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Date : 20010201

Dossier : IMM-2202-99

                                                                                                               Référence : 2001 CFPI 2

ENTRE :                                                                                                                

                                                   OSCAR ERNESTO PRADA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

Introduction

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 mars 1999 par un agent des visas à l'ambassade du Canada à Bogota (Colombie), par laquelle ce dernier a rejeté sa demande de résidence permanente au motif que l'un de ses fils à charge ne respectait pas les exigences médicales d'admission.

Les faits

[2]                 Le demandeur est un citoyen de la Colombie qui détient un diplôme en génie civil et qui exerce cette profession depuis 1985.


[3]                 En mai 1998, il a fait une demande de résidence permanente au Canada, dans laquelle il a indiqué son épouse et leurs deux enfants comme personnes à charge.

[4]                 Le dossier du demandeur a été traité sans qu'il y ait entrevue, bien que des rapports médicaux aient été produits et complétés. Le 30 octobre 1998, le demandeur a été informé par lettre que sa demande de résidence permanente au Canada avait été refusée parce que son fils souffrait d'une [traduction] « déficience mentale légère [...] [et] il risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux au Canada, de sorte que votre enfant à charge n'est pas admissible au Canada. »

[5]                 Le demandeur a été invité à soumettre tout autre renseignement, sur l'état médical de son fils, de nature à influencer la décision finale de l'agent des visas. Le fils du demandeur a subi divers examens et le demandeur a produit les rapports en découlant le 16 décembre 1998.

[6]                 Par lettre datée du 16 mars 1999, le demandeur a été informé que sa demande était refusée parce que [traduction] « ...votre fils souffre de "déficience mentale légère". [...] S'il est admis au Canada, il sera admissible à une éducation spéciale et à de l'ergothérapie, dont il aura probablement besoin. Ces nécessités entraîneront un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens, ce qui le rend non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. »


Le cadre législatif

[7]                 Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) prévoit :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut_:

...

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

...

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;


Les questions en litige

[8]                 Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève deux questions en litige, à savoir :          

1)         Les médecins agréés ont conclu, sans que cela ne soit étayé par la preuve, que son fils nécessiterait de l'ergothérapie et que cela entraînerait un fardeau excessif pour les services gouvernementaux;

2)         les médecins agréés n'ont pas tenu compte de l'âge de son fils ni de l'instruction et des habiletés qu'il avait déjà lorsqu'ils ont conclu que son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services d'éducation.


Analyse

[9]                 La première question en litige découle de l'argument du demandeur selon lequel le médecin agréé a conclu que son fils nécessiterait de l'ergothérapie alors que cela n'était pas étayé par la preuve. Les deux médecins agréés étaient d'accord sur la cotation suivante du fils du demandeur. Cette cotation, tirée des critères énoncés dans le Guide de l'immigration, n'a pas été modifiée par les rapports médicaux supplémentaires :

H1 - Ne présente pour la santé ou la sécurité publique aucun danger attribuable à une maladie contagieuse.

D5 - Exige ou exigera probablement une surveillance médicale et des soins spéciaux, mais pourrait éventuellement subvenir à ses besoins.

T3 - La maladie devrait persister. Le traitement est en général efficace.

S1 - Aucune surveillance nécessaire.

E3 - Employable et productif dans certaines conditions permanentes.

M5 - Souffre d'une maladie pouvant entraîner un fardeau pour les services sociaux et de santé à un point tel que le requérant est actuellement jugé non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)(a)(ii) de la loi. Toutefois, il est permis de croire que le traitement sera efficace au point d'envisager la possibilité d'admettre éventuellement le requérant.

[10]            Malgré la contradiction existant, selon le demandeur, entre les cotes T3 et M5, en ce que la cote T3 indique un état chronique requérant un soutien continu tandis que la cote M5 indique la possibilité d'une amélioration suffisante pour permettre une admission éventuelle, le demandeur prétend d'abord que la preuve ne permet aucunement de tirer la conclusion que son fils entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.


