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Date : 20010820

Dossier : IMM-3424-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AOÛT 2001

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE NADON

                                                                                                                                                           

ENTRE :

FODA KENNEDY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par M. W.A. Sheppit, délégué du Ministre, en date du 20 juin 2000 dans laquelle il avait été conclu, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada est par les présentes annulée, et l'affaire est renvoyée au défendeur pour réexamen.


La question suivante est, par les présentes, certifiée comme constituant une question grave de portée générale, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration :

[traduction] Existe-t-il une obligation de révéler au demandeur et de partager avec lui le rapport d'avis du Ministre ou la demande d'un avis du Ministre et de lui donner ainsi l'occasion de répondre avant que le délégué du Ministre ne prenne de décision conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration?

                                                                                   « Marc Nadon »            

                                                                                                     Juge                    

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20010820

Dossier : IMM-3424-00

Référence neutre : 2001 CFPI 920

ENTRE :

                                      FODA KENNEDY

                                                                                          demandeur

                                                     et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par M. W.A. Sheppit, délégué du Ministre, en date du 20 juin 2000, dans laquelle il avait été conclu, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l'immigration (la « Loi » )[1], que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[2]                La demande soulève les questions suivantes qui doivent être tranchées, à savoir:

1.         si les principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale ont été violés dans la décision rendue par M. Sheppit, en ce que le Ministre aurait omis de révéler au demandeur le « Rapport sur l'avis du ministre » et de lui fournir l'occasion d'y répondre;

2.         si les principes de justice naturelle et d'équité procédurale ont été violés du fait que le Ministre n'a pas donné de motifs à l'appui de son avis selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada;

3.         si la décision de M. Sheppit, vu la preuve, est raisonnable, et


4.         si le défaut du Ministre de faire connaître son avis dans le délai prescrit par le compte rendu de l'entente conclu par les parties, le 10 janvier 2000, constitue une violation des principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

[3]                Les faits peuvent être brièvement résumés comme suit. Le demandeur âgé de 26 ans est né en Namibie le 16 juin 1975. Il prétend être arrivé au Canada en décembre 1989 à l'âge de 14 ans. Il a été arrêté le 16 septembre 1998 pour trafic de drogues (cocaïne, crack et marijuana) et possession de cocaïne. De ce fait, il a été condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée de douze mois pour chacun des huit chefs en vertu des articles 4 et 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, et pour un chef d'entrave à un agent de la paix conformément à l'alinéa 129a) du Code criminel du Canada, peines à purger concurremment en plus de ses 181 jours d'emprisonnement avant la tenue du procès.

[4]                Le 2 septembre 1999, les autorités canadiennes de l'Immigration (les « autorités de l'Immigration » ) ont signifié au demandeur un avis d'intention de demander l'avis du Ministre conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi, selon lequel il constitue un danger pour le public au Canada.


[5]                Le 4 novembre 1999, le demandeur a demandé le statut de réfugié. Il est à noter que, quand il a demandé le statut de réfugié, le demandeur avait déjà séjourné au Canada illégalement pendant près de dix ans. Avant son arrestation en 1998, il ne s'était jamais présenté devant les autorités de l'Immigration.

[6]                Le 16 novembre 1999, M. Sheppit a conclu que le demandeur était un danger pour le public au Canada et, par conséquent, le demandeur s'est vu frapper d'une mesure d'expulsion du Canada par un juge le 24 novembre 1999.

[7]                Peu après cette date, le demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de M. Sheppit en date du 16 novembre 1999. Le 10 janvier 2000, les parties ont conclu un compte rendu de l'entente en vertu duquel, entre autres choses, la décision de M. Sheppit a été révoquée et le renvoi du demandeur du Canada a été suspendu. Le compte rendu de l'entente prévoyait aussi que le demandeur resterait en détention jusqu'à ce que le Ministre rende une nouvelle décision ou dans un délai de 90 jours, selon la date la plus rapprochée.

[8]                Le 4 février 2000, les autorités de l'Immigration ont émis un nouvel avis d'intention de demander l'avis du Ministre, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi. Le 14 avril 2000, le demandeur a signifié aux autorités de l'Immigration des observations écrites en réponse au nouvel avis d'intention de demander un avis de danger et le 20 juin 2000, M. Sheppit a rendu la décision qui est contestée dans la présente instance par le demandeur.


