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     Date : 19990730

     Dossier : IMM-5170-98

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

     SITHAMPARANATHAN SELLIAH

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE


[1]      Sithamparnanathan Selliah est un jeune Tamoul de sexe masculin qui demeurait dans le Nord du Sri Lanka. Il a décidé de se réfugié au Sud lorsque les Tigres tamouls l'ont menacé de représailles s'il ne rejoignait pas leurs rangs. Il a témoigné devant la Section du statut de réfugié (SSR) qu'il a traversé la ligne de démarcation au point de contrôle Thandikulum le 30 septembre 1997. La SSR a rejeté sa revendication de statut de réfugié pour défaut de crédibilité, s'appuyant surtout sur sa conclusion de fait que le point de contrôle de Thandikulum était fermé le 30 septembre 1997. Le demandeur présente cette demande de contrôle judiciaire en se fondant sur le fait que rien dans la preuve n'appuie la conclusion de la SSR que le point de contrôle était fermé.

[2]      L'audience devant la SSR a été remarquablement brève, ainsi que ses motifs. Le demandeur a témoigné qu'il avait quitté Mallavi (son lieu habituel de résidence) dans une fourgonnette, deux heures après la dernière visite menaçante des Tigres, accompagné de trois autres personnes. Ils se sont arrêtés à peu près un kilomètre et demi avant le point de contrôle de Thandikulum et ont fait le reste du chemin à pied. Sa carte d'identité a été vérifiée pendant qu'il était surveillé par un cagoulard. Il a ensuite été envoyé au centre de bien-être de Gamini.

[3]      L'agent d'audience a confronté le demandeur de la façon suivante, en lui déclarant que le point de contrôle de Thandikulum était fermé :

     [traduction]

     AA          Je vois Monsieur; nous avons tous -- nous avons une preuve documentaire au sujet du point de contrôle de Thandikulam. Elle porte que ce point de contrôle était fermé en mai 1997 et que les gens qui quittaient le Nord, soit pour retourner à Jaffna ou pour essayer de se rendre à Colombo, devaient transiter par le point de contrôle près de Manar (ph). Désirez-vous ajouter quelque chose à votre témoignage au sujet de votre séjour de trois heures au point de contrôle de Thandikulam?
     Revendicateur      On m'a dit qu'il s'agissait de Thandikulam.
     Macadam      Qui vous a dit cela?
     Revendicateur      Des personnes dans l'autobus qui m'y ont amené.
     AA          Est-ce que c'est tout ce que vous désirez déclarer?
     Revendicateur      Oui.
     AA          C'était mes questions.


[4]      Cette question a aussi été soulevée par le membre unique du tribunal :

     Macadam      Que se passait-il, Monsieur, alors que vous vous rendiez à Thandikulam? Généralement, que se passait-il dans la région alors que vous vous rendiez à Thandikulam?
     Revendicateur      Vous voulez dire le long de la route, ou ...
     Macadam      Oui.
     Revendicateur      Et voyageant le long du chemin et nous n'avons pas été -- personne n'a été arrêté.
     Macadam      D'accord. La seule raison pour laquelle je vous demande ceci, Monsieur, c'est que notre preuve documentaire -- quand avez-vous voyagé?
     Revendicateur      Le 30 septembre.
     Macadam      Bien.

    

     Revendicateur      1997
     Macadam      Bon. La seule raison pour laquelle je vous demande ceci, Monsieur, c'est que notre preuve documentaire indique que le gouvernement a lancé son offensive militaire dans cette région en mai 1997 et qu'en conséquence le point de contrôle était fermé. Vous n'avez eu aucune difficulté?
     Revendicateur      Aucune.

[5]      Dans ses motifs, la SSR a traité de cette question comme suit :

     [traduction]     

     Le revendicateur a témoigné qu'il s'est rendu dans une fourgonnette avec trois autres Tamouls de Mallavi à un point de contrôle de l'ASL à Thandikulum en septembre 1997. Lorsqu'on a attiré l'attention du revendicateur sur le fait que le point de contrôle de Thandikulam avait été fermé par l'ASL en mai 1997 à cause de l'opération militaire " Jaya Sikuru ", qui se continue jusqu'à ce jour, et que les gens voyageant vers le Sud devaient se rendre à Vavuniya en traversant le point de contrôle de l'ASL à Ulyukulam près de Mannar sur la côte Ouest, le revendicateur a expliqué que le conducteur de l'autobus lui avait dit qu'on l'amenait à Thandikulam. Le tribunal n'est pas satisfait de cette explication et considère que le témoignage du revendicateur n'est pas crédible. (note de bas de page omise)

[6]      La preuve documentaire dont la SSR fait état est constituée de trois documents, dont on peut résumer les parties pertinentes comme suit :

     [traduction]

     Doc. 4.10 Country Information Report no 430/97, 21 août 1997

     Titre : Sri Lanka " Jaya Sikuru " in the Vanni

     Ce document décrit une opération militaire de l'armée du Sri Lanka qu'on a appelée Jaya Sikuru, par laquelle l'armée sri lankaise a essayé d'ouvrir la route de 100 km qui va de Vavuniya à Jaffna. Le document fait état d'une contre-offensive des TLET à Thandikulam le 10 juin. Le point de contrôle de Thandikulam n'est pas mentionné spécifiquement, mais on peut déduire que ce point de contrôle serait fermé à l'occasion d'une offensive dans la région immédiate.

