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                                                                                                         IMM-1627-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JANVIER 1997

 

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE HEALD

 

 

Entre :

 

 

                                    KANDIAH BALACHANDRAN,

 

                                                                                                               requérant,

 

 

 

                                                             - et -

 

 

 

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                     intimé.

 

 

 

                                             O R D O N N A N C E

 

 

 

                        La demande de contrôle judiciaire est refusée.

 

 

 

 

 

 

                                                                                    «Darrel V. Heald»

                                                                       

 

                                                                                       Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                       

 

                                                                        François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

 

                                                                                                         IMM-1627-96

 

 

 

Entre :

 

 

                                    KANDIAH BALACHANDRAN,

 

                                                                                                                 requérant,

 

 

 

                                                             - et -

 

 

 

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                      intimé.

 

 

 

                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE HEALD

 

 

                        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le «tribunal») en date du 23 avril 1996.  Dans cette décision, le tribunal a statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il avait une possibilité de refuge à l'intérieur du même pays.

 

Les faits

                        Le requérant est un citoyen du Sri Lanka.  Il est né le 8 mars 1947.  Sa revendication du statut de réfugié se fonde sur son appartenance à la communauté tamoule.  Il a déclaré qu'il craint les LTTE, l'armée srilankaise, la police et les hommes de main cinghalais à Colombo.

 

                        Le requérant a été personnellement détenu par les LTTE en 1991 et 1992.  En 1993, 1994 et 1995, les LTTE ont forcé sa fille à travailler pour eux.  En 1995, on l'a obligée à se joindre aux LTTE.  Par conséquent, parce qu'il craignait pour sa sécurité, il a envoyé sa famille à Kilinochchi où ils ont vécu avec les parents de sa femme.

 

                        Le requérant a cherché du travail à Colombo.  Il est demeuré dans un centre d'accueil et est allé s'enregistrer à la police.  Presque immédiatement, il y a eu une descente au centre d'accueil et le requérant, de même que d'autres nouveaux arrivants tamouls, ont été arrêtés et emmenés au poste de police.  Il a été interrogé et on lui a ordonné d'identifier les tamouls appartenant aux LTTE.  Comme il n'a pu en identifier aucun, il a été agressé par les agents de police.  Deux jours plus tard, le propriétaire du centre a négocié sa libération contre le paiement de 25 000 rupees.  Le requérant a été photographié, on a pris ses empreintes digitales et il a été libéré à la condition qu'il se présente au poste de police toutes les semaines.  Toutefois, à cause des rumeurs voulant que des corps aient été trouvés dans les rivières, les craintes du requérant concernant sa sécurité se sont intensifiées.  Par conséquent, aidé par un agent, il a fui le Sri Lanka.

 

Les questions en litige

                        Le tribunal a d'abord identifié les questions suivantes : l'identité, la crainte de persécution et la possibilité de refuge à l'intérieur du même pays.  Il a accepté l'identité du requérant.  Il a également convenu que la preuve établissait que le requérant avait raison de craindre d'être persécuté dans le nord du Sri Lanka.  Toutefois, le tribunal a conclu que le requérant avait une possibilité de refuge à Colombo.  Sur ce fondement, il a été décidé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

 

                        À l'audience devant moi, l'avocat du requérant a fait valoir que la présente demande tourne autour de deux questions : premièrement, la question de savoir si le tribunal a omis de tenir compte comme il se doit de la preuve documentaire et, deuxièmement, la question de savoir si le tribunal n'a pas tenu compte de la situation particulière du requérant.

 

Analyse

            1.         L'omission de tenir compte de la preuve documentaire

                        Pour ce qui a trait de la première question, l'avocat du requérant s'appuie sur une déclaration de la Commission indiquant que le requérant [TRADUCTION] «en raison de son âge, ne pourrait faire partie de la catégorie des Tamouls qui risquent d'être maltraités par la police de Colombo»[1].  L'avocat prétend que cette affirmation n'est pas appuyée par une référence spécifique à la preuve.  Le dossier uniformisé du Sri Lanka renferme des milliers de pages de preuve documentaire et le requérant prétend qu'on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il les passe au peigne fin pour comprendre le fondement de la décision du tribunal.

 

                        Avec tout le respect pour l'opinion contraire, je ne peux être d'accord avec lui.  Bien que j'accepte qu'il ait pu être préférable que le tribunal indique en renvoi ou explique autrement le fondement documentaire de ces déclarations, je ne suis pas disposé à conclure que son omission de le faire équivaut à une erreur susceptible de révision.