[9]                Je commencerai mon analyse par le dernier point soulevé par le demandeur. Dans sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur pose le problème dans les termes suivants :

[traduction] La décision de M. W.A. Sheppit, en date du 20 juin, dans laquelle il a, conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration , donné son avis comme quoi le demandeur constitue un danger pour le public au Canada était contraire aux normes de l'équité procédurale du fait qu'elle allait à l'encontre du compte rendu de l'entente accepté par les deux parties et, par conséquent, illicite;

[10]            Dans son mémoire, le demandeur a soulevé cette question sous la rubrique « Attente légitime ou raisonnable » . Il prétend que le défendeur a créé une attente légitime de sa part

[...] en promettant dans le compte rendu de l'entente de suivre une procédure particulière si le Ministre ou son délégué décidait de demander un nouvel avis de danger. Le défendeur a violé l'exigence de l'équité procédurale en suivant une procédure différente.

[11]            De façon plus précise, le demandeur prétend que le Ministre n'a pas émis l'avis de danger dans le délai prescrit dans le compte rendu de l'entente et que, par conséquent, le Ministre n'a plus maintenant le droit de prononcer son avis sur les faits dont elle est saisie. Pour faciliter la compréhension, je reproduis ici intégralement le compte rendu de l'entente en date du 10 janvier 2000 :

[traduction]

SACHEZ QUE les parties susmentionnées ont convenu de régler la question mentionnée aux présentes dans les termes suivants :

1.             À la signature de la présente entente, la décision du Ministre rendue conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration, en date du 16 novembre 1999, et selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, est révoquée par les présentes.


2.             La mesure de renvoi contre le demandeur est suspendue par les présentes et ne peut pas être exécutée avant la délivrance d'un nouveau certificat de danger pour le public, le cas échéant.

3.             À la signature de la présente entente, le demandeur doit déposer un avis de désistement, sans frais, à l'égard de ce qui suit :

i)              sa requête en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion, requête qui devait être entendue devant la Cour fédérale du Canada dans la Section de première instance à 13 h 30 le mardi 11 janvier 2000;

ii)             sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire dans IMM-106-00 de la décision mentionnée au paragraphe 1 ci-dessus.

4.             Le Ministre ou son délégué peut entamer un nouveau processus afin de déterminer s'il y a lieu d'émettre un avis prévu à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration d'après le calendrier suivant :

i)              le Ministre ou son délégué fournit au demandeur et à son avocat, Warren Creates, un avis standard avec l'information connexe au dossier pour dire ce que le demandeur doit prouver et le fait qu'il est envisagé de le déclarer dangereux dans les 30 jours à compter du 11 janvier 2000;

ii)             par la suite, le demandeur aura 30 jours pour fournir toute observation et autre document en réponse;

iii)            par la suite, le Ministre ou son délégué aura 30 jours pour émettre une décision conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration.

5.             Le demandeur (sans concéder qu'il est un danger pour le public ou qu'il ne comparaîtra pas dans toute instance de l'Immigration) doit, sous réserve du paragraphe 5, rester détenu à l'emplacement actuel, ou dans un établissement semblable acceptable pour le défendeur, jusqu'à ce que le Ministre rende une nouvelle décision ou dans un délai de 90 jours, selon la date la plus rapprochée. Pendant ce délai, le demandeur s'engage à accepter de rester détenu et à ne pas chercher à être libéré pendant les périodes d'examen de cette détention exigées par la loi.

6.             EN PLUS, en ce qui concerne le fait que le demandeur envisage de soumettre un rapport de psychologue ou de psychiatre légiste ou autre, à l'appui de sa position selon laquelle il ne constitue pas un danger pour le public au Canada, les parties conviennent de ce qui suit :


i)              si le demandeur, après avoir exercé tout recours raisonnable pour l'obtenir, n'est pas en mesure de fournir un tel rapport dans le délai envisagé en vertu de l'alinéa 3(ii) ci-dessus (c.-à-d. 60 jours à compter du 11 janvier 2000), le demandeur a droit à une prolongation de délai raisonnable pour pouvoir faire ce dépôt;

ii)             par la suite, le Ministre ou son délégué doit émettre un avis conformément à 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration dans les 30 jours de la réception du rapport susmentionné; et

iii)            le demandeur doit rester détenu aux mêmes conditions que celles qui sont énoncées au paragraphe 4 ci-dessus, sauf que le délai de 90 jours mentionné dans ce document est modifié comme il est exigé par les dispositions, c'est-à-dire que le demandeur s'engage à accepter de rester détenu et à ne pas chercher à être libéré jusqu'à ce que le Ministre rende sa décision ou dans les 30 jours à compter de la date à laquelle le rapport mentionné aux présentes est remis au Ministre ou à son délégué, selon la date la plus rapprochée.

