Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200729


Dossier : IMM‑483‑19

Référence : 2020 CF 799

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ADETUTU SANDRA OLUSOLA

AYOMIKUN ABIGAEL OLUSOLA

TEMILOLUWA MARY OLUSOLA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Adetutu Sandra Olusola et ses deux filles (les demanderesses ou les Olusola) demandent l’asile en raison des menaces de mutilations génitales féminines (MGF) et des allégations de sorcellerie formulées par la famille de son époux à Lagos, au Nigéria. L’un des oncles de M. Olusola, qui aurait des liens politiques, a été particulièrement virulent dans ses menaces. La Section d’appel des réfugiés (la SAR) a conclu que les Olusola avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Port Harcourt, au Nigéria, et a refusé leur demande d’asile.

[2]  Les Olusola allèguent que le refus est déraisonnable et elles demandent le contrôle judiciaire de ce refus. Elles affirment que la SAR n’a pas appliqué la bonne norme juridique dans son évaluation de l’oncle et de la police nigériane en tant qu’agents de persécution et qu’elle a rendu des conclusions non étayées par les éléments de preuve. Elles affirment également que la conclusion de la SAR selon laquelle il était raisonnable pour elles de déménager à Port Harcourt ne tenait pas adéquatement compte du rapport d’un psychologue et de la preuve concernant la situation défavorable dans le pays, en particulier en ce qui concerne la discrimination à l’égard des non‑indigènes de Port Harcourt.

[3]  Je conclus que la décision de la SAR était raisonnable. La conclusion de la SAR selon laquelle les Olusola n’ont pas démontré que l’oncle pouvait les poursuivre à Port Harcourt, ou que la police était intéressée ou capable de le faire, reposait sur une évaluation raisonnée et justifiée des éléments de preuve. De même, la conclusion de la SAR selon laquelle il était raisonnable pour les Olusola de déménager à Port Harcourt était fondée sur un examen approfondi de la preuve pertinente, y compris le rapport du psychologue ainsi que la preuve de la situation dans le pays, et sur son évaluation selon laquelle cette preuve était insuffisante pour atteindre le seuil élevé requis pour établir que Port Harcourt était une PRI déraisonnable. Il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion d’après le dossier, et elle repose sur des motifs raisonnables.

[4]  La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  La question en litige et la norme de contrôle applicable

[5]  La question déterminante est la conclusion de la SAR selon laquelle les Olusola ont une PRI viable à Port Harcourt. Les parties conviennent que la Cour doit procéder au contrôle judiciaire de cette conclusion selon la norme de la décision raisonnable : Okohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305 aux para 9 et 10; voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16 et 17, et 23 à 25, qui, bien qu’elle ait été entendue après la présentation des plaidoiries en l’espèce, confirme que la norme de la décision raisonnable s’applique.

[6]  Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable exige que la Cour établisse si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision « est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov, aux para 99 à 101, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux para 47 et 74. La Cour ne doit pas substituer son point de vue sur les éléments de preuve ou les pondérer de nouveau, mais plutôt faire preuve de déférence envers l’évaluation de ces questions par la SAR ainsi que sa décision à savoir si la PRI proposée est raisonnable.

III.  Les possibilités de refuge intérieur : principes généraux

[7]  Si un demandeur d’asile peut se réinstaller en toute sécurité et raisonnablement dans son pays de nationalité, il doit le faire plutôt que de demander l’asile au Canada. La notion d’une PRI est inhérente dans la définition d’un réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, aux pages 592 et 593. De même, l’objet du critère de la PRI aide à évaluer le risque de préjudice au titre de l’article 97, étant donné qu’une personne à protéger doit être exposée au risque identifié « en tout lieu de ce pays » : Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 16; LIPR, sous‑alinéa 97(1)b)(ii). Par conséquent, si un demandeur d’asile a une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande : Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502 aux para 45 et 46.

[8]  Pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne sera pas exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse ») ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Thirunavukkarasu, aux pages 595 à 597; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, aux para 10 à 12.

