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Date : 20200615


Dossier : IMM‑3847‑19

Référence : 2020 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MEHMET ZARARSIZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le demandeur, Mehmet Zararsiz, est un citoyen turc de 38 ans. Arrivé au Canada en février 2017, il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté par le gouvernement turc en raison de ses identités kurde et alévie et de son activisme politique prokurde.

[2]  La demande a été instruite par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] le 9 mai 2017. Dans une décision datée du 11 juillet 2017, la SPR a rejeté la demande, estimant que le facteur déterminant tenait au manque de crédibilité du demandeur en ce qui touchait ses activités et son identité politiques.

[3]  Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. La SAR a rejeté l’appel le 28 mars 2018. Cependant, le 14 novembre 2018, notre Cour a fait droit sur consentement à la demande de contrôle judiciaire du demandeur et a ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant la SAR. Comme je l’explique plus loin, la SAR ne s’était pas prononcée en appel sur l’admissibilité de deux éléments de preuve que le demandeur avait tenté de faire admettre à titre de nouvelle preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4]  Le 22 mai 2019, la SAR a de nouveau rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR portant qu’il n’est ni un réfugié ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR.

[5]  Le demandeur sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il fait valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’admettre la nouvelle preuve et confirmé les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

II.  CONTEXTE

A.  Introduction

[7]  Le contexte factuel est quelque peu alambiqué pour des raisons qui deviendront évidentes dans un instant.

[8]  Le demandeur est entré au Canada en traversant illégalement la frontière entre Blaine (Washington) et Surrey (Colombie‑Britannique). Il a été arrêté par la GRC à Surrey le 15 février 2017 à l’aube.

[9]  Depuis, il a eu plusieurs occasions de relater les événements en Turquie qui l’ont amené en fin de compte à présenter sa demande d’asile au Canada.

[10]  Peu après son arrivée au Canada, le demandeur a été interviewé deux fois par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] – le 15 février 2017, puis de nouveau le 21 février 2017. Les deux fois, il était assisté par un interprète turc. Lors de sa seconde entrevue, il avait retenu les services d’un avocat turcophone de Toronto que je désignerai en l’espèce par les initiales C.A. Le demandeur avait été aiguillé vers C.A. par des amis de Turquie qui vivent à présent au Canada.

[11]  Le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) initial du demandeur est daté du 15 mars 2017. Il a été rempli avec l’aide de C.A. qui l’a interviewé par téléphone et lui a également demandé de mettre par écrit les renseignements qu’il avait fournis à l’ASFC lors de son entrevue et de les lui envoyer. C’est ce que le demandeur a fait. Le formulaire FDA comportait un récit des événements survenus en Turquie étayant sa crainte d’être persécuté s’il devait retourner dans ce pays.

[12]  En préparation de son audience devant la SPR, le demandeur a été interviewé par une psychologue le 17 avril 2017. Durant cette entrevue, il a raconté certaines des expériences qu’il avait vécues en Turquie.

[13]  Avant que sa demande d’asile ne soit instruite par la SPR, le demandeur a modifié l’exposé circonstancié de son formulaire FDA à deux reprises : une première fois le 19 avril 2017, puis de nouveau le 4 mai 2017. Ces modifications ont été faites avec l’aide du nouveau conseil qui remplaçait C.A.

[14]  La première série de modifications, ayant consisté à corriger ou à raturer certains renseignements de l’exposé circonstancié initial, a été faite à la main. La deuxième série de modifications, soumise quelques jours avant l’audience de la SPR, a pris la forme d’un nouvel exposé circonstancié dans lequel le demandeur relatait ses expériences en Turquie et expliquait pourquoi son exposé circonstancié initial était incorrect à plusieurs égards.

[15]  Selon le demandeur, son exposé circonstancié initial contenait de nombreuses erreurs et omissions dont il rendait C.A. responsable, laissant entendre que ce dernier avait dû copier-coller les renseignements provenant de l’exposé circonstancié du formulaire FDA d’un autre client. Par exemple, bien que la date de naissance du demandeur figurant sur le formulaire FDA soit correcte, celle fournie dans l’exposé circonstancié ne l’est pas. La version initiale de cet exposé rapportait également des événements qui, selon le demandeur, ne se sont jamais produits dans son cas. Cependant, il n’a pas contesté la justesse de tous les renseignements fournis dans l’exposé circonstancié initial.

[16]  Dans l’exposé circonstancié du 4 mai 2017, le demandeur affirme qu’il n’a pas remarqué les erreurs avant que le formulaire FDA initial ne soit déposé. Ce formulaire avait été préparé alors qu’il était encore à Vancouver; son avocat, qui se trouvait à Toronto, lui a envoyé le document à signer, sans qu’il n’ait été préalablement traduit en turc. Même si la signature d’un interprète était apposée sur le document, le demandeur a maintenu qu’elle s’y trouvait déjà lorsqu’il l’a reçu.

[17]  Il existait aussi des divergences entre les renseignements que le demandeur avait fournis à l’ASFC au point d’entrée et ses autres récits. Le demandeur a plus tard expliqué que ces divergences s’expliquaient par le fait qu’il ne faisait pas confiance à l’agent au point d’entrée parce qu’il portait un uniforme.

[18]  Le demandeur a témoigné devant la SPR le 9 mai 2017. Même si l’enregistrement de l’audience fait partie du dossier relatif à cette demande, aucune transcription n’en a été déposée.

[19]  Sauf indication contraire, les renseignements suivants proviennent des deux exposés circonstanciés modifiés du formulaire FDA du demandeur.

B.  L’exposé circonstancié du demandeur

[20]  Le demandeur est né en août 1981 à Besni (Turquie), d’un père kurde alévi, mort lorsque le demandeur était jeune, et d’une mère turque alévie. Le demandeur s’identifie comme un alévi non pratiquant et laïque; même s’il ne parle pas kurde, il se considère d’ethnicité kurde. Durant son enfance et sa jeunesse, il a été victime de discrimination en raison de ses identités ethnique et religieuse, se faisant notamment maltraiter par ses enseignants. Il a abandonné l’école en septième année.

[21]  Le demandeur a quitté Besni avec sa mère en 2006 parce que la police turque ne cessait de les harceler en raison de leur affiliation politique prokurde. Ils ont rejoint le frère du demandeur à Mersin, où ce dernier exploitait un restaurant.

