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Date : 20000316


Dossier : IMM-4953-98



ENTRE :


YAN WANG



demanderesse


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY


[1]      Yan Wang, une citoyenne de la République populaire de Chine, cherche à obtenir le contrôle judiciaire du refus de la demande de résidence permanente qu'elle a présentée en tant qu'immigrante indépendante ayant l'intention d'exercer la profession d'ingénieur chimiste (CNP 2134). Après avoir déterminé que Mme Wang n'était pas admissible en tant qu'ingénieur chimiste, l'agent des visas a apprécié cette dernière en tant que technicienne en génie chimique (CNP 2211.1) et lui a accordé 67 points.

[2]      Madame Wang a eu une entrevue à Hong Kong le 26 mai 1998 et la lettre de décision de l'agent des visas est datée du 27 mai 1998.

[3]      La présente demande a été entendue en même temps que deux autres instances similaires (nos du greffe IMM-4952-98 et IMM-4954-98). Les demandeurs, qui étaient tous représentés par la même avocate, ont soulevé la même question litigieuse dans leurs dossiers respectifs. Les faits de chaque affaire diffèrent cependant assez pour justifier que des motifs distincts soient exposés dans chacune d'entre elles.

[4]      Dans chaque cas, l'avocate a soutenu que l'agent des visas n'a pas accordé suffisamment de poids à l'évaluation non officielle des compétences d'ingénieurs faite par le Conseil canadien des ingénieurs (le CCI).

[5]      Le CCI fait l'évaluation non officielle moyennant la somme de 175 $. Les candidats doivent remplir un court formulaire dans lequel ils font état de leur formation en génie et leur reconnaissance professionnelle en tant qu'ingénieur dans leur pays de citoyenneté. Le CCI demande également aux candidats de fournir un court curriculum vitae.

[6]      L'évaluation non officielle du CCI peut aboutir à l'un ou l'autre des résultats suivants : (1) « compétences insuffisantes » ou (2) « compétences paraissent acceptables pour des fins d'immigration » .

[7]      En l'espèce, le CCI a jugé que les compétences de la demanderesse étaient acceptables pour des fins d'immigration.

[8]      Les parties ne s'entendent pas sur le poids qu'il convient d'accorder à l'évaluation non officielle du CCI.

[9]      La demanderesse se fonde sur le formulaire du CCI, qui explique l'objectif que vise l'évaluation non officielle :

[TRADUCTION]
... L'objectif de la présente évaluation vise à apprécier la probabilité que le candidat soit accepté au programme d'examen par une association d'ingénieurs provinciale ou territoriale.
Un résultat favorable constitue un avis précieux pour les agents des visas. Ils en tiennent compte lorsqu'ils apprécient votre demande de résidence permanente au Canada. Il ne garantit pas que votre demande sera approuvée, mais il sera un facteur qui vous sera favorable.
Un résultat défavorable est un avis précieux pour vous. Cela vous dit qu'il n'est pas réaliste que vous présentiez une demande d'immigration au Canada si vous avez l'intention d'y travailler en tant qu'ingénieur.
Le résultat de l'évaluation sert exclusivement à la désignation de la profession ou du métier pour des fins d'immigration.

[10]      Le guide de sélection du défendeur, des directives ministérielles que doivent appliquer les agents des visas, traite de la sélection d'ingénieurs et de l'évaluation non officielle du CCI de la façon suivante (Chapitre 4 - Immigrants indépendants) :

4.40      SÉLECTION DES INGÉNIEURS, TECHNICIENS ET TECHNOLOGUES
     1)      Examen des demandes dans les bureaux à l'étranger
         a)      ... Dans la plupart des cas, les résultats de l'évaluation non officielle permettent aux bureaux à l'étranger de déterminer s'il y a lieu d'attribuer aux requérants le code correspondant à la profession d'ingénieur, de technologue certifié en génie ou de technicien certifié en génie aux fins de la sélection des immigrants.
     ...
     2)      Évaluation non officielle
         f)      Au reçu de l'évaluation du CCI ... le bureau à l'étranger procède comme suit :
             CCI
             Case 1 - le requérant ne sera pas admis à titre d'ingénieur;
             Case 2 - le requérant sera admis au Canada à titre d'ingénieur, à condition                  qu'il réponde aux autres critères de sélection.