[9]  Les deux « volets » du critère doivent être remplis pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable. Le seuil du deuxième volet du critère de la PRI est élevé. Il faut « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15. Lorsque l’existence d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de démontrer qu’elle n’est pas viable : Thirunavukkarasu, aux pages 594 et 595.

IV.  La possibilité de refuge intérieur à Port Harcourt

[10]  La SAR a adopté le cadre exposé ci‑dessus pour son analyse, en évaluant les deux volets du critère relatif à la PRI. Les Olusola contestent les conclusions de la SAR sur chacun des deux volets, et ce, pour plusieurs motifs.

A.  Le premier volet : l’absence d’une possibilité sérieuse de persécution à Port Harcourt

[11]  La SAR a conclu que les Olusola ne se sont pas acquittées de leur fardeau de démontrer qu’elles seraient exposées à une possibilité sérieuse ou à une probabilité raisonnable de persécution à Port Harcourt. Plus précisément, elle a conclu que les Olusola n’avaient pas établi que (1) la famille de M. Olusola avait la capacité ou les ressources nécessaires pour les localiser à Port Harcourt, ou (2) que la police nigériane continuait de chercher Mme Olusola ou pouvait localiser la famille à Port Harcourt.

(1)  La famille de M. Olusola

[12]  Les Olusola affirment qu’après un décès dans la famille, un oracle nigérian a accusé Mme Olusola d’être une sorcière et a blâmé la mort sur le fait que ses filles n’avaient pas subi de MGF. La famille de M. Olusola a jeté le blâme sur Mme Olusola et a déclaré que la famille mettrait en œuvre son plan de faire subir à ses deux filles la MGF contre leur volonté et celle de leur père et de leur mère. Peu de temps après, la famille est partie au Canada pour un voyage qui était déjà prévu. M. Olusola est revenu à la fin du voyage pour essayer de raisonner sa famille et s’assurer que Mme Olusola serait en sécurité à son retour, pendant qu’elle et les enfants sont demeurées au Canada. La famille de M. Olusola est restée campée sur ses positions et a signalé à la police que Mme Olusola était une sorcière. Cela a amené la police à interroger M. Olusola pendant deux heures au sujet des allées et venues de Mme Olusola.

[13]  Au cours de l’audition de la demande d’asile des Olusola, on a demandé à Mme Olusola si son époux avait un parent lié au gouvernement ou à la police. Elle a répondu que son oncle travaillait à temps partiel avec les politiciens pendant les périodes électorales, en organisant les affaires et en les conduisant pendant les campagnes. Lorsque la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a soulevé le potentiel d’une PRI à Port Harcourt, Mme Olusola a déclaré que la famille pouvait les trouver en suivant M. Olusola de son travail à Lagos à Port Harcourt lorsqu’il les visiterait. Elle a aussi mentionné que la famille pouvait les trouver par l’intermédiaire d’amis et du téléphone.

[14]  La SPR semble avoir interprété la référence aux liens politiques de l’oncle comme un argument selon lequel la famille ne pouvait pas déménager à Port Harcourt puisque l’oncle pouvait utiliser ses liens politiques pour les y localiser. Lors de l’examen par la Cour de la transcription de la SPR, cet argument ne semble pas avoir été formulé expressément par Mme Olusola ou par son conseil. Cependant, devant la SAR et la Cour, les Olusola ont soutenu qu’il y avait des éléments de preuve étayant la capacité de l’oncle à se servir de ses liens pour localiser la famille à Port Harcourt.

[15]  Le SAR a examiné la preuve sur cette question et a conclu qu’elle était insuffisante pour établir que l’oncle avait le pouvoir ou les ressources nécessaires pour poursuivre les Olusola à Port Harcourt. La SAR a noté que le témoignage de Mme Olusola sur la question « évoluait et n’était pas cohérent » et qu’il fournissait « peu de détails ».

[16]  Les Olusola soutiennent que cette conclusion était déraisonnable. Elles affirment, en s’appuyant sur la décision rendue par la Cour dans l’affaire Henguva, que leur fardeau consiste seulement à présenter les ressources que leurs agents de persécution peuvent utiliser pour les localiser, et non à montrer exactement comment ces agents le feraient, ou ce qu’ils « pourraient » faire : Henguva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 483, au para 16.