[11]            Dans l'arrêt Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] F.C.J. No. 1072, (C.A.F.), les juges MacGuigan, Linden et Robertson font une mise en garde contre les stéréotypes dans ce contexte et soulignent, en ce qui concerne la Commission, que :

... Celle-ci ne peut pas remettre en question leur diagnostic médical (M.E.I. c. Jiwanpuri, A-333-89, 17 mai 1990), mais sur demande, elle devrait enquêter sur le caractère raisonnable de leur conclusion au sujet du fardeau qui sera probablement imposé aux services gouvernementaux (Ahir v. M.E.I. (1983), 49 N.R. 185, Mohammed v. M.E.I. (1986), 68 N.R. 20.

En l'espèce, il semble être clair que la Commission n'a pas enquêté sur le caractère raisonnable de la conclusion tirée par les médecins, mais a plutôt supposé, en se fondant sur le seul fait qu'on s'entendait au sujet de la déficience mentale, que la conclusion était raisonnable....

L'arrêt Jiwanpuri devrait montrer d'une façon évidente que le simple fait d'invoquer la déficience mentale ne mène à aucune conclusion particulière. La déficience mentale est un état englobant une vaste gamme de possibilités, depuis l'incapacité totale de fonctionner indépendamment jusqu'à un état presque normal. Cette notion ne peut pas servir de stéréotype [...] Ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré, et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux. Or, en l'espèce, la Commission n'a pas fait cette évaluation.

[12]            Dans Chun c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] F.C.J. No. 1551, le juge Teitelbaum a résumé la décision Sabater c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] F.C.J. No. 1375, disant que :

...la Cour a statué qu'il était raisonnable, dans un cas de déficience légère, d'imposer un fardeau de preuve plus rigoureux aux médecins afin qu'ils démontrent en quoi consisterait le fardeau excessif qui serait imposé aux services sociaux.

[13]            En particulier, le juge Teitlebaum s'est fondé sur l'énoncé suivant fait par le juge McKeown dans Sabater, précité :

... Toutefois, à mon avis, il serait raisonnable d'imposer un fardeau de preuve plus rigoureux aux médecins afin qu'ils démontrent ce que serait ce fardeau excessif dans un cas de déficience légère. C'est-à-dire que, si un médecin conclut qu'une personne souffre d'une légère déficience mentale, il doit énoncer clairement pourquoi son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux. Comme il n'y a pas d'indication claire du degré de déficience mentale en l'espèce, il est difficile d'établir le niveau de preuve nécessaire pour juger qu'un fardeau excessif serait imposé aux services sociaux.


[14]            En l'espèce, la déficience mentale de l'enfant est constamment qualifiée de « légère » , et je ne vois aucune preuve au dossier indiquant les motifs pour lesquels les médecins agréés ont conclu que cet enfant entraînerait un « fardeau excessif » pour les services sociaux.

[15]            Même si le terme « excessif » n'est pas défini par la loi, son utilisation dans ce contexte a fait l'objet de nombreuses décisions des tribunaux. Dans Ng v. Canada (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 307, à la page 313, la Commission a dit que :

[TRADUCTION] ... « Excessif » doit indiquer quelque chose qui sort de l'ordinaire; un fardeau très lourd ou tout fardeau d'un niveau extrême. Si les hôpitaux ou les services de santé sont surutilisés, toute personne y ayant recours est susceptible de créer une contrainte supplémentaire pour leurs ressources. Cela ne signifie pas que le fardeau qu'elle entraîne est excessif. Le critère prévu par la Loi que le médecin agréé doit avoir en tête ne consiste pas à savoir si, à son avis, le demandeur entraînera un fardeau pour les services de santé ou pour les services sociaux ni à savoir si ces services ou certains d'entre eux sont surutilisés, mais consiste plutôt à savoir si, selon lui, l'admission du requérant au Canada entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux. [...] Le médecin agréé doit se concentrer sur le requérant en cause et sur le fardeau réel ou probable que celui-ci entraînerait étant donné le diagnostic particulier auquel il est arrivé.