 

                        Je conclus en ce sens parce que la déclaration selon laquelle les jeunes hommes tamouls sont plus susceptibles d'être victimes de persécution est appuyée par un article auquel le tribunal a fait référence dans la phrase qui suit tout de suite après[2].  En outre, le requérant ne nie pas que les jeunes hommes tamouls courent plus de risques que les Tamouls âgés.  Ce fait est appuyé non seulement par l'article de Matthews[3], mais également par d'autres sources documentaires, notamment par un rapport d'Amnistie internationale[4].  Ainsi, que les renseignements soient tirés de la preuve documentaire au dossier ou de la connaissance spécialisée du tribunal, celui-ci n'a pas trompé le requérant et il n'était pas non plus incapable de comprendre le fondement de la décision du tribunal.

 

                        Si l'affirmation non référencée du tribunal n'avait pas été appuyée par un élément de preuve ou si elle était litigieuse, j'aurais pu conclure que cette omission constitue une erreur susceptible de révision.  Toutefois, exiger comme principe qu'on fournisse un renvoi pour chaque référence documentaire, même lorsque le requérant ne conteste pas la véracité de ces références, serait assujettir la décision du tribunal à cette sorte d'examen microscopique que la Cour a jugé à plusieurs reprises inappropriée dans une demande de contrôle judiciaire de cette nature[5].

 

2.La situation particulière du requérant

                        La deuxième question soulevée par l'avocat du requérant porte sur la conclusion du tribunal selon laquelle le requérant n'était pas susceptible d'être persécuté à cause de son âge avancé.  Le requérant fait valoir que le tribunal n'a pas tenu compte de sa situation particulière, notamment du fait qu'à son arrivée à Colombo, en provenance de Jaffna, il a été arrêté, agressé, photographié, qu'on a pris ses empreintes digitales et qu'on lui a donné l'ordre de se présenter à la police.  Le requérant soutient que, compte tenu de ce traitement, il n'était pas simplement un Tamoul âgé qui ne courait pas de risque d'être persécuté, puis qu'il avait en fait été persécuté.

 

                        L'avocat de l'intimé fait valoir qu'il était raisonnablement loisible au tribunal d'en venir à cette conclusion compte tenu de la preuve documentaire portant sur le risque que court les jeunes hommes tamouls et du fait que le requérant avait été arrêté, en même temps que d'autres nouveaux arrivants tamouls, le lendemain de l'explosion d'une bombe à Colombo.  Le tribunal était en droit de conclure que l'arrestation du requérant ne constituait pas de la persécution ciblée, mais plutôt une conséquence de mesures de sécurité prises par les autorités à Colombo.

 

                        L'avocat du requérant soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte des circonstances entourant l'arrestation du requérant étant donné que ce facteur n'a pas été mentionné par le tribunal dans ses motifs.  La seule référence à l'explosion de la bombe se trouve dans la formule de renseignements personnels (FRP) du requérant.

 

                        Voici le texte exact des motifs du tribunal :

 

[TRADUCTION]

Le requérant a décidé de fuir, au lieu de se présenter toutes les semaines aux autorités, parce qu'il avait entendu des rumeurs voulant que des corps aient été retrouvés dans la rivière.  Le tribunal note que le requérant a identifié les victimes comme étant de jeunes hommes tamouls.  Nous croyons que le requérant, en raison de son âge, ne ferait pas partie de la catégorie de Tamouls qui courent le risque d'être maltraités par la police de Colombo.

 

La preuve documentaire dont était saisi le tribunal indique, pour ce qui a trait à l'arrestation et à la détention, que l'intervention d'un tiers et le paiement d'un pot-de-vin jouent un rôle essentiel dans les libérations.[6]

 

                                                                                   [...]

 

Le tribunal est d'avis, au vu de la preuve documentaire précitée, qu'il n'y avait pas de possibilité réelle que la police de Colombo arrête ce requérant âgé et s'en prenne à lui, s'il s'était enregistré comme il devait le faire.  Le tribunal croit qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir qu'une personne de l'âge du requérant courait des risques raisonnables d'être persécutée.[7]

 

 

                        Bien que le tribunal n'ait pas fait expressément référence à l'explosion de la bombe ou à l'arrestation, à la prise de photographie ou à la dactyloscopie, il est clair que son évaluation du risque de persécution concernant le requérant à Colombo a été suffisamment personnalisée pour réfuter la suggestion du requérant selon laquelle on a jugé qu'il était un simple Tamoul âgé.  L'arrestation du requérant est mentionnée dans le résumé des faits du tribunal.

