Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200714


Dossier : IMM-6758-19

Référence : 2020 CF 760

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2020

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ADEDOYIN ADEJUMOKE OLUWO

OLUWADARASIMI ZIZAH OLUWO

OLUWASEMILORE EZEKIEL OLUWO

MICHAEL OLUWAFIKUNAYOMI OLUWO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Mme Adedoyin Adejumoke Oluwo et ses trois fils mineurs, Oluwasemilore Ezekiel Oluwo, Oluwadarasimi Zizah Oluwo et Michael Oluwafikunayomi Oluwo (les demandeurs), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 17 octobre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle ils n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la Loi sur l’immigration].

[2]  Les deux tribunaux ont rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Ibadan, au Nigéria.

[3]  Pour les motifs qui suivent, et compte tenu de la norme de contrôle applicable, je rejetterai la demande.

II.  Contexte

[4]  Mme Oluwo et ses deux fils aînés, Ezekiel et Zizah, sont citoyens du Nigéria, alors que le benjamin, Michael, est citoyen des États‑Unis.

[5]  En septembre 2016, Mme Oluwo, son époux et leurs deux fils aînés ont quitté le Nigéria et ont été admis aux États‑Unis, chacun muni d’un visa de visiteur américain conforme délivré en juin 2016. Au cours de l’année qu’ils ont passée aux États‑Unis, Mme Oluwo et son époux ont divorcé, et cette dernière a donné naissance à leur fils Michael.

[6]  Le 17 septembre 2017, les demandeurs sont entrés au Canada et y ont demandé l’asile. Mme Oluwo a fondé sa demande d’asile ainsi que celle de ses fils sur la crainte de retourner au Nigéria, où ses fils et elle avaient été pris pour cible par des traditionalistes appelés mascarades (des familles Oloola et Oluwo), qui leur mettaient de la pression pour qu’ils accomplissent des rituels.

[7]  Le 11 septembre 2018, la SPR a désigné Mme Oluwo à titre de représentante de ses fils mineurs et a instruit leur demande. Parmi les documents présentés en preuve devant la SPR se trouvait une lettre d’un médecin datée du 10 septembre 2018 concernant principalement l’état de santé de Mme Oluwo. Le médecin indiquait avoir examiné Mme Oluwo pour la dernière fois le 9 mai 2018 et qu’elle souffrait d’un trouble de l’adaptation causant de l’anxiété, d’un stress post‑traumatique, de l’insomnie secondaire, de l’hypertension ainsi que des maux de tête. Le médecin indiquait également que le fils de Mme Oluwo, Ezekiel, souffrait vraisemblablement d’un trouble envahissant du développement (autisme) (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 261).

[8]  Le dossier dont disposait la SPR comprenait également trois documents liés à la situation d’Ezekiel. Le premier est un rapport de la psychologue de l’école daté du 16 mai 2018, dans lequel elle indiquait que [traduction] « les déficits concernant a) la réciprocité dans la communication sociale, b) les interactions sociales, c) la communication non verbale et la présence de certains comportements stéréotypés seraient vraisemblablement compatibles avec un trouble du spectre de l’autisme avec léger handicap intellectuel ». Les deux autres documents sont des questionnaires, l’un rempli par Mme Oluwo le 4 juin 2018 et l’autre rempli par un enseignant le 21 juin 2018.

[9]  Dans sa décision du 21 novembre 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration. La SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable au Nigéria, bien qu’elle n’ait pas nommé d’endroit dans sa décision. La SPR n’a pas remis en question la crédibilité des demandes d’asile des demandeurs.

[10]  S’appuyant sur le guide jurisprudentiel sur le Nigéria du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] [le guide jurisprudentiel], la SPR a fait une analogie entre la crainte des demandeurs et la mutilation génitale féminine, en ce qu’elles concernent toutes deux des croyances et des rites traditionnels au Nigéria. La SPR a indiqué que la Cour fédérale a confirmé la viabilité des PRI en ce qui concerne les craintes fondées sur la mutilation génitale féminine. La SPR a rejeté l’explication de Mme Oluwo selon laquelle les mascarades pourraient les retrouver, elle et ses enfants, ailleurs au Nigéria puisqu’ils sauraient, simplement en les regardant, qu’on leur avait jeté un sort.

