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     T-1500-95

OTTAWA, LE VENDREDI 7 MARS 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur les prêts destinés

     aux améliorations agricoles et à la commercialisation

     selon la formule coopérative,

     L.R.C. (1985), 3e suppl., ch. 25, et ses modifications (la Loi),

     et le Règlement sur les prêts consentis aux agriculteurs

     et aux coopératives de commercialisation des produits agricoles,

     DORS/88-51, et ses modifications (le Règlement)

     ET une demande de contrôle judiciaire présentée par

     la Banque de Montréal à l'encontre des intimés

     ET la Loi sur la Cour fédérale,

     L.R.C. (1985), ch. F-7 et ses modifications

ENTRE :

     BANQUE DE MONTRÉAL,

     requérante,

     -et-

     LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE DU CANADA et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés.

     ORDONNANCE

     VU la demande de mandamus présentée par la Banque de Montréal, après avoir lu les documents déposés, après avoir entendu les avocats des parties à Toronto (Ontario), les 10 et 11 décembre 1996, et pour les motifs de l'ordonnance prononcés ce jour,

     LA COUR ORDONNE le rejet de la demande. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                     James A. Jerome
                    
                                     J.C.A.
Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.

     T-1500-95

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur les prêts destinés

     aux améliorations agricoles et à la commercialisation

     selon la formule coopérative,

     L.R.C. (1985), 3e suppl., ch. 25, et ses modifications (la Loi),

     et le Règlement sur les prêts consentis aux agriculteurs

     et aux coopératives de commercialisation des produits agricoles,

     DORS/88-51, et ses modifications (le Règlement)

     ET une demande de contrôle judiciaire présentée par

     la Banque de Montréal à l'encontre des intimés

     ET la Loi sur la Cour fédérale,

     L.R.C. (1985), ch. F-7 et ses modifications

ENTRE :

     BANQUE DE MONTRÉAL,

     requérante,

     -et-

     LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE DU CANADA et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

     La demande de mandamus présentée par la Banque de Montréal a été entendue à Toronto (Ontario), les 10 et 11 décembre 1996. La requérante sollicite une ordonnance enjoignant au ministre de l'Agriculture du Canada d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles et à la commercialisation selon la formule coopérative, L.R.C. (1985), 3e Suppl., ch. 25, et ses modification (la Loi), et à lui payer sur-le-champ la somme de 301 012,15 $ en vertu de la demande de paiement qu'elle a présentée à l'égard d'une perte à Agriculture Canada, le 20 décembre 1994, aux termes d'une garantie donnée par le ministre de l'Agriculture en application de la Loi relativement à un prêt consenti par la Banque de Montréal à Eastern Ontario Vegetable Growers' Co-operative Inc. (la Coopérative). À la clôture des plaidoiries, j'ai décidé de surseoir au prononcé de la décision et j'ai indiqué que les présents motifs écrits suivraient.

CONTEXTE

     La Loi a pour objectif d'accroître la disponibilité des prêts consentis aux coopératives pour l'amélioration et la mise en valeur des exploitations agricoles, et la transformation ou la commercialisation des produits agricoles. Elle prévoit à cette fin que le ministre de l'Agriculture rembourse jusqu'à concurrence de 95 pour 100 les prêts consentis par des prêteurs à des associations coopératives.

     La Coopérative est formée d'environ cent trente fermiers de la région de Trenton (Ontario), qui cultivent principalement des pois et du maïs. Elle a été constituée afin d'aider ses membres à financer et à vendre leurs récoltes.

     La Banque de Montréal, avec laquelle la Coopérative fait affaires depuis de nombreuses années, a conclu avec celle-ci un contrat de prêt le 30 juin 1989. Le prêt a été utilisé en partie pour financer l'achat d'équipement de traitement de légumes. En août 1989, la Banque de Montréal a obtenu d'Agriculture Canada, à l'égard du prêt, une garantie conformément au paragraphe 6(1) de la Loi. L'équipement de traitement de légumes acquis par la Coopérative a été loué à Produce Processors Limited, une compagnie qui traite les substances végétales. En mars 1993, la Coopérative a cessé d'effectuer les paiements sur son prêt et a ensuite été mise sous séquestre par la Banque de Montréal. Le 11 mai 1993, Coopers & Lybrand a été nommée séquestre de la Coopérative par le tribunal.

