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Date : 20050119

Dossier : IMM-10068-03

Référence : 2005 CF 72

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                CATHERINE WAITHERA NDERITU

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Cette demande vise la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 18 novembre 2003, selon laquelle la demanderesse n'est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.


CONTEXTE

[2]                La demanderesse, Catherine Waithera Nderitu, est une citoyenne du Kenya âgée de 20 ans.

[3]                Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée en tant que femme forcée de subir une mutilation génitale féminine (MGF). C'est son oncle, un membre de la secte Mungiki, qui serait l'agent de persécution.

[4]                La demanderesse a grandi à Nairobi, au Kenya. Elle est devenue membre du Parti démocratique du Kenya en janvier 2002. Elle possédait des connaissances en informatique et est devenue active au sein du Parti.

[5]                Son oncle est un membre actif du KANU, le parti au pouvoir au Kenya. La demanderesse dit qu'il s'est joint à la secte Mungiki en février 2002. Cette secte, qui est composée de sympathisants du parti KANU cherchant à éliminer le vote des opposants, pratique des circoncisions et des MGF et tente de forcer des hommes et, en particulier, des femmes à subir de telles interventions.


[6]                La demanderesse dit que, le 4 mars 2002, les Mungiki ont attaqué les habitants du Kariobangi South Estate, une région surtout occupée par le groupe ethnique Luo. Ce groupe appuie le Parti démocratique. Les Mungiki croient qu'un homme non circoncis ne peut être un chef.

[7]                La demanderesse a été admise à une école canadienne en juin 2002.

[8]                La demanderesse affirme que son oncle et quatre autres Mungiki ont attaqué sa maison le 30 juillet 2002. Ces hommes ont accusé le père de la demanderesse de garder dans la maison une femme n'ayant pas subi de MGF et l'ont battu. Ils ont ensuite traîné la mère de la demanderesse dans une autre pièce. La demanderesse dit que l'un des hommes l'a frappée et qu'elle a perdu conscience. Elle affirme que, lorsqu'elle est revenue à elle, elle a vu sa mère baignant dans une mare de sang; celle-ci avait subi une MGF contre son gré.

[9]                La demanderesse dit que sa mère a été hospitalisée du 31 juillet au 14 août 2002, comme le confirme une lettre de l'hôpital national de Cainito qu'elle a produite.

[10]            La demanderesse affirme que son père lui a dit que son oncle avait menacé de revenir le lendemain pour lui faire ce qu'il avait fait à sa mère. Elle dit qu'elle s'est enfuie et a commencé à vivre dans les rues de Nairobi.


[11]            Pendant qu'elle vivait dans les rues, la demanderesse est restée en contact avec sa mère. Celle-ci lui a dit que son oncle la cherchait. La demanderesse a décidé qu'elle devait quitter le pays. Elle a présenté une demande de visa d'étudiant le 14 août 2002, avec l'aide de son beau-frère. Elle a obtenu le visa le 9 septembre 2002 et a quitté le pays le 17 septembre suivant.

[12]            La demanderesse dit qu'elle a téléphoné à sa mère le 10 octobre 2002 et qu'elle a appris que son oncle avait mis le feu à la maison que son père possédait à Nyeri.

[13]            La demanderesse a demandé l'asile au Canada le 3 octobre 2002.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[14]            La Commission a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Sa décision était fondée sur le manque de crédibilité de la demanderesse et sur l'existence d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable.

[15]            Selon la Commission, la principale question en litige concernait la crédibilité de la demanderesse. La Commission a relevé, dans le récit de la demanderesse, dans son témoignage et dans le FRP, un certain nombre de points qui soulevaient des doutes, à savoir :

(a) l'agression dont la mère de la demanderesse aurait été victime et la vraisemblance de la menace formulée par son oncle;


(b) l'hospitalisation de sa mère;

(c) l'admission de la demanderesse à une école canadienne en juin 2002;

(d) la preuve documentaire relative à la protection offerte par la police au Kenya.

[16]            La demanderesse a déclaré dans son témoignage que les Mungiki s'en prennent aux femmes mûres dans le but d'inciter les femmes plus jeunes à se soumettre volontairement à une MGF.