[11]  La SPR a examiné la preuve liée à l’état d’Ezekiel et a fait remarquer qu’elle explique en général que ce dernier éprouve des difficultés à fonctionner à l’école et avec autrui à cause de ses problèmes de comportement. La SPR a renvoyé à la lettre mentionnée ci-dessus du 10 septembre 2018, indiquant que le médecin a affirmé qu’Ezekiel était fort probablement atteint d’un trouble envahissant du développement (autisme), et a fait remarquer qu’Ezekiel n’avait jamais reçu un diagnostic d’autisme. Elle a conclu que rien dans la preuve n’indiquait qu’Ezekiel, en raison de ses problèmes de comportement, serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution au Nigéria ni, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou de peines cruels et inusités.

[12]  La SPR a aussi conclu que Michael, qui est citoyen américain, n’a pas réussi à établir l’existence d’un risque au sens de l’article 96 ou 97 aux États‑Unis, faisant remarquer que Mme Oluwo a affirmé elle‑même que son fils n’a aucune crainte aux États‑Unis.

III.  Appel interjeté devant la SAR

[13]  Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR et, le 10 janvier 2019, ils ont déposé leur dossier d’appel devant la SAR (DCT, aux pages 124‑144). Dans son affidavit, Mme Oluwo a confirmé qu’elle n’avait présenté aucun nouvel élément de preuve et qu’elle ne demandait pas la tenue d’une audience (paragraphes 110(4) et (6) de la Loi sur l’immigration). Les demandeurs n’ont pas demandé un report ou un ajournement à la SAR pour qu’ils puissent obtenir des éléments de preuve médicaux nouveaux ou à jour et n’ont pas non plus mentionné à la SAR que de tels documents seraient présentés.

[14]  Dans leurs observations écrites présentées à la SAR, les demandeurs ont soulevé trois arguments, soit que la SPR : (1) avait commis une erreur en appliquant le guide jurisprudentiel; (2) avait commis une erreur dans l’analyse de leur PRI; (3) avait rendu une décision déraisonnable en raison de l’absence d’éléments de preuve documentaires au sujet des mascarades au Nigéria.

[15]  En particulier, en ce qui concerne l’analyse de la PRI, les demandeurs ont soutenu que la SPR a commis une erreur a) en n’énonçant pas le critère à deux volets; b) en ne désignant pas le lieu précis offrant une PRI; c) en ne précisant pas la crainte qu’ils avaient à l’égard de la PRI.

[16]  Ces motifs d’appel ne portaient pas sur les conditions psychologiques ou médicales des demandeurs ni sur le caractère déraisonnable du second volet du critère relatif à la PRI.

IV.  Décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[17]  Dans sa décision du 17 octobre 2019, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, au motif qu’ils disposent d’une PRI viable à Ibadan. La SAR a abordé chacun des motifs d’appel avancés par les demandeurs.

[18]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en omettant de préciser le lieu offrant une PRI. Bien que la SAR ait reconnu que la SPR n’a pas mentionné de manière explicite dans ses motifs un endroit désigné comme PRI, elle l’a fait à l’audience. À son avis, cela constituait un avis suffisant quant à un endroit où il existe une PRI.

[19]  La SAR a conclu que la SPR aurait pu être plus « explicite » dans l’application du critère relatif à la PRI, mais qu’elle a tiré la bonne conclusion quant à l’existence d’une PRI au Nigéria.

[20]  La SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR avait commis une erreur en appliquant le guide jurisprudentiel, faisant remarquer que la contestation devant la Cour fédérale avait été rejetée. En effet, dans la décision Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 [ACAADR], le juge en chef de la Cour fédérale a conclu que le guide jurisprudentiel pour le Nigéria sur la question de la PRI n’entravait pas illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires (aux para 7, 112‑119, 171, 224).

