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Date : 19990908


Dossier : IMM-6048-98



ENTRE :


REHANA NASREEN,


demanderesse,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN


[1]      La demanderesse conteste par voie de contrôle judiciaire la décision, datée du 27 octobre 1998, de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par laquelle il a été décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention au sens où l'entend le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Le juge Pelletier a accordé l'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire le 9 juin 1999.

Contexte

[2]      La demanderesse, Rehana Nasreen, est une citoyenne du Pakistan âgée de 46 ans. Elle est arrivée au Canada à l'aéroport international Pearson le 16 novembre 1996, où elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La demanderesse est une musulmane chiite et elle craint d'être persécutée par des extrémistes sunnites, qui forment la majorité au Pakistan, en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier.

[3]      La demanderesse a signé et présenté une chronologie des événements, ou un formulaire de renseignements personnels (FRP) le 2 mars 1997. Elle a présenté une deuxième version modifiée le 17 octobre 1997, quatre jours seulement avant la date fixée pour le début de l'audience devant la SSR.

[4]      La demanderesse allègue que son mari était une cible de choix pour les terroristes, à cause de son travail comme membre du comité provincial de la paix en 1992. Son travail consistait à chercher à unir les musulmans de toutes les sectes. Le 30 mai 1992, il a été témoin du meurtre de son collègue et ami. Le demandeur a identifié le meurtrier, Riaz Basra, qui a été incarcéré jusqu'à ce qu'il s'évade de prison, le 30 avril 1994.

[5]      Après l'évasion de Basra, la demanderesse prétend que ce dernier a fait des appels téléphoniques de menace et a attaqué la maison familiale à coups de feu. Ces gestes ont incité la demanderesse, son mari et leurs deux filles à quitter le Pakistan pour Londres, où ils sont arrivés le 6 septembre 1994. La demanderesse est retournée au Pakistan le 26 février 1995 pour les funérailles de son frère.

[6]      La demanderesse soutient qu'après son retour au Pakistan, les terroristes ont attaqué sa maison de nouveau. Ses appels téléphoniques à la police sont restés sans réponse. Elle prétend que Basra lui a téléphoné et a menacé sa famille parce que son mari avait témoigné contre lui.

[7]      La demanderesse a quitté sa maison et a habité avec un ami pendant plusieurs mois. À la fin d'avril 1995, elle a déménagé dans le village de sa mère pour un mois. Elle est ensuite retournée au travail, où on lui a dit que des terroristes avaient posé des questions à son sujet. Peu de temps après, elle a reçu des menaces. Le jour suivant, elle a demandé un congé de son travail, et elle est retournée au village de sa mère. Après un mois, elle a habité avec un autre parent pendant trois mois, jusqu'en août 1995. Elle est encore une fois retournée au village de sa mère, et a déménagé plusieurs fois des maisons de différents parents.

[8]      Elle prétend avoir tenté d'obtenir un autre visa du consulat britannique, mais a été avisé que ce serait difficile parce qu'elle avait précédemment obtenu un visa pour l'Angleterre. Elle a présenté une demande de visa australien, comme subterfuge, et a alors obtenu un visa canadien.

Décision de la SSR

[9]      La SSR a conclu que le témoignage de la demanderesse comportait des lacunes car certains aspects essentiels n'étaient pas crédibles. Le tribunal s'est fondé sur différentes contradictions entre les deux FRP de la demanderesse, et a qualifié le deuxième FRP de [TRADUCTION] " récit révisé de façon importante ". Le tribunal a remarqué que le deuxième récit n'a été fourni qu'après que l'ACR a avisé la demanderesse que le bureau du ministre menait une enquête sur le statut de sa famille en Angleterre.

[10]      En ce qui concerne les contradictions, le tribunal a remarqué que dans le premier FRP, la demanderesse a prétendu être restée au Pakistan pour demeurer auprès de son père malade alors que son mari et ses enfants ont fui pour l'Angleterre. Dans la seconde version, elle indique qu'elle a en réalité accompagné sa famille en Angleterre et qu'elle ne se trouvait donc pas au Pakistan pour assister à l'attaque de sa maison le 8 septembre 1994.