[17]  Je n’interprète pas les motifs de la SAR comme exigeant des Olusola qu’elles démontrent que leurs persécuteurs « seraient » en mesure de les retrouver à Port Harcourt, ou comme leur imposant une norme de preuve indûment élevée par ailleurs. Au contraire, la SAR a conclu que les éléments de preuve limités concernant la capacité de l’oncle ou de tout autre membre de la famille de les localiser à Port Harcourt étaient insuffisants pour établir que les Olusola y seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution. Bien que les Olusola aient attiré l’attention sur la preuve limitée produite par Mme Olusola au sujet de l’existence de certains liens politiques de l’oncle, la SAR n’était pas obligée de souscrire à la prétention selon laquelle cette preuve appuyait une capacité de les localiser à Port Harcourt ou une possibilité de persécution. Cela n’équivaut pas à imposer une norme de preuve incorrecte aux Olusola.

[18]  Les Olusola soutiennent également qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de confirmer la conclusion de la SPR après avoir conclu que cette dernière avait commis une erreur en tirant des conclusions quant à la crédibilité. La SPR avait tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité parce que ni les formulaires de fondement de la demande d’asile des Olusola ni un bref affidavit déposé par M. Olusola ne mentionnaient les liens politiques de l’oncle. La SAR a conclu qu’il s’agissait d’une erreur, étant donné que la SPR n’avait pas demandé à Mme Olusola ce qu’elle avait à dire à ce sujet au cours de l’audience. Néanmoins, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses disposaient d’une PRI, car elle a conclu que les éléments de preuve ne suffisaient pas à établir l’existence d’une grave possibilité de persécution aux mains de la famille. Les Olusola soutiennent que la SAR n’aurait pas dû permettre que la conclusion de la SPR concernant la PRI soit maintenue, compte tenu des erreurs commises par la SPR.

[19]  À mon avis, cet argument est le fruit d’une mauvaise compréhension du rôle de la SAR. Lorsque la SAR conclut que la SPR a commis une erreur, elle est habilitée à rendre sa propre décision, et elle est aussi tenue de le faire, à moins qu’elle n’en arrive à la conclusion qu’elle ne peut rendre une décision sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR : art 111 de la LIPR. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, « [s]i une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement » [non souligné dans l’original] : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au para 78. C’est exactement ce que la SAR a fait en l’espèce.

[20]  Je ne souscris pas non plus à la prétention des Olusola selon laquelle la SAR a commis la même erreur que la SPR en faisant référence à l’insuffisance de la preuve produite par M. Olusola au sujet des liens de l’oncle. Elles font valoir que, ce faisant, la SAR a tiré une inférence défavorable concernant la crédibilité fondée sur ce que les éléments de preuve à l’appui ne disaient pas, ce qui va à l’encontre des principes énoncés dans la décision Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8019 (CF), au para 111. Toutefois, la SAR n’a expressément pas tiré les mêmes inférences défavorables concernant la crédibilité que celles tirées par la SPR. Au contraire, comme le ministre l’a fait remarquer, la SAR a simplement fait remarquer que l’affidavit « extrêmement succinct » de M. Olusola n’apportait pas de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle les agents de persécution pourraient poursuivre les Olusola jusqu’à Port Harcourt. La SAR a donc conclu que les Olusola ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau d’établir qu’elles étaient exposées à une sérieuse possibilité de persécution. Il est raisonnable pour un tribunal de faire remarquer qu’un affidavit à l’appui ne contient aucune information sur une question lorsqu’il conclut que la preuve produite par le demandeur d’asile n’est pas suffisante pour qu’il puisse s’acquitter de son fardeau de preuve quant à cette question.

[21]  Par conséquent, je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur dans son évaluation des membres de la famille de M. Olusola à titre d’agents de persécution.