     Doc. 4.14 Country Information Report no 483/97

     Titre : Humanitarian situation in the Vanni region

     Date : 24 septembre 1997

     Ce document décrit les conditions dans le Nord du Sri Lanka, y compris le déplacement des réfugiés vers Jaffna et les conditions dans la région de Vanni. Ce document ne parle pas du point de contrôle de Thandikulam et on n'y trouve pas non plus quoi que ce soit qui permettrait de tirer une conclusion quant à l'état de ce point de contrôle.

     Doc. 4.15 Country Information Report no 325/97

     Titre : Sri Lanka: Human Rights and Humanitarian update:

     The Vanni region

     Date : 7 juillet 1997

     Ce document comporte une description assez détaillée des conditions dans la région de Vanni. Il décrit le déplacement des gens dans cette région et la situation sociale et humanitaire de la population. On y traite spécifiquement d'un point de contrôle :
         " Le point de contrôle de Vavuniya pour la région de Vanni est fermé depuis le 10 mai 1997, puisqu'il est situé immédiatement au sud de la zone de l'opération militaire en cours. Les réfugiés de l'intérieur qui veulent passer de la région contrôlée par les TLET à la région contrôlée par le gouvernement doivent se rendre au poste du 10e mille à Uyilankulam. Le commandant militaire responsable de la route de 80 km allant de Vavuniya à Mannar nous a déclaré que certaines personnes empruntent d'autres routes en se munissant d'un drapeau blanc. "

[7]      L'avocat du demandeur soutient que cette preuve (à supposer que lorsqu'on parle du point de contrôle de Vavuniya lorsqu'il s'agit de celui de Thandikulam, ce qui est admis) ne fait que démontrer que le point de contrôle était fermé du 10 mai au 7 juillet 1997. Elle ne constitue pas nécessairement une preuve que le point de contrôle était toujours fermé à la fin septembre, au moment où le demandeur déclare l'avoir traversé. L'avocat soutient que le témoignage du demandeur qu'il a traversé le point de contrôle à cette date est une preuve qu'il était ouvert. Ceci ne peut aucunement être réfuté par la preuve documentaire utilisée par la SSR, puisque celle-ci est antérieure à la date à laquelle le demandeur a traversé le point de contrôle.

[8]      L'avocate du défendeur souligne que c'est le rôle de la SSR d'évaluer et de soupeser la preuve, ainsi que de tirer les conclusions qui en ressortent. Il y a une preuve que le point de contrôle était fermé à un moment donné et on peut déduire qu'il était fermé au moment où le demandeur déclare l'avoir traversé. C'est la SSR qui doit évaluer la crédibilité du témoignage du demandeur lorsqu'il déclare avoir traversé le point de contrôle à un moment donné. Toute preuve documentaire est foncièrement limitée dans le temps et dans l'espace, et c'est à la SSR de décider quel poids il faut lui donner.

[9]      À mon avis, il n'y a pas lieu d'intervenir dans la décision de la SSR. La nature d'un point de contrôle est au coeur de ce litige. Dans certaines circonstances, un point de contrôle est une entité mobile, qui se déplace au fur et à mesure que la ligne de front avance et recule. Il n'a aucune permanence ou infrastructure. C'est simplement une barrière où les personnes peuvent quitter le territoire contrôlé par une partie au conflit pour aller en direction du territoire contrôlé par l'autre partie. Dans certains cas, les points de contrôle peuvent devenir des institutions comme l'était Checkpoint Charlie au mur de Berlin. C'était une structure permanente, située le long d'une frontière institutionnelle. Si l'on apprenait que Checkpoint Charlie était fermé, on pouvait s'attendre qu'il rouvrirait au même endroit, ce qui était le cas. Ce n'est pas nécessairement ce qui se passe lorsqu'il s'agit d'un point fortifié provisoirement situé le long d'un front fluide.

[10]      C'est le rôle de la SSR d'évaluer les conditions locales et de déterminer si le point de contrôle de Thandikulum était permanent ou provisoire, savoir s'il était comme Checkpoint Charlie ou plutôt comme une barrière provisoire qu'on pouvait enlever et rétablir ailleurs au besoin. Le point de vue de l'avocat se fonde sur le fait que Thandikulum était un point de contrôle permanent, qui s'il était fermé rouvrirait au même endroit par suite de sa fonction et de sa structure. La SSR a de toute évidence utilisé un point de vue différent, mais elle avait le droit de le faire en l'absence d'une preuve concrète à effet contraire. La preuve citée par l'avocat ne suffit pas à étayer une conclusion que la SSR a traité les faits d'une façon arbitraire ou abusive.

[11]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


     J.D. Denis Pelletier

     Juge


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-5170-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SITHAMPARANATHAN SELLIAH c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 30 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :              30 JUILLET 1999



ONT COMPARU :

JOHN GUOBA                          POUR LE DEMANDEUR

SUSAN NUCCI                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


JOHN GUOBA, TORONTO                  POUR LE DEMANDEUR



M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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