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Date : 19981106


Dossier : T-1956-97

ENTRE :

     WILLIAM FREDRICK McCAGUE,

     Demandeur,

     - et -


SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE,


Défenderesse.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT RICHARD

    

NATURE DE L'INSTANCE

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée le 5 septembre 1997, sous le régime de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à la Direction des services de la solde du ministère de la Défense nationale de calculer à nouveau la pension du demandeur en conformité avec la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17 (la LPRFC).
[2]      Le demandeur a fondé sa demande de contrôle judiciaire sur les moyens suivants :
     [Traduction]
     1. Le ministère de la Défense nationale, représenté par la Direction des services de la solde, a commis une erreur de droit en appliquant de façon incorrecte les dispositions de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes en calculant la pension du demandeur.
     2. Le ministère de la Défense nationale, représenté par le directeur (sic) des services de la solde, a mal interprété l'interprétation de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes.
     3. Le demandeur s'est fondé, à son détriment, sur les affirmations du ministère de la Défense nationale.
     4. Le ministère de la Défense nationale a modifié irrégulièrement sa méthode de calcul des pensions au détriment du demandeur.
     5. Le principe de la préclusion interdit au ministère de la Défense nationale d'apporter des modifications à sa méthode de calcul et à son interprétation de la loi susmentionnée.
     6. Tout autre moyen que l'avocat peut juger indiqué et que la Cour peut autoriser.
CONTEXTE
[3]      Le demandeur a pris sa retraite de l'élément régulier des Forces canadiennes le 18 novembre 1981, après plus de 20 ans de service et il a commencé à recevoir une pension conformément à la LPRFC; au même moment, il a obtenu une mutation directe à l'élément de la réserve des Forces canadiennes; du mois de novembre 1981 au mois de février 1993, il a servi à Toronto, à temps partiel, en moyenne de 80 à 100 jours par année.
[4]      En février 1989, le demandeur avait été promu colonel et nommé au poste de commandant de la 2e escadre, qu'il a occupé jusqu'en novembre 1992; en mars 1993, il a déménagé à Winnipeg pour occuper à temps plein le poste de sous-chef d'état-major - Plans et développement de l'instruction, au quartier général du commandement aérien.
[5]      Ses conditions d'embauche comportaient à l'origine un contrat de travail de deux ans prenant fin en juillet 1995, avec une possibilité de prolongation d'un an jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 55 ans, soit l'âge de la retraite obligatoire (ARO), le 20 août 1996.
[6]      Le demandeur a commencé sa dernière période de service à temps plein le 1er juillet 1994. Il a travaillé à temps plein jusqu'au 17 janvier 1996, date à laquelle il a repris le service à temps partiel dans la réserve jusqu'à ce qu'il atteigne son ARO, le 20 août 1996.
[7]      À la fin de l'année 1993 et au début de l'année 1994, le demandeur a parlé à un membre du personnel de la Direction des services de la solde pour déterminer quel effet aurait sur sa pension le fait qu'il termine une année de service complète et qu'il participe à nouveau au Régime de retraite des Forces canadiennes conformément à la LPRFC.
[8]      Il ressort du dossier que la Direction des services de la solde l'a informé qu'il serait avantageux pour lui, sur le plan financier, de participer à nouveau au régime de retraite et de choisir d'effectuer des paiements relativement à son service antérieur ouvrant droit à pension pour la période débutant le 18 novembre 1981 et se terminant à la date à laquelle il recommencerait à participer au régime de pension. Après avoir reçu cet avis, le 1er juillet 1994, le demandeur a choisi d'effectuer des paiements relativement à son service ouvrant droit à pension pour la période s'échelonnant du 18 novembre 1981 au 30 juin 1994, sous forme de versements mensuels qui seraient retenus sur sa pension, calculée à nouveau.
[9]      Le 13 mars 1996, le demandeur a remis un chèque à la Direction des services de la solde, dont le montant de 6 763,05 $ correspondait à ses contributions pour la période comprise entre le 1er juillet 1994 et le 17 janvier 1996.
[10]      Avant le 17 janvier 1996, le demandeur a été avisé au moyen d'un formulaire B-2 de la Direction des services de la solde que sa pension brute s'élèverait à 31 657,31 $ par année en vertu du sous-alinéa 19(1)c)(i) de la LPRFC; ce calcul n'est pas contesté.
[11]      Deux retenues ont été faites sur la pension brute de 31 657,31 $ du demandeur. La première, s'élevant à 139,16 $ par mois et se terminant le 20 août 2040, représente le paiement de ses arriérés de contributions au régime de pension relativement à son service ouvrant droit à pension entre le 18 novembre 1981 et le 30 juin 1994. Ce calcul n'est pas contesté.
[12]      La deuxième retenue pratiquée sur sa pension brute, s'élevant à trente pour cent (30 p. 100), est contestée par le demandeur, qui invoque le paragraphe 41(2) de la LPRFC. Cette retenue est fondée sur le calcul antérieur de sa pension. Lorsque le demandeur a pris sa retraite à l'origine le 17 novembre 1981, il s'est retiré 6 ans avant son ARO et sa pension a été réduite de 5 p. 100 pour chaque année à écouler avant son ARO, conformément à la LPRFC.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[13]      Les dispositions suivantes de la LPRFC et de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 (la LDN), s'appliquent en l'espèce.
[14]      L'article 2 de la LPRFC comprend trois (3) définitions pertinentes :

