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                                                                                                                               Date : 200500914

 

                                                                                                                             Dossier : T-534-05

 

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1265

 

 

 

ENTRE :

 

                                                               CECIL BROOKS

 

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE PHELAN

 

[1]               Le procureur général du Canada (PGC), défendeur, a présenté une requête en radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé par le demandeur (Brooks) le 21 mars 2005, sollicitant subsidiairement une prorogation des délais impartis au PGC pour le dépôt de ses affidavits.

 


[2]               À l’appui de sa requête principale, le PGC fait valoir a) que la demande n’a aucune chance d’être accueillie étant donné que le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la mauvaise décision; et b) que la demande a été déposée hors délai quelle que soit par ailleurs la décision devant faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

 

CONTEXTE DE L’AFFAIRE

[3]               Brooks avait déposé, à l’encontre du ministère des Pêches et Océans, une plainte pour discrimination raciale. Il invoquait à l’appui de sa plainte : (1) le traitement injuste dont il a fait l’objet dans le cadre de son emploi; (2) la discrimination dont il a souffert en 1989 pour ce qui est de la liste d’admissibilité aux emplois; et (3) la discrimination dont il a souffert lors d’un concours tenu en 1992 et en 1993.

 

[4]               À l’amorce de l’audition devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), les questions relatives à la responsabilité et à la mesure de redressement ont été scindées.

 

[5]               Le 3 décembre 2004, le Tribunal s’est prononcé sur la question de la responsabilité, constatant que Brooks avait effectivement été victime de discrimination. Le Tribunal a par la suite convié les parties à déposer des observations à une date ultérieure. Bien qu’il ait scindé la question de la responsabilité de celle du redressement, le Tribunal a déclaré :

 

Il est peut‑être utile d’affirmer que je suis convaincu, compte tenu de la preuve qui m’a été soumise, que M. Brooks n’aurait pas obtenu un poste à durée indéterminée, même si le concours s’était déroulé de façon régulière. [...] Je crois donc que la question principale a trait au préjudice moral.

 


[6]               Une téléconférence a eu lieu le 15 décembre 2004 pour aborder la question du redressement. Au départ, s’agissant de savoir s’il y avait lieu, lors de l’examen de la question du redressement, d’évoquer la réintégration et la perte de revenus, le Tribunal a rappelé qu’il avait refusé d’ordonner la réintégration de Brooks, ayant décidé que celui-ci ne se serait pas vu confier un poste à durée indéterminée. Après avoir écouté les observations formulées par l’avocat de Brooks, le Tribunal a permis à celui-ci de présenter lui-même des observations sur le redressement qu’il convenait d’envisager.

 

[7]               Le 3 février 2005, le Tribunal a émis ses directives (reçues par Brooks le 4 février 2005) sur la question du redressement. Le Tribunal a réitéré sa position du 3 décembre 2004, c’est‑à‑dire que Brooks ne se serait pas vu confier un poste permanent. Il y a lieu de rappeler les termes mêmes de cette décision :

 

Ma position demeure fermement la même et je suis convaincu, selon la preuve dont je dispose, qu’un poste permanent n’aurait pas été donné à M. Brooks. Les faits ont été tranchés, la conclusion a été tirée et la doctrine du dessaisissement d’office s’applique. Je n’ai rien d’autre à ajouter sur la question.

 

[8]               Pour compléter la chronologie des faits, je précise que le 23 février 2005, une version modifiée de la décision du 3 février a été rendue dans laquelle le mot « ex » a été supprimé de l’expression « functus ex officio » susmentionnée. D’après Brooks, cela aurait eu pour effet de prolonger de 30 jours le délai dont il disposait pour demander le contrôle judiciaire de la décision. Or, la Cour a estimé que ce n’était pas le cas.

 


[9]               Le 21 mars 2005, Brooks a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du 3 février. Il demande à la Cour d’infirmer la décision par laquelle le Tribunal a conclu qu’il n’aurait pas obtenu un poste permanent.

 

[10]           À l’appui de sa requête en radiation, le PGC fait essentiellement valoir que cette demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie étant donné qu’elle est présentée hors délai. Elle est hors délai parce que la décision par laquelle le Tribunal avait conclu que Brooks n’obtiendrait aucun poste permanent remonte en fait au 3 décembre 2004.

 

[11]           Brooks n’a jamais demandé le contrôle judiciaire de la décision du 3 décembre 2004 alors que le PGC, lui, l’avait demandé en raison des conclusions principales du Tribunal portant que Brooks avait été l’objet de discrimination.

 

DÉCISION

Les chances de succès

[12]           Les principes de base applicables aux requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire ont été établis dans le jugement David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. [1994] A.C.F. no 1629 (CAF) (QL). Dans ce jugement, la Cour a reconnu qu’à moins de circonstances exceptionnelles, une demande de contrôle judiciaire ne doit pas être radiée à moins qu’elle n’ait « aucune chance d’être accueilli[e] ».

