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Date : 19990412


T-601-99

MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 12 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


E n t r e :

     FOURNIER PHARMA INC. et

     FOURNIER INDUSTRIE ET SANTÉ,

     demanderesses,


     - et -


     APOTEX INC.,

     défenderesse.



     ORDONNANCE


     La requête en injonction provisoire est rejetée avec dépens.


     J'ordonne également l'audition accélérée de la requête interlocutoire en instance selon le calendrier suivant auquel les parties ont consenti :

     Apotex devra déposer et signifier sa preuve d'ici le 27 avril 1999 ;
     Le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits de Fournier aura lieu les 28, 29 et 30 avril 1999 (au besoin) à Montréal (M. Philippe Régineault devra être contre-interrogé par voie de conférence téléphonique) ;
     Le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits d'Apotex aura lieu les 3, 4 et 5 mai 1999 (au besoin) à Toronto ;
     Fournier et Apotex devront toutes les deux déposer et signifier leur mémoire au plus tard le 13 mai 1999.


Danièle Tremblay-Lamer

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.




Date : 19990412


T-601-99


E n t r e :

     FOURNIER PHARMA INC. et

     FOURNIER INDUSTRIE ET SANTÉ,

     demanderesses,


     - et -


     APOTEX INC.,

     défenderesse.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER


[1]      La Cour est saisie d'une requête en injonction provisoire visant à faire interdire à la défenderesse, Apotex Inc. (Apotex), de pénétrer sur le marché des fénofibrates micronisés au Canada. La demanderesse, Fournier Pharma Inc. (Fournier), commercialise présentement un fénofibrate micronisé, en l'occurrence un médicament utilisé pour traiter les taux élevés de cholestérol, sous la forme d'une capsule orange de gélatine dure connue sous le nom de « Lipidil Micro » .

[2]      Le 29 mars 1999, Apotex a annoncé que « Apo-Féno Micro » , un médicament de rechange du Lipidil Micro, qui était également commercialisé sous forme de capsule orange de gélatine dure, serait mis en vente à compter de la mi-avril 1999.

[3]      Il est de jurisprudence constante que les injonctions provisoires constituent une réparation rare et exceptionnelle1. Ainsi que la Cour l'a déclaré dans le jugement The Kun Shoulder Rest :

La Règle 469(2) des Règles [maintenant la règle 374] prévoit l'octroi d'injonctions provisoires. Cette disposition s'écarte des règles procédurales qui s'appliquent aux demandes ordinaires d'injonction interlocutoire. Tant les Règles que la nature particulière d'une demande d'injonction provisoire exigent que le requérant fasse la preuve d'une urgence d'une importance telle qu'il n'existe aucune autre façon de procéder pour empêcher le préjudice qui est en train de se produire ou qui risque d'arriver2.

En plus d'établir l'urgence de l'injonction, le requérant doit également satisfaire au critère à trois volets applicable à toute injonction3. Comme l'urgence est souvent directement liée au préjudice irréparable, je vais déterminer si les demanderesses satisfont au critère à trois volets d'après les éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, avant d'apprécier l'urgence de l'affaire.

[4]      Le seuil de conformité qui doit être respecté pour établir l'existence d'une question sérieuse à juger est peu élevé4. Le requérant doit toutefois présenter certains éléments de preuve pour démontrer qu'il existe effectivement une question sérieuse à trancher. La déclaration renferme des allégations suivant lesquelles Apotex contrefait une marque de commerce qui appartient aux demanderesses relativement au lancement imminent de l'Apo-Féno Micro sur le marché. Les éléments de preuve qui m'ont été soumis à l'égard de la présente requête ne sont cependant pas concluant. Je suis tentée de citer l'extrait suivant du jugement prononcé par le juge Winkler dans l'affaire Unitel Communications v. Bell Canada :

[TRADUCTION]
La preuve qui m'a été soumise est fort mince, tellement en fait qu'elle n'établit pas qu'il existe une question sérieuse à juger5.