Definitions

2. (1) In this Act,

"member of the regular force" " membre de la force régulière "

"member of the regular force" means an officer or non-commissioned member of the regular force;

"officer" " officier "

"officer" means a commissioned or subordinate officer of the regular force;

"retirement age" " âge de la retraite "

"retirement age", as applied to any rank of contributor, means such age as is fixed by the regulations made under the National Defence Act as the retirement age applicable to that rank;

Définitions

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"âge de la retraite " "retirement age"

" âge de la retraite " Âge de la retraite applicable, conformément aux règlements pris sous le régime de la Loi sur la défense nationale, aux différents grades de contributeur.

" membre de la force régulière " "member of the regular force"

" membre de la force régulière " Officier ou militaire du rang de la force régulière.

" officier " "officer"

" officier " Officier breveté ou officier en sous-ordre de la force régulière.

[15]      L'article 15 de la LDN établit ce qu'on entend par un officier de la force régulière et un officier de la force de réserve :

Regular force

15.      (1) There shall be a component of the Canadian Forces, called the regular force, that consists of officers and non-commissioned members who are enrolled for continuing, full-time military service.

Composition of regular force

     (2) The maximum numbers of officers and non-commissioned members in the regular force shall be as authorized by the Governor in Council, and the regular force shall include such units and other elements as are embodied therein.

Reserve force

     (3) There shall be a component of the Canadian Forces, called the reserve force, that consists of officers and non-commissioned members who are enrolled for other than continuing, full-time military service when not on active service.

Composition of reserve force

     (4) The maximum numbers of officers and non-commissioned members in the reserve force shall be as authorized by the Governor in Council, and the reserve force shall include such units and other elements as are embodied therein.

R.S., 1985, c. N-5, s. 15; R.S., 1985, c. 31 (1st Supp.), s. 60.

Force régulière

15.      (1) Est mis sur pied un élément constitutif des Forces canadiennes, appelé " force régulière ", formé d'officiers et de militaires du rang enrôlés pour un service continu et à plein temps.

Composition

     (2) Le nombre d'unités et autres éléments constituant la force régulière est fonction de l'effectif maximal autorisé par le gouverneur en conseil.

Force de réserve

     (3) Est mis sur pied un élément constitutif des Forces canadiennes, appelé "force de réserve ", formé d'officiers et de militaires du rang enrôlés mais n'étant pas en service continu et à plein temps lorsqu'ils ne sont pas en service actif.

Composition

     (4) Le nombre d'unités et autres éléments constituant la force de réserve est fonction de l'effectif maximal autorisé par le gouverneur en conseil.

     L.R. (1985), ch. N-5, art. 15; L.R. (1985), ch. 31 (1er suppl.), art. 60.