[22]  Dans son deuxième formulaire FDA modifié daté du 4 mai 2017, le demandeur a déclaré qu’il avait [TRADUCTION] « soutenu les partis prokurdes, comme le DTP, le BDP et le HDP au cours des dix dernières années ». Cependant, ce n’est que le 20 mai 2016 qu’il est devenu un membre officiel du Parti démocratique des peuples (connu sous son acronyme turc HDP).

[23]  Après son déménagement à Mersin en 2006, le demandeur a commencé à travailler avec son frère auquel il s’est associé pour gérer le restaurant; cependant, il est également resté actif sur le plan politique, participant à des démarchages électoraux et au recrutement d’électeurs pour le HDP. Le demandeur laissait souvent des membres du HDP local organiser des réunions au restaurant sans leur facturer la nourriture ou l’espace.

[24]  Le demandeur affirme que plusieurs incidents se sont produits durant lesquels il a été menacé ou physiquement agressé par des nationalistes turcs et la police turque, à qui il arrivait parfois de faire une descente au restaurant et de procéder à des fouilles.

[25]  D’après l’exposé circonstancié initial de son formulaire FDA, le demandeur a été arrêté lors des célébrations du Newroz (fête nationale turque) de 2012 et détenu dans un poste de police pendant deux jours durant lesquels il a été interrogé sur ses activités politiques et physiquement agressé. Les polices ont consigné ses renseignements personnels et pris ses empreintes digitales. Ils l’ont averti qu’il devait éviter les activités antigouvernementales et l’ont relâché. Dans son premier exposé circonstancié modifié, le demandeur a corrigé certains détails relatifs à cet événement – par exemple, sa détention avait duré trois heures et non deux jours comme l’indiquait son exposé circonstancié initial. Cependant, il ne mentionne pas du tout cet incident dans son deuxième exposé circonstancié modifié. À l’audience de la SPR, il a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas.

[26]  Le demandeur a poursuivi ses activités politiques pour le HDP, en particulier durant les élections de juin 2015 et de novembre 2015. Il affirme qu’il a finalement décidé de quitter la Turquie en avril 2016, après que la police eut [TRADUCTION] « exercé davantage de pressions sur [l’]entreprise ». Il a payé un agent qui devait lui procurer un permis de travail aux États‑Unis. Il prévoyait aller au Canada, mais il a cru comprendre qu’il était plus facile d’aller d’abord aux États‑Unis muni d’un permis de travail.

[27]  Alors qu’il attendait l’approbation de son visa américain, le demandeur a été arrêté le 6 mai 2016 par la police turque à la suite d’une activité de financement du HDP organisée dans son restaurant. La police l’a détenu au poste de police local pendant plusieurs heures avant de le transférer finalement à la direction antiterroriste à Mersin, où il a été interrogé au sujet de ses activités politiques, accusé d’être un terroriste et torturé. Il a été relâché après deux jours. Deux semaines plus tard, les policiers turcs ont fouillé sa maison où ils ont fait une descente et l’ont physiquement agressé (ainsi que son frère et sa mère). Ils ont menacé de l’arrêter à nouveau s’il organisait d’autres réunions pour le HDP au restaurant.

[28]  Malgré cela, comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur est devenu pour la première fois un membre officiel du HDP le 20 mai 2016. Il déclare : [TRADUCTION] « À l’époque, je voulais assumer un rôle plus actif au sein du parti et j’ai même songé à devenir candidat ».

[29]  Après le coup d’État militaire turc en juillet 2016, la police a continué de harceler et de menacer le demandeur.

[30]  Après avoir reçu son visa américain, il a quitté la Turquie le 26 juillet 2016. Arrivé à Dallas le lendemain, il a trouvé du travail dans un restaurant turc en attendant les instructions de son agent pour entrer au Canada. Finalement, il s’est rendu dans l’État de Washington puis a traversé la frontière pour entrer au Canada le ou vers le 15 février 2017.

C.  La décision de la SPR

[31]  La SPR a instruit la demande d’asile du demandeur le 9 mai 2017. Avant l’audience, le demandeur a soumis les deux exposés circonstanciés modifiés du formulaire FDA. Il a également fourni un rapport d’évaluation psychodiagnostique daté du 19 avril 2017, attestant qu’il remplissait les critères diagnostiques du trouble de stress post-traumatique [le TSPT] et du trouble dépressif majeur [le TDM]. Il a en outre déposé des éléments de preuve sur les conditions dans le pays, un reçu de don, un formulaire d’adhésion pour prouver sa participation au sein du HDP, ainsi qu’une lettre non datée de son frère. Le demandeur a également appelé un témoin à l’appui de sa demande d’asile.

[32]  Le 11 juillet 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile. Elle a estimé que le demandeur manquait de crédibilité quant à des aspects centraux de sa demande, notamment en ce qui touchait ses activités et son identité politiques.

[33]  Entre autres choses, la SPR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se basant sur les facteurs suivants :

