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Date : 20060217

Dossier : T-2207-04

Référence : 2006 CF 216

Ottawa (Ontario), le 17 février 2006

En présence de l'honorable juge Harrington

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

ANDRÉE GAGNON

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La défenderesse, Andrée Gagnon, était déçue lorsqu'elle n'a pas reçu la promotion pour laquelle elle avait postulé au sein de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). Bien qu'elle avait plus d'expérience que l'autre candidate, elle a été informée, lors de sa session de rétroaction individuelle, qu'elle avait obtenu 538 points tandis que l'autre candidate en avait obtenu 539. La défenderesse a donc souligné que la carte de pointage semblait être erronée puisqu'il n'y avait aucune indication du facteur « expérience » alors que ce facteur avait été


énoncé de façon claire dans l'avis d'offre d'emploi. De plus, les règles de la compétition stipulent clairement que les candidats retenus doivent avoir obtenu une note de passage de 60% dans chaque catégorie alors que l'évaluation illustrait que l'autre candidate avait obtenu moins que 60% dans une catégorie. Par contre, selon les règles, Madame Gagnon avait obtenue les notes nécessaires.

[2]                En réponse à ses plaintes, Madame Gagnon a été informée qu'il y a eu une erreur administrative. Deux différents postes avaient été offerts simultanément mais dans le cadre de deux compétitions différentes. Or, les critères énoncés dans l'avis d'offre d'emploi pour le poste auquel Madame Gagnon avait postulé étaient réellement les critères pour l'autre poste.

[3]                Elle a donc entamé des procédures devant un « tiers indépendant » qui a conclu que l'employeur avait agit de façon arbitraire et qu'il a privé Madame Gagnon de l'emploi auquel elle avait droit. Le tiers indépendant a donc ordonné que cette dernière soit nommée rétroactivement au 9 juin 2003.

[4]                L'ADRC cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision du tiers indépendant, Jean-Claude Demers, c.r. Alors que l'ADRC avoue avoir agir de façon arbitraire, il prétend que Me Demers a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence en ordonnant que le poste soit accordé à la défenderesse. Selon l'ADRC et je cite :

« 16. Le tiers indépendant a pour mandat de réviser la décision prise à l'étape du placement uniquement. Il doit déterminer si l'employé a été traité de manière arbitraire ou non.

17. Lorsque le tiers indépendant a conclu qu'un placement s'est fait de façon arbitraire, il peut ordonner la correction des erreurs commises au cours de l'étape du placement, recommander la révocation de la nomination de l'employé ou, recommander qu'un autre gestionnaire participe à la prise de décision relative au placement. »

Détermination

[5]                Prenant en considération la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada,1999,       c-17 (la Loi), le Programme de dotation, les faits et les soumissions orales et écrites des parties, je conclue que le Procureur général du Canada, agissant au nom de l'ADRC, a raison de remettre en question l'ordonnance du tiers indépendant.

Analyse

[6]                La Loi établit l'ADRC comme étant une entité morale. Or, parmi ses autres tâches, l'ADRC est également responsable pour l'administration et la mise en exécution de la législation fiscale ce qui inclut la Loi sur les douanes, la Loi sur l'accise, et la Loi de l'impôt sur le revenu.

[7]                En ce qui concerne les ressources humaines, la Loi relative aux relations de travail dans les services publics stipule que l'ADRC est un organisme distinct. Cette dernière peut donc déterminer ses propres exigences en ce qui a trait à ses propre besoins ainsi que la répartition et l'utilisation efficace des ses ressources humaines et, ce, en vertu des articles 53(1) et 54(1) de la Loi.

« 50. L'Agence est un organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

"50. The Agency is a separate agency under the Public Service Labour Relations Act.

53. (1) L'Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.

54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés. »

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees."

[8]                Afin de satisfaire à ses responsabilités juridiques, les ressources humaines ont développé un programme détaillé qui inclut les : « Directive sur le processus de sélection/répertoire des candidats préqualifiés » , « Directive sur les recours en matière de dotation » et « Directives concernant la présentation et le traitement d'une demande de révision par un tiers indépendant (RTI) » .    Dans le cadre de ce processus global, il y a trois étapes à franchir, soit : 1) « Révision du profil des candidats pour les pré-requis » ; 2) « Étape de l'évaluation » ; et 3) « Étape de placement » . Madame Gagnon en était à la troisième étape. Étant donné qu'elle n'avait pas été choisie pour le poste, elle avait le droit d'entamer le processus de « rétroaction individuelle » , chose qu'elle a fait. Puisque ce processus n'avait pas été satisfaisant, elle avait donc le droit de procéder « soit à la révision de la décision ou à la révision par une tierce partie indépendante » . Madame Gagnon a opté d'entamer une révision par une tierce partie indépendante.