[16]      L'article 4 de la LPRFC traite de l'admissibilité :

Eligibility

4. (1) Subject to this Act, an annuity or other benefit hereinafter specified shall be paid to or in respect of every person who, being required to contribute to the Superannuation Account in accordance with this Act, ceases to be a member of the regular force or dies, and that annuity or other benefit shall, subject to this Act, be based on the number of years of pensionable service to the credit of that person.

Superannuation Account

(2) The Permanent Services Pension Account in the accounts of Canada, established pursuant to the former Act, is hereby continued under the name of the Canadian Forces Superannuation Account.

R.S., c. C-9, s. 3.

Admissibilité

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, une annuité ou autre prestation ci-après spécifiée est versée à toute personne " ou à l'égard de celle-ci " qui, étant tenue de contribuer au compte de pension de retraite d'après la présente loi, cesse d'être membre de la force régulière ou meurt. Cette annuité ou autre prestation repose, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, sur le nombre d'années de service ouvrant droit à pension au crédit de cette personne.

Compte de pension de retraite

(2) Le compte de pension des services permanents, ouvert parmi les comptes du Canada selon l'ancienne loi, est maintenu sous la désignation " compte de pension de retraite des Forces canadiennes ".

S.R., ch. C-9, art. 3.


[17]      L'article 5 de la LPRFC régit les contributions :
    

Persons required to contribute

5.(1) Every member of the regular force, except a person described in subsection (1.1), is required to contribute to the Superannuation Account, by reservation from pay or otherwise, six and one-half per cent of the member's pay minus an amount equal to the amount the member would be required to contribute under the Canada Pension Plan in respect of the member's salary for the period of that pay if the member's salary were the total amount of the member's income for the year from pensionable employment as defined in that Act.

Exceptions

(1.1) The exceptions are

     (a) a member who, immediately before March 1, 1960, was a member of the regular force but not a contributor under Part V of the former Act and who has not elected under subsection 18(2) of the Canadian Forces Superannuation Act, chapter C-9 of the Revised Statutes of Canada, 1970, to become a contributor under this Act; and
     (b) a person on leave of absence from employment outside the regular force who, in respect of current service continues to contribute to or under any superannuation or pension fund or plan established for the benefit of employees of the person from whose employment the member is absent.

Exception

(2) Notwithstanding anything in this Act,

     (a) no person who is entitled to a pension under any of Parts I to III of the former Act by virtue of having served in the regular force shall contribute to the Superannuation Account as required by subsection (1);
     (b) no person shall contribute to the Superannuation Account as required by subsection (1) after that person has to his credit a period of pensionable service totalling thirty-five years;
     (c) no person who has become entitled to or has been granted any superannuation or pension benefit of a kind prescribed by the regulations payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any account or fund in the accounts of Canada other than the Superannuation Account shall contribute to the Superannuation Account as required by subsection (1) after that person has to his credit a period of pensionable service totalling thirty-five years less the number of years of service on which that superannuation or pension benefit is based; and
     (d) no person shall, in respect of any period of service of that person as a member of the regular force on or after the day on which this paragraph comes into force, contribute to the Superannuation Account in respect of any portion of that person's annual rate of pay that is in excess of such annual rate of pay as is fixed by or determined in the manner prescribed by the regulations.

R.S., 1985, c. C-17, s. 5; 1992, c. 46, s. 33.


Personnes tenues de contribuer

5. (1) Les membres de la force régulière, à l'exception des personnes visées au paragraphe (1.1), sont tenus de verser au compte de pension de retraite, par retenue sur la solde ou autrement, six et demi pour cent de leur solde moins un montant égal à celui qu'ils auraient été tenus de verser aux termes du Régime de pensions du Canada sur leur traitement pour la période de leur solde si leur traitement était le montant total de leur revenu pour l'année provenant d'un emploi ouvrant droit à pension tel que le définit cette loi.

Exceptions

(1.1) Font exception :

     a) le membre de la force régulière qui l'était avant le 1er mars 1960, sans être contributeur au titre de la partie V de l'ancienne loi et qui n'a pas choisi aux termes du paragraphe 18(2) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, chapitre C-9 des Statuts révisés du Canada de 1970, de le devenir;
     b) la personne en congé d'un emploi à l'extérieur de la force régulière qui, relativement à son service en cours, continue de contribuer à un fonds ou régime de pension de retraite ou de pension ou au titre d'un tel fonds ou régime, institué pour les employés de l'employeur qui lui a accordé le congé.

