Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19981014


Dossier : T-1254-98

ENTRE :

     SCANWELL INTERNATIONAL INC.,

     SCANWELL FREIGHT EXPRESS (HK) LIMITED,

     SCANWELL CONTAINER LINES (HK) LIMITED ET

     ADAM HASSAN,

     demandeurs,

     et

     SCANWELL FREIGHT EXPRESS CANADA INC.,

     SCANWELL CONTAINER LINES CANADA INC. ET

     BUYERS CONSOLIDATORS EXPRESS,

     défenderesses.

     ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une requête des demandeurs en vue de faire annuler une ordonnance par laquelle le protonotaire Morneau a radié la déclaration déposée aux présentes et annulé l'audition de la demande d'injonction interlocutoire qui devait avoir lieu les 23 et 24 septembre 1998.

[2]      Le protonotaire Morneau a décidé de radier la déclaration des demandeurs au motif que la Cour n'avait pas compétence en l'espèce.

[3]      J'ai examiné tous les documents déposés au soutien de la requête ainsi que les observations écrites des deux parties et les autorités qu'elles ont invoquées.

[4]      D'abord, je cite l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Limited1, parce que le présent appel soulève une question de droit et que la décision du protonotaire porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, de sorte qu'une nouvelle audition est nécessaire dans le présent appel :Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[5]      La déclaration que le protonotaire a radiée concerne des marques de commerce non déposées. Il est bien certain que la Cour fédérale a compétence en ce qui a trait aux actions pour substitution ou actions en passing off concernant des marques de commerce non déposées. À ce sujet, l'avocat des demandeurs cite l'arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gobbs/Nortac Industries Ltd. et al.2, où le juge MacGuigan s'est exprimé comme suit :

     L"entreprise n"avait pas à déposer sa marque pour protéger son droit de l"utiliser et prévenir l"usage abusif que pourrait en faire une autre entreprise. L"action en passing off était le recours disponible pour faire respecter les droits sur les marques de commerce. Sans l"action en passing off , les droits que reconnaît la common law sur les marques de commerce auraient peu de valeur.         

[6]      J'ai également lu attentivement la décision que le juge Addy a rendue dans l'affaire Fruit of the Loom Inc. c. Chateau Lingerie Mfg. Co.3, notamment à la page 53, où il a formulé les remarques suivantes :

     En premier lieu, le contrat prévoit le mode de sa résiliation, qui consiste à servir au titulaire de la licence un constat de violation, suivi par un avis de résiliation. Cette disposition fait partie intégrante du contrat. En d'autres termes, les parties ont antérieurement convenu, par écrit, du mode de résiliation. Il ne s'agit donc pas de révocation par jugement de la Cour mais bien de résiliation par avis expressément prévu au contrat, une fois la violation constatée. En second lieu, ce serait à tout le moins ridicule si, pour résilier une licence, puisque celle-ci est toujours accordée par contrat, le propriétaire de la marque devait d'abord faire déclarer par une cour provinciale que le contrat a expiré ou qu'il est révoqué, avant de présenter à la Cour fédérale du Canada une demande de redressement concernant sa marque. À de nombreuses occasions, on a déclaré que le simple fait qu'une question se rapporte à la propriété et aux droits civils d'une certaine manière ne la soustrait pas automatiquement à la compétence fédérale ou à la compétence de la Cour fédérale du Canada, étant donné qu'il est difficile de concevoir tout jugement d'une cour qui ne concerne pas, d'une certaine manière la propriété et les droits civils. Dans tous les cas, j'estime que l'affaire Cheerio Toys and Games Limited v. Samuel Dubiner, [1966] R.C.S. 206, établit clairement la compétence de la Cour dans la présente action.         

[7]      Cette décision a été confirmée en appel.

[8]      L'avocat des demandeurs cite également l'arrêt Singer et al. Enterprise Car and Truck Rentals Ltd. c. Enterprise Rent-a-car Co. et al.4, où le juge Pratte, J.C.A., s'est exprimé comme suit :

     L'avocat des appelantes concède qu'en vertu de la common law, le demandeur, dans une action en imitation frauduleuse, n'a pas à prouver qu'il a employé sa marque au Canada ou qu'il l'a fait connaître au Canada. Toutefois, l'avocat affirme qu'il n'en va pas de même lorsque l'action est intentée devant la Cour fédérale, qui n'a pas compétence pour connaître d'une action en imitation frauduleuse fondée sur la common law. Il est maintenant établi que l'alinéa 7b) est constitutionnel dans la mesure où il protège les marques de commerce. Bien qu'elle soit libellée en termes généraux, cette disposition doit donc être interprétée comme se rapportant uniquement à la protection des marques de commerce, déposées ou non. Dans une action fondée sur l'alinéa 7b), le demandeur doit donc prouver qu'il " possède " une marque de commerce qui doit être protégée.         