[5]      On ne m'a soumis aucun élément de preuve qui me permettrait de conclure que, dans sa forme projetée, l'Apo-Feno Micro créerait de la confusion avec le Lipidil Micro. On ne m'a soumis aucun élément de preuve qui permette de conclure que la forme, la couleur et la taille de la capsule de Lipidil Micro ont acquis une réputation associée au produit ou que de la confusion serait créée dans l'esprit du grand public. Dans le même ordre d'idées, les demanderesses ont fait valoir que l'emploi par Apotex du mot « micro » dans le nom de sa marque crée de la confusion ou est trompeur. Elles n'ont pourtant présenté aucun élément de preuve pour appuyer cette allégation. À mon avis, les demanderesses n'ont pas soumis d'éléments de preuve permettant de conclure qu'il y a une question sérieuse à juger en l'espèce.

[6]      Le second volet du critère applicable aux injonctions oblige le requérant à démontrer qu'il subira un préjudice irréparable. Je fais miens les propos qu'a tenus mon collègue le juge Dubé dans le jugement Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé) dans lequel il déclare que bien que le seuil de conformité à respecter pour démontrer qu'il existe une question sérieuse à trancher soit peu élevé, le seuil à respecter pour établir l'existence d'un préjudice irréparable est beaucoup plus élevé :

À ce stade-ci des procédures et d'autant plus que la demanderesse cherche seulement à obtenir une injonction de dix jours, il n'appartient pas au juge des requêtes de s'engager très avant dans la question du bien-fondé de la cause. Ainsi, le seuil de conformité au critère de la question sérieuse étant très bas, le juge des requêtes doit simplement décider si la demande est tant soit peu fondée, en ce sens qu'elle n'est pas frivole. Le seuil de conformité en matière de préjudice irréparable est toutefois très élevé. Une injonction est une mesure de réparation extraordinaire et elle est discrétionnaire. La Cour ne devrait pas l'accorder rien que pour favoriser une partie au détriment d'une autre dans ce qui est évidemment une bataille en cour que se livrent deux producteurs sur le marché des médicaments d'ordonnance6.

[7]      Je constate en outre que, dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hocker, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la preuve du préjudice irréparable doit être « claire et non spéculative » 7

[8]      Je conclus que les demanderesses n'ont pas démontrer qu'elles subiront un préjudice irréparable dans les quatorze prochains jours si l'injonction provisoire ne leur est pas accordée. Ainsi que le juge Dubé l'a fait remarquer, la période pertinente est uniquement celle qui est visée par l'injonction provisoire qui a depuis été portée de dix à quatorze jours par les nouvelles règles de procédure8 :

Il ne faut pas perdre de vue que l'injonction provisoire requise n'est simplement valide que pour dix jours et ne constitue pas une injonction interlocutoire dont l'effet se prolonge jusqu'à l'instruction de la cause. Ainsi, la requérante Merck doit prouver qu'elle subira, durant ces dix jours, un préjudice irréparable9.

[9]      Les demanderesses affirment que l'entrée d'Apotex sur le marché des fénofibrates micronisés entraînera le licenciement ou la démission d'employés de Fournier. Le seul élément de preuve en ce sens est le témoignage du président, Graham Johnson, qui affirme dans son affidavit que la diminution des recettes se soldera par des mises à pied et que :

[TRADUCTION]
Le fait de savoir qu'un produit générique est sur le point d'être lancé sur le marché ou se trouve déjà sur le marché conduira certainement des employés à quitter Fournier en prévision des congédiements10.

C'est de la spéculation. En fait, en ce qui concerne la baisse de revenus, la preuve démontre plutôt que la baisse des revenus de Fournier sera probablement échelonnée sur une période de plusieurs mois et qu'aucune baisse marquée ne se produira au cours des quatorze prochains jours11. En ce qui concerne les employés, les demanderesses ne m'ont pas convaincue que, étant au courant de la requête en injonction interlocutoire en instance, des employés quitteront leur emploi si une injonction provisoire n'est pas prononcée. Ainsi que le juge Mackay l'a déclaré dans le jugement Merck & Co., Inc. et al c. Apotex Inc :

[TRADUCTION]
À mon avis, ces craintes ne sont pour une autre raison que des conjectures. Au mieux, elles concernent les conséquences à long terme de l'arrivée d'Apotex sur le marché et non ses effets avant la tenue de l'instruction, si les parties sont vraiment déterminées à porter l'affaire devant le tribunal sans délai12.