Exception

(2) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi :

     a) nulle personne ayant droit à une pension selon l'une des parties I à III de l'ancienne loi, en raison du fait qu'elle a servi dans la force régulière, ne doit contribuer au compte de pension de retraite ainsi que le requiert le paragraphe (1);
     b) nulle personne ne doit contribuer au compte de pension de retraite, comme le requiert le paragraphe (1), après qu'elle a, à son crédit, une période de service, ouvrant droit à pension, de trente-cinq ans au total;
     c) nulle personne, devenue admissible à des prestations de pension de retraite ou de pension d'un genre prescrit par les règlements, ou à qui il a été accordé de telles prestations, payables sur le Trésor ou sur tout compte ou toute caisse parmi les comptes du Canada, autre que le compte de pension de retraite, ne doit contribuer au compte de pension de retraite comme l'exige le paragraphe (1) après que cette personne a, à son crédit, une période de service ouvrant droit à pension de trente-cinq ans au total, moins le nombre d'années de service sur lequel repose cette prestation de pension de retraite ou de pension;
     d) nulle personne ne peut, à l'égard d'une période de service accomplie à titre de membre de la force régulière, commençant au plus tôt à la date d'entrée en vigueur du présent alinéa, contribuer au compte de pension de retraite en ce qui regarde la partie de son taux de solde annuel dépassant le taux de solde annuel fixé par règlement ou déterminé selon les modalités réglementaires.

L.R. (1985), ch. C-17, art. 5; 1992, ch. 46, art. 33.

[18]      Les articles 16 à 22 de la LPRFC visent le paiement des prestations. Le sous-alinéa 19(1)c)(i) prévoit :

Retirement for other reasons

19. (1) A contributor who, not having reached retirement age, ceases to be a member of the regular force for any reason other than a reason described in subsection 17(1) or (2) or 18(1), (2) or (4) is, except as provided in section 20, entitled to a benefit determined as follows:

     (...)
     (c) if he has served in the regular force for twenty or more years but less than twenty-five years, he is entitled,
     (i) in the case of an officer, to an immediate annuity reduced by five per cent for each full year by which his age at the time of his retirement is less than the retirement age applicable to his rank, or

R.S., c. C-9, s. 10; 1974-75-76, c. 81, s. 37.

Retraite attribuable à d'autres motifs

19. (1) Un contributeur qui, n'ayant pas atteint l'âge de retraite, cesse d'être membre de la force régulière pour un motif autre qu'un motif mentionné au paragraphe 17(1) ou (2) ou 18(1), (2) ou (4) a droit, sauf disposition contraire de l'article 20, à une prestation déterminée comme suit :

     (...)

     c) s'il a servi dans la force régulière pendant vingt ans ou plus et moins de vingt-cinq ans, il est admissible :
     (i) s'il s'agit d'un officier, à une annuité immédiate réduite de cinq pour cent multiplié par le nombre d'années entières obtenu en soustrayant son âge au moment de sa retraite de l'âge de retraite applicable à son grade,
    

S.R., ch. C-9, art. 10; 1974-75-76, ch. 81, art. 37.

[19]      L'article 41 de la LPRFC traite du cas particulier des anciens membres de la force régulière; le paragraphe (1) concerne les personnes enrôlées de nouveau ou mutées, alors que le paragraphe (2) concerne celles qui sont réputées enrôlées de nouveau ou mutées et se lit comme suit :

Persons deemed to have been re-enrolled or transferred

41.(2) For the purposes of this Act, a person who, before the day on which this subsection comes into force, has become entitled to an annuity under this Act or a pension under Part V of the former Act by virtue of having served in the regular force and who, after having become so entitled and before that day, is enrolled in or transferred to the reserve force shall, on the expiration of any continuous period of full-time service therein of one year, commencing before the day on which this subsection comes into force, be deemed to have been re-enrolled in the regular force at the commencement of that period, and, in any such case, section 5 shall be deemed to have applied in respect of that period but nothing in this section shall be held to require the repayment by the person of such part of that annuity or pension, as during that period, the person was entitled to receive under this Act or the former Act.