[16]            Le dossier du tribunal contient, aux pages 36 à 39, un rapport médical du Dr    Sylvain Bertrand au Dr Jacques Saint-Germain qui dit : [traduction] « Renseignements supplémentaires reçus. Ils confirment le diagnostic de déficience mentale légère et la nécessité d'une éducation spéciale... » . Je ne vois toutefois aucune mention particulière d'une école de formation adaptée ni des facteurs dont les médecins agréés ont tenu compte pour conclure que le fardeau entraîné serait « excessif » .


[17]            D'ailleurs, il n'y a aucun élément de preuve au dossier qui démontre que les médecins agréés avaient des motifs de conclure que l'enfant entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi. En fait, l'opinion médicale préparée par les docteurs Bertrand et St-Germain, qui figure à la page 33 du dossier du tribunal et qui est datée du 20 janvier 1999, est hypothétique, énonçant que : [traduction] « S'il est admis au Canada, il sera admissible à une éducation spéciale et à de l'ergothérapie, dont il aura probablement besoin. Ces nécessités entraîneront un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens, ce qui le rend non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. »

[18]            Comme le juge Gibson l'a dit dans Sooknanan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 266 :

La déficience mentale est un état englobant une vaste gamme de possibilités, depuis l'incapacité totale de fonctionner indépendamment jusqu'à un état presque normal. Cette notion ne peut pas servir de stéréotype, parce qu'elle est loin d'être univoque. Ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré, et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux.

[19]            De mon point de vue, la question devient donc celle qui s'est posée dans Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. No. 1805, où le juge Cullen a demandé :

Les médecins agréés se sont-ils informés des types de services sociaux qui seraient réellement nécessaires dans le cas de Matthew, ainsi que des coûts liés à ces services? Rien dans la preuve qui m'a été soumise n'indique que les médecins agréés ont fait de telles demandes de renseignements concernant précisément la situation de Matthew. Je ne vois pas comment les médecins agréés ont pu conclure à un « fardeau excessif » pour les services sociaux [...] Aucun élément de preuve n'appuie la conclusion du fardeau excessif...


...

Dans un cas diagnostiqué d'arriération mentale légère, les médecins agréés supportent le fardeau additionnel d'expliquer pourquoi l'enfant à charge est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux...

[20]            Je suis d'avis qu'en l'espèce, comme dans Deol, précité, l'agent des visas « n'a pas enquêté sur le caractère raisonnable de la conclusion tirée par les médecins, mais a plutôt supposé, en se fondant sur le seul fait [...] de la déficience mentale, que la conclusion était raisonnable » .

[21]            Enfin, je mentionne les commentaires faits par le juge Wetston dans Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 26, lequel a souligné que :

...les avis des médecins agréés sur la question de savoir si l'état de santé d'une personne créerait un fardeau excessif pour les services de santé et les services sociaux au Canada sont sujets à contrôle : Ahir c. M.E.I. (1983), 49 N.R. 185 (C.A.F.); Hiramen c. M.E.I. (1986), 65 N.R. 67 (C.A.F.). Les motifs de contrôle comprennent : incohérence ou inconsistance, absence de preuve justificative ou omission de tenir compte des facteurs prévus à l'article 22 du Règlement : Goa c. Canada (M.E.I.) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 306 (C.F. 1re inst.), à la page 318.

[22]            Par conséquent, la conclusion selon laquelle l'enfant à charge du demandeur entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada a été tirée en l'absence de preuve à l'appui.


[23]            Pour ces motifs et sans qu'il soit nécessaire d'aborder l'autre question dont la Cour est saisie, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 16 mars 1999 par l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas.

                                                                              « Dolores M. Hansen »            

                                                                                                      J.C.F.C.                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er février 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-2202-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Oscar Ernesto Prada c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 26 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MADAME LE JUGE HANSEN

EN DATE DU :                                     1er février 2001

ONT COMPARU

Mme Barbara Jackman                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mme Leena Jaakkimainen                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mme Barbara Jackman                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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