[17]            En ce qui concerne un ultimatum lancé par les Mungiki en 2002, qui donnait trois mois aux hommes et aux femmes pour subir une circoncision ou une MGF, la Commission a estimé qu'il était invraisemblable que la demanderesse n'ait pas été forcée en même temps que sa mère de subir une MGF. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n'était pas une cible pour son oncle; autrement, elle aurait subi une MGF en même temps que sa mère.


[18]            La Commission s'est aussi appuyée, pour évaluer la crédibilité de la demanderesse, sur une contradiction entre le FRP de celle-ci et une lettre de l'hôpital national de Cainito. La demanderesse ne mentionne pas dans son FRP que sa mère a été hospitalisée du 31 juillet au 14 août 2002. Elle a expliqué lors de son témoignage qu'elle n'était pas certaine de pouvoir obtenir un rapport médical de l'hôpital. La Commission n'a pas jugé cette explication raisonnable parce que la demanderesse a déclaré qu'un formulaire de congé avait été remis à son père quand sa mère avait quitté l'hôpital. La Commission ne voyait pas pour quelle raison la demanderesse n'aurait pas pu obtenir un rapport. La demanderesse a effectivement obtenu une lettre de l'hôpital. Ce fait n'a pas été mentionné dans son FRP. Par conséquent, la Commission a accordé peu de poids, voire aucun, à la lettre.

[19]            Le troisième facteur qui a amené la Commission à conclure au manque de crédibilité de la demanderesse a trait à des dates. La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu'elle avait été admise à une école canadienne en juin 2002. Or, sa demande de visa d'étudiant est datée du 14 août 2002. Le fait qu'elle a été admise en juin signifie qu'elle a dû présenter sa demande avant juin et avant que l'incident avec sa mère se produise. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle avait présenté sa demande avant juin 2002, la demanderesse a répondu que sa mère avait fait des démarches pour qu'elle puisse s'enfuir du Kenya avant que quelque chose de fâcheux ne lui arrive. La Commission n'a pas jugé cette explication raisonnable et a conclu que celle-ci avait seulement pour but d'ajouter du poids à la demande de la demanderesse.


[20]            En ce qui concerne la police, on a demandé à la demanderesse si la MGF subie par sa mère avait été signalée à la police. Elle a répondu : [traduction] « Oui, mais pas tout de suite. » Elle a ajouté que les policiers avaient dit à son père qu'ils n'interviendraient pas parce qu'il s'agissait d'une affaire privée. De la même façon, lorsque le père de la demanderesse a signalé l'incendie de sa maison, les policiers lui ont dit qu'ils ne pouvaient prendre aucune mesure puisqu'il s'agissait d'une affaire privée. Selon la Commission, l'inaction de la police était incompatible avec la preuve documentaire, laquelle démontre que la police prend des mesures contre les Mungiki. La Commission a rappelé des cas où des Mungiki ont été arrêtés ou placés en détention, même si elle a reconnu qu'il y avait aussi des cas où la police n'était pas intervenue. La police donnait cependant suite à la plupart des plaintes visant des Mungiki. La Commission a conclu que, même si la police n'était pas toujours efficace au Kenya, elle faisait de sérieux efforts pour contrôler les activités des Mungiki.

[21]            La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le père de la demanderesse n'avait pas demandé l'aide de la police.

[22]            La Commission s'est ensuite intéressée à la question de la protection de l'État. Elle a fait référence à la décision Smirnov c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] 1 C.F. 780 (C.F. 1re inst.), où la Cour cite, au paragraphe 7, la décision Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (également au paragraphe 7) :


Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

[23]            La Commission a fait ensuite référence à l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50, pour confirmer qu'à moins d'un effondrement complet de l'appareil étatique un État est présumé être capable de protéger un demandeur. Elle a conclu que l'appareil étatique au Kenya ne s'était pas effondré complètement et que, en conséquence, la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau de prouver que l'État n'était pas en mesure de la protéger.

[24]            Après avoir analysé la question de la protection de l'État, la Commission a tenté de savoir s'il existait une PRI pour la demanderesse. Se fondant sur la preuve documentaire, elle a indiqué que les Mungiki sont actifs dans la région de Nairobi, dans la vallée de Rift et dans les provinces centrales et de l'Est du Kenya, mais non dans les provinces du Nord-Est et dans les provinces côtières. Elle a préféré la preuve documentaire à celle de la demanderesse, qui prétendait que les Mungiki étaient actifs dans tout le pays.