  • La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle les contradictions entre les formulaires FDA étaient attribuables à la conduite de son ancien avocat, et fait remarquer qu’il n’avait pas porté plainte contre lui devant le Barreau;
  • Les différences entre l’exposé circonstancié initial du formulaire FDA et les versions modifiées de l’exposé circonstancié concernant des questions importantes et n’ayant autrement pas été expliquées ont entaché sa crédibilité;
  • Par exemple, le demandeur a déclaré qu’il n’avait été arrêté qu’une seule fois (en mai 2016); pourtant, dans l’exposé circonstancié initial de son formulaire FDA, il affirmait qu’il avait aussi été arrêté durant les célébrations du Newroz de 2012; il n’a pas pu expliquer cette incohérence;
  • La SPR a rejeté l’explication avancée par le demandeur pour justifier les contradictions au sujet des détails de son arrestation en mai 2016 entre les renseignements recueillis durant l’entrevue de l’ASFC et le formulaire FDA modifié – à savoir qu’il avait peur des agents de l’ASFC parce qu’ils portaient un uniforme;
  • La SPR a estimé que le témoignage fourni par le demandeur concernant les raisons de son départ de Turquie était vague et incohérent, vu qu’il n’avait pas pu se souvenir du nom des membres de l’HDP qui avaient été détenus en 2016 ni du nombre de fois où la police s’était rendue à son restaurant;
  • Le demandeur n’a pas pu décrire les projets sur lesquels travaillait le HDP en avril 2016;
  • La SPR a jugé déraisonnable que le demandeur ait officiellement rejoint les rangs de l’HDP le 20 mai 2016 pour [TRADUCTION] « devenir plus actif » alors qu’il a déclaré dans son formulaire FDA qu’il a décidé de quitter la Turquie en avril 2016;
  • La SPR a accordé peu de poids à la déposition du témoin du demandeur, vu qu’ils avaient fourni des réponses incohérentes sur leur travail durant l’élection;
  • La SPR a accordé peu de poids au rapport de la psychologue, notant que le demandeur ne l’avait vue qu’une seule fois; que le rapport ne faisait état d’aucun problème cognitif ou de mémoire; que la psychologue n’était pas médecin; et parce que la SPR ne croyait pas aux allégations du demandeur telles qu’elles étaient résumées dans le rapport. Cependant, elle a précisé avoir mis en place des mesures d’adaptation durant l’audience sur la foi du rapport en inversant l’ordre des questions et avoir pris en compte [TRADUCTION] « l’avis [de la psychologue] concernant le fonctionnement psychologique du demandeur d’asile au moment d’évaluer la crédibilité »;
  • La SPR a accordé peu de poids au formulaire d’adhésion au HDP (daté du 20 mai 2016) et au reçu de don du HDP (daté du 30 mai 2016), estimant que ces documents ne prouvaient pas les activités du demandeur avant avril 2016 et parce qu’ils auraient été [TRADUCTION] « faciles à fabriquer »;
  • La SPR a accordé peu de poids à la lettre du frère du demandeur, parce que ce dernier n’a pas été appelé à témoigner et que la crédibilité soulevait de graves préoccupations en général;
  • La SPR a estimé que la preuve documentaire sur les conditions dans le pays établissait que les identités alévie et kurde du demandeur ne l’exposaient pas à elles seules à un risque de persécution.

[34]  Compte tenu de toutes ces considérations, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

D.  Les appels interjetés par le demandeur devant la SAR

[35]  Le 9 août 2017, le demandeur a déposé un avis d’appel devant la SAR. Il affirmait que la SPR avait commis des erreurs lorsqu’elle a évalué sa participation politique et son adhésion au HDP, tiré ses conclusions quant à la crédibilité et évalué son profil de risque.

[36]  L’appel a été rejeté le 28 mars 2018. Cependant, le 14 novembre 2018, notre Cour a fait droit sur consentement à la demande de contrôle judiciaire du demandeur et ordonné que l’appel soit réexaminé.

[37]  Les motifs d’appel et documents justificatifs du demandeur étaient identiques dans les deux appels. Lors du premier, il a tenté de faire admettre un certain nombre de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR : une preuve additionnelle sur les conditions dans le pays, une preuve attestant sa participation au sein de la collectivité kurde au Canada, une lettre du bureau du HDP à Mersin datée du 22 août 2017 et décrivant ses activités au sein du parti en 2016, une nouvelle lettre de son frère datée du 2 septembre 2017 et décrivant ses propres expériences avec les autorités en mars et en avril 2017 ainsi que la plainte, datée du 28 octobre 2017, que le demandeur a déposée contre C.A. devant le Barreau du Haut-Canada.

[38]  Certains de ces nouveaux éléments de preuve ont été inclus dans le dossier de l’appelant. Cependant, la lettre du HDP et celle de son frère ont été déposées après ledit dossier et devaient donc faire l’objet d’une demande aux termes du paragraphe 29(2) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257. Cette demande a été déposée le 10 octobre 2017. La plainte devant le Barreau nécessitait également une demande distincte au titre du paragraphe 29(2) des Règles.

[39]  Lorsqu’elle a statué sur le premier appel, la SAR a admis certains des éléments à titre de nouvelle preuve, mais a estimé que les autres ne remplissaient pas les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Cependant, elle n’a pas statué sur l’admissibilité de la lettre du HDP ni sur celle du frère du demandeur. À l’évidence, elle a dû ne pas tenir compte de ces éléments ainsi que de la demande au titre du paragraphe 29(2) des Règles s’y rattachant.

[40]  Lors du réexamen de l’appel, le demandeur s’est appuyé sur les mêmes éléments que précédemment; il n’a pas tenté de faire admettre de nouveaux éléments à titre de nouvelle preuve.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

A.  La demande d’admission de nouveaux éléments de preuve

[41]  Comme lors du premier appel, la SAR a admis lors du réexamen certains, mais pas l’ensemble, des « nouveaux » éléments de preuve produits par le demandeur (quoique ce ne soient pas exactement les mêmes éléments qui ont été jugés admissibles). La SAR a également conclu que les éléments qui avaient été négligés lors du premier appel – à savoir la lettre du HDP datée du 22 août 2017 et celle du frère du demandeur datée du 2 septembre 2017 – étaient inadmissibles, le demandeur n’ayant pas démontré qu’ils remplissaient les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[42]  Le demandeur ne conteste pas toutes les conclusions défavorables liées à l’admissibilité, et il n’est donc pas nécessaire d’examiner tous les éléments qu’il a produits. Les seules conclusions en cause concernent la lettre du HDP et celle du frère du demandeur.

[43]  Dans un affidavit déposé à l’appui de la demande d’admission de cette preuve, le demandeur déclarait qu’il avait reçu la lettre du HDP le ou vers le 20 septembre 2017, lorsqu’un ami de son frère était arrivé au Canada en provenance de la Turquie et la lui avait remise. Le demandeur a également déclaré : [TRADUCTION] « Cela faisait plusieurs mois que j’essayais d’obtenir une lettre du HDP – depuis avant l’audition de ma demande d’asile. Cependant, ce n’était pas possible parce que le HDP était en crise. De nombreux membres du Parlement et autres responsables du HDP ont été arrêtés ». Il a expliqué en outre qu’aux [TRADUCTION] « environ » d’août 2017, son frère s’est rendu au bureau du HDP à Mersin pour leur demander de lui fournir une lettre attestant la participation du demandeur au sein du parti. Le bureau du parti a fourni en réponse la lettre datée du 22 août 2017. Le demandeur n’évoque pas dans son affidavit les circonstances dans lesquelles son frère en est venu à rédiger sa propre lettre, datée du 2 septembre 2017. Pour sa part, cette lettre ne mentionne pas les efforts déployés par le frère en vue d’obtenir des documents du HDP pour le demandeur, notamment la lettre du 22 août 2017.

