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Date : 20200601


Dossier : IMM-4186-19

Référence : 2020 CF 655

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2020

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

BAYE MOGES WOLDEMICHAEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, M. Baye Moges Woldemichael [le demandeur ou M. Woldemichael] est un citoyen d’Éthiopie. Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR], puis par la Section d’appel des réfugiés [SAR] en appel. M. Woldemichael a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], alléguant que, s’il est renvoyé en Éthiopie, il s’expose à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain en raison de son origine ethnique [amhara], de ses opinions politiques et de son appartenance au parti d’opposition, le Semayawi [également connu sous le nom de Parti bleu] : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], art 96, 97 et 112. Le 17 avril 2019, un agent d’ERAR d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a conclu que ces risques n’existaient pas et a rejeté la demande d’ERAR de M. Woldemichael. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR : LIPR, par 72(1).

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

A.  Le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] initial

[3]  M. Woldemichael a fondé sa demande d’asile initiale au Canada sur son origine amhara, ses opinions politiques et son appartenance à des groupes d’opposition [en particulier le Parti bleu]. Dans son formulaire FDA, il a allégué avoir soutenu et aidé la Coalition pour l’unité et la démocratie [CUD ou le Kinijit] pour la première fois lors des élections de mai 2005. Lorsque la CUD a perdu les élections, elle a lancé un appel national à la manifestation et à la grève. M. Woldemichael a allégué que, alors qu’il participait à ces activités, le 8 juin 2005, il avait été arrêté, avec des milliers de personnes, et détenu au poste de police de Gulele, à Addis-Abeba, pendant trois jours, au cours desquels il a été battu, frappé et insulté à cause de son origine amhara avant d’être relâché avec un avertissement sévère.

[4]  M. Woldemichael a également allégué que, pendant sa carrière en tant que professionnel des technologies de l’information [TI], il a aidé plusieurs autres Éthiopiens à accéder au site Web de la station Ethiopian Satellite Television and Radio [ESAT]. ESAT est un média dont le signal a souvent été brouillé et interrompu par le gouvernement éthiopien. M. Woldemichael a également allégué que le gouvernement était au courant de ses activités et de ses opinions politiques, et qu’il l’a forcé à cesser ses activités en lui imposant des taxes plus élevées. M. Woldemichael a également soutenu qu’il était membre du Parti bleu depuis janvier 2013 et qu’il avait fait des dons d’argent, distribué des dépliants et assisté à quelques réunions, en plus d’aider le Parti avec les TI. Il a allégué avoir été accusé et harcelé par les forces gouvernementales en raison de ce soutien. Il a également soutenu qu’on l’avait pressenti à de nombreuses reprises pour devenir membre du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien [FDRPE], mais qu’il avait refusé.

[5]  Le 22 avril 2015, M. Woldemichael aurait participé à un rassemblement organisé sur la place Meskel, à Addis-Abeba, en appui aux Éthiopiens tués par l’État islamique en Libye. Cette manifestation s’est transformée alors que des manifestants se sont mis à dénoncer la négligence du gouvernement à protéger ses propres citoyens, ce qui a mené la police fédérale et d’autres forces gouvernementales à brutaliser la foule et à arrêter toutes les personnes qu’elles pouvaient. M. Woldemichael a allégué que lui et plusieurs autres avaient été arrêtés et emmenés au poste de police de Cherkos, où il avait été maltraité, interrogé et vilipendé (il aurait fait l’objet de propos désobligeants) en raison de son origine amhara. Il a été libéré deux jours plus tard après avoir versé une caution de 10 000 birrs et reçu un avertissement sévère de ne pas participer à des activités antigouvernementales. Il devait se présenter pour signature deux fois par semaine, une condition qu’il n’a jamais respectée parce qu’il avait peur. Il est plutôt resté dans différentes maisons à Addis-Abeba.

[6]  M. Woldemichael a soutenu que la situation politique en Éthiopie a continué de se détériorer, et que des manifestations importantes dans les régions d’Oromia et d’Amarha avaient été violemment réprimées par le gouvernement. Craignant pour sa vie et craignant d’être éventuellement arrêté, harcelé et maltraité, il a payé un homme 12 000 $ US pour le faire entrer au Canada en passant par Toronto. Sa demande d’asile a été entendue le 26 octobre 2016 et rejetée par la SPR le 30 novembre 2016. Son appel devant la SAR a été rejeté le 5 juin 2017. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR a été abandonnée par son ancien avocat pour des [traduction] « motifs qui ne sont pas clairs pour [M. Woldemichael] ».

