.S. 541.

  6   [1995] 1 R.C.S. 754.

  7   Les conclusions de l’intimé quant au motif du requérant proviennent principalement de deux sources :   Un communiqué du gouvernement du Canada daté du 31 janvier 1995 (« Le gouvernement fédéral annonce sa stratégie triennale sur les crimes de guerre de la Deuxième Guerre mondiale ») et le sommaire des faits et de la preuve du requérant, daté du 16 mai 1996.

  8   Arrêt Tobiass et al, précité, aux paragraphes 110 et 111.

  9   Arrêt Tobiass et al (précité), aux paragraphes 93 et 109.

  10   Décision Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Rohan Alphanso Copeland, T‑2364‑95, jugement rendu public le 4 décembre 1997.

  11   (1989) 1 C. F. 297.

  12   [1989] 2 C. F. 594, à la p. 605.

  13   (1993), 142 N.R. 173. Permission d’en appeler à la Cour suprême refusée.

  14   Arrêt Luitjens, précité, à la p. 175.

  15   Arrêt Tobiass, précité, au par. 51.

  16   Arrêt Luitjens, précité, à la p. 175.

  17   Comparer à l’arrêt Reference as to the Effect of the Exercise by the Governor General of the Prerogative of Mercy on Deportation Proceedings, 1933 S.C.R. 269 à la p. 278, le juge Rand tel que cité par le juge McGuigan dans l’arrêt Hurd c. Canada, précité, à la p. 606.

  18   Paragraphe 41 du mémoire des faits et du droit de l’intimé.

  19   Arrêt R c. Vermette (1988), 41 C.C.C. (3d) 523 à la p. 530 (C. S.C.)      Arrêt Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441 à la p. 485      Arrêt R. c. S.(R.J.) (1995), 96 C.C.C. (3d) 1 à la p. 20      Arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1985), 14 C.R.R. 13 aux p. 48 et 49 C.S.C., le juge Wilson)      Arrêt A, B et C. c. Sa Majesté la Reine (N° 1) (1990), 55 C.C.C. (3d) 562 (C.S.C.)      Arrêt Tyler c. Canada (Ministre du Revenu national) (1990), 4 C.R.R. (2d) 348 à la p. 361 (C.A. F.)      Décision Association of Protestant School Boards et al. v. Attorney General of Quebec (No. 2) (1983), 3   C.R.R. 114 aux p. 123 à 125 (Que. S.C.); confirmée pour d’autres motifs (1984), 7 C.R.R. 139 (Que. C.A.); confirmée (1984) 9 C.R.R. 133 (C.S.C.)

  20   14 C.R.R. (2d) 146.

  21   Arrêt Nguyen, précité, à la p. 152.

  22   Il découle également logiquement de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Luitjens que tout droit résiduel interdisant l’auto-incrimination qui, selon l’intimé, est prévu à l’al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne serait pas applicable à l’étape du renvoi.

  23   23 Il s’agit d’une situation différente de celle où la confiscation des produits de la criminalité devient un complément à une déclaration de culpabilité, auquel cas elle est traitée sur le plan de la procédure comme faisant partie de la sanction imposée par la loi pour la perpétration de l’infraction. Voir notamment l’art. 446.2 du Code criminel.

  24   (1986), 21 C.R.R. 238.

  25  [traduction] « Il est vrai que [...] il est allégué que les intimés sont responsables envers Sa Majesté de droits supplémentaires de 1 299 $, [...] Toutefois, le jugement à l’égard de cette responsabilité alléguée n’est pas sollicité dans cette action. La réparation recherchée [...] se limite à la somme de 9 415 706,66 $ par voie de confiscation [...] Je suis d’accord avec le savant juge d’instance pour conclure que les dispositions applicables de la Loi sur les douanes [...] prévoient le recouvrement d’une pénalité par une instance civile devant notre Cour et que par conséquent, il s’agit d’une action pénale. » Arrêt Amway Corporation v. The Queen 27 C.R.R. 305. Le juge Mahoney écrivant pour la Cour à la p. 308.

  26   Arrêt Vidéotron Ltée. c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc. [1992] 2 R.C.S. 1065.

  27  [1997] 1 R.C.S. 358 au par. 72. Il est important de noter que cette caractérisation a été utilisée par la Cour suprême dans l’arrêt Tobiass (précité, au par. 108) pour évaluer les intérêts en jeu du point de vue de l’intimé dans le cadre de l’évaluation de la possibilité d’accorder un sursis.

  28   An Act Respecting Citizenship, Nationality, Naturalization and Status of Aliens, 10 Geo. VI., chap. 15, art .21.

  29   1992, 2 C. F. 653 à la p. 657.

  30   Précité, aux p. 605 et 606.

  31   [1992] 1 R.C.S. 711 à la p. 735.

  32   Paragraphe 1 de l’avis de requête modifié.

  33   Règle 413 par analogie.

  34   Règle 408 par analogie.

  35   Règle 409b) par analogie.

  36   Paragraphe 2 de l’avis de requête modifié.

  37   Paragraphe 5 de l’avis de requête modifié.

  38   Paragraphes 9 et 10 de l’avis de requête modifié.

  39   Aucune ne fut avancée.

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