7.             Les conditions de la présente entente ne sont pas divisibles.

8.             LES PARTIES confirment qu'aucune d'elles ne souffre d'une incapacité qui l'empêcherait de convenir des modalités des présentes et que le consentement est donné librement après avoir reçu un conseil juridique indépendant.

[12]            Les paragraphes 4 et 6 du compte rendu de l'entente énoncent un calendrier à l'égard du nouveau processus qu'entame le Ministre pour émettre un avis conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi. En l'espèce, l'avis d'intention de demander l'avis du Ministre a été envoyé au demandeur par une lettre en date du 4 février 2000. Quant aux observations écrites du demandeur, elles ont été fournies au Ministre après deux prolongations de délai accordées au demandeur, conformément à l'alinéa 6e) du compte rendu de l'entente, vers le 14 avril 2000. Les prolongations de délai ont été accordées au demandeur de façon à lui donner suffisamment de temps pour obtenir un rapport médico-légal ou autre rapport psychologique ou psychiatrique. Pour des motifs qui ne sont pas pertinents en l'espèce, le demandeur n'a pas fourni ce rapport au Ministre pour prouver qu'il ne constitue pas un danger pour le public au Canada. Comme je l'ai déjà indiqué, l'avis du Ministre a été rendu le 20 juin 2000.


[13]            Quoi qu'il en soit, le demandeur ne peut pas du tout l'emporter sur cette question. L'argument du demandeur veut que le Ministre, à cause de son défaut de rendre un avis dans le délai prescrit par le compte rendu de l'entente, se voit interdite d'émettre un avis sur les faits qui existaient à cette époque. Le demandeur prend cette position parce qu'à son avis, il avait une attente légitime de voir un avis rendu dans le délai prévu au compte rendu de l'entente. Par conséquent, selon le demandeur, le Ministre a violé les exigences de l'équité procédurale en ne respectant pas les délais impartis et convenus.

[14]            Le défaut du Ministre de respecter les délais énoncés dans le compte rendu de l'entente aurait permis, le cas échéant, au demandeur de demander sa mise en liberté à compter de la date à laquelle le Ministre s'était engagée à rendre son avis. Et par conséquent, le 3 juin 2000, le demandeur avait demandé une mise en liberté. Le 7 juin 2000, Pierre Turmel, arbitre de la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a rendu une ordonnance conditionnelle de mise en liberté sur un cautionnement de 2 500 $ si l'avis de danger du Ministre n'était pas prononcé avant le 21 juin 2000. Aux pages 34 et 35 de la transcription de l'audience devant M. Turmel le 7 juin 2000, l'arbitre a fait les remarques suivantes :

[traduction] Vous êtes une personne qui a vécu au Canada pendant dix ans illégalement sans jamais se présenter à l'Immigration. Si vous vous en souvenez, j'ai déclaré le 24 novembre que si vous étiez venu au Canada pour demander de la protection, je ne peux pas comprendre pourquoi vous ne vous êtes jamais présenté aux services d'immigration. Comme le Canada est un pays bien connu pour l'hospitalité qu'il accorde aux demandeurs du statut de réfugié, je n'ai aucune raison de croire que vous n'ayez pas été au courant de la réputation du Canada.



Vous avez aussi réussi à ne pas vous faire remarquer pendant toutes ces années en utilisant d'autres noms à part celui que vous prétendiez avoir à ce moment-là, et nous n'avons pas de preuve de qui vous êtes, nous n'avons pas de preuve que vous soyez un citoyen du Libéria, vous n'avez pas fourni de pièce d'identité depuis que vous êtes incarcéré par les autorités de l'Immigration et par les arbitres en vertu d'ordonnances de la Section d'arbitrage.

Tout cela pour dire que j'ai de graves préoccupations quant à votre disponibilité à l'avenir pour toute mesure de renvoi. Au moment où nous parlons, vous devez être expulsé du Canada sauf si le délégué du Ministre ne vous prononce pas dangereux, ce qui vous permettrait alors de demander le statut de réfugié au sens de la Convention. Je pense que votre avocat verrait alors quelle voie adopter pour contrecarrer la mesure de renvoi effective, mais il existe encore la possibilité que le Ministre vous déclare dangereux, même si le délai a expiré.

Toutefois, à mon avis, si un avis de danger est prononcé, vous ne vous présenterez jamais pour que l'on puisse vous renvoyer du Canada. Mais si un avis de danger n'est pas émis et que vous ayez le droit de demander le statut de réfugié au sens de la Convention, comme l'a justement fait valoir votre avocat, c'est un processus qui prendra plusieurs mois et dans ce contexte et dans cette perspective, il faudrait voir d'autres possibilités que la détention, qui dissiperaient tous les doutes que l'on pourrait avoir en ce qui concerne votre disponibilité.