B.  La demande d’ERAR

[7]  Dans sa demande d’ERAR, M. Woldemichael allègue qu’il a poursuivi ses activités politiques au Canada en participant à des services commémoratifs, à des manifestations organisées contre le gouvernement éthiopien pour ses meurtres et ses violations des droits de la personne, et à des tables rondes [y compris un service commémoratif public sur l’avenue Danforth dénonçant le gouvernement éthiopien, ainsi qu’une manifestation publique à Ottawa, le 25 septembre 2016, qu’il a dirigée en scandant des slogans, laquelle a été filmée]; en contribuant au dialogue civil; en participant à des collectes de fonds pour diverses causes [par exemple, pour les familles de prisonniers politiques et pour la section de Toronto d’ESAT]; et en siégeant à divers comités à la section de Toronto de l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret. Il soutient que ces activités l’exposent à des risques s’il était renvoyé en Éthiopie.

III.  Décision de l’agent d’ERAR

[8]  L’agent d’ERAR a fait remarquer que M. Woldemichael s’appuyait sur les mêmes risques qu’il avait allégués devant la SPR et la SAR, à savoir son origine amhara, son appartenance au Parti bleu et les opinions politiques qui l’opposent au gouvernement éthiopien. Il a également retenu l’allégation voulant que M. Woldemichael ait participé à diverses activités politiques depuis le rejet de sa demande d’asile, et mentionné les activités décrites au paragraphe précédent.

A.  Résumé des décisions de la SPR et de la SAR

[9]  L’agent d’ERAR a fait remarquer que la SPR a rejeté la demande d’asile initiale de M. Woldemichael pour des raisons de crédibilité, et a cité les éléments pertinents de la décision où la SPR fait état des préoccupations suivantes :

  • A. l’absence d’éléments de preuve établissant que M. Woldemichael avait été détenu, s’était caché et était recherché par les autorités gouvernementales;

  • B. l’incapacité de M. Woldemichael à décrire les éléments essentiels de l’assignation qu’il a déposée en preuve à la SPR;

  • C. le témoignage vague de M. Woldemichael concernant la période au cours de laquelle il se serait caché, y compris l’endroit où il se trouvait;

  • D. des incohérences et des omissions dans son témoignage au sujet de l’assignation, ainsi que du fait qu’il aurait exercé son droit de vote et obtenu un permis de conduire international délivré par le gouvernement pendant la période où il se serait caché;

  • E. l’incapacité de M. Woldemichael à expliquer adéquatement comment il a pu quitter l’Éthiopie;

  • F. le manque d’éléments de preuve établissant que M. Woldemichael a obtenu l’aide de sa famille et de sa petite amie;

  • G. le manque d’éléments de preuve établissant que M. Woldemichael était un membre actif du Parti Bleu, notamment qu’il n’avait qu’une faible connaissance de base concernant l’objet des manifestations auxquelles il – un propriétaire d’entreprise instruit – avait participé, ou les noms ou noms de famille des personnes décédées pour lesquelles il manifestait, et qu’il avait livré un témoignage vague et ambigu sur les rencontres précises qu’il avait eues avec les autorités.

[10]  En ce qui concerne l’appel interjeté par M. Woldemichael à la SAR [qui a confirmé la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité étant donné l’absence de nouveaux éléments de preuve] et la demande de contrôle judiciaire abandonnée, l’agent d’ERAR a réitéré une fois de plus que la demande d’ERAR de M. Woldemichael était fondée sur le risque auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Éthiopie en raison de son origine amhara, de son appartenance au Parti bleu et de ses opinions politiques compte tenu de ses activités politiques au Canada.

B.  Analyse de l’agent d’ERAR

[11]  L’agent d’ERAR a mentionné que M. Woldemichael, qui est visé par une mesure de renvoi exécutoire, ne pouvait présenter que de nouveaux éléments de preuve (i) qui sont survenus depuis le rejet de sa demande d’asile, (ii) qui n’étaient pas normalement accessibles au moment de l’audition de sa demande, ou (iii) qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet : LIPR, al 113a). Ces nouveaux éléments de preuve doivent également respecter le paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], que voici :

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

[12]  L’agent d’ERAR a commencé par examiner les allégations formulées par M. Woldemichael quant au risque auquel il serait exposé en raison de son origine amhara, faisant remarquer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que la question avait été soulevée avec précision devant la SPR et la SAR. Compte tenu des vagues déclarations contenues dans la demande d’ERAR, qui n’étaient pas étayées par une preuve objective suffisante et par des renseignements sur les risques prospectifs, l’agent d’ERAR a conclu que M. Woldemichael n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque en raison de son origine amhara s’il était renvoyé en Éthiopie.

[13]  L’agent d’ERAR a ensuite refusé d’examiner les documents produits par M. Woldemichael, soulignant qu’ils avaient été déposés à la SPR. Il a rappelé que la SPR avait examiné la preuve, interrogé M. Woldemichael, et estimé qu’il n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas établi qu’il est ou était recherché par les autorités éthiopiennes, qu’il était un membre actif du Parti bleu ou qu’il était recherché par les autorités en raison de ses activités de dissidence. L’agent d’ERAR a conclu qu’aucun nouvel élément de preuve ne permettait de réfuter les conclusions défavorables importantes tirées par la SPR quant à la crédibilité de M. Woldemichael au sujet de son appartenance au Parti bleu.