[9]      À mon sens, il est clair qu'il existe aussi un litige au sujet de l'entente de licence intervenue entre les deux parties; c'est une question au sujet de laquelle un juge devra se prononcer lorsqu'il examinera le fond de la demande et qui ne doit pas être tranchée à ce stade-ci.

[10]      La Cour sait d'ailleurs pertinemment que la défenderesse Scanwell Canada a déposé une demande d'injonction provisoire, interlocutoire et finale, une déclaration et un affidavit détaillé ainsi que des pièces à l'appui devant la Cour supérieure du Québec.

[11]      La Cour sait aussi que les demandeurs ont déposé une demande d'enregistrement d'une marque de commerce auprès du registraire des marques de commerce du Canada le 27 septembre 1998 et que ladite demande doit être publiée à des fins d'opposition ici au Canada.

[12]      Les demandeurs ont déposé leur déclaration devant la Cour fédérale du Canada le 19 juin 1998.

[13]      Il est évident que les deux affaires portées devant la Cour fédérale du Canada et devant la Cour supérieure du Québec sont parallèles et ont été déposées presque en même temps.

[14]      Comme l'avocat des défenderesses l'a mentionné aux paragraphes 16 et suivants de ses observations écrites et comme l'a confirmé Sgayias5 :[TRADUCTION] ... il suffit de dire qu'une action intentée sous le régime de l'article 20 doit être véritablement fondée sur le droit fédéral applicable et ne doit pas être une action contractuelle ou une action délictuelle reliée de façon accessoire à une action relative à une marque de commerce, à un brevet ou à un droit d'auteur... Dans tous les cas, il faudra savoir si l'affaire relève principalement de la législation fédérale plutôt que des règles relatives à la responsabilité contractuelle ou délictuelle.

[15]      Je ne suis pas d'accord avec l'avocat des défenderesses; j'estime plutôt que les recours que les demandeurs demandent dans leur déclaration sont fondés sur un manquement à une disposition de la Loi sur les marques de commerce et que la rupture de contrat est accessoire.

[16]      Quant à la demande de précisions des défenderesses, j'estime que cette demande est bien fondée et que les demandeurs devraient fournir des précisions au sujet du paragraphe 7 de leur déclaration.

[17)      Par ces motifs, LA COUR STATUE COMME SUIT :

     -      La décision par laquelle le protonotaire Morneau a radié la déclaration est annulée;
     -      La requête des défenderesses en vue de faire suspendre toutes les procédures en l'espèce est rejetée;
     -      L'audition de la demande d'injonction interlocutoire aura lieu les 17 et 18 mars 1999 à 9h30, à Montréal (Québec);
     -      La requête des défenderesses en vue d'enjoindre aux demandeurs de fournir des précisions est accordée;
     -      Les demandeurs devront fournir des précisions au sujet du paragraphe 7 de leur déclaration en ce qui a trait aux endroits et aux moments auxquels ils ont utilisé le nom " Scanwell " au Canada depuis 1981, aux circonstances dans lesquelles ils l'ont fait et à la façon dont ils l'ont fait ainsi qu'aux moments où ils auraient fait connaître leur utilisation dudit nom au Canada depuis 1981;
     -      Les demandeurs disposent d'un délai de 15 jours suivant la date de la présente ordonnance pour fournir les précisions;
     -      Les défenderesses ont droit à un délai supplémentaire de 15 jours à compter de la date de production des précisions à la Cour pour déposer leur défense et leurs demandes reconventionnelles;
     -      Les frais suivront l'issue de la cause.

                             Pierre Blais

                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 14 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1254-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SCANWELL INTERNATIONAL INC. ET AL C. SCANWELL FREIGHT EXPRESS CDA INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          24 septembre 1998

ORDONNANCE ET MOTIFS DU JUGE BLAIS

EN DATE DU :              14 octobre 1998

ONT COMPARU :

Me Patrick Smith

Me Stéphance Caron                      POUR LES DEMANDEURS

Me Louis Buteau

Me Susan Beaubien                      POUR LES DÉFENDERESSES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING, STRATHY & HENDERSON      POUR LES DEMANDEURS

OTTAWA (ONTARIO)

SPROULE, CASTONGUAY, POLLACK          POUR LES DÉFENDERESSES

__________________

     1 [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), p. 463.

     2 (1987), 14 C.P.R. (3d) 314 (C.A.F.), p. 328.

     3 (1982), 63 C.P.R. (2d) 51 (C.F. 1re inst.); conf. (1983), 78 C.P.R. (2d) 194 (C.A.F.).

     4 66 (1998), 79 C.P.R. (3d) 45 (C.A.F.), p. 48.

     5 Sgayias, David, Federal Court Practice, Carswell 1998, p. 127-128.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.