[11]      Les FRP contiennent des versions différentes quant à la période de temps que la demanderesse a passé à la maison de sa mère, où elle prétend être allée après l'attaque terroriste. Dans le premier FRP, la demanderesse a prétendu y être demeurée quatre mois, tandis que dans le second FRP, elle a indiqué quatre semaines. Les FRP contiennent également des versions différentes en ce qui concerne la période de temps qu'elle a passé dans la maison d'un parent après avoir quitté celle de sa mère. Dans le premier FRP, elle dit qu'elle y est demeurée cinq à six mois; dans le second FRP, elle dit qu'elle y est demeurée trois mois.

[12]      Les FRP contiennent également des récits différents quant à la façon dont elle a passé le temps à la maison de sa mère : dans le premier FRP elle prétend être toujours demeurée à l'intérieur, tandis que dans la seconde version, elle déclare s'être promenée d'un endroit à un autre et avoir passé du temps avec des membres de sa famille.

[13]      Enfin, le premier FRP ne contient aucune mention du premier visa qu'elle a obtenu pour le Royaume-Uni.

[14]      Le tribunal a conclu que la présentation erronée que la demanderesse a faite d'elle-même a soulevé des doutes sérieux quant à sa crédibilité dans tout son témoignage.

[15]      Le tribunal a également relevé deux problèmes qu'il avait à l'égard du témoignage oral de la demanderesse. Pendant l'interrogatoire principal, la demanderesse a témoigné qu'elle avait été menacée et harassée par des terroristes au début d'octobre 1995; et elle a réitéré cette déclaration. Toutefois, quand son avocat l'a questionnée, elle a changé la date pour mai 1995. Le tribunal a conclu que la demanderesse était embrouillée parce qu'elle avait inventé tant d'événements.

[16]      Le deuxième problème dans le témoignage oral de la demanderesse portait sur l'histoire des deux attaques de la voiture de son mari par des acolytes de Basra, qui avaient notamment fait sauter les portes de la voiture. Cette histoire n'a été mentionnée dans aucun des récits, et le tribunal a conclu que la demanderesse tentait d'enjoliver son histoire.

[17]      Le tribunal a remarqué que la demanderesse était retournée au Pakistan après avoir revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en Angleterre. Il a conclu que ce fait était une indication d'un manque de crédibilité à la prétention de la demanderesse que sa vie était menacée par des terroristes.

[18]      Enfin, quant à la protection de l'État, le tribunal a remarqué que la police poursuivait les présumés persécuteurs de la demanderesse. Il a également souligné, à la suite du témoignage de la demanderesse, que le mari de celle-ci était plutôt apprécié par la police, parce qu'il avait reçu plusieurs recommandations. Le tribunal a conclu que cette relation spéciale ne devrait servir qu'à augmenter la possibilité de la demanderesse de profiter de la protection de l'État.

Point de vue de la demanderesse

[19]      La demanderesse soutient que la SSR a commis une erreur parce qu'elle n'a pas évalué sa revendication relativement à son statut comme musulmane shiite vis-à-vis de la situation générale au Pakistan des musulmans shiites. La demanderesse prétend que le tribunal disposait d'une preuve documentaire importante qui exposait en détail la persécution des musulmans shiites au Pakistan.

[20]      La demanderesse conteste également la conclusion du tribunal en ce qui concerne la disponibilité d'une protection de l'État. Cet argument est fondé sur la situation de tous les musulmans shiites au Pakistan, et sur la question de savoir si la demanderesse, comme musulmane shiite, pouvait bénéficier d'une protection adéquate de l'État.

[21]      La demanderesse soutient également que le tribunal a tiré une conclusion inique quand il s'est livré à des citations choisies de son témoignage. Dans ses motifs, le tribunal a conclu que la protection de l'État était illustrée par le fait que Basra avait été arrêté, condamné et emprisonné. Toutefois, il n'a pas poursuivi pour dire que celui-ci s'était évadé de prison, et en fait, c'était le témoignage du mari de la demanderesse qui avait fait en sorte que Basra se retrouve en prison, qui avait donné lieu à la persécution de la famille.

Point de vue du défendeur

[22]      Le défendeur soutient que les conclusions de crédibilité du tribunal étaient bien du ressort de celui-ci et étaient étayées par les nombreuses contradictions internes dans le témoignage oral et les récits de la demanderesse.

[23]      Le défendeur prétend que le tribunal pouvait à juste titre prendre en considération le retour de la demanderesse au Pakistan dans son évaluation de la crédibilité et du caractère justifié de la crainte de cette dernière.