Le Conseil canadien des techniciens et technologues a prévu une déclaration qui correspond à cette dernière pour ce qui est des évaluations.

[11]      L'avocate de la demanderesse soutient, sur la base du guide de sélection du défendeur, qu'une évaluation favorable du CCI sera considérée comme déterminante pour ce qui est des compétences en génie du candidat, ou, à tout le moins, forcera l'agent des visas à expliquer pourquoi il n'est pas d'accord avec l'évaluation du CCI selon laquelle les « compétences paraissent acceptables pour des fins d'immigration » .

[12]      Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne peut se fonder sur l'évaluation non officielle du CCI. Le contenu du formulaire du CCI et du guide de sélection du défendeur doit être interprété en fonction de l'exigence, prévue par la loi, selon laquelle les agents des visas doivent apprécier tous les aspects de la demande de résidence permanente conformément aux divers facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié.

[13]      Les éléments de preuve qui m'ont été présentés ne sont pas suffisants pour étayer la prétention de la demanderesse que l'évaluation non officielle du CCI est déterminante pour ce qui est de ses compétences à l'égard de la profession d'ingénieur chimiste décrite dans la Classification nationale des professions (la CNP). La preuve concernant le processus d'évaluation du CCI se limite au formulaire de demande et à la feuille d'instruction qui l'accompagne et qui prévoit qu'une évaluation favorable « sera un facteur qui vous sera favorable » mais qu'elle ne garantira pas l'acceptation de la demande de résidence permanente. De la même façon, le libellé du guide de sélection est équivoque. Il laisse entendre qu'une évaluation favorable du CCI entraînera l'acceptation de la demande d'immigration du candidat en tant qu'ingénieur « à condition qu'il réponde aux autres critères de sélection » .

[14]      La question litigieuse, à laquelle je m'abstiendrai de répondre car, à mon avis, elle doit être traitée dans le cadre d'une affaire comprenant une preuve plus complète, est de savoir quelle est l'incidence des ententes que le défendeur et le CCI ont conclues sur la détermination de l'agent des visas concernant les compétences d'un demandeur en tant qu'ingénieur. L'évaluation du CCI constitue-t-elle une exigence imposée par le défendeur? Quelle est la portée de l'analyse du CCI sur les compétences professionnelles de la demanderesse? Quel est le lien entre l'évaluation favorable du CCI et les critères énumérés dans la Classification nationale des professions? Il s'agit de quelques-unes des questions de fait pertinentes à l'égard d'une détermination plus précise de la valeur probante de l'évaluation du CCI dans le cadre d'une demande de résidence permanente présentée par un ingénieur.

[15]      La demanderesse a cependant raison lorsqu'elle fait valoir que l'évaluation du CCI fait partie des renseignements, en plus du curriculum vitae du demandeur, d'une description de ses fonctions et d'une lettre de recommandation, dont l'agent des visas doit tenir compte lorsqu'il détermine si le candidat satisfait aux critères de la CNP applicables aux ingénieurs. En d'autres termes, la décision défavorable de l'agent des visas concernant la classification de la demanderesse en tant qu'ingénieur doit être fondée sur un examen attentif des renseignements que celle-ci a fournis, y compris l'évaluation du CCI.

[16]      Dans l'affidavit qu'il a produit en l'espèce, l'agent des visas a expliqué ce qu'il comprenait u processus d'évaluation du CCI. Il a appris, à l'occasion de deux séances d'information du CCI, que l'évaluation non officielle était d'abord et avant tout une appréciation de la formation universitaire du demandeur et que ses antécédents de travail n'étaient pas examinés. Il est utile de répéter ce que l'agent des visas a dit dans son affidavit sur cette question :