Ce que je vais faire aujourd'hui, c'est ordonner votre mise en liberté applicable à compter de deux semaines, nous fixerons une date. C'est une offre conditionnelle de mise en liberté, mettons, j'insiste pour que le délégué du Ministre prenne sa décision. De la même manière, si une décision n'a pas été rendue sur la question de la dangerosité au 21 juin, j'ordonne la mise en liberté moyennant la présentation d'un cautionnement pour un montant de 2 500 $ en liquide ou d'une condition, et vous devrez alors respecter les conditions suivantes.

Vous devrez fournir une adresse de résidence avant la mise en liberté. Il vous faudra informer le bureau d'immigration de tout changement d'adresse avant de changer de résidence. Il vous faudra aussi faire rapport en personne le premier jour ouvrable qui suit la mise en liberté et une fois par semaine par la suite. Je tiens à préciser que si un avis de danger est émis, cette offre ne sera plus valable. Elle est valable s'il n'y a pas de décision qui est rendue ou aucun avis émis. Une décision est rendue mais elle est en faveur de M. Kennedy.

[15]            Après l'émission de l'avis du Ministre, le demandeur, le 30 juin 2000, a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Le 3 juillet 2000, le juge Lemieux a suspendu l'exécution de la mesure de renvoi rendue contre le demandeur. Le 5 juillet 2000, Michel Beauchamp, arbitre à la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a ordonné la mise en liberté du demandeur moyennant un cautionnement de 2 500 $.


[16]            À mon avis, la réponse brève et simple est que le Ministre, en acceptant les conditions énoncées dans le compte rendu de l'entente en date du 10 janvier 2000, n'a pas renoncé à son obligation, conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi, et ne pouvait pas le faire. Comme le défendeur l'indique de façon très juste, il n'y a pas de prescription ou de délai légal obligatoire pour que le Ministre examine obligatoirement une demande d'avis du Ministre, conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi. À mon avis, aucune attente légitime n'a découlé du compte rendu de l'entente voulant que le Ministre se voit interdite de rendre un avis si elle omettait de le faire dans le délai prescrit par le compte rendu de l'entente.

[17]            À mon avis, le demandeur, par la doctrine de l'attente légitime, vise un résultat sur le fond. Récemment, dans l'affaire Centre hospitalier Mont-Sinai c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] A.C.S. no 43 (QL), la Cour suprême du Canada a indiqué en termes clairs que la doctrine de l'attente légitime ne pouvait pas conférer une réparation substantielle. Aux paragraphes 22 et 32 de ses motifs, le juge Binney (avec l'appui du juge en chef) a fait les remarques suivantes :

22. Les intimés font valoir que la théorie de l'expectative légitime peut être utilisée pour forcer à accorder non seulement une protection procédurale, mais également une réparation substantielle, pourvu que cette dernière ne soit pas contraire à la loi et qu'elle relève par ailleurs du pouvoir du Ministre, ce qui serait le cas en l'espèce (voir S. J. Sch0nberg, Legitimate Expectations in Administrative Law (2000), ch. 4). La jurisprudence antérieure de notre Cour milite contre un tel argument; voir Vieux St-Boniface, précité, p. 1203-1204, Renvoi relatif au régime d'assistance publique du Canada, précité, p. 557-558, Baker c. Canada, précité, par. 26. Les intimés affirment cependant que cette théorie évolue et prend de l'essor rapidement et qu'elle a été utilisée au Canada et à l'étranger pour obliger les décideurs qui exercent une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi à accorder une réparation substantielle plutôt que simplement procédurale. La jurisprudence pertinente comprend l'arrêt Sous-ministre du Revenu du Québec c. Transport Lessard (1976) Ltée, précité [...]


[32] Dans le Renvoi relatif au régime d'assistance publique du Canada, le juge Sopinka (citant l'arrêt Vieux St-Boniface, précité) a considéré la théorie de l'expectative légitime comme « le prolongement des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale » qui peut donner « à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n'aurait pas cette possibilité » (p. 557 (je souligne)). Il va sans dire que, lorsqu'il a parlé de présenter des observations, le juge Sopinka ne limitait pas la réparation à des observations, mais qu'il avait plutôt l'intention d'inclure toute réparation procédurale qui pourrait se révéler appropriée selon les faits d'une affaire donnée. Le mot « procédure » est large. La porte n'a été fermée qu'aux réparations substantielles. Il me semble que, malgré l'argument des intimés, il y a lieu de confirmer cette conclusion. Des conditions préalables plus strictes que celles dictées actuellement par la théorie de l'expectative légitime doivent être remplies pour que la Cour accorde une réparation substantielle.