(2)  La police nigériane

[22]  Les Olusola ont aussi soutenu que la police nigériane cherche Mme Olusola en raison des allégations de sorcellerie formulées par la famille de M. Olusola. Elles allèguent que la police a accès à une base de données informatique nationale qui lui permettra de la retrouver à Port Harcourt. Elles citent des dispositions du Code pénal nigérian qui stipulent que le fait de se considérer comme une sorcière et d’accuser les autres d’être une sorcière constitue des délits passibles de deux ans d’emprisonnement. Elles affirment que cela démontre que la police traite la sorcellerie avec sérieux et qu’elle poursuivrait Mme Olusola.

[23]  La SAR a conclu que les Olusola ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau d’établir qu’elles seraient exposées à une possibilité sérieuse de persécution à Port Harcourt. Elle a reconnu l’existence d’un réseau informatique national, mais a conclu que les éléments de preuve n’établissaient pas que la police pouvait localiser les Olusola à Port Harcourt à l’aide de ce réseau, puisque la preuve ne précisait pas quels renseignements étaient inclus dans le réseau. Elle a souligné que la police n’avait accusé Mme Olusola d’aucune infraction et que cette dernière n’avait pas corroboré son affirmation selon laquelle la police la recherchait. La SAR a également conclu qu’elle se serait raisonnablement attendue à ce que M. Olusola corrobore l’allégation selon laquelle il avait été interrogé pendant deux heures, chose qu’il n’a pas faite dans son affidavit. Quoi qu’il en soit, Mme Olusola a relaté dans son témoignage qu’après cet interrogatoire allégué, personne n’a tenté de communiquer avec M. Olusola ni de l’interroger. La SAR a donc conclu que Mme Olusola n’avait pas établi que la police avait été à sa recherche et que, si elle l’avait été, ses recherches avaient cessé depuis.

[24]  Les Olusola soutiennent que la SAR n’a pas sérieusement analysé leur allégation selon laquelle la police nigériane était un agent de persécution et qu’elle n’a pas tranché la question de savoir si les agents de police pouvaient être considérés comme des persécuteurs. Ces arguments ne sont pas convaincants. La SAR a traité avec suffisamment de détails des allégations des Olusola quant à cette question et a examiné les éléments de preuve présentés à l’appui. La conclusion de la SAR selon laquelle l’allégation n’a pas été établie ne constitue pas un fondement pour conclure qu’elle n’a pas été sérieusement prise en considération.

[25]  Les Olusola soutiennent également que la « présomption de véracité » exigeait que la SAR accepte la déclaration de Mme Olusola selon laquelle la police la poursuivait, même en l’absence de preuves corroborantes : Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA) à la page 305. Toutefois, la présomption établie dans l’arrêt Maldonado est simplement qu’un témoin assermenté dit la vérité. Il ne s’agit pas d’une présomption selon laquelle tout ce que le témoin croit être vrai, mais dont il n’a aucune connaissance directe, est en fait vrai. Mme Olusola n’avait aucune connaissance personnelle des faits qui établiraient l’intérêt continu de la police nigériane à la poursuivre. Mme Olusola avait une connaissance indirecte, tirée de son mari, que la police avait interrogé ce dernier à propos de ses allées et venues et qu’elle n’avait pas tenté par la suite de la retrouver. Bien qu’elle ait pu croire avec sincérité que la police la poursuivait, la présomption établie dans l’arrêt Maldonado n’exige pas que la SAR accepte cet énoncé comme étant objectivement vrai.

[26]  Les Olusola soutiennent en outre que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur l’absence de preuve corroborante. Elles citent les propos énoncés par le juge Rennie, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans la décision Ndjavera à l’appui du principe selon lequel « la demanderesse n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité qui soit uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes » Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, aux para 6 et 7. Toutefois, la conclusion de la SAR n’était pas une conclusion défavorable concernant la crédibilité, mais plutôt une conclusion selon laquelle la propre déclaration de Mme Olusola selon laquelle la police la poursuivait, en l’absence d’autres éléments de preuve dans un contexte où on s’attendrait à ce qu’elle en produise, était insuffisante pour établir l’existence d’un risque de persécution aux mains de la police à Port Harcourt. Comme l’a fait remarquer le juge Southcott dans la décision Kassim, « [i]l ne s’agit pas d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité ou contraire au principe décrit précédemment concernant les éléments de preuve corroborants, car le témoignage de Mme Kassim démontrait uniquement sa croyance, et non des faits étayant cette croyance » : Kassim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 621, au para 22.