[10]      Les demanderesses font également valoir que le lancement de l'Apo-Feno Micro sur le marché forcera Fournier à commercialiser son propre médicament générique par l'intermédiaire de son licencié Pharmascience. Elles soutiennent qu'une fois que Pharmascience aura pénétré sur le marché, le retrait de la licence de Fournier, advenant le cas où l'injonction interlocutoire serait par la suite accordée, nuirait considérablement à la réputation de Fournier.

[11]      M. Johnson affirme que Fournier n'accordera une licence à Pharmascience que si elle est forcée de le faire pour atténuer ses pertes pour le cas où Apotex, ou une autre compagnie, entrerait sur le marché avec une version générique d'une fénofibrate micronisé13. Cette affirmation ne me convainc pas que Fournier autorisera nécessairement Pharmascience à pénétrer sur le marché dans les quatorze prochains jours comme conséquence directe de l'entrée d'Apotex sur le marché.

[12]      Compte tenu du fait que les demanderesses n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu'il existe une question sérieuse à juger et que la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure à l'existence d'un préjudice irréparable, il ne saurait manifestement y avoir urgence en l'espèce. Je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu en l'espèce d'accorder une injonction provisoire.

[13]      La présente décision se limite aux faits et aux éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance dans le cadre de la requête en injonction provisoire et ne devraient aucunement influencer l'issue de la requête en injonction interlocutoire en instance.

DISPOSITIF

[14]      La requête en injonction provisoire est rejetée avec dépens.

[15]      J'ordonne également l'audition accélérée de la requête interlocutoire en instance selon le calendrier suivant auquel les parties ont consenti :

     Apotex devra déposer et signifier sa preuve d'ici le 27 avril 1999 ;
     Le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits de Fournier aura lieu les 28, 29 et 30 avril 1999 (au besoin) à Montréal (M. Philippe Régineault devra être contre-intérerrogé par voie de conférence téléphonique) ;
     Le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits d'Apotex aura lieu les 3, 4 et 5 mai 1999 (au besoin) à Toronto ;
     Fournier et Apotex devront toutes les deux déposer et signifier leur mémoire au plus tard le 13 mai 1999.


Danièle Tremblay-Lamer

                                     JUGE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

Le 12 avril 1999.



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 19990412


T-601-99



                     E n t r e :

                         FOURNIER PHARMA INC. et
                         FOURNIER INDUSTRIE ET SANTÉ,

     demanderesses,


                                         - et -

                                 APOTEX INC.,

     défenderesse.




    



                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE


    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-601-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      FOURNIER PHARMA INC. et
                     FOURNIER INDUSTRIE ET SANTÉ,

     demanderesses,

                     et
                     APOTEX INC.,

     défenderesse.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :          8 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE Mme LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              12 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

Me Ronald Dimock      pour les demanderesses

Me Richard Naiberg      pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

DIMOCK STRATTON CLARIZIO

Toronto (Ontario)      pour les demanderesses

GOODMAN PHILLIPS & VINEBERG

Toronto (Ontario)      pour la défenderesse

__________________

1      Searle Canada Inc. c. Novopharm, (1994), 54 C.P.R. (3d) 213, à la page 231 (C.A.F.)

2      The Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin et Bow Maker Inc. (18 juin 1997), T-118-97, au par. 24 (C.F. 1re inst.).

3      RJR-McDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334.

4      Searle, précité, note 1.

5      (1994), 56 C.P.R. (3d) 232, à la page 236 (Cour de l'Ont. Div. gén.)

6      (1997), 137 F.T.R. 243, à la page 247 (C.F. 1re inst.).

7      (1994), 53 C.P.R. (3d) 34, à la page 52 (C.A.F.).

8      Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/8-06, art. 374.

9      Merck Frosst, précité, note 6, à la page 245.

10      Affidavit souscrit le 1er avril 1999 par M. Graham Stirling Johnson, au paragraphe 38.

11      Affidavit souscrit le 1er avril 1999 par M. Tom Brogan, au par. 39 et annexes A, B et C.

12      (1993), 51 C.P.R. (3d) 170, à la page 184 (C.F. 1re inst.)

13      Affidavit de M. Johnson, supra, note 10, au par. 48.

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