Personnes réputées enrôlées de nouveau ou mutées

41.(2) Pour l'application de la présente loi, la personne qui, avant la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe, est devenue admissible à une annuité selon la présente loi ou à une pension selon la partie V de l'ancienne loi pour avoir servi dans la force régulière et qui après l'être devenue et avant cette date s'enrôle dans la force de réserve ou y est mutée, est réputée, à l'expiration de toute période continue d'un an de service à plein temps dans cette force, commençant avant la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe, s'être enrôlée de nouveau dans la force régulière au commencement de cette période, et, en pareil cas, les dispositions de l'article 5 sont réputées s'être appliquées pour cette période. Cependant, le présent article n'a pas pour effet d'exiger le remboursement par la personne de la fraction de cette annuité ou pension qu'elle avait le droit de recevoir durant cette période aux termes de la présente loi ou de l'ancienne loi.

LES QUESTIONS EN LITIGE
[20]      Deux questions ont été soulevées devant la Cour au cours de l'audience. La première est l'interprétation du paragraphe 41(2) de la LPRFC; la seconde est celle de savoir si le principe de la préclusion s'applique contre la Couronne en l'espèce.
a)      L'interprétation du paragraphe 41(2) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes
     Règle d'interprétation législative
[21]      Dans l'arrêt Verdun c. Toronto-Dominion Bank1, la Cour suprême du Canada a énoncé la règle d'interprétation législative pertinente applicable à l'affaire dont la Cour est saisie. Voici les propos tenus par monsieur le juge Iacobucci :
     De toute évidence, pour répondre à une question d"interprétation de la loi, il faut toujours commencer par examiner le texte même de la loi en cause. Comme l"a écrit E. A. Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :
         [Traduction] De nos jours, il n"y a qu"un seul principe ou méthode; il faut interpréter les termes d"une loi dans leur contexte global selon le sens grammatical et ordinaire qui s"harmonise avec l"économie et l"objet de la loi et l"intention du législateur. [. . .] Dans Victoria (City) c. Bishop of Vancouver Island [[1921] A.C. 384, à la p. 387], lord Atkinson l"a exposé en ces termes :
             Dans l"interprétation des lois, on doit donner aux termes leur sens grammatical ordinaire, à moins que quelque chose dans le contexte, ou dans l"objet visé par la loi où ils figurent, ou encore dans les circonstances où ils sont employés, n"indique qu"ils ont été employés dans un sens spécial et différent de leur acception grammaticale ordinaire.
     Notre Cour a cité ce principe à maintes reprises: voir, par exemple, Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, et Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3.

[22]      Madame le juge L"Heureux-Dubé a fait les remarques suivantes :

     Les tribunaux doivent généralement utiliser la " méthode contextuelle moderne " comme méthode normative standard d"interprétation des lois et ils peuvent exceptionnellement recourir à l"ancienne règle du " sens ordinaire " quand les circonstances s"y prêtent. Par exemple, il y a l"interprétation des lois en matière fiscale, dans lesquelles on utilise des mots et expressions qui ont bien souvent un " sens ordinaire " bien défini dans le monde des affaires.

     [...]

     En conséquence, la méthodologie exposée dans Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la p. 131, est appropriée :
         [Traduction] Il n"existe qu"une seule règle d"interprétation moderne: les tribunaux sont tenus d"interpréter un texte législatif dans son contexte global , en tenant compte de l"objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d"interprétation, ainsi que des sources acceptables d"aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d"un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l"interprétation qui est appropriée. L"interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité , c"est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité , dans le sens où elle favorise la réalisation de l"objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité , dans le sens où le résultat est raisonnable et juste. [Je souligne.]

[23]      Par conséquent, je dois examiner le texte et le contexte de la loi. Comme je l'ai mentionné, le contexte inclut d'autres dispositions de la LPRFC et certaines dispositions de la LDN.