[44]  La SAR a estimé que la lettre du HDP, même si elle était postérieure à la décision de la SPR, ne constituait pas une nouvelle preuve, étant donné que son contenu évoquait des événements antérieurs à la décision – à savoir, les événements de 2016. Par ailleurs, la SAR n’était pas convaincue que la lettre n’eût pas été normalement accessible avant le rejet de la demande d’asile du demandeur par la SPR. Cette conclusion reposait sur les éléments suivants :

  • Le demandeur affirme dans l’affidavit déposé à l’appui de la demande d’admission de la lettre du HDP à titre de nouvelle preuve qu’il a tenté d’obtenir une telle lettre avant son audience devant la SPR; cependant, il n’a pas mentionné cela à la SPR, évoquant plutôt uniquement les efforts (déployés par l’entremise de son frère) pour obtenir sa carte d’identité du parti;

  • La SAR a estimé que l’explication fournie par le demandeur pour justifier l’omission de fournir la lettre à la SPR – à savoir que le HDP était en « crise » et que des membres du Parlement étaient détenus durant la période ayant précédé l’audition de sa demande d’asile – contredisait son témoignage devant la SPR selon lequel il n’avait pas pu obtenir sa carte d’identité du bureau de Mersin parce qu’il était fermé. Cette contradiction a amené le commissaire de la SAR à soulever « des doutes quant à savoir si le bureau […] était fermé à Mersin, comme il est prétendu, et si l’appelant était incapable d’obtenir une lettre du HDP avant le rejet de sa demande d’asile »;

  • Quoi qu’il en soit, la SAR n’a pas jugé l’explication convaincante. Les documents sur les conditions dans le pays indiquaient que le HDP était encore en « crise » et que des membres du Parlement étaient encore en détention. « Rien n’a changé depuis la décision de la SPR » et pourtant, le demandeur a réussi à obtenir la lettre qu’il n’avait pas pu se procurer auparavant. Par conséquent, en l’absence de « détails additionnels quant au moment où l’appelant a communiqué avec son frère et au moment où son frère a communiqué avec le HDP, il est impossible pour la SAR d’établir si une telle lettre du HDP n’aurait pas pu être présentée à la SPR au moment du rejet »;

  • La SAR a également fait remarquer qu’à en croire la preuve du demandeur fournie à la SPR, son frère s’est rendu au bureau de Mersin deux mois avant son audience et l’a trouvé fermé. La SPR n’a statué sur la demande d’asile que deux mois après l’audience. Le demandeur a donc eu quatre mois pour continuer à essayer d’obtenir des documents du bureau de Mersin avant que la décision ne soit rendue; pourtant cette période et les efforts que le demandeur pourrait avoir déployés ne sont pas évoqués;

  • Enfin, le frère du demandeur n’a fourni aucune preuve concernant les efforts qu’il a déployés pour obtenir les documents du bureau de Mersin et les obstacles auxquels il a été confronté pour corroborer la version des événements fournie par le demandeur.

[45]  La SAR a également refusé d’admettre la nouvelle lettre du frère du demandeur. Même si elle était également postérieure au rejet de la demande d’asile par la SPR, les incidents qu’elle décrivait étaient tous survenus avant. La SAR a estimé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il n’aurait pas pu raisonnablement obtenir la lettre avant le rejet de sa demande d’asile. Il n’a d’ailleurs nullement expliqué pourquoi il n’avait pas pu obtenir la lettre plus tôt. La SAR s’est également dite préoccupée par une contradiction entre le contenu de la deuxième lettre du frère et le témoignage du demandeur devant la SPR. En particulier, la lettre indique que le HDP a continué d’organiser des réunions au restaurant du frère alors que le demandeur avait déclaré que le parti à Mersin avait fermé. La SAR a également fait remarquer que les événements décrits dans la lettre étaient antérieurs à l’audience de la SPR; pourtant, la première lettre du frère, déposée devant la SPR, n’en fait aucune mention. La SAR a conclu que « rien ne porte à croire que l’information contenue dans la lettre du frère n’était pas normalement accessible ou, si elle l’était, qu’elle n’aurait pas normalement été présentée à la SPR au moment du rejet ». Par conséquent, la lettre ne remplissait pas les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR pour être admise à titre de nouvel élément de preuve.

[46]  Enfin, la SAR a refusé à cet égard de tenir une audience, estimant que les exigences énoncées au paragraphe 110(6) de la LIPR n’étaient pas remplies à l’égard de la nouvelle preuve admise. Cette conclusion n’a pas été contestée.

B.  Le fond de l’appel

[47]  La SAR a confirmé que toutes les conclusions de la SPR étaient correctes, bien qu’elle ait, à certains égards, substitué ses propres motifs aux siens.

[48]  Le demandeur ne contestant en l’espèce que certaines conclusions de la SAR, il n’est pas nécessaire de reproduire ici tous ses motifs. Les conclusions pertinentes seront analysées plus en détail ci‑après. Pour le moment, il suffit de noter que la SAR a fait les constatations suivantes à l’égard des trois conclusions contestées par le demandeur :

  • « [I]l n’y [avait] pas lieu d’accorder du poids » à la première lettre du frère du demandeur (même si la SPR lui a accordé un [TRADUCTION] « poids minimal »), car il n’a pas été établi que ce dernier en était bel et bien l’auteur, son contenu était « vague », et elle ne corroborait pas les principales allégations du demandeur;
  • La SPR n’a pas eu tort d’accorder peu de poids au rapport psychologique, même si elle a accepté le diagnostic selon lequel le demandeur souffrait de TSPT et de TDM. La SAR a estimé que malgré la preuve psychologique, rien n’indiquait que le demandeur avait eu de la difficulté à témoigner devant la SPR. Par ailleurs, la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité en invoquant ses problèmes de mémoire, tels qu’ils sont décrits dans le rapport;
  • Les conclusions de la SPR « [non] contestées » concernant la preuve du demandeur, en ce qui touche notamment son incapacité à se souvenir de détails importants, ont également miné sa crédibilité.