[27]  Ensuite, les Olusola contestent la conclusion de la SAR selon laquelle la police, bien qu’elle ait cherché les Olusola, ne les cherche plus. Elles décrivent cette conclusion comme étant [TRADUCTION« sans fondement », en indiquant qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui, et que tant qu’il n’y a pas eu de déclaration de la police confirmant que l’enquête était terminée, aucune conclusion de ce genre ne pouvait être tirée. Je ne suis pas d’accord. La SAR a mentionné l’absence de tout autre contact dans les dix mois qui ont suivi l’unique interrogatoire, ce qui n’a pas été contesté. En déduire que tout intérêt de la part de la police avait disparu est une conclusion raisonnable que la SAR peut tirer dans les circonstances et que la Cour ne devrait pas modifier.

[28]  Enfin, les Olusola soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de corroboration quant à l’existence et au contenu d’un réseau informatique de la police au Nigéria. Elles allèguent que les renseignements contenus dans le cartable national de documentation (CND) au sujet du réseau informatique de la police auraient dû suffire à la SAR pour croire en son existence en tant que ressource qui pourrait permettre à la police de localiser les Olusola n’importe où au Nigéria, y compris à Port Harcourt. Cependant, le fait que le CND fasse mention d’un réseau informatique national ne démontre pas que la police nigériane avait la capacité ou l’intérêt de trouver les Olusola à Port Harcourt. Les Olusola demandent essentiellement à la Cour de réévaluer les éléments de preuve concernant le réseau et de parvenir à une conclusion différente, ce qui n’est pas la fonction de la Cour lors d’un contrôle judiciaire.

[29]  Par conséquent, je conclus que les Olusola n’ont pas établi que l’évaluation du premier volet du critère de la PRI par la SAR était déraisonnable.

B.  Le deuxième volet : Le caractère raisonnable de la réinstallation à Port Harcourt

[30]  Les Olusola ont soutenu devant la SPR et la SAR qu’il ne serait pas raisonnable qu’elles déménagent à Port Harcourt. Elles se sont appuyées sur la preuve du CND qui traitait de la situation dans le pays concernant le chômage, le coût de la vie et la discrimination à l’égard des non‑indigènes à Port Harcourt. Elles ont également déposé, à l’appui de leur dossier, le rapport d’un psychologue portant que Mme Olusola satisfait aux critères diagnostiques relativement aux troubles dépressifs majeurs de gravité modérée et au trouble de stress post‑traumatique, et qu’elle a besoin d’un traitement de santé mentale.

[31]  Les Olusola allèguent que la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de ces éléments de preuve et que cela rendait déraisonnable sa conclusion sur le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses.

(1)  La preuve relative à la situation dans le pays

[32]  Les Olusola ont présenté à la SAR [TRADUCTION« une foule de facteurs » qui constitueraient des obstacles à leur réinstallation réussie à Port Harcourt. Il s’agissait notamment d’obstacles à la recherche d’un emploi, en particulier pour les non‑indigènes comme eux, et du coût élevé de la vie à Port Harcourt. En particulier, au cours de son audience, Mme Olusola s’est dite préoccupée par le fait que son mari, qui exploite une entreprise de meubles prospère à Lagos, serait victime de discrimination en tant que non‑indigène s’il tentait de déménager ou d’établir une entreprise semblable à Port Harcourt.

[33]  Le SAR a conclu que, bien que les Olusola puissent faire face à une certaine discrimination en tant que non‑indigènes, cela n’irait pas « jusqu’à faire de Port Harcourt une PRI déraisonnable ». Elle a cité une réponse à la demande d’information selon laquelle, dans les grandes villes comme Port Harcourt, le statut d’indigène est moins important que dans d’autres régions du Nigéria en ce qui concerne l’accès aux emplois publics et la propriété de la terre et que « les non‑indigènes peuvent généralement trouver un emploi au sein d’autres industries où il y a une demande ». À son avis, cette difficulté n’atteignait pas le seuil très élevé du deuxième volet de l’analyse relative à la PRI.