[18]            Par conséquent, je tranche le quatrième point en faveur du défendeur. Le demandeur affirme que je devrais certifier la question suivante comme constituant une question d'importance générale conformément au paragraphe 83 de la Loi :

[traduction] Le compte rendu de l'entente signé le 10 janvier 2000 interdit-il au délégué du Ministre de prononcer un avis de danger après la délivrance d'un avis d'intention de demander l'avis du Ministre, conformément à l'alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi?

[19]            À mon avis, il ne s'agit pas là d'une question d'importance générale, selon la définition qu'en donne la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4. La question ne sera donc pas certifiée.


[20]            Je passe maintenant au premier point soulevé par le demandeur. Pour les motifs qui suivent, je n'ai pas besoin de discuter ici de la deuxième et de la troisième questions. Sur le premier point, il s'agit de savoir si une obligation était faite au défendeur de communiquer au demandeur le document intitulé « Demande d'avis du Ministre » soumis par Bonnie Maystrenko, analyste, le 12 juin 2000 et auquel a souscrit Denise Bédard, analyste principale du réexamen des cas, le 13 juin 2000. Le 20 juin 2000, M. Sheppit, après avoir examiné le document, a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public.

[21]            La position du demandeur est simple. S'appuyant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Bhagwandass c. Canada (M.C.I.), 2001 CAF 49, [2001] A.C.F. no 341 (QL), le demandeur soutient que le défendeur a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en omettant de révéler la demande d'un avis du Ministre et de lui donner l'occasion d'y répondre. À mon avis, la position du demandeur est bien fondée. Le demandeur ne m'a pas persuadé que l'arrêt de la Cour d'appel Bhagwandass, précité, peut faire l'objet d'une distinction. En conséquence, je n'ai pas d'autre choix que d'appliquer l'arrêt de la Cour d'appel aux faits en l'espèce. Si j'avais pu librement décider de cette question, j'aurais tranché en faveur du défendeur. À mon avis, le défaut du Ministre de révéler au demandeur l'existence d'une demande d'un avis du Ministre et de donner au demandeur la possibilité d'y répondre n'a pas porté atteinte aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale.


[22]            En conséquence, je dois conclure que le Ministre a violé l'obligation d'équité due au demandeur en ne lui fournissant pas une copie de la demande d'un avis du Ministre et en ne lui donnant pas l'occasion d'y répondre. Bien que le demandeur n'ait pas demandé à la Cour suprême du Canada l'autorisation de se pourvoir contre l'arrêt de la Cour d'appel Bhagwandass, précité, une autorisation de former un pourvoi contre la décision de la Cour d'appel a été demandée dans l'affaire Chu c. Canada (M.C.I.), 2001 CAF 113, [2001] A.C.F. no 554 (QL), dans laquelle le même problème s'était posé. Je suis par conséquent prêt à certifier la question suivante qui est proposée par le défendeur :

[traduction] Existait-il une obligation de révéler au demandeuret de partager avec lui le rapport d'avis du Ministre ou la demande d'un avis du Ministre, et de lui donner ainsi l'occasion de répondre avant que le délégué du Ministre ne prenne sa décision conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration?

[23]            Sur le deuxième et le troisième points, ainsi que sur le quatrième à l'égard duquel j'ai refusé de certifier la question proposée par le demandeur, les parties auront néanmoins l'occasion de soulever ces problèmes devant la Cour d'appel. En effet, dans l'affaire Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a jugé qu'une fois qu'une question était certifiée, tous les aspects d'un appel pouvaient être pris en considération par la Cour d'appel.


[24]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L'avis du délégué du Ministre, en date du 20 juin 2000, selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et rendu en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi est annulé, et l'affaire est renvoyée au défendeur pour réexamen.

                                                                                   « Marc Nadon »             

                                                                                                     Juge                      

O T T A W A (Ontario)

Le 20 août 2001

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                         IMM-3424-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                    FODA KENNEDY c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 12 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR M. LE JUGE NADON EN DATE DU 20 AOÛT 2001

ONT COMPARU :                                        

Chantal Tie                                                       POUR LE DEMANDEUR                

Michel Synnott                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Tie                                                        POUR LE DEMANDEUR

Services juridiques communautaires

d'Ottawa-sud

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR



[1]            L'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration porte que :

46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

[...]

e) l'arbitre a décidé, selon le cas :

(i) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et, selon le ministre, il serait contraire à l'intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la présente loi,

(iii) qu'il relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(iv) qu'il relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal éégal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.


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