     Le séquestre a tenté de réaliser la garantie de la Banque de Montréal sur l'équipement de traitement de légumes. À la suite d'une procédure complexe et difficile, le séquestre a finalement vendu l'équipement pour une somme de 280 000 $ à Produce Processors Limited, vente qui a entraîné une perte de 277 913,65 $ pour la requérante. Le 20 décembre 1994, la Banque de Montréal a réclamé, aux termes de la Loi, le remboursement par Agriculture Canada d'une somme de 301 012,15 $ (soit 277 913,65 $ pour le capital et 23 098,50 $ pour honoraires et débours). Le ministre de l'Agriculture a refusé de payer cette somme.

CADRE LÉGISLATIF

     La Loi prévoit ce qui suit :

     6.(1)          Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et notamment des conditions prévues au paragraphe (2), le ministre indemnise le prêteur à concurrence de quatre-vingt-quinze pour cent du montant de toute perte occasionnée à celui-ci par l'octroi d'un prêt consenti à une coopérative de commercialisation des produits agricoles et destiné à l'une des opérations suivantes, en rapport avec la transformation, la distribution ou la commercialisation des produits agricoles au Canada :     
         a) achat de terres;             
         b) achat ou construction d'un bâtiment ou d'un ouvrage;             
         c) réparation ou modification d'un bâtiment ou d'un ouvrage ou ajout à ceux-ci;             
         d) achat ou réparation de machinerie ou d'appareils;             
         e) consolidation ou refinancement de dettes contractées pour l'une des opérations visées aux alinéas a) à d), selon ce que les règlements prévoient à cet égard.             
     11.      Sauf s'il a préalablement approuvé la convention ou l'arrangement en question, le ministre n'est pas tenu d'indemniser le prêteur de la perte occasionnée par l'octroi d'un prêt dans le cas où celui-ci a conclu, après l'octroi du prêt, une convention ou un arrangement avec l'agriculteur ou la coopérative de commercialisation des produits agricoles qui, même s'ils ne modifient pas ou ne révisent pas les conditions du prêt, pourraient augmenter le risque que le prêt ne soit pas remboursé conformément au contrat.     
     12.(1)      Le ministre n'est tenu d'indemniser le prêteur de la perte occasionnée par l'octroi d'un prêt, que si celui-ci, à la fois :     
         a) s'est conformé aux règlements d'application de la présente loi;             
         b) lui a, au moment prévu à cet effet par règlement, versé des droits égaux à un demi pour cent du montant du prêt, ou tels autres droits qui sont soit prévus par règlement, soit calculés selon une formule prévue par règlement.             

L'article 10 du Règlement sur les prêts consentis aux agriculteurs et aux coopératives de commercialisation des produits agricoles prévoit notamment ce qui suit :

     10.(1)          Un prêteur ne peut présenter de demande de paiement au ministre à l'égard d'une perte subie en conséquence d'un prêt à moins que le remboursement du prêt n'ait été en défaut depuis au moins trois mois et au plus 18 mois.     
     (2)          Le ministre peut autoriser le prêteur à présenter la demande de paiement après le délai prévu au paragraphe (1), si celui-ci lui a soumis, avant l'expiration de ce délai, une demande de prolongation de délai.     
     (3)          Le prêteur doit présenter sa demande de paiement pour une perte subie en conséquence d'un prêt au ministre, en la forme approuvée par celui-ci, accompagnée d'une copie de la demande de prêt de l'emprunteur et de tout autre document qu'exige le ministre.     
     (4)          Le paiement visé au paragraphe (3) est effectué dans les 60 jours après la date où le ministre approuve la demande de paiement.     

ARGUMENTS DES PARTIES

     La requérante soutient que le ministre de l'Agriculture a indûment tardé à approuver et à payer sa demande de remboursement d'une perte, et qu'il s'agit d'un cas où il convient pour la Cour de rendre une ordonnance de mandamus.