[25]            La Commission a suggéré la plus grande ville du Kenya, Mombassa, comme PRI. Elle n'a trouvé nulle part dans la preuve documentaire une allusion à des tentatives des Mungiki de perturber la vie à Mombassa. Elle a conclu qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse soit une cible pour son oncle ou des Mungiki à Mombassa.


QUESTIONS EN LITIGE

[26]            La demanderesse soulève deux questions au regard de la décision de la Commission :

(a)         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en négligeant et en ne comprenant pas certains éléments de preuve lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'était pas crédible?

(b)         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision et des motifs qui sont, en soi, difficiles à comprendre étant donné qu'après avoir conclu que la demanderesse n'était pas crédible elle a considéré son témoignage comme suffisamment crédible pour s'appuyer sur lui pour rejeter la demande?

PRÉTENTIONS

Décision difficile à comprendre

[27]            La demanderesse soutient que la décision de la Commission est, en soi, difficile à comprendre parce qu'après avoir mis en doute sa crédibilité la Commission s'est fondée sur certains aspects de son récit pour conclure que l'État pouvait la protéger adéquatement.


[28]            Le défendeur répond que la décision n'est pas difficile à comprendre. La Commission a évalué la crédibilité de la demanderesse et a ensuite procédé à une analyse de la protection de l'État et de la PRI. Cette dernière analyse est une pratique courante de la Commission. Le défendeur soutient qu'après avoir expliqué pourquoi elle concluait à l'absence de crédibilité de la demanderesse la Commission a analysé les questions de la protection de l'État et de la PRI. Cette pratique n'est pas incompatible avec les conclusions de la Commission concernant la crédibilité. La Commission effectue souvent une telle analyse en présumant que les allégations de la demanderesse sont vraies, de sorte que, si les conclusions relatives à la crédibilité ne peuvent par la suite être maintenues, la Cour peut examiner les conclusions relatives à la protection de l'État et à l'existence d'une PRI.

[29]            La demanderesse dit que si la Commission avait réellement décidé qu'elle n'était pas crédible et qu'elle avait fabriqué sa demande, elle n'avait manifestement aucune raison de poursuivre son analyse et d'examiner les questions de la protection de l'État ou de l'existence d'une PRI.


[30]            Le défendeur soutient que la Commission a examiné ces questions à la lumière des nombreux documents traitant de la protection de l'État dont elle disposait et a conclu que la demanderesse n'avait pas démontré que les Mungiki étaient présents et actifs dans certaines régions du Kenya parce que la preuve contenue dans les documents était insuffisante. Il ajoute que la demanderesse n'a pas démontré que la Commission ne disposait pas d'éléments de preuve suffisants pour arriver à ses conclusions et n'a pas démontré non plus pourquoi celles-ci sont abusives ou arbitrares.

Motifs inadéquats

[31]            La demanderesse prétend également que la Commission avait l'obligation d'exposer les motifs de sa décision de rejeter la demande en termes clairs et explicites (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228) et qu'elle ne l'a pas fait. Dans Hilo, la Cour d'appel fédérale a fait les commentaires suivants au sujet du traitement sélectif des témoignages (au paragraphe 7) :

[L]a Commission a émis des doutes au sujet de la crédibilité de l'appelant, ainsi qu'il a été noté plus tôt. Néanmoins, au paragraphe suivant, la Commission juge que le témoignage de l'appelant est suffisamment plausible pour que l'on puisse rejeter un élément de sa revendication du statut de réfugié. Ce traitement sélectif de divers éléments de témoignage de l'appelant ne contribue pas à donner confiance en l'évaluation que la Commission a faite de la crédibilité de l'appelant.

[32]            Le défendeur fait valoir que la Commission n'était pas convaincue que la demanderesse était la cible de son oncle et des Mungiki à cause des doutes sérieux qu'elle avait au sujet de la crédibilité et des invraisemblances qu'elle avait relevées dans le FRP et le témoignage de la demanderesse.


[33]            Le défendeur dit également que la Commission a exposé ses conclusions avec soin et a donné des motifs clairs. La Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732).

[34]            De plus, le défendeur rappelle que la Commission peut rendre une décision défavorable concernant la crédibilité si le récit d'un demandeur contient des contradictions et des incohérences ou s'il est simplement invraisemblable (Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.); Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313).

[35]            Le défendeur soutient également qu'en tant que principal juge des faits la Commission peut même rejeter des éléments de preuve qui ne sont pas réfutés s'ils ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble (Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.)).