[9]                Les « motifs de recours » dans le cadre d'une révision par une tierce partie indépendante doivent être basés sur le fait que l'employé a « fait l'objet d'un traitement arbitraire » . Tel que mentionné ci-dessus, il est claire que Madame Gagnon a effectivement été traitée arbitrairement puisque l'employeur a modifié les critères d'embauche pour le poste suite à la distribution de l'avis d'offre d'emploi original.

[10]            En ce qui concerne le « recours » , la « Directive » stipule ce qui suit :

« En ce qui concerne la dotation, l'éventail de mesures correctives possibles peut comprendre :

·     Prescrire la correction de l'erreur dans le processus;

·     Recommander la révocation de la nomination de l'employé, s'il y a lieu;

·     Recommander qu'un autre gestionnaire soit impliqué dans la décision. »

[11]            La « Directive » en ce qui a trait au traitement d'une demande de révision par un tiers indépendant inclut un annexe qui établit la gamme des mesures correctives pour la dotation dans le cas d'une cessation d'emploi ou une rétrogradation non disciplinaire ainsi que le licenciement involontaire. Il importe de noter que dans les deux derniers cas, le tiers indépendant peut ordonner la réintégration de l'employé. Toutefois, la seule ordonnance permise dans le cas d'une dotation est la correction de l'erreur dans le processus.

La norme de contrôle

[12]            L'analyse de la norme de contrôle tel qu'énoncée dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, par rapport au plan de la Loi a été révisée à fond par la juge Dawson dans l'arrêt Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu) 2003 CFPI 667, [2003] A.C.F. no 924 (QL). Cependant, il est nécessaire de souligner que cette cause discutait particulièrement du stage préalable au processus de sélection alors que dans le présent dossier il s'agit du troisième stage du processus, soit l'étape du placement. La décision dans cet arrêt était primordialement influencée par les faits de la cause alors qu'en l'espèce l'ADRC met en cause une question de compétence ainsi que l'interprétation juridique des directives.

[13]            Madame Gagnon prétend que la norme de contrôle que cette Cour doit appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter. De plus, elle souligne que même si la norme de contrôle est celle de la décision correcte, la décision prise par le tiers indépendant était correcte. L'ADRC allègue que la norme de contrôle à appliquer, en l'espèce, est la décision correcte.

[14]            Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle énoncée dans l'arrêt Dr. Q, précité, au paragraphe 26, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels :

« la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit » .

[15]            Dans ce cas, il n'y a aucune clause privative ou un droit d'appel. Ceci permet donc à cette Cour d'invoquer sa compétence prévue par les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales de réviser les décisions de tribunaux fédéraux et autres tribunaux administratifs.

[16]            Il est probable que le tiers indépendant ait plus d'expertise que cette Cour en ce qui touche les questions de recrutement du personnel au sein de l'ADRC. Cette Cour doit accorder au tiers indépendant une déférence considérable pour ce qui est de la détermination que l'ADRC aurait agit de façon arbitraire. À vrai dire, l'ADRC ne cherche pas à contester ce fait. Toutefois, en l'espèce, cette Cour doit revoir la législation ainsi que les directives élaborées dans le cadre de cette Loi telle qu'autorisé par le Parlement. Je ne crois pas que cette situation est similaire à celle décrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Worker's Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, dans lequel la Cour suprême a confirmé que la révision d'une décision d'un arbitre fondée sur l'interprétation d'une convention collective entraîne la norme de contrôle raisonnable même lorsqu'il s'agit d'une question de droit. Cependant, la Cour ne doit aucune déférence lorsqu'il est question d'interpréter le sens de la législation.