[14]  En fait, il ne restait plus à l’agent d’ERAR qu’à examiner les opinions politiques de M. Woldemichael en tant que source potentielle de risque. Il a d’abord examiné une lettre d’appui produite par l’Unité pour les droits de la personne et la démocratie [UHRD] et a conclu qu’elle avait une faible valeur probante. Reconnaissant que la lettre de l’UHRD confirmait l’appartenance de M. Woldemichael à cet organisme et sa participation à des activités telles que des manifestations, des collectes de fonds et des discussions, l’agent d’ERAR a toutefois conclu qu’elle ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour déterminer quel était son rôle au sein de l’organisation ou s’il avait des opinions politiques de nature à attirer l’attention du parti au pouvoir en Éthiopie ou des autorités éthiopiennes. L’agent d’ERAR a également estimé que la preuve objective ne permettait pas de conclure que M. Woldemichael serait exposé à un risque en Éthiopie en raison de son appartenance et de sa participation à l’UHRD.

[15]  L’agent d’ERAR a toutefois reconnu que la lettre mentionnait également que M. Woldemichael était aux premiers rangs des manifestations et qu’il était donc visible pour n’importe qui, y compris les autorités éthiopiennes ou leurs informateurs au Canada, qu’il était largement connu dans leur communauté, les églises et les restaurants, et que son opposition politique n’était pas un secret. Cependant, l’agent d’ERAR a conclu que ces déclarations étaient de nature hypothétique et qu’elles n’étaient pas étayées par suffisamment d’éléments de preuve objectifs. Même si je ne suis pas d’accord avec l’agent d’ERAR pour qualifier ces déclarations d’hypothétiques, je conclus comme lui que la lettre ne précise pas en quoi M. Woldemichael est devenu [traduction] « largement connu », en quoi consiste [traduction] « leur communauté », ou combien de personnes étaient présentes dans les églises et les restaurants. En d’autres termes, ces déclarations sont trop vagues, à mon avis, pour qu’on puisse en tirer des conclusions pertinentes ou des inférences quant à la possibilité que les activités de M. Woldemichael au Canada attirent l’attention du gouvernement éthiopien. Par conséquent, la façon dont l’agent d’ERAR a qualifié les déclarations n’est pas une erreur susceptible de contrôle.

[16]  L’agent d’ERAR a ensuite refusé d’admettre une publication qui renvoyait à une vidéo d’ECAD Ethiopian News & Views intitulée [traduction] « Démonstration contre le régime éthiopien à Ottawa (Canada) » parce qu’elle est antérieure à l’audience tenue par la SPR et que M. Woldemichael n’a pas expliqué pourquoi cet élément de preuve n’était pas raisonnablement accessible au moment de l’audience. L’agent d’ERAR a également conclu que ce document [traduction] « ne cont[enait] aucun renseignement pertinent concernant le demandeur ou sa situation personnelle en ce qui a trait au risque auquel, selon lui, il serait exposé en Éthiopie ». De même, l’agent d’ERAR a refusé d’admettre deux photocopies de photographies accompagnées de leurs légendes : [traduction] « [l]a mort et la souffrance de nos compatriotes sont douloureuses » et [traduction] « [l]e demandeur à la manifestation tenue à Ottawa le 25 septembre 2016 », ainsi qu’une photocopie de deux autres photographies avec la légende [traduction] « [l]e demandeur avec Tamagne Beyens (illisible) le 15 octobre 2016 » pour les mêmes motifs. L’agent d’ERAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, ces photographies ne permettaient pas de conclure que M. Woldemichael serait exposé à un risque s’il était renvoyé en Éthiopie en raison de sa participation à la manifestation ou du fait qu’il apparaît sur les photographies avec d’autres personnes.

[17]  L’agent d’ERAR a ensuite examiné une lettre fournie par ESAT, datée du 29 novembre 2017, qui confirmait la participation active de M. Woldemichael à la section de Toronto dans le cadre de collectes de fonds et au moyen de contributions financières personnelles. Faisant remarquer que la lettre précisait que le gouvernement éthiopien avait arrêté et harcelé des membres de l’organisation lorsqu’ils se rendaient en Éthiopie, l’agent d’ERAR a conclu que cette allégation n’était pas corroborée. Par conséquent, l’agent d’ERAR a conclu que cet élément n’établissait pas, selon la prépondérance des probabilités, que M. Woldemichael serait ciblé ou perçu comme une personne d’intérêt par le parti au pouvoir ou les autorités éthiopiennes en raison de sa participation à l’ESAT, ou que le profil politique de M. Woldemichael était tel qu’il ferait de lui une personne d’intérêt; il a donc accordé une faible valeur probante à la lettre.