[21]  La SAR a conclu que la SPR a correctement appliqué le premier volet du critère relatif à la PRI. Elle a rejeté les arguments des demandeurs selon lesquels la SPR n’a pas précisé leur crainte et a ignoré à tort l’explication indiquant de quelle façon ils seraient retrouvés par les mascarades à l’endroit désigné comme PRI. La SAR a conclu que l’omission de la SPR d’établir la crainte précise n’était pas pertinente parce que la SPR avait reconnu leur crainte et conclu qu’elle n’avait pas lieu d’être à l’endroit proposé comme PRI. De plus, la SAR n’a relevé aucune erreur dans la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage de Mme Oluwo concernant la façon dont elle serait retrouvée à l’endroit désigné comme PRI était hypothétique et non étayé par des éléments de preuve objectifs.

[22]  La SAR a indiqué que la SPR est allée au‑delà des allégations formulées par les appelants et a examiné si Ezekiel serait persécuté parce qu’il souffre d’un trouble de développement, possiblement l’autisme. La SAR a confirmé que la SPR n’avait commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il serait exposé à un risque pour cette raison.

[23]  Enfin, la SAR a conclu que les appelants n’avaient pas établi que la réinstallation à l’endroit désigné comme PRI était déraisonnable, compte tenu du guide jurisprudentiel et de plusieurs autres éléments, comme la sécurité, la langue, l’emploi, le logement, la religion, l’éducation, les soins de santé, la culture, l’identité autochtone et le fait que Mme Oluwo est une femme célibataire avec des enfants.

[24]  En ce qui concerne Ezekiel, la SAR a reconnu qu’il éprouve des difficultés à l’école en raison de ses problèmes de comportement et qu’il souffre peut‑être d’un trouble du développement ou d’autisme et a indiqué que les appelants n’ont formulé aucun argument précis en appel. La SAR a reconnu qu’Ezekiel peut avoir besoin d’un traitement au Nigéria, mais a insisté pour dire que les appelants n’ont présenté aucun élément de preuve selon lequel il ne pourrait pas recevoir un traitement adéquat au Nigéria. La SAR a conclu que l’état d’Ezekiel pouvait présenter d’autres difficultés, mais qu’il n’atteignait pas un niveau démontrant qu’il était déraisonnable.

[25]  Enfin, la SAR a souligné que les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle Michael n’avait exercé aucun recours aux États‑Unis.

V.  Question préliminaire

A.  Nouvelle preuve devant la Cour : pièces I, J et K

[26]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] demande à la Cour de rejeter les pièces I, J et K du dossier des demandeurs puisqu’elles n’ont pas été soumises à l’examen de la SAR.

[27]  Les demandeurs s’opposent à cette demande au motif que les pièces I, J et K ne contiennent aucun nouveau renseignement, en ce qu’il s’agit simplement de la suite des rapports médicaux qui ont été déposés devant la SPR et la SAR.

[28]  La pièce I contient un dossier clinique concernant Ezekiel. Elle contient un rapport d’évaluation de l’orthophoniste [Rapport d’évaluation interdisciplinaire] daté du 4 avril 2019, un rapport d’évaluation suivant l’Échelle d’observation pour le diagnostic du spectre autistique [ADOS-2] daté du 11 avril 2019 et signé par un ergothérapeute, ainsi qu’une évaluation neuropsychologique datée du 7 mai 2019.

[29]  La pièce J est une lettre datée du 5 décembre 2019 d’un pédiatre généraliste à l’Hôpital de Montréal pour enfants indiquant le diagnostic d’Ezekiel et les médicaments prescrits (dossier des demandeurs, aux pages 100‑102).

[30]  La pièce K est une lettre datée du 5 décembre 2019 écrite par un médecin qui indique en détail l’historique clinique d’Ezekiel et de Mme Oluwo (dossier des demandeurs, aux pages 104‑106). Tous les documents figurant aux pièces I, J et K sont postérieurs au dossier des demandeurs en appel devant la SAR et ne figurent pas dans le DCT remis à la Cour.