     Les arguments du demandeur

[24]      Le demandeur soutient que les mots " est réputée ... s'être enrôlée de nouveau dans la force régulière " sont déterminants à tous égards et que le demandeur a donc droit, non seulement à des prestations de retraite majorées, mais encore à une nouvelle date réputée de mise à la retraite, fixée au 17 janvier 1996. Selon le demandeur, le sous-alinéa 19(1)c )(i) de la LPRFC ne s'applique désormais plus à la pension qui doit lui être versée.

     Les arguments de la défenderesse

[25]      Par contre, la défenderesse s'appuie sur les termes introductifs du paragraphe 41(2) de la LPRFC pour affirmer que le fait que le demandeur soit devenu un contributeur au compte de pension de retraite par application de l'article 5 de la LPRFC et qu'il ait acquis le droit à des prestations de retraite majorées par application de l'article 15 de la LPRFC n'a aucune incidence sur la réduction des prestations prévue par le sous-alinéa 19(1)c)(i) de la LPRFC, parce que cette réduction est fondée sur une retraite ou sur un âge de la retraite qui ne sont visés par aucun des articles 5, 15, 19 ni par quelque autre partie de la LPRFC.

[26]      La mise à la retraite et l'âge de la retraite sont fixés par les règlements pris sous le régime de la LDN et ces règlements ne s'appliquent pas à un officier qui est réputé s'être enrôlé de nouveau par application de la loi, selon le paragraphe 41(2) de la LPRFC. Le demandeur a pris sa retraite de la force régulière le 18 novembre 1981 en vertu des règlements pris sous le régime de la LDN. Son nouvel enrôlement réputé du 1er juillet 1994 n'a eu aucune incidence sur la date de sa retraite, mais lui a permis de verser des contributions additionnelles et d'augmenter le nombre de ses années de service ouvrant droit à pension.

     Analyse

[27]      Il faut souligner que le paragraphe 41(2) de la LPRFC commence par les mots " Pour l'application de la présente loi [...] "; la loi en cause est de toute évidence la LPRFC .

[28]      Compte tenu du paragraphe 41(2) de la LPRFC, une personne n'est pas réputée membre de la force régulière à tous égards, mais uniquement pour l'application de la LPRFC. La LPRFC traite des contributions et des prestations, mais elle ne fixe pas la date de la retraite.

[29]      L'article 2 de la LPRFC prévoit que l'âge de la retraite est fixé par les règlements pris sous le régime de la LDN et ces règlements sont énoncés dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (O.R.R.).

[30]      L'article 15.17 de la Section 2 des O.R.R. fixe l'âge de la retraite obligatoire pour un officier de la force régulière, alors que l'ARO des officiers de la Première Réserve est fixé par l'annexe E de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 49-10.

[31]      Voici l'article 15.17 de la Section 2 des O.R.R, qui traite des officiers de la force régulière :

     Section 2 "Officiers

     15.17"Libération des officiers " Âge et temps de service

     (1) Sauf lorsque le ministre le prescrit autrement en vertu de l'alinéa (2), l'âge de la retraite d'un officier est le moins élevé des âges qui suivent :
         (a) l'âge fixé à l'égard de son grade dans le tableau pertinent ajouté au présent article; [...]
     du service à plein temps et rémunéré, y compris le service en qualité de militaire du rang, dans l'une des forces de Sa Majesté.

     [...]

     (4) À moins que le chef d'état-major de la défense ne le prescrive autrement, tout officier de la force de réserve doit être libéré lorsqu'il atteint l'âge approprié prescrit aux termes du sous-alinéa 1a).

     [...]

     (9) Le tableau " G " s'applique à un officier de la force régulière qui est classé en vertu d'ordres émis par le chef d'état-major de la défense dans la catégorie :

     [...]

[32]      Le chef d'état-major de la défense a promulgué l'annexe E de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 49-10 qui vise les officiers de la Première Réserve :     

     ÂGE DE LA RETRAITE OBLIGATOIRE (ARO)

     16.      L'ARO des officiers de la Première Réserve est de 55 ans. Les prolongations de service allant jusqu'à 364 jours au-delà de l'ARO pour les réservistes des classes A et B peuvent être approuvées par les commandants des commandements ou par les organismes désignés. Cette disposition ne touche que les prolongations de l'âge de 55 ans à 55 ans et 364 jours. Les demandes de prolongation pour les réservistes de 56 ans ou plus doivent être envoyées au QGDN, qui les étudiera. Toutes les prolongations doivent être justifiées par des exigences du service, sont soumises à l'approbation des commandants et ne peuvent être accordées si le requérant n'est pas en bonne forme physique. Les officiers spécialistes promus au grade de colonel (Col) ou à un grade supérieur, le 31 décembre 1988 ou avant cette date, conservent le droit de servir dans les FC jusqu'à :
         a.      58 ans, dans le cas des colonels;
         b.      60 ans, dans le cas des brigadiers-généraux et des militaires de grade supérieur.