[34]  De plus, la SAR a fait remarquer que Mme Olusola est une personne bien instruite qui a travaillé dans un milieu professionnel et qui a voyagé à l’étranger, ce qui devrait faciliter, pour elle et sa famille, le déménagement à Port Harcourt et leur établissement dans cette ville. Dans le même sens, la SAR a conclu que le coût élevé de la vie ne faisait pas de Port Harcourt une PRI déraisonnable. Bien que la SAR ait reconnu que le coût de la vie est élevé, elle croit néanmoins que la famille a des ressources financières ou a « démontré la capacité de gagner [sa] vie », étant donné qu’elle « [dispose] d’une entreprise familiale prospère et de ressources financières pour voyager à l’étranger dans des pays comme le Canada, les États‑Unis, la Chine et la Turquie ».

[35]  Les Olusola soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant qu’elles n’avaient pas établi que leur réinstallation à Port Harcourt serait déraisonnable. Elles mettent en évidence des éléments de preuve précis dans le CND que la SAR n’a pas mentionnés, en faisant valoir que la SAR s’était fondée de façon sélective sur des renseignements provenant du CND qui appuyaient son raisonnement sans tenir compte de renseignements contradictoires. Elles soutiennent que la conclusion de la SAR contredit les éléments de preuve dont elle était saisie, et constitue une conjecture qui ne saurait résister à l’examen : Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 519, au para 24.

[36]  La SAR n’a pas agi de façon déraisonnable dans son évaluation de la preuve des conditions dans le pays. Elle a examiné les éléments de preuve, mais a fait remarquer que les facteurs présentés par les Olusola – à savoir leur emploi, leur coût de la vie, leur statut de non‑indigène – ne constituaient pas des conditions qui mettraient en danger leur vie et leur sécurité lors de leurs déplacements ou de leur réinstallation temporaire dans une zone sûre.

[37]  Les Olusola soulèvent, dans le cadre du contrôle judiciaire, un certain nombre de documents et de passages du CND qu’elles n’avaient pas mentionnés ou sur lesquels elles ne s’étaient pas appuyées dans leurs observations devant la SAR. À ce titre, je conclus que les Olusola ne sont pas dans une bonne position pour reprocher à la SAR à ce stade‑ci de ne pas avoir suffisamment renvoyé à ces documents. Cela inclut leur argument au sujet de l’importance de passages dans le CND qui laissent entendre que [TRADUCTION« le système de l’indigénéité a pour effet de refuser le droit à la pleine citoyenneté aux allogènes ». Les Olusola n’ont pas soulevé ce passage auprès de la SAR ni soutenu qu’il était pertinent relativement à leur situation ou au caractère raisonnable de Port Harcourt en tant que PRI. Dans de telles circonstances, il n’est pas déraisonnable pour la SAR d’avoir considéré le statut non indigène des Olusola sans citer ce passage particulier ou la préoccupation concernant les [TRADUCTION« droits de citoyenneté ».

[38]  Quoi qu’il en soit, les motifs de la SAR ne donnent pas à penser qu’elle a fait fi d’éléments de preuve allant à l’encontre de sa conclusion. En fait, elle a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve étayant l’existence de discrimination à l’égard des non‑indigènes et a cité des éléments de preuve à cet égard dans le CND, y compris des éléments de preuve que les Olusola n’avaient pas mentionnés dans leurs observations. Toutefois, la SAR a conclu que ces éléments de preuve étaient insuffisants pour satisfaire au seuil élevé du deuxième volet, surtout à la lumière des éléments de preuve selon lesquels le statut d’indigène est moins important à Port Harcourt.

[39]  En fin de compte, les observations des Olusola concernant les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays consistent en une tentative d’amener la Cour à pondérer les éléments de preuve de nouveau. Il ne s’agit pas d’un exercice auquel une cour de révision devrait se livrer lors d’un contrôle judiciaire : Matte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 761 aux para 115 et 116; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59 et 61.