[31]  En règle générale, le contrôle judiciaire se limite à la décision contestée et aux documents dont disposait le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux para 17‑18 [Access Copyright]). Cette règle générale permet de s’assurer que les cours de révision ne contrecarrent pas le rôle des tribunaux administratifs et n’agissent pas comme juges des faits à leur place (Access Copyright au para 19).

[32]  Comme le juge LeBlanc l’a résumé dans la décision Jama c Canada (Procureur général), 2020 CF 308, il existe trois exceptions à la règle générale :

[4] Il existe trois exceptions reconnues à cette règle d’application générale. En effet, les éléments de preuve (i) qui contiennent des informations générales susceptibles d’aider la cour de révision à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, (ii) qui appuient un argument en matière d’équité procédurale ou (iii) qui font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée peuvent être admis par la cour de révision (Access Copyright, au par. 20).

[5] Toutefois, ces exceptions ne s’appliquent que lorsque l’admission des éléments de preuve par la cour de révision « n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif [...] » (Access Copyright, au par. 20). En ce qui concerne plus particulièrement l’exception relative aux informations générales, la Cour d’appel fédérale a formulé une mise en garde contre l’admission d’éléments de preuve qui vont « plus loin » et qui « se rapport[e]nt au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » (Access Copyright, au par. 20).

[33]  Les demandeurs n’ont pas démontré que ces exceptions s’appliquent en l’espèce (Akram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 143, aux para 15‑16; Homaire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1197, au para 23; Ratnasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 274, au para 16).

[34]  Par conséquent, comme je l’ai confirmé durant l’audience, je n’examinerai pas les pièces I, J et K.

VI.  Questions en litige

[35]  Selon les observations des demandeurs, la Cour doit décider, au moyen de la norme de contrôle appropriée, si la SAR (1) a omis d’examiner correctement la preuve relative à l’état psychologique et médical de Mme Oluwo et de son fils Ezekiel et (2) a omis de prendre note de la situation actuelle de Mme Oluwo dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI.

VII.  Norme de contrôle

[36]  Les parties conviennent que les questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 23 [Vavilov]). Suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable, « [l]a Cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov, au para 83).

VIII.  Analyse

A.  La SAR a-t-elle omis d’examiner correctement la preuve relative à l’état psychologique et médical de Mme Oluwo et de son fils Ezekiel?

[37]  Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas correctement examiné la preuve liée à l’évaluation de la santé mentale de Mme Oluwo et à la déficience développementale d’Ezekiel (trouble de l’autisme) lorsqu’elle a conclu que la réinstallation à Ibadan n’était pas déraisonnable. Leur argument concerne donc le deuxième volet du critère relatif à la PRI.

(1)  Mme Adedoyin Adejumoke Oluwo

[38]  En ce qui concerne Mme Oluwo, les demandeurs soutiennent que la SPR et la SAR ont totalement écarté la lettre d’un médecin datée du 10 septembre 2018. Selon eux, la SAR devait aborder le défaut de la SPR d’évaluer cet élément de preuve et évaluer ledit élément de preuve pour déterminer si un traitement médical pour son trouble psychologique était disponible à l’endroit proposé comme PRI (renvoyant au guide jurisprudentiel TB7‑19851 daté du 6 juillet 2018). Les demandeurs soutiennent que le défaut de la SAR est une erreur susceptible de contrôle (citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1995 CanLII 3495 (CF); Cartagena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289, au para 11; Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, au para 60).

[39]  Le ministre soutient que l’argument des demandeurs ainsi que le fondement qui le sous‑tend n’ont pas été présentés au décideur approprié. Selon le ministre, l’argument des demandeurs concernant le rapport médical de Mme Oluwo daté du 10 septembre 2018 n’a pas été soulevé devant la SAR. Au soutien de cette observation, le ministre est d’avis qu’il n’y a aucune preuve que le rapport du 10 septembre 2018 (daté de la veille de l’audience devant la SPR) a réellement été déposé devant la SPR. De plus, il fait remarquer que l’argument des demandeurs repose sur une preuve qui est postérieure à la décision de la SAR.