[24]      Enfin, le défendeur soutient que la demanderesse avait le fardeau de fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État à lui assurer une protection. En outre, le défendeur allègue que le tribunal a tenu compte du statut de la demanderesse comme musulmane shiite car ce statut constituait le fondement même de la revendication de cette dernière.

Questions en litige

[25]      Les questions en litige qui doivent être tranchées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes : la SSR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité; la SSR a-t-elle commis une erreur en évaluant le caractère justifié de la crainte de la demanderesse, quant au retour de celle-ci au Pakistan et à la disponibilité d'une protection de l'État.

Examen de la question

[26]      Une cour de révision peut modifier des conclusions de crédibilité seulement si elle décide qu'elles sont absurdes, arbitraires ou qu'elles ont été tirées sans égard à la preuve dont disposait le tribunal. La SSR est, bien évidemment, parfaitement placée pour tirer des conclusions relatives à la crédibilité et à l'honnêteté de la demanderesse et il faut donc faire preuve d'une grande retenue judiciaire à l'égard du contrôle judiciaire.

[27]      Si la SSR disposait d'une preuve qui pourrait étayer son évaluation défavorable de la crédibilité, les conclusions du tribunal sont raisonnables compte tenu de la preuve dont il dispose, et des conclusions raisonnables ont été tirées de cette preuve, alors la cour de révision ne devrait pas modifier la décision du tribunal, même si la Cour n'aurait peut-être pas tiré la même conclusion : Aguebor c. Canada (MEI) (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.), Muhammed c. Canada (MEI) (1993), 67 F.T.R. 152 (C.F. 1re inst.), Ankrah c. Canada (MEI) (IMM-1986-92, 16 mars 1993).

[28]      Par conséquent, les conclusions de crédibilité relèvent entièrement du ressort de la SSR, et doivent se voir accorder beaucoup de déférence dans le cadre d'un contrôle judiciaire. De telles conclusions ne peuvent pas être modifiées si elles sont raisonnables et si elles sont étayées par le dossier.

[29]      En l'espèce, le tribunal a relevé plusieurs contradictions entre les deux FRP de la demanderesse, ainsi que dans son témoignage oral. Ces contradictions ont eu pour effet général de laisser planer un grand doute sur tout le témoignage de la demanderesse. Le dossier étaye la conclusion du tribunal quant au manque de crédibilité de la demanderesse.

[30]      La conclusion du tribunal que le retour au Pakistan de la demanderesse a miné le caractère justifié de sa crainte est également raisonnable et étayée par la jurisprudence : Huerta c. Canada (MEI) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.) et Bogus c. Canada (MCI) (1993), 71 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.).

[31]      En ce qui concerne la disponibilité d'une protection de l'État pour la demanderesse, la conclusion de la SSR que cette protection était disponible ne justifie pas une intervention judiciaire. En particulier, la SSR a signalé que la demanderesse a témoigné que son mari est apprécié par la police et avait reçu plusieurs recommandations. En fait, le fardeau de prouver que la police ne pouvait pas la protéger appartenait à la demanderesse, et celle-ci n'a pas réussi à convaincre le tribunal de ce point.

[32]      L'avocat de la demanderesse a contesté le fait que la Commission, ayant décidé que la demanderesse n'était pas crédible, n'avait seulement traité que des considérations particulières de pas être crédible, mais n'avait pas traité des considérations " générales ". À mon avis, l'exagération et les erreurs de la demanderesse n'ont laissé aucun fondement réel pour établir le bien-fondé de l'affaire de la demanderesse relativement à la deuxième question en litige; et il était difficile pour la Commission d'admettre une preuve d'une demanderesse qui avait si complètement détruit toute possibilité que la Commission puisse admettre une preuve présentée par la demanderesse. Je ne peux accepter qu'il ait été possible que la Commission, compte tenu de la perte de crédibilité, soit tenue d'aborder la deuxième question en litige.

[33]      Par conséquent, rien dans la décision du tribunal ne justifie l'intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



Ottawa (Ontario)

Le 8 septembre 1999.

" B.Cullen "

     J.C.F.C.




Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :                  IMM-6048-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :          REHANA NASREEN c. MCI

                            

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          le vendredi 3 septembre 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN


EN DATE DU :                  8 septembre 1999



ONT COMPARU :                 

            

M. Douglas Lehrer                      POUR LA DEMANDERESSE


M. Toby Hoffman                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


VANDERVENNEN LEHRER                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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