[18]  L’agent d’ERAR n’a accordé aucun poids à une lettre rédigée par Mme Woldesenbet, qui décrivait comment elle avait rencontré M. Woldemichael et le travail bénévole fait par ce dernier pour ESAT, car la lettre n’était ni datée ni signée, l’identité de l’auteur n’avait pas été vérifiée, la relation entre Mme Woldesenbet et M. Woldemichael n’était pas corroborée, et, comme telle, la lettre n’établissait pas de manière suffisante que M. Woldemichael serait perçu comme une personne d’intérêt ou qu’il attirerait l’attention du parti au pouvoir en Éthiopie ou des autorités en raison de ses activités de bénévolat et de ses activités politiques au Canada, de sorte qu’il serait exposé à des risques. L’agent d’ERAR n’a également accordé aucun poids à un dépliant promouvant le 7e anniversaire d’ESAT [le 13 mai 2017] non plus qu’à un billet pour la projection du film documentaire « Dead Donkeys Fear No Hyenas » [le 28 octobre 2017]. L’agent d’ERAR a conclu que le dépliant et le billet n’établissaient pas que M. Woldemichael avait assisté à ces événements ou que, même s’il l’avait fait, il serait exposé à un risque pour l’avoir fait.

[19]  L’agent d’ERAR a ensuite examiné une lettre d’appui fournie par le directeur général de l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret, datée du 28 novembre 2017. Cette lettre indiquait que M. Woldemichael était un membre et un partisan de l’organisation, que le directeur général le connaissait depuis plus d’un an, et que M. Woldemichael s’occupait activement de la situation en Éthiopie, y compris en participant à des manifestations contre le gouvernement éthiopien, à des tables rondes et à des collectes de fonds, ainsi qu’en siégeant à [traduction] « divers comités ». Bien qu’il ait reconnu que M. Woldemichael fût un membre actif de cette organisation, l’agent d’ERAR a conclu que la preuve objective n’établissait pas que M. Woldemichael serait perçu comme une personne d’intérêt pour le parti au pouvoir ou les autorités éthiopiennes en raison de son appartenance au groupe et de sa participation à des activités liées aux droits de la personne. Par conséquent, l’agent d’ERAR a conclu que les allégations de l’auteur selon lesquelles M. Woldemichael était exposé à un tel risque étaient de nature hypothétique.

[20]  Constatant que M. Woldemichael avait fourni la page couverture des cartables nationaux de documentation [CND] du 31 janvier 2017 et du 31 mars 2017 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] pour l’Éthiopie, ainsi qu’une liste de plusieurs communiqués de presse disponibles en ligne sur le site Web de Human Rights Watch, mais pas les articles en soi, l’agent d’ERAR n’a accordé aucun poids à ces listes.

[21]  L’agent d’ERAR a ensuite fait remarquer que l’avocat de M. Woldemichael avait produit plusieurs articles de presse et dossiers d’information sur le pays dont la date de publication était autant antérieure que postérieure au rejet de la demande de son client par la CISR. L’agent d’ERAR a conclu que ces articles ne fournissaient que des renseignements généraux plutôt que des renseignements sur le risque personnel. Il a souligné que M. Woldemichael n’avait établi aucun lien entre ces éléments de preuve et le risque personnel auquel il serait exposé, et il a déclaré qu’il ne suffisait pas de simplement fournir des renseignements sur la situation dans le pays, mais qu’il fallait aussi démontrer en quoi cela pouvait se traduire par un risque personnel : Soul Kaba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 647 [Soul Kaba]. Ainsi, l’agent d’ERAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que cette preuve documentaire n’établissait pas que M. Woldemichael serait exposé à un risque en Éthiopie.

[22]  Enfin, l’agent d’ERAR a rejeté les affidavits préparés par l’ami de M. Woldemichael et son beau-frère, car ils ne visaient qu’à attester l’identité de M. Woldemichael et ne permettaient donc pas d’établir que M. Woldemichael est exposé à un risque s’il doit retourner en Éthiopie en raison de son origine amhara ou de ses opinions politiques.

[23]  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, l’agent d’ERAR a conclu que sa valeur probante n’était pas suffisante – en elle-même ou combinée aux autres éléments de preuve – pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Woldemichael serait exposé à un risque prospectif en Éthiopie en raison de son origine amhara, de ses opinions politiques ou de ses activités politiques. Faisant remarquer que le fardeau de la preuve incombait à M. Woldemichael et que sa situation personnelle avait été prise en compte dans l’examen minutieux de l’ensemble de la preuve, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour étayer les risques mentionnés dans sa demande d’asile. Il a donc conclu que M. Woldemichael n’était pas une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.  Questions en litige

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son analyse des profils ciblés en Éthiopie?

  2. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son examen de la demande sur place du demandeur?

  3. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’admission de nouveaux éléments de preuve?