[17]            Pour ce qui est de l'objet de la Loi et les directives, l'on ne peut mettre en question l'approche interprétative moderne. La Cour suprême a révisé ce principe dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533. Cet arrêt discutait des règlements en vertu de la Loi sur les brevets. Le juge Binnie s'est fondé sur l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, où la Cour a adopté le principe énoncé par Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) :

« Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. »

Ceci dit, le juge Binnie a souligné au paragraphe 38 que « la portée du règlement est restreinte par le texte législatif qui l'habilite » .    Ce dernier cite également Driedger au paragraphe 38 :

« [TRADUCTION] Il ne suffit pas de déterminer le sens d'un règlement en l'interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante. L'objet de la loi transcende et régit l'objet du règlement. »

[18]            Étant donné que le Parlement a délégué spécifiquement l'élaboration des directives à l'ADRC, je désigne celles-ci comme étant de la quasi-législation, limitées uniquement par le contexte et le sens de la Loi.

[19]            Le quatrième critère énoncé dans l'arrêt Dr.Q, précité, est la nature de la question. En l'espèce, la question n'est pas à déterminer l'applicabilité du remède, mais plutôt à savoir si le tiers indépendant avait la compétence d'ordonner le remède qu'il a ordonné. Ceci est une question de droit qui entraîne donc une norme de contrôle correcte.

Conclusion

[20]            L'article 53 de la Loi donne à l'ADRC le droit exclusif ainsi que l'autorité de nommer des employés. Le tiers indépendant a présumé promouvoir Madame Gagnon sans rétrograder l'autre candidate. Il y a effectivement deux employées qui occupent le même poste malgré le paragraphe 51(a) de la Loi qui prévoit que l'ADRC à l'autorité de déterminer la répartition et l'utilisation efficace des ressources humaines. En autres mots, l'ADRC doit maintenant trouver suffisamment de tâches ainsi que rémunérer deux individus plutôt qu'un, et ce, à un salaire plus élevé.

[21]            Le règlement limite le pouvoir du tiers indépendant d'ordonner la correction de l'erreur dans le processus. Puisque le tiers indépendant a effectivement identifié que le processus d'embauche avait débuté avec un avis en date du 25 février 2002 invitant les employés à poser leur candidature et que l'employeur avait agit de façon arbitraire, il avait raison d'ordonner qu'une erreur devait être corrigée. Il avait le pouvoir de faire des recommandations à ce sujet, mais il n'avait aucune autorité d'ordonner à l'ADRC comment cette dernière devait procéder afin de rectifier l'erreur.

[22]            Une des raisons que Madame Gagnon a suggéré que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable simpliciter est le fait que les décisions d'un tiers indépendant n'ont pas de force exécutoire et qu'elles n'ont aucune valeur jurisprudentielle. La Cour devrait donc donner plus d'importance aux propos énoncés dans l'arrêt Chieu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 et accorder une plus grande déférence à la décision du tiers indépendants. Malgré la portée de ces concepts, ceci ne donnait pas l'autorité au tiers indépendant d'agir à l'extérieur des limites imposés par la loi.

[23]            Si j'ai tort en appliquant la norme de contrôle correcte, je dois ajouter que l'ordonnance rendue par le tiers indépendant est déraisonnable puisqu'il ne prenait en considération que Madame Gagnon et l'autre candidate, alors que l'avis d'offre d'emploi était envoyé à tous les employés de l'Agence des douanes et du revenu du Canada à Chicoutimi et Jonquière. Un des critères énoncés dans cet avis d'offre d'emploi était une « expérience significative d'interaction avec le public » . Par significative, l'avis d'offre entendait « une expérience de plus de 6 mois » . De plus, une note de passage de 60% était requise pour « une connaissance de base en comptabilité » , soit le test que l'autre candidate a échoué. Si d'autres employés avaient eu connaissance qu'ils auraient été évalués sur des critères différents, il est fort possible qu'ils auraient tenté de postuler pour ce poste aussi.


ORDONNANCE

            SUITE à la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le tiers indépendant, Me Jean-Claude Demers, le 15 november 2004;

LA COUR ORDONNE QUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
  2. La mesure corrective ordonnée par le tiers indépendant est déclarée illégale et non conforme à la Directive concernant la présentation et le traitement d'une demande de révision par un tiers indépendant (RTI);
  3. L'affaire est renvoyée devant le tiers indépendant afin qu'il détermine la mesure corrective appropriée et conforme à la Directive concernant la présentation et le traitement d'une demande de révision par un tiers indépendant (RTI) et de l'Agence des douanes et du revenu du Canada;
  4. Aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2207-04

INTITULÉ :                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. ANDRÉE GAGNON

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 30 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Harrington

DATE DES MOTIFS :                       Le 17 février 2006

COMPARUTIONS:

Alexander Guay

POUR LE DEMANDEUR

James Cameron

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Raven, Allen, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

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