[49]  Plus généralement, ayant estimé que le demandeur n’avait pas établi son identité politique, la SAR a également conclu que la preuve documentaire ne permettait pas d’établir qu’il serait persécuté en raison de ses identités kurde ou alevie.

[50]  La SAR a donc rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR portant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[51]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision de la SAR doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Cette décision englobe la conclusion concernant l’admissibilité de la nouvelle preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR et le fond de l’appel.

[52]  La norme de contrôle de la décision raisonnable est à présent celle qui est présumée s’appliquer, sous réserve d’exceptions particulières, « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit [...] exige [d’y déroger] » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 10). Rien ne justifie de déroger à la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable est applicable au présent contrôle judiciaire.

[53]  Je note également que la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov établissait clairement que les questions soulevées par le demandeur devaient être assujetties à la norme de la décision raisonnable. S’agissant de l’admissibilité de la nouvelle preuve, voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au para 29. Pour ce qui est de la substance de la décision rendue sur le fond de l’appel, voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au para 35.

[54]  L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux para 12 et 13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Il faut, lors du contrôle, accorder « une attention particulière » aux motifs écrits du décideur et les « interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, au para 97).

[55]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La norme de la décision raisonnable « exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision » (ibid.). La cour de justice qui applique cette norme « ne se demande […] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’"éventail" des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution "correcte" au problème » (Vavilov, au para 83).

[56]  Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Il doit établir que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100) ou qu’elle est « indéfendable […] compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » (Vavilov, au para 101).

V.  QUESTIONS EN LITIGE

[57]  Le demandeur conteste la décision de la SAR en s’appuyant sur deux motifs généraux que je formulerai ainsi :

VI.  ANALYSE

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve?

[58]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas la lettre du HDP et la deuxième lettre de son frère. Il conteste sa conclusion, selon lui déraisonnable, portant que la preuve qu’il a fournie devant la SPR et l’explication qu’il a avancée devant la SAR pour justifier le fait qu’il n’avait pas pu obtenir la lettre du HDP plus tôt sont incohérentes. S’agissant de la deuxième lettre de son frère, il soutient que même si les incidents décrits dans la lettre sont survenus avant l’audience de la SPR, il n’aurait pas pu raisonnablement fournir cette preuve, vu qu’à l’époque, il n’était pas au courant des événements.

[59]  À mon avis, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle à l’égard de l’un ou l’autre des nouveaux éléments de preuve.

[60]  S’agissant tout d’abord de la lettre du HDP, le demandeur affirme que la SAR a déraisonnablement relevé des contradictions entre l’affidavit qu’il avait déposé à l’appui de la demande visant à faire admettre la nouvelle preuve et sa déposition devant la SPR. Il soutient en particulier que la SAR a conclu de manière déraisonnable qu’il avait fourni des versions différentes de la situation du HDP à Mersin pendant l’époque ayant précédé son audience devant la SPR.

[61]  La difficulté pour le demandeur vient de ce qu’il n’a fourni aucune preuve se rapportant à sa déposition devant la SPR sur ce point. Il n’a pas déposé de transcription de son témoignage devant la SPR. Dans l’affidavit souscrit le 22 juillet 2019 qu’il a présenté à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, il affirme ce qui suit :

[traduction]

Mon avocate me signale et je crois comprendre que la SAR a fait, dans ses motifs de rejet de mon appel lors du réexamen, des observations en ce qui a trait à ce que j’ai affirmé lors de l’audition de ma demande d’asile. Cette audience a eu lieu il y a plus de deux ans et je ne me souviens pas exactement de ce que j’ai dit ou n’ai pas dit à cette occasion. Je sais que mon avocate ou moi-même avons reçu une copie de l’enregistrement sur CD de cette audience, mais je ne l’ai pas écoutée.

[62]  L’affidavit ne précise pas pourquoi le demandeur n’a pas écouté l’enregistrement sur CD pour se rafraîchir la mémoire quant à sa déposition devant la SPR.

[63]  Bien que l’enregistrement sur CD fasse partie du dossier en l’espèce, il ne revient pas à la Cour de l’écouter pour déterminer si la position du demandeur est fondée ou non, d’autant plus que ce dernier n’a pas indiqué quelles parties de l’enregistrement sont pertinentes. Une telle façon de procéder créerait aussi un désavantage injuste pour le défendeur.

[64]  Cette difficulté dans laquelle se retrouve le demandeur aurait pu être évitée s’il avait déposé une transcription de son témoignage devant la SPR. Je reconnais volontiers que les transcriptions peuvent être coûteuses et que des demandes comme celle-ci peuvent être assujetties à des contraintes financières. Le demandeur n’a nullement expliqué pourquoi il n’a pas obtenu une transcription de son témoignage devant la SPR malgré l’importance de cette preuve en l’espèce. Il lui incombe de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable. Même s’il n’avait effectivement pas les ressources pour obtenir la transcription de son témoignage, il lui incombait de trouver une solution de rechange adéquate. Son propre affidavit, basé sur sa mémoire des événements qu’il aurait rafraîchie en écoutant l’enregistrement sur CD, est une solution de rechange évidente. Pour des raisons que nous ignorons, le demandeur ne s’est pas non plus prévalu de cette option.

[65]  Plutôt que de fournir des éléments de preuve concernant la teneur de son témoignage devant la SPR, le demandeur a tenté d’étayer sa position en invoquant les observations écrites que son ancien conseil avait soumises dans le cadre de la demande visant à faire admettre la lettre du HDP comme nouvelle preuve. Ce dernier avait déclaré par écrit : [TRADUCTION] « Devant la SPR, l’appelant a expliqué qu’il s’était efforcé d’obtenir cette lettre, mais qu’il n’y était pas arrivé à cause de la situation politique; en particulier, les pressions subies par le HDP (corroborées dans la preuve objective sur les conditions dans le pays) ». À mon avis, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le résumé élaboré par le conseil du témoignage fourni dans une instance – un résumé qui, il faut le souligner, a été effectué dans une optique tout à fait différente – ne saurait tenir lieu de preuve quant à ce qui a été affirmé dans cette instance, surtout lorsque aucune explication ne vient préciser pourquoi une telle preuve n’a pas pu être fournie.