[33]      Par conséquent, les règlements pris sous le régime de la LDN s'appliquent uniquement aux membres de la force régulière au sens de la LDN; ils ne s'appliquent pas aux membres de la Première Réserve, qui sont régis par une ordonnance administrative. Le demandeur a pris sa retraite de la force régulière en vertu du règlement de 1981. Sa retraite de la force de réserve, en 1996, était régie par l'ordonnance administrative.

[34]      C'est en raison de sa retraite de la force régulière que la présomption incluse dans la LPRFC est nécessaire pour permettre à l'officier de verser des contributions additionnelles et de recevoir des prestations de retraite majorées. Néanmoins, cela ne change rien au fait qu'il s'est retiré de la force régulière à une date antérieure.

[35]      À tous les autres égards, le demandeur demeurait membre de la force de réserve au sens de la LDN.

[36]      C'est en raison de son service antérieur dans la force régulière que le demandeur a acquis le droit de recevoir des prestations additionnelles en vertu de la LPRFC. Toutefois, cela n'a aucune incidence sur le fait qu'il a pris une retraite anticipée et n'écarte pas l'application du sous-alinéa 19(1)c)(i) de la LPRFC, qui fixe la pénalité applicable à la suite de la retraite anticipée d'un membre de la force régulière.

[37]      La seule date à laquelle le demandeur a pris sa retraite de la force régulière, au sens du paragraphe 19(1) de la LPRFC, est le mois de novembre 1981 et la pénalité de 30 p. 100 est fondée sur cette date. Lorsque le demandeur a quitté la force de réserve, en janvier 1996, il n'a pas pris à nouveau sa retraite au sens de la LPRFC et, pour cette raison, ce fait n'a eu aucune incidence sur la pénalité applicable.

[38]      En outre, l'interprétation de la Loi suggérée par le demandeur pourrait entraîner soit des gains fortuits pour les contributeurs qui avaient pris leur retraite avec une réduction, soit des conséquences inéquitables pour les contributeurs qui avaient pris leur retraite sans pénalité. Les premiers pourraient échapper à une réduction de leurs prestations, alors que les prestations des derniers pourraient être assujetties à une pénalité.


  1. )      La préclusion

[39]      Le demandeur a fait valoir que l'avis suivant, que lui a fourni la Direction des services de la solde concernant l'absence de réduction de sa pension avant d'adopter une nouvelle interprétation du paragraphe 41(2) le premier mars 1996, empêche la défenderesse d'appliquer sa nouvelle politique à la situation du demandeur, parce que son service à temps plein a pris fin le 17 janvier 1996.     

    

[40]      Le juge Denault a examiné le principe de la préclusion dans l'affaire Husky Oil Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national)2 :     

     Selon le principe jurisprudentiel établi en la matière, on ne peut opposer à la Couronne une exception d'estoppel pour l'empêcher d'exercer un pouvoir légal ou discrétionnaire. L'avocat de la défenderesse cite deux arrêts de la Cour suprême du Canada qui confirment que l'estoppel ne peut être opposé à la Couronne (Bank of Montreal v. The King (1906), 38 S.C.R. 258; M.R.N. c. Inland Industries Ltd 72 D.T.C. 6013 (C.S.C.)). Le principe qui sous-tend cette règle est qu'une autorité publique ne peut modifier la portée de ses pouvoirs et attributions légaux par suite de ses propres erreurs ou d'agissements d'autrui. Dans Re Bella Vista Restaurant (1982), 41 B.C.L.R. 283, page 290, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a consacré ce principe comme suit :
         [Traduction]
         ... Le principe sous-jacent c'est qu'on ne peut pas opposer une exception d'estoppel à la Couronne pour l'empêcher d'exercer les pouvoirs qu'elle tient d'une loi écrite ou de la common law, dans l'exercice légitime de son obligation d'agir dans l'intérêt public, lors même que cet exercice pourrait se traduire par une injustice ou iniquité à l'encontre de quelque individu.         