Éléments de preuve pertinents négligés et mal compris


[36]            La demanderesse dit que la Commission n'a accordé aucun poids à la lettre de l'hôpital parce qu'elle n'en avait pas fait état dans son FRP. Elle soutient que l'hospitalisation était la suite logique à ce qui s'était passé. Selon son FRP, elle est rentrée à la maison et a trouvé sa mère baignant dans une mare de sang après avoir subi une MGF contre son gré. Elle soutient qu'il est évident qu'une personne dans cet état doit être hospitalisée. Par conséquent, une conclusion défavorable concernant la crédibilité ne peut être tirée contre elle simplement parce que son FRP ne fait pas mention de l'hospitalisation. Selon elle, la Commission a agi de manière manifestement déraisonnable en mettant sa crédibilité en doute parce qu'elle a omis de mentionner l'hospitalisation de sa mère dans son FRP (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.F.)).

[37]            Le défendeur répond que la Commission pouvait raisonnablement tirer les conclusions relatives à la crédibilité auxquelles elle est arrivée. Ces conclusions ont été exposées de manière détaillée par la Commission dans ses motifs.

[38]            La demanderesse prétend ensuite que la Commission a commis une erreur en considérant l'ensemble de la secte Mungiki comme l'agent de persécution. Elle dit que c'est son oncle, qui se trouve être un membre de cette secte, qui est l'agent de persécution. Elle soutient que l'analyse de la preuve documentaire et de la question de la protection de l'État effectuée par la Commission repose à tort sur l'idée que l'agent de persécution est la secte Mungiki. Selon elle, la preuve documentaire confirme l'inaction de l'État lorsque des femmes sont victimes de la violence d'un membre de leur famille. La demanderesse cite à cet égard un rapport d'Amnesty International qui indique notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] La famille est considérée par de nombreuses personnes comme étant un domaine privé dans lequel les autorités ne devraient pas intervenir. Un avocat des droits de la personne a dit à Amnesty International que « le Kenya est une société patriarcale où le Parlement est dominé par les hommes, et [les MGF] sont réputées être des questions familiales » .


La plupart des policiers considèrent la violence exercée à la maison comme une affaire privée et agissent de manière discriminatoire à l'égard des femmes [...] Les femmes qui demandent l'aide de la police sont souvent mal à l'aise, ridiculisées et insultées. Les policiers leur font aussi sentir qu'elles leur font perdre leur temps.

[39]            La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur quand elle a déclaré que son témoignage « ne concorde pas du tout avec la preuve documentaire dont est saisi le tribunal » . Elle dit que la Commission a mal compris le fondement de sa demande d'asile et la preuve documentaire et qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents qui lui avaient été correctement présentés.

[40]            Le défendeur fait valoir que la Commission a examiné de façon approfondie tous les éléments de preuve dont elle disposait et a reconnu que, bien qu'il existe encore certains problèmes, une personne se trouvant dans la situation de la demanderesse peut bénéficier de la protection de l'État, compte tenu des conditions générales existant au Kenya. Il fait valoir que la Commission est un tribunal spécialisé possédant une expertise dans son domaine et que la Cour ne devrait pas apprécier de nouveau la preuve ou substituer son opinion à celle de la Commission (voir Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 875; Husyn c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1218 (C.A.F.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1207 (C.F. 1re inst.))


Évaluation d'une PRI

[41]            La demanderesse soutient finalement que l'évaluation que la Commission a faite de la question de la PRI était déraisonnable. Selon elle, les motifs de la Commission selon lesquels elle est « bien qualifiée » et a l'appui de ses parents sont trop simplistes. Elle dit que la Commission n'a pas tenu compte de son état émotif ou du fait que les agents de persécution, en particulier son oncle, pouvaient aller à Mombassa (là où la Commission a jugé qu'il existait une PRI).

[42]            La demanderesse rappelle également la conclusion figurant dans le rapport d'Amnesty International selon laquelle le Kenya est une société patriarcale. Ce rapport indique aussi que [traduction] « la pauvreté des femmes, combinée à un manque de solutions de rechange en matière de logement, fait en sorte qu'il est difficile pour elles d'échapper à la violence familiale » . Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en négligeant des éléments de preuve pertinents.