[40]  De même, je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur dans son évaluation ou son interprétation de la situation personnelle des Olusola, et de l’effet de cette situation sur le fait que Port Harcourt représente une PRI raisonnable. La présente affaire est différente de celle dans la décision Ogundairo, sur laquelle les Olusola s’appuient pour invoquer le principe selon lequel la SAR commet une erreur dans son analyse relative à la PRI si elle ne tient pas compte d’un certain nombre de facteurs liés à la situation d’un demandeur : Ogundairo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 612. Dans cette affaire, le juge Campbell a conclu que la décision de la SAR selon laquelle il ne serait pas déraisonnable de la part de la demanderesse de chercher refuge à Abuja « a été faite de manière perverse », étant donné qu’elle avait tiré des conclusions non étayées par la preuve portant sur la situation personnelle de la demanderesse pour soutenir le caractère raisonnable de sa décision relative à la PRI : Ogundairo, aux para 24 à 32. En l’espèce, la SAR a fondé ses conclusions sur une représentation précise des circonstances personnelles des Olusola, et les Olusola ne laissent entendre nulle part que les faits sur lesquels la SAR s’est appuyée étaient inexacts.

(2)  La preuve psychologique produite par Mme Olusola

[41]  La SAR a évalué le rapport du psychologue sur Mme Olusola et a conclu que les Olusola n’avaient pas établi qu’elle souffrait de troubles psychologiques qui expliqueraient des omissions ou des contradictions dans la preuve ou qui rendraient déraisonnable la réinstallation à Port Harcourt. La SAR a souligné que le rapport était fondé sur « une évaluation ponctuelle d’environ 60 minutes » et que le médecin « [n’était] pas son psychologue traitant ». Elle a également conclu que le rapport « reprend les allégations de [Mme Olusola] et présente des énoncés génériques » et qu’il « n’indique qu’avec réserve que [Mme Olusola] [TRADUCTION] “satisfait aux critères diagnostiques” ». Pour ces motifs, la SAR a accordé un poids limité à ce rapport.

[42]  Les Olusola allèguent que la SAR n’a pas suffisamment tenu compte du rapport et qu’il s’agissait là d’un autre cas où la SAR n’a pas accordé suffisamment de force probante à la preuve favorisant la position des Olusola selon laquelle Port Harcourt n’était pas une PRI viable.

[43]  L’évaluation par le décideur du deuxième volet du critère relatif à la PRI peut être rendue déraisonnable si elle fait fi du rapport psychologique, ou des effets possibles d’une relocalisation sur la santé mentale : voir Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, au para 51, citant Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002, au para 13. Toutefois, une décision n’est pas déraisonnable lorsque la SAR tient compte de la preuve psychologique, l’évalue, et en explique le rejet au moyen d’explications raisonnables, par exemple lorsque le contenu d’un rapport psychologique soulève des questions qui ne sont pas pertinentes à l’analyse relative à la PRI : Olalere, aux para 53 à 55 et 60. Comme le souligne le ministre, bien que la SAR soit tenue d’examiner la preuve clinique, le fait d’être en désaccord avec cette preuve ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle : Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 293, au para 15.

[44]  En l’espèce, la SAR n’a pas ignoré la preuve psychologique. Elle a souligné que le rapport ne lui permettait pas d’établir que Mme Olusola souffrait d’un problème de santé qui rendait déraisonnable pour elle une réinstallation éventuelle à Port Harcourt. Cette conclusion ainsi que les motifs donnés à l’appui de celle‑ci étaient raisonnables dans les circonstances.

[45]  Par conséquent, je conclus que les Olusola n’ont pas établi que l’évaluation du deuxième volet de l’analyse relative à la PRI effectuée par la SAR était déraisonnable.

V.  Conclusion

[46]  Les Olusola n’ont pas été en mesure de démontrer que la décision de la SAR selon laquelle elles disposaient d’une PRI à Port Harcourt était déraisonnable. Leur demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Comme convenu par les deux parties lors de l’audience, l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑483‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑483‑19

 

INTITULÉ :

ADETUTU SANDRA OLUSOLA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

Akinwumi Reju

 

pour les demanderesses

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.