     [...]

     Sur la question de savoir si l'assertion antérieure était opposable au ministre des Pensions, lord Denning s'est prononcé en ces termes, page 231 :
         [Traduction]
         Il échet ensuite d'examiner si la Couronne est liée par l'affirmation contenue dans la lettre du ministère de la Guerre. La Couronne ne peut s'y dérober en disant qu'elle n'est pas susceptible d'estoppel car cette doctrine a été battue en brèches depuis longtemps.
     La question de savoir si on peut opposer l'exception d'estoppel à la Couronne a été examinée dans la jurisprudence récente. Dans Johnson c. Ramsay Fishing Company (1987) 15 F.T.R. 106, le juge Joyal a cité lord Denning, page 121 :
         [Traduction]
         L'estoppel n'est pas une règle de preuve, ni un droit positif, mais un principe de justice et d'équité. Voici en quoi il se résume. Lorsque quelqu'un, par ses paroles ou ses actes, fait croire quelque chose à quelqu'un d'autre, il ne peut plus s'en dédire si cela revient à causer une injustice ou une iniquité.

     Un peu plus loin, le juge Joyal a encore cité la décision de lord Denning :

         [Traduction]
         ... Cependant, il est possible d'opposer une exception d'estoppel à la Couronne si elle n'exerce pas ses pouvoirs à bon droit mais en abuse; et elle abuse de ses pouvoirs lorsqu'elle les exerce de façon à causer une injustice ou une iniquité à l'individu sans que [le] public en tire aucun avantage en échange.
     En résumé, la jurisprudence a établi que la Couronne n'est pas susceptible d'estoppel parce qu'elle doit jouir de sa pleine capacité à exercer ses pouvoirs. Cependant, cette exception a été invoquée avec succès dans les cas où une partie s'est fiée à son détriment à une affirmation de la Couronne, ou lorsque celle-ci n'exerce pas ses pouvoirs à bon droit et que cet abus cause une injustice à l'individu sans que le public en tire aucun avantage en échange.

[41]      En l'espèce, cette question a été soulevée dans le contexte de l'interprétation législative. Dans les circonstances, les actes de la Couronne ne peuvent donner lieu à l'application du principe de la préclusion.

[42]      De plus, le demandeur n'a pas démontré que la LPRFC a été appliquée à son détriment. Il n'a jamais reçu de pension non réduite de 30 p. 100 et il a pu verser des contributions additionnelles qui ont fait augmenter ses prestations.

CONCLUSION

[43]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

     J. Richard

     ________________________

     Juge en chef adjoint

Ottawa (Ontario)

Le 6 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 19981106


Dossier : T-1956-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 NOVEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

     WILLIAM FREDRICK McCAGUE,

     Demandeur,

     - et -


SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE,


Défendeur.


ORDONNNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire déposée en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à la Direction des services de la solde du ministère de la Défense nationale de calculer à nouveau la pension du demandeur en conformité avec la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17, et plus particulièrement :

1.      Une déclaration portant que la réduction de trente pour cent (30 p. 100) mentionnée dans le calcul des prestations payables au demandeur ne s'applique pas.
2.      Une ordonnance enjoignant à la Direction des services de la solde, connue comme la Direction - Comptes, traitement, solde et pension, de calculer à nouveau les prestations payables au demandeur sans appliquer la pénalité.

LA COUR STATUE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

     J. Richard

                                     juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1956-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      William Frederick McCague c. Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre de la Défense nationale

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          27 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT RICHARD

DATE DES MOTIFS :          6 novembre 1998

ONT COMPARU :

Me Robert J. Fenn et Me Richard Rohmer          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me Ian Dick                          POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rohmer & Fenn                      POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

__________________

1      Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550.

2      Husky Oil Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national) (1991), 44 F.T.R. 18.(1re inst.).

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