 

                        Le requérant m'invite à conclure que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve non contredite indiquant qu'il avait été persécuté, mais il me demande aussi de ne pas examiner de plus près si le tribunal a tenu compte de la preuve non contredite concernant l'explosion de la bombe.  Ni la présente Cour, ni le tribunal ne sont tenus de détailler chaque élément de preuve dans les motifs de leurs décisions.  Toutefois, il est essentiel que le tribunal et la Cour tiennent compte de l'ensemble de la preuve au dossier pour parvenir à leurs conclusions respectives.

 

                        À mon avis, la conclusion du tribunal selon laquelle il n'est pas vraisemblable que ce requérant particulier soit persécuté à son retour au Sri Lanka à cause de son âge est appuyée par la propre déposition du requérant concernant les circonstances de son arrestation.  Non seulement le tribunal avait compétence pour tenir compte de l'explosion de la bombe, mais il était tenu de la prendre en compte pour se prononcer sur la fiabilité et la plausibilité de tous les autres éléments de preuve figurant au dossier dont il était saisi.  Le fait que le requérant ait déjà été persécuté à une seule reprise n'établit pas nécessairement que cet événement se répéterait, compte tenu des circonstances assez inhabituelles de ce cas.

 

                        Par conséquent, il était raisonnablement loisible au tribunal de conclure que le requérant a été arrêté en vertu de circonstances exceptionnelles et que, compte tenu de son âge, il ne serait pas persécuté pour un motif énuméré à la Convention s'il devait retourner à Colombo.

 

Conclusion

                        Pour les motifs précités, je conclus que le tribunal n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

                        À l'issue de l'audience, les deux avocats ont déclaré qu'ils ne souhaitaient pas faire certifier de question.  Je conviens avec eux qu'il ne s'agit pas d'un cas qui se prête à la certification d'une question grave de portée générale aux termes de l'article 83 de la Loi sur l'immigration.

 

 

 

 

                                                                                    «Darrel V. Heald»

                                                                       

 

                                                                                       JUGE SUPPLÉANT

 

 

Ottawa (Ontario)

le 9 janvier 1997

 

 

 

Traduction certifiée conforme                       

 

                                                                        François Blais, LL.L.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-1627-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Kandiah Balachandran c. M.C.I.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :le 18 novembre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE HEALD, JUGE SUPPLÉANT

 

 

DATE :                                               le 9 janvier 1997

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Lorne Waldman                                                     POUR LE REQUÉRANT

 

 

M. Jeremiah Eastman                                      POUR L'INTIMÉ

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Lorne Waldman                                                          POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                       POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada



     [1]          Dossier de demande, page 13, motifs de la décision du tribunal.

     [2]          Au renvoi 12, le tribunal fait référence à «Sri Lanka, the Civil War and the Crisis of Immigration», une allocution du professeur Bruce Matthews devant la CSIR, à Toronto, le 19 janvier 1995.

     [3]          Ibid.

     [4]          Sri Lanka : Balancing Human Rights & Security:  Abuse of Arrest & Detention Powers in Colombo (février 1994), dossier de la demande, table des matières, point 11 figurant à la page 140.

 

Je note que, même si le rapport lui-même n'était pas contenu dans le dossier du tribunal, on y a fait référence dans l'index au dossier.  L'avocat du requérant a reconnu à l'audience que tous les documents énumérés dans l'index étaient réputés faire partie du dossier et il n'est pas nécessaire que j'examine si l'arrêt Hassan et al. c. M.E.I. (1993), 151 N.R. 215, de la Cour d'appel, a cet effet.

     [5]          Comparer avec Boulis c. Canada (M.E.I.), vol. 26 D.L.R. (3d) 216, page 223, le juge Laskin (plus tard juge en chef de la C.S.C.).

     [6]          Pièce R-1, point 3, pages 25-53, «Sri Lanka, the Civil War and the Crisis of Immigration», allocution du professeur Bruce Matthews devant la CISR, à Toronto, le 19 janvier 1995, pages 39-40.

     [7]          Dossier de la demande, page 13, motifs de la décision du tribunal.

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