[40]  En réponse, les demandeurs contestent les objections procédurales du ministre. En particulier, ils soutiennent que l’état psychologique de Mme Oluwo a été soumis à l’attention de la SPR le 22 août 2018 (au moyen d’une pièce) et qu’il aurait dû être examiné de façon indépendante par la SAR dans son analyse de la PRI. Selon les demandeurs, on ne peut soutenir que la SAR ne savait pas que l’état psychologique de Mme Oluwo n’était pas une question en appel.

[41]  Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, je n’examine pas les pièces I, J et K, puisqu’elles n’ont pas été soumises à l’examen de la SAR, et je n’entends pas non plus les arguments des demandeurs qui portent sur ces documents.

[42]  Dans sa décision, la SPR n’a pas mentionné les éléments de preuve psychologiques ou médicaux liés à l’état psychologique de Mme Oluwo. Toutefois, les demandeurs n’ont pas mentionné l’état psychologique de Mme Oluwo ni son diagnostic de SSPT dans leur appel devant la SAR et n’ont pas soulevé cette question malgré le fardeau de preuve qui leur incombait de démontrer que la PRI proposée est déraisonnable (Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 145, au para 53).

[43]  En effet, les demandeurs reprochent à la SAR de ne pas avoir abordé une question qu’ils n’ont pas soulevée devant elle. En règle générale, il est interdit aux demandeurs de soulever de nouvelles questions juridiques qui auraient pu être soulevées avant le contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux para 22‑26 [Alberta Teachers]; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, aux para 42‑47; Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, au para 33). Bien qu’il existe des exceptions à cette règle, je ne vois pas comment l’une d’entre elles pourrait s’appliquer à la présente instance (Alberta Teachers, aux para 22, 28).

[44]  En l’espèce, l’application de la règle générale est fondée sur le principe voulant que la SPR et la SAR – et non la Cour – sont les tribunaux désignés par le législateur pour tirer des conclusions de fait, déterminer les règles de droit applicables, examiner les questions d’orientation générale et tirer des conclusions fondées sur les faits au dossier (Access Copyright, au para 17). Dans le contexte du contrôle judiciaire, il ne revient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur administratif (Vavilov, au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 61).

(2)  M. Oluwasemilore Ezekiel Oluwo

[45]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a simplement répété les conclusions de la SPR en ce qui concerne le trouble de l’autisme d’Ezekiel sans mener sa propre évaluation indépendante de sa déficience et des répercussions de celle‑ci. En particulier, les demandeurs soutiennent que la SAR a fait fi de trois documents : le rapport d’évaluation psychologique, la lettre du médecin de Mme Oluwo datée du 10 septembre 2018 et deux questionnaires remplis par le technicien spécialisé en éducation d’Ezekiel (DCT, aux pages 268‑276). Ils soutiennent aussi que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve figurant dans le cartable national de documentation sur la disponibilité des services en santé mentale pour Ezekiel au Nigéria. Selon eux, l’ensemble de la preuve démontre que le renvoi d’un autiste au Nigéria correspond à de la persécution.

[46]  Le ministre répond que le deuxième argument des demandeurs est fondé sur le même [traduction] « modus operandi » que le premier, soit la preuve et les arguments qui n’ont pas été présentés à la SAR pour contester son analyse de l’état de santé d’Ezekiel.

[47]  En réponse, les demandeurs soutiennent qu’il importe peu que le diagnostic officiel de l’autisme d’Ezekiel ait été fourni seulement après le rejet initial de leur demande d’asile. Ils répètent qu’ils ont présenté une preuve renvoyant à la conclusion selon laquelle Ezekiel souffrait d’autisme et que le fait que le diagnostic de l’autisme est postérieur à la décision de la SPR ne veut pas dire qu’Ezekiel ne souffre pas d’autisme.