     Les intimés font valoir pour leur part que la demande devrait être rejetée. Ils affirment que la requérante n'a pas droit à la réparation sollicitée pour les motifs suivants : la réclamation de la requérante est prescrite en vertu de la loi et le ministre contreviendrait à l'article 12 de la Loi s'il effectuait le remboursement; comme le prévoit l'article 11 de la Loi, le ministre n'est pas tenu d'indemniser le prêteur parce que la Banque de Montréal et le séquestre (représentant la Coopérative de commercialisation des produits agricoles) ont conclu, sans avoir obtenu l'autorisation préalable du ministre et en contravention des directives données par celui-ci, une convention ou un arrangement qui prévoyait que le prêt ne serait pas remboursé conformément au contrat; enfin, la requérante n'a pas fourni à la Cour les meilleurs éléments de preuve disponibles. Subsidiairement, les intimés sollicitent, conformément à l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale, une ordonnance prévoyant la tenue d'une audience sur les questions soulevées dans la présente demande.

     La requérante affirme que sa demande de remboursement de sa perte n'a pas été présentée après l'expiration des délais prescrits à cette fin, et qu'aucune convention comme celle dont il est question à l'article 11 n'avait été conclue, car l'existence d'une telle convention entre les parties ne pouvait pas être démontrée et que, de toute façon, il n'était pas possible de prouver qu'il y avait eu augmentation du risque que le prêt ne soit pas remboursé. La requérante ajoute que les éléments de preuve qu'elle a produits ne soulevaient aucun problème.

ANALYSE

     Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmé (1994) 176 N.R. 1 (C.S.C.), la Cour d'appel fédérale a exposé les principales conditions qui doivent être respectées avant qu'un mandamus ne puisse être accordé :

     1.      Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.
     2.      L'obligation doit exister envers le requérant.
     3.      Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :
         a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
         b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
     4.      Lorsque l'obligation dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s'appliquent :
         a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d'une manière qui puisse être qualifiée d'" injuste ", d'" oppressive " ou qui dénote une " irrégularité flagrante " ou la " mauvaise foi ";
         b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est " illimité ", " absolu " ou " facultatif ";
         c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire " limité " doit agir en se fondant sur des considérations " pertinentes " par opposition à des considérations " non pertinentes ";
         d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l'exercice d'un " pouvoir discrétionnaire limité " dans un sens donné;
         e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est " épuisé ", c'est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l'exécution de l'obligation.
     5.      Le requérant n'a aucun autre recours.
     6.      L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.
     7.      Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.
     8.      Compte tenu de la " balance des inconvénients ", une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

     Rien n'est simple en l'espèce. Les faits dépendront de l'interprétation par la Cour de divers documents techniques et, évidemment, de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages. Par ailleurs, il faut, sur le plan juridique, trancher de difficiles questions exigeant l'examen de l'étendue de l'obligation du ministre aux termes de la loi, obligation qui est devenue encore plus complexe en raison de la mise sous séquestre de ceux qui devaient être les bénéficiaires de ce programme de prêt garanti. Il ne conviendrait pas de tenter de résoudre, par requête, ce genre de questions en se fondant sur la preuve documentaire. La demande de mandamus est par conséquent rejetée, les dépens devant suivre l'issue de la cause.

     Heureusement, toutefois, les mesures prises par les parties jusqu'à maintenant ne devraient pas être inutiles. Une fois que les parties auront lu les présents motifs, je suis prêt à les rencontrer à leur demande pour discuter des directives qui seront nécessaires pour transformer la présente espèce en une audience appropriée et pour accélérer la procédure.

O T T A W A

7 mars 1997                              James A. Jerome
                    
                                     J.C.A.
Traduction certifiée conforme     
                                 Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:              T-1500-95
INTITULÉ DE LA CAUSE:      BANQUE DE MONTRÉAL c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE:      TORONTO (ONTARIO)
DATES DE L'AUDIENCE:      10 et 11 DÉCEMBRE 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge en chef adjoint Jerome en date du 7 mars 1997

ONT COMPARU:

BENJAMIN ZARNETT

ANDREW BRODKIN              POUR LA REQUÉRANTE
JEFFREY MCEOWN              POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

GOODMAN PHILLIPS & VINEBERG

TORONTO (ONTARIO)              POUR LA REQUÉRANTE

GEORGE THOMSON

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)              POUR LES INTIMÉS

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