[66]  La tentative par le demandeur d’étayer ses arguments au moyen des motifs mêmes de la SAR est également peu convaincante. Par exemple, il fait remarquer que la SAR ne dit pas qu’elle a réellement écouté l’enregistrement sur CD. Cependant, elle n’était nullement tenue de le faire. Il est bien établi en droit que le décideur n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision; il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA), Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, [1999] 1 CF 53, au para 16). Bien que cette présomption puisse être réfutée, rien dans le dossier n’appuie une telle conclusion en l’espèce. Au contraire, la SAR mentionne plusieurs fois explicitement le témoignage du demandeur devant la SPR, ce qui laisse penser qu’elle a examiné l’enregistrement sur CD. En l’absence de la moindre preuve concernant la déposition du demandeur devant la SPR, il n’existe aucune raison de ne pas prendre ces déclarations au pied de la lettre ou comme un compte rendu exact de ce que le demandeur a déclaré devant ce tribunal.

[67]  Je répète qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’il était déraisonnable de la part de la SAR d’invoquer les divergences relevées entre son témoignage devant la SPR et la preuve qu’il a soumise à l’appui de la demande visant à faire admettre la nouvelle preuve. Compte tenu des lacunes que j’ai relevées dans le dossier, je ne puis évaluer le bien-fondé de sa contestation de la décision de la SAR. Par conséquent, le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau à l’égard de ce motif de contrôle judiciaire.

[68]  La conclusion de la SAR selon laquelle la deuxième lettre du frère du demandeur n’était pas non plus admissible en tant que nouvelle preuve peut être abordée beaucoup plus succinctement.

[69]  Comme la lettre décrit des événements survenus avant le rejet de la demande d’asile, le demandeur devait à tout le moins démontrer à la SAR qu’elle ne lui était normalement pas accessible plus tôt (sans laisser entendre ici qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur la présente si elle lui était accessible) : voir le paragraphe 110(4) de la LIPR. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 29(3) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, le demandeur doit fournir « une explication » des raisons pour lesquelles la lettre de son frère « est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi ». Cependant, la demande qu’il a soumise pour faire admettre la lettre à titre de nouvelle preuve n’explique pas pourquoi il ne pouvait pas normalement obtenir les renseignements contenus dans cette lettre avant que la SPR ne rejette sa demande d’asile en juillet 2017. Dans l’affidavit soumis à l’appui de cette demande, le demandeur déclare simplement : [TRADUCTION] « Aussi, vers le 25 septembre 2017, j’ai reçu une lettre de mon frère, Murat Zararsiz, certifiée par un avocat, par courrier international ». Le demandeur ne nous dit rien de ce qu’il savait sur les circonstances ayant amené son frère à écrire la lettre ou sur les raisons pour lesquelles il n’aurait pas pu raisonnablement obtenir de lui une lettre de ce genre plus tôt. Les observations soumises par son conseil à la SAR n’abordent pas non plus ce point.

[70]  Le demandeur soutient en l’espèce qu’il ne savait pas qu’il devait demander une lettre à son frère parce qu’il n’avait pas connaissance des événements évoqués dans la lettre au moment de l’audition de sa demande d’asile. Ce point n’a pas été porté à l’attention de la SAR dans la demande visant à faire admettre la nouvelle preuve. Par conséquent, il ne peut pas s’en servir pour étayer ses arguments concernant la présente demande : voir Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661, au para 34.

[71]  Cette observation n’est étayée par aucune preuve du demandeur lui-même, ce qui est encore plus important aux fins qui nous occupent. Les observations de l’avocate relatives à la présente demande de contrôle judiciaire ne sont pas étayées par des éléments de preuve et ne suffisent pas pour établir le fondement nécessaire du motif de contrôle avancé.

[72]  Le fait que la SAR n’a reçu aucune preuve ni observation expliquant pourquoi la lettre du frère du demandeur ne pouvait raisonnablement être obtenue plus tôt suffit en soi à rejeter la demande visant à la faire admettre comme nouvelle preuve. Il était totalement raisonnable que la SAR tire cette conclusion.

[73]  Pour ces raisons, ce motif de contrôle judiciaire doit être rejeté.

[74]  Pour être juste envers Mme Joundi, qui a habilement assumé le rôle d’avocate du demandeur inscrite au dossier lors de l’audition de la présente demande, elle n’est aucunement responsable de l’état du dossier ou des arguments avancés dans le mémoire des faits et du droit du demandeur.

B.  La décision rendue par la SAR à l’égard de l’appel est-elle déraisonnable?

[75]  Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur conteste seulement trois conclusions précises de la SAR pour faire valoir que la décision qu’elle a rendue à l’égard de son appel est déraisonnable. Premièrement, il soutient que la SAR a commis une erreur en n’accordant aucun poids à la première lettre de son frère (soumise à la SPR). Il affirme que des éléments de preuve attestaient que la lettre était authentique (une pièce d’identité avec photo de son frère a été déposée auprès de la SPR en même temps que la lettre) et qu’elle prouvait directement l’allégation selon laquelle il était recherché par la police turque. Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en réduisant l’importance du rapport psychologique. En particulier, qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité à partir des omissions et des incohérences dans sa preuve, vu que le rapport indiquait clairement que son TSPT nuisait à sa capacité de se remémorer les détails liés à des incidents traumatisants : voir Sterling c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 329. Troisièmement, il soutient que la SAR a commis une erreur en fondant en partie sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur celles de la SPR qui n’ont « pas été contestées » en appel alors qu’elles ont en fait été mises en cause.

[76]  Je ne suis pas prêt à convenir que la SAR a commis l’une de ces erreurs.