[43]            Le défendeur répond que les prétentions de la demanderesse ont trait au changement de la situation au Kenya. Il cite Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 35 (C.A.F.), où la Cour a dit au paragraphe 2 :


Nous ajouterions que la question du « changement de situation » risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun « critère » juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme « important » , « réel » et « durable » n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.

[44]            Le défendeur dit que, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission a agi de manière raisonnable en concluant que la demanderesse avait une PRI à Mombassa et qu'elle pouvait obtenir une protection adéquate de la part de l'État au Kenya.

ANALYSE

[45]            Lors de l'audience du 21 octobre 2004, à Toronto, l'avocat de la demanderesse a reconnu qu'il y avait des problèmes avec la preuve produite par celle-ci, mais que, malgré cela, la décision de la Commission ne pouvait être fondée uniquement sur la question de la crédibilité étant donné que la Commission s'était elle-même contredite sur cette question et que sa décision n'était étayée par aucun motif clair. En d'autres termes, la demanderesse affirme que le raisonnement suivi par la Commission au regard de la protection de l'État et de la PRI est entaché d'erreurs et que la décision dans l'ensemble ne permet pas de savoir clairement pour quels motifs sa demande a été rejetée.


[46]            Il s'agissait d'une tentative courageuse et habile de l'avocat de la demanderesse pour sauver la demande parce qu'il est évident que la crédibilité de la preuve de la demanderesse suscite de sérieux doutes. Si la décision précise que la crédibilité constitue un motif particulier, je ne crois pas que les conclusions de la Commission peuvent être mises en doute; la décision doit alors être maintenue. Par contre, si celle-ci est notamment fondée sur un manque de crédibilité, il n'est pas nécessaire d'examiner la façon selon laquelle la Commission a traité de la protection de l'État ou de la PRI.

[47]            La décision de la Commission comporte deux parties importantes : l'une portant sur la crédibilité et l'autre sur la question de la possibilité de refuge intérieur (PRI). Dans la partie traitant de la crédibilité, la Commission se sert de la preuve documentaire sur la protection de l'État pour mettre en doute l'affirmation de la demanderesse selon laquelle son père n'a pas demandé l'aide de la police parce que le Kenya n'offre aucune protection dans son cas.

[48]            Au début de ses motifs, la Commission indique : « La principale question à trancher en l'espèce est de savoir s'il est vraisemblable que l'oncle de la demandeure et les Mungiki voulaient la circoncire de force, et si la demandeure peut se prévaloir de la protection de l'État. » Il y a donc une certaine confusion quant au lien qui est établi dans la décision entre la protection de l'État et la PRI et entre la protection de l'État et la crédibilité. La Commission aurait certainement pu faire une meilleure distinction entre les différents motifs de sa décision.


[49]            Lorsque je considère la décision dans son ensemble cependant, je suis convaincu que la crédibilité est un motif distinct. En fait, la Commission écrit, à la page 10 de sa décision : « Comme il a jugé non crédible la demande d'asile de la demandeure, le tribunal conclut que la demande n'est pas fondée selon le paragraphe 97(1) de la LIPR. » Je suis convaincu que, même si la Commission ne l'a pas dit expressément, elle a considéré la PRI comme un motif séparé dans le sens où, même si elle pouvait ajouter foi au récit de la demanderesse, celle-ci avait toujours une PRI raisonnable à Mombassa. L'analyse des questions de la protection de l'État et de la PRI qui a été effectuée en l'espèce n'est pas incompatible avec les doutes que la Commission avait au sujet de la crédibilité ou n'y change rien.

[50]            La Commission avait de sérieux doutes au sujet de la crédibilité de la demanderesse en l'espèce. Elle en a fait état et a expliqué clairement pourquoi elle rejetait l'affirmation de la demanderesse selon laquelle elle avait été et serait une cible pour son oncle et pour la secte ou la tribu Mungiki. La demanderesse n'a pas tenté de convaincre la Cour que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité n'étaient pas fondées ou étaient manifestement déraisonnables ou même déraisonnables. Il existait des problèmes graves au regard des éléments essentiels de son récit concernant la persécution dont elle aurait été victime.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est soulevée à des fins de certification.

                                                                                  « James Russell _                       

                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-10068-03

INTITULÉ :                                                             CATHERINE WAITHERA NDERITU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 21 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 19 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Anthony Kako                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Marina Stefanovic                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Kako                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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