[TRADUCTION] ... Je ne suis pas d'accord qu'une personne doive établir qu'elle a effectivement déjà travaillé à titre d'ingénieur pour obtenir du Conseil canadien des ingénieurs (CCI) une évaluation non officielle favorable de ses compétences en génie. J'ai assisté à deux séances d'information offertes par le Conseil canadien des ingénieurs (CCI) à l'occasion desquelles des évaluateurs m'ont décrit le processus qu'ils suivent habituellement lorsqu'ils font une évaluation non officielle des compétences en génie d'un individu, de même que les facteurs dont ils tiennent compte. Bien que la demande d'évaluation non officielle de compétences des ingénieurs invite les demandeurs à fournir un curriculum vitae, je crois comprendre, sur la base des séances d'information auxquelles j'ai assisté, que l'évaluation non officielle du CCI est d'abord et avant tout bord une appréciation de la formation universitaire du demandeur, et que le CCI n'examine pas les antécédents de travail de ce dernier.

[17]      L'information que l'agent des visas a obtenue aux séances d'information diffère considérablement de celle que fournissent le formulaire de demande du CCI et la feuille d'instruction qui l'accompagne et le guide de sélection du défendeur. Les demandeurs doivent soumettre au CCI un curriculum vitae [TRADUCTION] « faisant état des dates, des postes occupés, et d'une brève description des fonctions du poste » . Dans le cas où l'agent des visas avait raison de prétendre que ces antécédents professionnels n'ont pas été considérés par le CCI, la demanderesse en l'espèce aurait dû en être avisée. Comme l'a fait remarquer le juge Gibson dans Yue c. Canada (1999), 169 F.T.R. 299, au paragraphe 7 : « L'agente des visas s'est appuyée sur des preuves extrinsèques fournies par le Conseil canadien des ingénieurs professionnels sans donner aux demandeurs une possibilité raisonnable de répondre à cette preuve extrinsèque » .

[18]      Il était raisonnable de la part de la demanderesse de présumer que l'agent des visas tiendrait compte de l'évaluation non officielle du CCI. En outre, il était raisonnable de sa part de présumer que l'information que contenait son curriculum vitae a contribué à son obtention d'une évaluation non officielle favorable. En l'espèce, l'agent des visas fait remarquer dans son affidavit qu'il [TRADUCTION] « a tenu compte du résultat favorable de l'évaluation non officielle que le CCI a faite ... » . Cependant, il a considéré que l'évaluation non officielle se limitait à la formation universitaire de la demanderesse. Cette interprétation différait considérablement de celle que laissaient entendre les documents du CCI et le guide de sélection. L'omission de faire état de cette différence, compte tenu de renseignements extrinsèques qui n'ont pas été communiqués à la demanderesse, constitue une violation de la justice naturelle et une erreur susceptible de contrôle.

[19]      J'ai lu attentivement l'affidavit de l'agent des visas et celui de la demanderesse. J'ai également tenu compte des notes de l'agent des visas au regard du curriculum vitae de Mme Wang, de la lettre de recommandation de son employeur, et de sa réponse aux questions écrites en entrevue. Les renseignements documentaires que la demanderesse a fournis sont de nature générale. Son statut d'ingénieur chimiste n'est pas clairement établi. N'eut été de l'omission de l'agent des visas de fournir à la demanderesse l'occasion de répondre à son avis selon lequel l'évaluation non officielle du CCI était fondée d'abord et avant tout sur sa formation universitaire, je ne serais pas intervenu. Cependant, il ne revient pas à notre Cour de déterminer si la demanderesse est un ingénieur diplômé et je ne suis pas convaincu que le résultat d'un nouvel examen de sa demande serait « inévitable » : Yassine c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.), à la p. 312.

[20]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision qui fait l'objet du présent contrôle est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue à son tour sur celle-ci. Les parties pourront soumettre des observations écrites concernant la certification d'une question grave dans un délai de sept jours suivant la date des présents motifs.


« Allan Lutfy »

                                         juge en chef adjoint


Ottawa (Ontario)

Le 16 mars 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-4953-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          YAN WANG c. LE MINISTRE DE LA                              CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 15 JUILLET 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                  16 MARS 2000


ONT COMPARU :     


Mme Barbara Jackman                      POUR LA DEMANDERESSE

M. Godwin Friday                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     


Mme Barbara Jackman                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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