V.  Dispositions pertinentes

[24]  Voir l’annexe A pour les dispositions pertinentes.

VI.  Norme de contrôle

[25]  Bien que les observations des deux parties aient été reçues avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les deux parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[26]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada [CSC] a adopté une nouvelle approche pour déterminer la norme de contrôle applicable dans le contexte de l’examen judiciaire des décisions administratives sur le fond. L’analyse a comme point de départ la présomption réfutable selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique dans tous les cas : Vavilov, précité, par 10 et 11. Je suis d’avis qu’aucune des situations permettant de réfuter cette présomption [situations résumées dans Vavilov, précité, par 17 et 69] ne s’applique en l’espèce. Ainsi, la norme de contrôle applicable demeure celle de la décision raisonnable.

[27]  Lorsqu’elle « effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » : Vavilov, précité, par 15. La CSC a décrit la décision raisonnable commandant la déférence comme étant « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, précité, par 85. Autrement dit, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable […] [,] […] le décideur doit également […] justifier sa décision » : Vavilov, précité, par 86 [italique dans l’original]. Somme toute, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Vavilov, précité, par 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, par 100. Enfin, il convient de mentionner que « [c]e n’est pas le rôle de la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’évaluer la preuve de nouveau » : Kadder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 454, par 15, citant Ellero c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1364.

VII.  Analyse

A.  L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son analyse des profils ciblés en Éthiopie?

[28]  Bien qu’il ait admis que M. Woldemichael était un membre actif de trois organisations de la diaspora, l’agent d’ERAR a néanmoins toujours estimé que le niveau de participation de M. Woldemichael à des activités telles que des manifestations, des collectes de fonds et des tables rondes était insuffisant pour démontrer qu’il attirerait l’attention du parti au pouvoir ou des autorités éthiopiennes, ou qu’il serait une personne d’intérêt pour ceux-ci, étant donné l’insuffisance de la preuve objective [c.‑à‑d. corroborante] en ce sens.

[29]  M. Woldemichael soutient qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve documentaires pour démontrer le risque auquel sont exposés les dissidents politiques renvoyés en Éthiopie. Il affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des profils ciblés par le régime éthiopien, ou en ne définissant pas ces profils, et en n’examinant pas si, en raison de ses activités au Canada, il correspondait à un [traduction] « profil ciblé ». À son avis, l’agent d’ERAR a émis l’hypothèse que ses activités ne seraient d’aucun intérêt pour les autorités éthiopiennes, plutôt que d’examiner les éléments de preuve disponibles [y compris les documents sur la situation dans le pays qu’il a présentés avec sa demande d’ERAR]. Par exemple, il fait remarquer que la réponse à la demande d’information [RDI] ETH105729.EF datée du 2 février 2017 comprend la déclaration d’un avocat de la Electronic Frontier Foundation, selon laquelle [traduction] « le gouvernement éthiopien semble faire tout en son pouvoir pour espionner les membres de la diaspora, en particulier ceux qui font partie de groupes d’opposition », ainsi que la déclaration d’un chercheur principal de l’organisme Human Rights Watch, selon qui [traduction] « […] dans le cas de dissidents qui séjournent au pays et celui des demandeurs d’asile déboutés renvoyés en Éthiopie, “les dissidents connus courent un risque élevé d’être détenus. Les mauvais traitements et la torture en détention sont courants” ». Les observations écrites présentées [dans le cadre de l’ERAR] par l’avocat au nom du demandeur font également état d’une RDI datée du 23 juillet 2012 qui contient des renseignements similaires.

[30]  Comme je l’ai mentionné, l’agent d’ERAR a refusé d’examiner les éléments énumérés sur la page couverture du CND, car ils n’avaient pas été présentés intégralement. Je souligne, cependant, que la Cour a déjà conclu que les agents d’ERAR ont non seulement le pouvoir, mais aussi l’obligation de s’appuyer sur les renseignements publics les plus à jour concernant la situation au pays pour évaluer le risque, peu importe que le demandeur ait présenté ces éléments de preuve, afin de se conformer aux obligations internationales du Canada : Jama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 668, par 18. Je suis donc d’avis que la façon dont l’agent d’ERAR a traité les éléments du CND n’était pas raisonnable. Or, il ne s’agit pas en soi d’une erreur susceptible de contrôle. Il incombait à M. Woldemichael de démontrer qu’en raison de son profil et de ses activités il était exposé à un risque en cas de renvoi, et il devait, pour cela, établir le lien nécessaire entre les éléments de preuve documentaires et sa situation personnelle. Par conséquent, il est raisonnable d’exiger à tout le moins qu’il oriente l’agent d’ERAR dans la bonne direction en ce qui a trait aux renseignements « à jour » sur le pays et qu’il explique comment ils s’appliquent à lui : RIPR, par 161(2); Bahar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1640, par 17; Soul Kaba, précité, par 48. Bien que ce « lien » n’ait pas besoin d’être établi par une analyse complète de la preuve documentaire, il ne suffit pas de simplement faire référence aux documents sur la situation générale au pays qui sont dans le CND et d’alléguer l’existence d’un risque, à moins qu’il ne soit évident, à première vue, que le demandeur correspond au profil de risque : Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, par 28; voir aussi Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446, par 71 à 73. J’ajouterai que, à première vue, aucun des éléments du CND ne satisfait au critère de « nouveauté » exigé par l’alinéa 113a) de la LIPR : même si la demande sur place de M. Woldemichael n’a pas été soumise à l’examen de la SPR ou de la SAR, tous les éléments du CND sont antérieurs à la décision de la SAR et la majorité de ceux-ci sont antérieurs à la décision de la SPR.