(1)  La lettre du frère du demandeur

[77]  S’agissant tout d’abord de la lettre du frère du demandeur, celle‑ci était manuscrite, non datée et non signée. Je la reproduis dans son intégralité (traduite à partir de la traduction anglaise – traduite telle que reproduite dans la version anglaise) :

[traduction]

Salut grand frère, comment vas‑tu? Tu nous manques beaucoup à tous. Ici la situation est un peu confuse. L’État opprime notre parti et en a arrêté les responsables. La police nous a interrogé à ton sujet, mais on leur a dit qu’on ne savait pas où tu étais. On a peur et on ne veut pas t’appeler parce qu’ils pourraient mettre notre téléphone sur écoute. Que fais‑tu là‑bas, es‑tu bien installé? S’il te plaît, prends soin de toi.

Grand frère, tu manques à notre mère. Notre pays est très dangereux en ce moment. On ne sait pas ce qui va se passer. Donc, ne reviens pas jusqu’à ce que tu reçoives de mes nouvelles.

S’il te plaît grand frère prends soin de toi.

Fais confiance à Dieu.

[78]  Voici ce que la SPR a déclaré au sujet de cette lettre :

[traduction]

Le demandeur d’asile a fourni à l’appui de sa demande d’asile une lettre de son frère. Cependant, compte tenu des graves préoccupations quant à la crédibilité et comme le frère du demandeur d’asile n’a pas été appelé à témoigner, le tribunal accorde peu de poids à cette lettre.

[79]  Le demandeur a contesté cette conclusion dans l’appel qu’il a interjeté devant la SAR.

[80]  La SAR a convenu avec le demandeur que les motifs pour lesquels la SPR a accordé [traduction] « peu de poids » à la lettre étaient erronés; cependant, la SAR a elle-même conclu qu’« il n’y [avait] pas lieu d’accorder du poids » à cette lettre pour établir les allégations du demandeur. Cette conclusion reposait sur les facteurs suivants :

  • Il n’a pas été établi avec certitude que la lettre avait été écrite par le frère du demandeur;

  • Aucune pièce d’identité n’était jointe à la lettre pour confirmer que le frère du demandeur en était bel et bien l’auteur;

  • Le contenu de la lettre est vague et manque de détails;

  • La lettre ne corrobore aucune des allégations du demandeur quant à ce qui lui est arrivé;

  • La SAR s’attendait à ce qu’une lettre émanant du frère du demandeur, copropriétaire du restaurant où les réunions du HDP auraient eu lieu, comporte « des renseignements essentiels à l’appui » en ce qui touche les allégations du demandeur et dont il « a peut-être été personnellement témoin ».

[81]  Je conviens avec le demandeur que ces facteurs ne résistent pas tous à un examen minutieux. La SPR ne doutait pas que la lettre émanait du frère du demandeur et il n’y avait aucune raison que la SAR en doute. Cependant, l’analyse principale de cette dernière supposait que la lettre avait été rédigée par le frère du demandeur. Je conviens qu’il était conjectural de la part de la SAR d’estimer que le frère aurait été témoin des événements décrits par le demandeur et donc, que son omission de corroborer la version de ce dernier diminuait la valeur de la lettre. Mais à mon avis, la conclusion fondamentale de la SAR est raisonnable. La lettre ne corroborait pas les principales allégations du demandeur, sans égard à la question de savoir si elle aurait dû le faire ou non. Compte tenu de la lettre elle-même et de l’ensemble des facteurs qu’elle a relevés – notamment le caractère vague de la lettre, le manque de détails ainsi que l’omission de corroborer les principales allégations du demandeur – il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure qu’elle méritait de ne se voir accorder aucun poids aux fins de l’établissement des allégations du demandeur.

(2)  Le rapport psychologique

[82]  S’agissant du rapport psychologique, l’auteure du rapport, Mme Holmes‑Bose, a estimé que le demandeur remplissait les critères diagnostiques du TSPT. Elle a également noté qu’il [TRADUCTION] « n’est pas rare » pour les personnes atteintes de ce trouble de [TRADUCTION] « présenter des problèmes de mémoire, de ne pas pouvoir se concentrer lorsqu’elles relatent des incidents traumatisants passés (p. ex., difficulté à se souvenir de détails importants liés à des événements traumatisants, se sentir en proie à l’hébétude) et d’avoir du mal à fixer leur attention ». D’ailleurs, parmi les symptômes rapportés par le demandeur à Mme Holmes‑Bose et appuyant le diagnostic de TSPT figuraient des [TRADUCTION] « difficultés à se souvenir d’événements qui lui étaient arrivés (p. ex., durée de son incarcération, dates précises des événements, détails des violences qu’il avait subies aux mains de ses ravisseurs) parce qu’il veut oublier ce qui s’est passé ».

[83]  La SPR a accordé [TRADUCTION] « peu de poids » au rapport [TRADUCTION] « en ce qui touche les événements qui auraient causé l’état/traumatisme psychologique du demandeur d’asile » – en d’autres mots, le fait que le demandeur souffrait de TSPT (ce que la SPR a reconnu) ne permettait guère de corroborer l’affirmation du demandeur selon laquelle les autorités turques lui avaient infligé un traumatisme. Néanmoins, la SPR a accepté l’avis de Mme Holmes‑Bose concernant l’[TRADUCTION] « affection » dont souffrait le demandeur. Afin de prendre en compte ces circonstances particulières, la SPR a accueilli la demande de son conseil visant à inverser l’ordre habituel des questions. Aussi, la SPR a tenu compte de cet [TRADUCTION] « avis concernant le fonctionnement psychologique du demandeur d’asile au moment d’évaluer la crédibilité ».

[84]  Dans l’appel qu’il a interjeté devant la SAR, le demandeur a fait valoir que la SPR a commis une erreur en accordant peu de poids à l’avis de la psychologue pour ce qui est de corroborer son récit et, plus encore, en ne tenant pas compte du diagnostic pour juger des lacunes de son témoignage, comme les versions contradictoires de ce qui lui est arrivé en Turquie ou son incapacité à se souvenir des détails.

[85]  La SAR n’a relevé aucune erreur dans le traitement par la SPR de l’avis de la psychologue. Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SAR portant que l’avis n’était pas suffisamment corroborant, mais il maintient que la SAR a commis une erreur en n’en tenant pas compte lorsqu’elle a elle-même conclu qu’il n’était pas crédible.

[86]  Je ne suis pas d’accord.