[48]  Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a reconnu qu’Ezekiel souffrait d’un trouble développemental, probablement d’autisme, et a donc examiné la preuve présentée. La SAR s’est naturellement abstenue de prononcer un diagnostic d’autisme et s’est fondée à juste titre sur la preuve au dossier provenant de professionnels qualifiés. De plus, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a examiné l’état d’Ezekiel, comme l’indique le dossier, dans le cadre des deux volets du critère relatif à la PRI, malgré le fait que les demandeurs eux‑mêmes ne l’avaient pas soulevé dans leurs observations en appel.

[49]  La SAR a d’abord conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’Ezekiel serait exposé à un risque de persécution au Nigéria en raison de son état et a ensuite conclu que les appelants n’avaient fourni aucune preuve qu’Ezekiel ne pouvait recevoir les traitements appropriés au Nigéria et n’avaient pas démontré que ses besoins atteindraient un niveau déraisonnable.

[50]  Il incombait aux demandeurs d’établir, devant la SAR, le caractère déraisonnable de la PRI. Toutefois, ils n’ont présenté aucun argument à cet égard. Là encore, les demandeurs reprochent à la SAR de ne pas avoir abordé une question qu’ils n’ont pas précisément soulevée devant elle, malgré qu’ils aient reçu un avis suffisant à cet égard dans la décision de la SPR.

[51]  Compte tenu du dossier de preuve dont disposait la SAR et des arguments des demandeurs soulevés en appel, je conclus que les conclusions de la SAR ne comportent aucune erreur.

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur en omettant d’examiner la situation actuelle de Mme Oluwo dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI?

[52]  Les demandeurs soutiennent que, lorsqu’elle a examiné les facteurs pertinents énumérés dans le guide jurisprudentiel, la SAR n’a pas tenu compte de la situation particulière de Mme Oluwo. Ils renvoient à l’absence de soutien des beaux‑parents de Mme Oluwo, à son statut de femme divorcée, au manque d’influence de sa famille, aux limitations physiques de sa mère, à l’état de son fils et à l’absence d’un filet de sécurité sociale au Nigéria. Bref, les demandeurs font valoir que Mme Oluwo se retrouvera sans famille ni soutien gouvernemental, ce qui compromettra aussi la sécurité des enfants. Ils soutiennent que le défaut par la SAR d’examiner la preuve présentée au sujet de ces questions est une erreur susceptible de contrôle.

[53]  Le ministre soutient que les demandeurs n’ont relevé aucune erreur susceptible de contrôle et fait valoir qu’ils ont confondu une demande de contrôle judiciaire avec une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou une demande d’examen des risques avant renvoi.

[54]  Comme les deux arguments précédents, l’argument des demandeurs en contrôle judiciaire soulève une question qui n’a pas été présentée dans le contexte de leur appel devant la SAR. Les demandeurs n’ont pas mentionné les circonstances précises qu’ils reprochent maintenant à la SAR de ne pas avoir prises en compte. Bien que ces questions soient pertinentes dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs ne les ont pas soulevées devant la SAR, se limitant à contester le défaut par la SPR d’appliquer à la lettre le deuxième volet du critère relatif à la PRI, plutôt que de contester les conclusions précises formulées dans le contexte de l’analyse de la PRI.

[55]  Malgré le fait que les demandeurs n’ont présenté aucune observation sur les conclusions précises tirées dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a néanmoins effectué une analyse multidimensionnelle du caractère raisonnable du lieu proposé comme PRI. La SAR a conclu que la situation des demandeurs est semblable à celle des femmes fuyant la mutilation génitale féminine et un mariage forcé, deux pratiques associées à des rites traditionnels. À l’opposé de la SPR, la SAR a ensuite examiné une série de facteurs portant sur le caractère raisonnable de la PRI. Dans l’ensemble, bien que la SAR ait souscrit au point de vue des demandeurs selon lequel les motifs de la SPR auraient pu être plus « exhaustifs », elle a conclu qu’ils ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir que la réinstallation à l’endroit désigné comme PRI était déraisonnable.

[56]  Par conséquent, je conclus que la SAR a raisonnablement répondu aux questions qui lui ont été présentées, compte tenu du dossier de preuve.