[31]  Bien que M. Woldemichael ait porté à l’attention de l’agent d’ERAR les deux RDI qui étayent son affirmation selon laquelle les dissidents risquent d’être harcelés ou détenus s’ils sont renvoyés en Éthiopie, en plus de mettre en contexte les lettres d’appui de l’UHRD, d’ESAT et de l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret, j’estime que cela ne suffit pas pour démontrer qu’il est personnellement exposé à un risque, dans la mesure où l’article 97 de la LIPR s’applique. Comme la Cour l’a dit dans la décision Paz Guifarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182, par 32 :

Étant donné que les deux éléments visés au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) doivent être conjugués, la personne qui demande l’asile en vertu de l’article 97 doit démontrer non seulement l’existence probable d’un risque personnalisé visé à cet article, mais également qu’il s’agit d’un risque auquel « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne […] sont généralement pas [exposées] ». Par conséquent, la SPR ne commet pas d’erreur en rejetant la demande d’asile présentée en vertu de l’article 97 si elle conclut que le risque personnalisé auquel le demandeur serait exposé est partagé par un sous-groupe de personnes suffisamment important pour que le risque puisse être raisonnablement qualifié de répandu ou de courant dans le pays en cause. Il en est ainsi même si ce sous-groupe peut être ciblé avec précision. […] [Caractères gras ajoutés.]

[32]  Je suis d’accord avec le ministre pour dire que l’agent d’ERAR a utilisé le terme [traduction] « ciblé » en remplacement des termes [traduction] « perçu comme une personne d’intérêt ». Comme c’est le cas dans l’affaire Raveendran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 49 [Raveendran], la preuve tend à démontrer que les « autorités [éthiopiennes] n’ont pas fait de tentative concertée d’établir le “profil” de ceux qui [les] appuient ou [ne les] appuient pas [...]. La preuve documentaire démontre que des personnes qui sont simplement soupçonnées [de s’opposer au parti au pouvoir ou aux autorités éthiopiennes] d’une manière ou d’une autre ont été arrêtées. Aucune référence dans ces rapports n’est faite à un quelconque profil » : Raveendran, par 54. Certes, l’agent d’ERAR aurait pu être plus clair, mais j’estime qu’il a utilisé [traduction] « perçu comme une personne d’intérêt » en remplacement de [traduction] « attirerait l’attention du parti au pouvoir ou des autorités éthiopiennes ». Je signale que, dans les observations écrites présentées [dans le cadre de l’ERAR] au nom du demandeur, l’avocat emploie également la même terminologie lorsqu’il conclut que [traduction] « [l]es éléments de preuve que le demandeur a présentés pour justifier sa crainte subjective et établir le fondement objectif de sa crainte montrent qu’il a un profil politique qui intéresserait le gouvernement éthiopien ». Ces observations ne définissent pas non plus ce profil politique.

B.  L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son examen de la demande sur place du demandeur?

[33]  Afin d’établir le bien-fondé d’une demande sur place présentée sur le fondement d’activités politiques au Canada, un demandeur doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, les activités alléguées (i) attireraient l’attention de l’agent de persécution, en l’occurrence les autorités éthiopiennes, et (ii) déclencheraient une réaction négative de la part de l’agent de persécution en cas de retour : Gebremedhin c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 497, par 23 et 24, citant Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1627, par 23; Win c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 398, par 28 à 30. Dans la définition de « demande sur place » contenue dans le document intitulé « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugiés » du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), on peut lire ceci [caractères gras ajoutés] :

96. Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d’un examen approfondi des circonstances. En particulier il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.