 


[13]           Cette décision, ainsi que d’autres jugements portant sur la même question, et même l’affaire Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 686 – portant sur un retard de 20 ans – s’intéressaient non pas au respect des délais prescrits mais au bien‑fondé de la demande de contrôle judiciaire. Le respect des délais est une autre question.

 

[14]           À l’appui de sa requête, le PGC fait valoir que la décision contestée par Brooks est en fait celle du 3 décembre 2004, et que le demandeur agit donc hors délai. Le PGC ne soutient pas – ni ne devrait le faire au stade où nous en sommes – que la demande présentée par Brooks n’a aucune chance d’être accueillie sur le fond.

 

[15]           Les questions soulevées par Brooks – c’est-à-dire le fait que la décision du 3 décembre 2004 portait sur un des aspects d’un éventuel redressement alors qu’elle ne devait porter que sur la question de la responsabilité, et l’autorisation obtenue par Brooks pour présenter des observations après le 3 décembre 2004, sur la question de sa réintégration et d’autres questions ayant trait au bien‑fondé de sa demande de contrôle judiciaire – devraient être tranchées par le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire, si elle est instruite.

 


[16]           Il n’y a pas lieu d’accueillir pour le moment la requête en radiation au motif que la demande de contrôle judiciaire n’aurait « aucune chance d’être accueillie », d’autant plus que Brooks a obtenu gain de cause sur la question de la responsabilité. Il a de fait pu démontrer qu’il avait subi une discrimination; il convient donc de ne pas lui retirer la possibilité de contester la réparation.

 

[17]           Pour ces motifs, la requête présentée par le PGC ne peut être accueillie.

 

Le respect des délais

[18]           Outre la question du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, il existe une seconde question qui est celle de savoir si cette demande a été déposée en temps opportun.

 

[19]           Il est clair que si la décision contestée en l’espèce est celle du 3 décembre 2004, Brooks agit hors délai. Mais Brooks soutient que la décision pertinente en l’espèce est celle du 3 février 2005 et que, dans la mesure où une version modifiée a été rendue le 24 février 2005, sa demande de contrôle judiciaire a été déposée dans les délais impartis.

 

[20]           La version modifiée de la décision n’a apporté aucun changement important aux conclusions précédemment tirées. Elle n’a fait que corriger une erreur de grammaire et ne s’est aucunement substituée à la décision du 3 février. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est hors délai quelle que soit la décision en cause.

 


[21]           Parmi les documents produits par Brooks dans le cadre de la présente requête en radiation, on trouve l’affidavit d’un adjoint juridique du cabinet de son avocat exposant les motifs du retard intervenu dans le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Citons, parmi ces motifs, un exposé des difficultés personnelles considérables éprouvées par Brooks. Correctement présentés dans le cadre d’une requête, ces motifs justifieraient peut-être une ordonnance autorisant le dépôt hors délai de la demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           Étant donné que le Tribunal a rendu deux décisions interreliées, Brooks souhaitera peut‑être solliciter une ordonnance autorisant le dépôt tardif d’une demande de contrôle judiciaire visant chacune de ces deux décisions, dans la mesure où une telle ordonnance permettrait de s’assurer que la Cour soit saisie des questions véritablement en jeu.

 

[23]           Normalement, le PGC pourrait obtenir de la Cour qu’elle ordonne la radiation de la demande de contrôle judiciaire étant donné que celle-ci a été déposée hors délai. Il convient cependant en l’espèce de reporter une telle ordonnance, à condition que Brooks sollicite les ordonnances judiciaires lui permettant de déposer tardivement les demandes de contrôle judiciaire qu’il estime nécessaires. Cela devrait pouvoir se faire dans le cadre de la procédure prévue par la règle 369, et la demande devrait être déposée dans les 30 jours à compter de l’ordonnance rendue dans le cadre de la présente requête.

 

[24]           La Cour rendra une ordonnance radiant la demande pour non-respect des délais prescrits, à moins que Brooks ne sollicite les ordonnances judiciaires qui s’imposent.

 


[25]           Étant donné les résultats de la présente requête, il n’y a pas lieu de rendre une ordonnance accordant au PGC un délai supplémentaire pour le dépôt de ses affidavits.

 

[26]           Vu les résultats mitigés de la présente requête, il n’y aura aucune adjudication des dépens.

 

 

           « Michael L. Phelan »        

Juge                         

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                                                             

 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-534-05

 

INTITULÉ :                                                   CECIL BROOKS

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 JUILLET 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 SEPTEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Davies Bagambiire                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa R. Cameron                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davies Bagambiire                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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