Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

                                                  IMM-2030-96

 

 

Ottawa (Ontario), le mercredi 19 février 1997

 

 

En présence de : Monsieur le juge Gibson

 

 

ENTRE

 

              HASSAN ALIZADEH ET MOHTRAM RABEH,

 

                                                  requérants,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

                         ORDONNANCE

 

 

 

          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

                                     FREDERICK E. GIBSON   

                                                Juge

 

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


 

 

 

 

 

                                                  IMM-2030-96

 

 

 

 

ENTRE

 

              HASSAN ALIZADEH ET MOHTRAM RABEH,

 

                                                  requérants,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE GIBSON

 

 

 

          Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la section du statut de réfugié (le tribunal), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, compte tenu de la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].  La demande des requérants a été entendue par le tribunal le

14 janvier, le 9 mars et le 8 novembre 1994.  Les motifs de la décision du tribunal sont datés du 22 mai 1996, et l'avis de décision est daté du 3 juin 1996, soit presque 19 mois après la dernière date d'audition.

 

          Les requérants sont mari et femme. Ils sont citoyens iraniens.  Ils revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'ils prétendent avoir raison de craindre d'être persécutés, s'ils devaient retourner en Iran, du fait de


leurs opinions politiques, réelles ou présumées, et de leur appartenance à un groupe social.

 

          Les difficultés connues par les requérants en Iran découlaient initialement des activités politiques de deux de leurs fils.  Après que les requérants eurent aidé à la libération de leurs deux fils, l'un de ceux-ci a quitté la maison familiale, et les requérants ne savaient pas où il se trouvait.  L'autre fils est resté à la maison familiale.  Les requérants ont aidé à la prise des dispositions pour faire sortir clandestinement ce fils d'Iran.  Avec la disparition des deux fils, les Gardiens de la Révolution ont commencé à concentrer leur attention sur les requérants.  Ceux-ci ont été amenés devant le Komiteh.  Le requérant a été frappé à la tête avec la crosse d'un fusil et il a été hospitalisé pendant une semaine.  Le requérant a été avisé que, malgré son âge, il était né 1923, il serait tenu d'aller au front.  Il craignait qu'on ne lui impose la tâche de déminer des champs de mines.  Les requérants ont été détenus, interrogés et battus.  Les requérants ont obtenu une libération temporaire et ils en ont profité pour s'enfuir de l'Iran.  Avec l'aide d'un passeur, les requérants se sont rendus tout d'abord à Dubaï, puis ils sont retournés brièvement en Iran.  Ils sont alors allés au Mexique, via les États-Unis où ils sont demeurés pendant trois mois avec son fils, et finalement au Canada.

 

          Dans ses motifs, le tribunal reconnaît qu'il est tenu d'avoir connaissance du fait que, devant lui, le témoignage dans des cas tels que celui des requérants est rendu par l'entremise d'un interprète, que le processus est chargé de la possibilité d'un malentendu, que les demandeurs peuvent être nerveux et que les différences culturelles peuvent être présentes.  D'autres facteurs étaient présents dans le cas de ces requérants.  Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, le requérant est né en 1923.  La requérante est née en 1935.  Les requérants n'étaient donc pas jeunes.  En outre, la requérante est essentiellement illettrée.  Néanmoins, le tribunal a conclu :

 

[TRADUCTION] Le tribunal a tout lieu de mettre en doute et de rejeter la véracité des allégations faites à l'appui des revendications, du fait des inconsistances internes qui ont pris naissance dans le témoignage des demandeurs, ainsi que des inconsistances avec d'autres éléments de preuve.

 

...

 

Le tribunal a interrompu les procédures pour que l'interprète qui était présent lise aux demandeurs les récits en raison d'importantes inconsistances dans le témoignage.  Le tribunal se préoccupait du nombre d'inconsistances et d'inexactitudes de la part des demandeurs qui devaient déclarer exactement les aspects les plus fondamentaux relatifs à leur crainte et à leurs expériences personnelles.  Le tribunal a toutefois conclu plus tard que, après une suspension d'audience pour que leurs propres récits leur soient lus, le motif du problème de la présentation exacte des renseignements dans les Formulaires de renseignements personnels était que les demandeurs ne disaient pas la vérité au tribunal et qu'ils tentaient de créer des réponses qui conduiraient très favorablement à une décision positive.  Malheureusement, comme l'audition se poursuivait, les demandeurs sont devenus embrouillés avec leurs propres récits antérieurs et leur propre témoignage personnel antérieur.  Il y a eu beaucoup, beaucoup d'inconsistances, et l'incapacité générale des demandeurs de répondre à des questions et/ou de donner des éclaircissements est, le tribunal conclut, importante pour le règlement de ces revendications.

 

 

 

Le tribunal a alors fait état de six inconsistances particulières.  Il a conclu en ces termes :

 

[TRADUCTION] Le tribunal conclut que les inconsistances susmentionnées sont importantes pour les revendications.  En conséquence, le tribunal rejette la véracité du témoignage des demandeurs concernant le motif de leur départ d'Iran et de la présentation d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.

 

 

 

          En dernier lieu, le tribunal a conclu que les requérants n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés s'ils devaient retourner en Iran.

 

          Devant moi, l'avocat des requérants insiste sur deux points :  en premier lieu, le retard de la part du tribunal dans la prise de sa décision qui, selon l'avocat, devrait être considérée comme entraînant la perte de son pouvoir de rendre sa décision; et, en second lieu, la conclusion du tribunal relative à la crédibilité des requérants.