[57]  Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs reprochent à la SAR de ne pas avoir déduit l’incidence du divorce avec son époux sur sa capacité à prendre soin de ses enfants.

[58]  Même si cette question n’a pas été soulevée en appel, la SAR a formulé plusieurs conclusions qui répondent à cette préoccupation. Tout en reconnaissant que le taux de chômage et que les loyers sont élevés au Nigéria, la SAR a conclu que Mme Oluwo serait en mesure de trouver un emploi en raison de ses antécédents professionnels, de ses études universitaires et de sa maîtrise de l’anglais (décision de la SAR, aux para 24, 28). La SAR a souligné que les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve qu’Ezekiel ne pourrait recevoir un traitement adéquat au Nigéria (décision de la SAR, au para 26). La SAR a aussi indiqué que le fait que Mme Oluwo ait réussi à voyager des États‑Unis jusqu’au Canada avec ses trois enfants tend à démontrer que maintenir un foyer au Nigéria n’est pas déraisonnable (décision de la SAR, au para 28). Bien que son divorce avec son époux puisse augmenter le niveau de difficulté pour élever une famille, je ne vois pas en quoi l’analyse par la SAR des questions et du dossier dont elle disposait est déraisonnable au point de justifier un contrôle judiciaire.

IX.  Conclusion

[59]  Dans le contexte de la présente demande, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte d’une série de questions liées à la détermination de la PRI, malgré le fait qu’ils n’ont pas soulevé ces questions devant la SAR. En effet, les demandeurs prient la Cour de formuler des conclusions factuelles indépendantes fondées sur de nouvelles observations et de nouveaux faits.

[60]  Toutefois, les cours de révision doivent éviter de formuler des conclusions de fait et se concentrer sur le contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). Comme le terme le dit, le contrôle judiciaire empêche les cours de révision de formuler de toutes pièces des conclusions de fait uniques. En fait, les cours de révision ne peuvent qu’examiner le bien‑fondé d’une décision administrative prise au vu d’un dossier de preuve existant (Access Copyright, aux para 17‑18).

[61]  Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable, et je rejetterai leur demande.

[62]  Les demandeurs ont présenté une question à certifier. Ils soutiennent qu’elle respecte les critères prévus à l’article 74 de la Loi sur l’immigration puisqu’elle dispose de l’appel, va au‑delà des intérêts des parties en l’espèce et soulève une question d’importance pour tous les futurs demandeurs d’asile au Canada. Les demandeurs sont d’avis que la question proposée respecte ainsi les principes jurisprudentiels établis par la Cour d’appel fédérale pour déterminer si une question devrait être certifiée. Le ministre s’oppose essentiellement à la certification puisqu’elle est fondée sur les faits.

[63]  La question présentée par les demandeurs est la suivante : [traduction] « Dans le cadre de l’évaluation du principe relatif à la possibilité de refuge intérieur, la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés devrait‑elle attendre un diagnostic médical définitif avant de rendre une décision lorsqu’il existe une preuve qu’un diagnostic sera rendu? ».

[64]  La Cour d’appel fédérale a établi les critères de certification de nouveau dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22. En l’espèce, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que les critères ont été respectés et que la question devrait être certifiée. La question qu’ils soulèvent en l’espèce ne l’a pas été auparavant devant la SPR et la SAR, à qui on n’a pas demandé de reporter ou d’ajourner l’instance et qui n’ont pas été mises au courant qu’un diagnostic serait bientôt posé, et ni la SPR ni la SAR ne l’ont donc abordée dans leurs motifs respectifs (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 145). En outre, cette question dépend largement des faits et ne dispose pas de l’appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6758-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-6758-19

INTITULÉ :

ADEDOYIN ADEJUMOKE OLUWO, OLUWADARASIMI ZIZAH OLUWO, OLUWASEMILORE EZEKIEL OLUWO, MICHAEL OLUWAFIKUNAYOMI OLUWO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 14 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Marie Pierre Blais Ménard

Gjergji Hasa

POUR LES DEMANDEURS

Zoé Richard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie Pierre Blais Ménard

Gjergji Hasa

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.