[34]  J’estime que l’agent d’ERAR a examiné sous cet angle les éléments de preuve présentés et que, selon lui, les éléments de preuve objectifs ne permettaient pas de conclure qu’il n’existait rien de plus qu’une simple possibilité que M. Woldemichael attire l’attention des autorités éthiopiennes en raison de ses activités ou opinions politiques au Canada. Selon l’agent d’ERAR, M. Woldemichael n’a pas établi de lien entre sa situation personnelle et le traitement des dissidents politiques en Éthiopie, tant à l’échelle nationale que dans la diaspora. En d’autres mots, à mon avis, il n’a pas démontré que sa crainte de persécution était objectivement fondée. Par exemple, l’agent d’ERAR a examiné les articles de presse et les dossiers d’information sur le pays présentés par M. Woldemichael, y compris la RDI ETH105729.EF, et a déclaré ce qui suit [caractères gras ajoutés] :

[traduction]

J’estime que ces documents fournissent des renseignements généraux et ne prouvent pas que le demandeur serait personnellement exposé à un risque. Il est important de souligner que le demandeur n’a pas lié ces éléments de preuve à un risque personnel et prospectif. Il est bien reconnu qu’il ne suffit pas de mentionner simplement les conditions qui règnent dans le pays en général sans établir de lien entre ces conditions et la situation personnelle du demandeur […] [L]’appréciation du risque d’être victime de persécution ou de préjudice que courrait le demandeur s’il était renvoyé dans son pays doit être individualisé. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire que cela représente un risque pour une personne en particulier [citant Soul Kaba, précité]. […]

[35]  En ce qui concerne sa participation à l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret et à ESAT, je conviens que les renseignements présentés à l’agent d’ERAR n’étaient pas suffisants pour déterminer si ces groupes étaient le genre de groupes dissidents ciblés par les autorités éthiopiennes, ou s’ils pourraient les intéresser. Je signale que la preuve documentaire qui a été présentée permet de croire que le gouvernement éthiopien surveille ESAT, et que [traduction] « [l]es autorités gouvernementales ont à plusieurs reprises intimidé, harcelé et détenu arbitrairement des sources qui communiquaient des renseignements à ESAT et à d’autres stations étrangères ». Cette information montre, cependant, que le simple fait d’être membre ou d’être lié à ces groupes ne suffit pas à justifier les allégations de risque : la personne doit avoir fourni des renseignements à ESAT. M. Woldemichael ne correspond pas à ce profil. Il a seulement allégué qu’il avait donné accès au site Web de la station à d’autres personnes alors qu’il était en Éthiopie [allégation qui n’a pas été retenue par la SPR ni soulevée lors de l’ERAR] et qu’il les avait soutenues par des collectes de fonds et des contributions mensuelles. Cela étant, et étant donné que la lettre d’ESAT ne précisait pas quels étaient les risques que couraient les collecteurs de fonds en cas de retour [à noter : [traduction] « le gouvernement éthiopien considère que les participants visibles et actifs lors des événements d’ESAT sont des ennemis de l’État, et il a arrêté et harcelé nos membres alors qu’ils séjournaient en Éthiopie »], j’estime qu’il était raisonnable pour l’agent d’ERAR de conclure, à la lumière des éléments de preuve présentés dans le cadre de l’ERAR, que les activités d’ESAT et de l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret auxquelles M. Woldemichael a participées n’appuient pas son allégation selon laquelle il serait exposé à des risques s’il était renvoyé en Éthiopie. Nonobstant les réserves que j’ai exprimées plus haut au sujet de la façon dont l’agent d’ERAR a qualifié certaines des déclarations contenues dans la lettre de l’UHRD, je suis d’avis qu’on peut dire la même chose des activités de M. Woldemichael au sein de cette organisation.

[36]  Bien que les termes employés dans son appréciation de la preuve produite par le demandeur auraient pu être plus clairs, l’agent d’ERAR a, dans au moins un cas, été très clair [en ce qui concerne la lettre d’appui non datée et non signée de Mme Woldesebet] : [traduction] « De plus, cette lettre ne contient pas suffisamment d’éléments objectifs pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur serait perçu comme une personne d’intérêt ou qu’il attirerait l’attention du parti au pouvoir en Éthiopie ou des autorités en raison de ses activités de bénévolat et de ses activités politiques au Canada dans la mesure où cela le mettrait ainsi en danger au sens de l’article 96 et/ou 97 ». Comme je l’ai déjà mentionné, l’agent d’ERAR a employé dans sa décision les termes [traduction] « perçu comme une personne d’intérêt » comme solution de rechange ou façon plus courte de dire [traduction] « attirerait l’attention du parti au pouvoir en Éthiopie ou des autorités », d’où sa conclusion, après avoir procédé à un examen attentif de l’ensemble de la preuve, que M. Woldemichael [traduction] « n’est exposé à rien de plus qu’une simple possibilité de persécution en Éthiopie ».