 

          Le paragraphe 69.1(9) de la Loi sur l'immigration est ainsi rédigé :

 

(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention [selon les faits de l'espèce, il s'agit de la revendication des requérants] le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.

 

                   [non souligné dans l'original]

 

 

 

          Je ne dispose pas de la preuve permettant de déterminer si le retard de presque 19 mois entre la fin de l'audience et le prononcé de la décision du tribunal violait l'obligation du tribunal prévue par les termes du paragraphe cité.  L'avocat des requérants prétend que 19 mois ne pouvaient jamais être «le plus tôt possible».  Par contraste, l'avocat de l'intimé souligne que l'expression «le plus tôt possible» n'a pas été définie avec précision, et que si le législateur avait voulu qu'un délai absolu s'applique, il aurait précisé ce délai plutôt que d'utiliser les mots généraux qu'il a choisis.  Certes, si le législateur avait utilisé les mots tels que «dans un délai raisonnable», je conclurais que le retard dans la prise d'une décision en l'espèce n'était pas raisonnable».  Mais, en l'absence d'un délai précis ou d'un critère du «caractère «raisonnable» ou équivalent, je ne peux, faute de preuve, conclure que le tribunal n'a pas agi «le plus tôt possible». 

 

          Subsidiairement, l'avocat des requérants soutient que le processus de détermination du statut de réfugié fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[2].  Dans l'affaire Hernandez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration[3], le juge Robertson , J.C.A., a fait les remarques suivantes :

 

     Il appert que cet argument gagne en popularité malgré la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Aktar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 129 N.R. 71, 14 Imm. L.R. (2d) 39 (C.A.F.).  De l'aveu de tous, comme l'avocat du requérant s'est bien empressé de le souligner, le juge Hugessen a effectivement déclaré :

 

«Bien que, comme je l'ai laissé entendre, je n'exclue pas que le retard à tenir l'audience d'un réfugié donne lieu à une réparation fondée sur la Charte, tel n'est pas le cas dans les circonstances de l'espèce.»

 

 

     On comprend qu'une cour d'appel ne désirerait absolument pas exclure un argument fondé sur la Charte.  On a démontré qu'une règle sans exceptions était plus souvent une source de controverse plutôt que de consensus.  En même temps, j'estime que la déclaration ci-dessus doit être placée dans le contexte de l'analyse incisive qui l'a précédée.  Dans ce cadre, il est bien clair que l'argument «retard abusif» ne saurait être perçu comme un motif fécond d'annulation des décisions judiciaires.  Sur le plan juridique, il est probablement plus réaliste de présupposer que cet argument sera rarement, ou jamais, invoqué avec succès.

 

 

 

          Tant l'affaire Akthar que l'affaire Hernandez portaient sur les retards dans le traitement d'une revendication du statut de réfugié, plutôt que sur les retards entre le moment d'une audience et le moment où une décision est rendue.  Malgré cette distinction, je suis convaincu que ces décisions d'appliquent par analogie aux faits dont je suis saisi.  Bien que l'avocat des requérants ait soutenu que ceux-ci avaient subi un préjudice en raison du long retard dans la prise d'une décision en l'espèce, et je ne disposais d'aucune preuve sur ce point, je ne suis pas convaincu que le préjudice soit d'une importance telle qu'il y a lieu de conclure que, par ce retard, le tribunal a perdu sa compétence.

 

           L'avocat des requérants soutient que la conclusion du tribunal quant à la crédibilité ne peut être étayée en ce sens que, bien que le tribunal ait reconnu les difficultés connues par des requérants tels que ceux à l'instance, il a continué d'examiner le témoignage des requérants dans les moindres détails, se concentrant sur les inconsistances sans conséquence.  Je ne suis pas d'accord.  Les inconsistances relevées par le tribunal dans ses motifs sont pleinement étayées par le renvoi à la transcription qui, à son tour, révèle d'autres inconsistances et, selon les mots utilisés par le tribunal, des réponses [TRADUCTION] «évasives».  Le tribunal a considéré les inconsistances relevées dans ses motifs comme étant importantes pour les revendications des requérants.  Prises ensemble, les inconsistances relevées sont certainement importantes pour les revendications compte tenu de la totalité des éléments de preuve.

 

          Vu ce qui précède, je suis convaincu que la conclusion du tribunal selon laquelle les requérants n'ont pas raison de craindre d'être persécutés s'ils sont renvoyés en Iran était celle qu'il lui était raisonnablement loisible de tirer.

 

          Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

          Conformément à une entente conclue à la fin de l'audition de l'espèce, des projets de motifs prenant essentiellement la forme des présents ont été distribués, par l'entremise du greffe, aux avocats, et la Cour a accordé le délai de présentation des observations écrites sur la certification d'une question.  Aucune observation n'a été reçue dans le délai imparti.  Aucune question ne sera donc certifiée. 

 

                                        FREDERICK E. GIBSON   

                                                Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

le 19 février 1997

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

          AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-2030-96

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :HASSAN ALIZADEH ET AL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 29 janvier 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

 

 

EN DATE DU19 février 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Steven Beiles                     pour le requérant

 

David Tyndale                     pour l'intimé

                                

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Beiles                     pour le requérant

Toronto (Ontario)

 

 

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                                  pour l'intimé

 

 

 

 



    [1]L.R.C. (1985), ch. I-2.

    [2]Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. (1985), appendice II, no 4), qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

    [3](1993), 154 N.R. 231 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.