[87]  Pour la SAR, le rapport n’expliquait pas les difficultés qu’avait eues le demandeur à fournir une preuve crédible sur ses expériences en Turquie. Comme je l’ai déjà fait remarquer, le demandeur a signalé à la psychologue qu’il avait parfois du mal à se souvenir des détails d’événements qui lui sont arrivés. La psychologue a expliqué dans son rapport que cela concorde avec le diagnostic de TSPT. Cependant, la SAR a estimé que les problèmes liés à la crédibilité du demandeur découlaient non pas de son incapacité à se souvenir de détails, mais plutôt des graves incohérences entre les déclarations qu’il a faites à l’ASFC au point d’entrée et les différentes versions de l’exposé circonstancié du formulaire FDA, elles-mêmes mutuellement contradictoires. En outre, ces difficultés n’avaient rien à voir avec les éventuelles faiblesses du témoignage du demandeur devant la SPR. Les problèmes que le demandeur aurait pu, selon la psychologue, rencontrer durant son témoignage ne semblent pas avoir surgi. La SAR a précisément fait remarquer que le demandeur « n’a pas eu de difficulté à se souvenir des dates précises des événements, et qu’aucune conclusion quant à la crédibilité n’a été tirée à cet égard ». La SAR a également noté que lorsqu’il a été prié d’expliquer pourquoi sa preuve comportait des divergences, le demandeur « a attribué ces problèmes de crédibilité blâmé non pas à sa mémoire défaillante ou au stress lié à l’audience, mais plutôt à son premier conseil et à sa méfiance à l’égard de l’autorité, ce qui a été analysé précédemment ». Plus tôt dans la décision, la SAR avait rejeté ces explications avancées à l’égard des divergences relevées dans les exposés circonstanciés.

[88]  En bref, de l’avis de la SAR, le rapport de la psychologue pouvait expliquer certaines lacunes dans les versions fournies par le demandeur, mais ni la SPR ni la SAR ne se sont fondées sur ces lacunes pour tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur. D’un autre côté, le rapport n’a pas permis de faire la lumière sur ce qui, de l’avis de la SPR et de la SAR, constituait le principal problème aux fins de la crédibilité du demandeur – à savoir, les divergences importantes entre les différentes versions qu’il avait données de ses expériences en Turquie. À mon avis, cette évaluation de la valeur du rapport était tout à fait raisonnable.

[89]  En outre, la SAR a estimé que le témoignage du demandeur concernant la détention de responsables du HDP, qui l’avait décidé à quitter la Turquie, était « lacunaire, changeant et vague ». Ces conclusions sont raisonnablement étayées par le dossier. La conclusion défavorable quant à la crédibilité qui en est tirée concorde avec l’évaluation par la SAR de l’importance du rapport de la psychologue aux fins de l’évaluation de la crédibilité du demandeur : voir Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379, aux para 36 et 37 et Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215, au para 15. Je n’ai aucune raison de modifier la conclusion tirée.

(3)  Les conclusions « [non] contestées »

[90]  Enfin, le demandeur conteste le fait que la SAR se soit appuyée sur des conclusions « [non] contestées » de la SPR pour miner sa crédibilité.

[91]  La SAR a déclaré ce qui suit :

L’appelant ne conteste pas plusieurs conclusions cruciales de la SPR quant à la crédibilité. Comme l’appelant ne conteste pas ces conclusions, je ne vois aucune raison d’intervenir à leur égard. Elles sont correctes et fondées sur les éléments de preuve au dossier.

[92]  La SAR a relevé en particulier l’une de ces conclusions fondées sur l’incapacité du demandeur à se souvenir du nom des responsables du HDP dont la détention en avril 2016 avait selon lui rendu urgent son départ de Turquie.

[93]  À titre de contexte supplémentaire, le demandeur n’a pas fourni beaucoup de précisions sur cet incident dans les deux versions de l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. Dans le premier exposé, il a déclaré que [TRADUCTION] « [l]e gouvernement a commencé à arrêter des partisans du HDP parce qu’ils appuyaient les séparatistes kurdes. Il n’y avait dans le pays aucun endroit sûr où je pouvais déménager, et personne ne pouvait non plus me protéger contre les autorités gouvernementales ». Par conséquent, il s’est rendu compte qu’il n’était plus en sécurité en Turquie et il s’est mis à la recherche d’un agent qui l’aiderait à quitter le pays. Il en a trouvé un à la fin d’avril 2016. D’un autre côté, dans son deuxième exposé circonstancié modifié, il affirme avoir retenu les services de l’agent parce que la police exerçait des pressions sur le restaurant. Même s’il renvoie ensuite à la partie de son exposé circonstancié initial qui traite des arrestations de responsables du HDP, il ne fait pas mention de celles-ci dans le deuxième exposé circonstancié modifié.

[94]  La SPR a reconnu, sur la foi de la preuve concernant les conditions dans le pays, que des membres du HDP étaient détenus en avril 2016. Cependant, ses [TRADUCTION] « préoccupations quant à la crédibilité résultent du fait que le demandeur n’a pas pu dire pourquoi il a ressenti le besoin urgent de quitter la Turquie en avril 2016, comme cela est mentionné dans la version modifiée de son formulaire FDA [renvoi omis]. Le demandeur d’asile a déclaré que c’était parce que des membres du parti étaient en détention, mais il n’a pas pu donner le nom de ceux dont la détention en avril 2016 l’avait motivé à partir ».

[95]  Le demandeur a raison de dire qu’il a contesté cette conclusion en appel, contrairement à ce que la SAR semblait croire. En particulier, il a fait valoir devant la SAR que la SPR avait commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité de son incapacité à se souvenir de ces renseignements, car elle n’avait pas tenu compte des conclusions de la psychologue. Quoi qu’il en soit, l’important est que la SAR a décidé d’elle-même que ces conclusions défavorables étaient « correctes et fondées sur les éléments de preuve au dossier ». Le demandeur fait valoir que cette conclusion reprend la même erreur que celle commise par la SPR parce qu’elle ne tient pas compte de l’avis de la psychologue. Pour les motifs énoncés dans la section précédente, cet argument est sans fondement.

VII.  CONCLUSION

[96]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[97]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3847‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3847‑19

 

INTITULÉ :

MEHMET ZARARSIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2020

 

COMPARUTIONS :

Talia Joundi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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