C.  L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’admission de nouveaux éléments de preuve?

[37]  L’ERAR n’est ni un appel ni un réexamen de la demande d’asile d’un demandeur. En fait, l’ERAR garantit que la décision par laquelle la SPR ou la SAR rejette une demande d’asile demeure valable malgré l’existence de nouveaux risques ou éléments de preuve qui pourraient autrement avoir une incidence importante sur cette décision : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], par 12 et 13. En d’autres termes, l’ERAR vise à déterminer si, en raison d’un changement dans la situation au pays ou de la découverte de nouveaux éléments de preuve depuis la décision de la SPR, il y a eu changement dans la nature ou le degré du risque auquel s’expose le demandeur : Chirivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1114 [Chirivi], par 35. Ainsi, comme M. Woldemichael n’a produit aucun nouvel élément de preuve permettant de réfuter les conclusions tirées par la SPR sur son origine amhara, ses opinions politiques en Éthiopie et son appartenance au Parti bleu, la conclusion de la SPR à ces égards est valide.

[38]  Comme je l’ai mentionné, M. Woldemichael a également présenté une demande sur place en raison de ses activités au sein de l’UHRD, de la section de Toronto d’ESAT et de l’organisation de promotion des droits de la personne Gondar Hibret, ainsi que de sa participation à diverses autres activités de dissidence depuis son arrivée au Canada. Il a notamment déposé en preuve des lettres attestant sa participation active à ces groupes, ainsi qu’une publication vidéo et des photographies le montrant à des manifestations publiques contre le gouvernement éthiopien en septembre 2016. La demande sur place n’a pas été présentée à la SPR, qui ne l’a donc pas évaluée.

[39]  En décembre 2007, la Cour d’appel fédérale a précisé les critères d’admissibilité des « nouveaux éléments de preuve » présentés dans le cadre d’un ERAR, appelés les « facteurs de l’arrêt Raza » [Raza, précité, par 13 à 15] [caractères gras ajoutés] :

1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5. Conditions légales explicites :

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[14]  Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

[15]  Je ne dis pas que les questions énumérées ci‑dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d’ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus.

[40]  Pour que les éléments de preuve antérieurs à l’audition de sa demande d’asile aient pu être admis au titre des facteurs 3a) et 5a) de l’arrêt Raza, il incombait à M. Woldemichael d’expliquer pourquoi il n’avait pas pu les présenter à la SPR. L’avocat de M. Woldemichael a expliqué que ce dernier ne savait pas qu’il devait faire valoir le bien-fondé de sa demande sur place devant la SPR parce qu’il croyait [à tort] que cette demande ne pouvait reposer que sur des événements survenus en Éthiopie. Bien que dans certains cas, notamment au sujet de la vidéo et des photographies, ainsi que des articles de presse et des dossiers d’information sur le pays – l’agent d’ERAR ait conclu que M. Woldemichael n’avait présenté aucune explication raisonnable quant à l’indisponibilité de ces documents au moment de l’audience, il les a néanmoins examinés avant de conclure qu’ils n’étaient pas pertinents ou ne permettaient pas d’étayer les risques allégués.

[41]  En ce qui concerne la liste des documents sur l’Éthiopie figurant au CND et les quatre communiqués de presse décrits dans la décision de l’agent d’ERAR, qui ont tous été écartés par ce dernier, il n’est pas évident que l’un ou l’autre de ces documents aurait démontré que « le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision » : Chirivi, précité, par 35, citant Escalona Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1379, par 5. Par exemple, plusieurs des communiqués de presse ont des titres qui, à première vue, semblent n’avoir aucun lien avec la situation du demandeur : « République centrafricaine : Les violences sexuelles sont utilisées comme arme de guerre »; [traduction] « Déclaration de Human Rights Watch en vue de l’audience sur le contrôle de la décision de l’Administration de mettre fin au programme Action différée pour les enfants immigrants »; et [traduction] « Lettre de Human Rights Watch à un inspecteur de police au Kenya ». S’ils avaient contenu des renseignements se rapportant à la situation du demandeur, on aurait dû à mon avis en faire plus pour porter ces documents à l’attention de l’agent d’ERAR. En outre, en ce qui concerne la liste des documents du CND, la SPR est présumée avoir examiné les documents avant de rejeter la demande et j’estime, comme je l’ai déjà mentionné, qu’ils n’étaient pas suffisamment liés aux activités alléguées par le demandeur dans sa demande sur place.

VIII.  Conclusion

[42]  Après avoir examiné globalement la décision de l’agent d’ERAR à la lumière du dossier de la présente affaire, je conclus que, dans l’ensemble, le raisonnement de l’agent d’ERAR « se tient » : Vavilov, précité, par 103 et 104. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je souligne qu’aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je n’en vois aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4186-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de juillet 2020.

Édith Malo, LL.B.


Annexe A : Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

95 (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

95 (1) Refugee protection is conferred on a person when

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié au sens de la Convention ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger;

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

[…]

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

(2) A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).

[…]

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[…]

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[…]

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[…]

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112 (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

[…]

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4186-19

 

INTITULÉ :

BAYE MOGES WOLDEMICHAEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER JUIN 2020

 

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Araujo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Tilahun Kebede

Aide juridique Ontario

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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