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Date : 20040908

Dossier : IMM-6171-03

Référence : 2004 CF 1231

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                    

ENTRE :

                                                            JOSE CORDEIRO et

CLEUSA BARRISO CORDEIRO

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Monsieur et Mme Cordeiro (les demandeurs) ont présenté une demande du statut de résidents permanents de l'intérieur du Canada en invoquant des raisons d'ordre humanitaire (la demande CH). Une agente d'immigration a rejeté cette demande au motif que les raisons invoquées par les demandeurs étaient insuffisantes.


[2]                Les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision de l'agente. Ils soutiennent que l'agente n'a pas accordé une attention suffisante à l'intérêt supérieur de ni l'un ni l'autre de leurs deux enfants. Ils affirment en plus qu'il y a eu déni d'équité en matière de procédure dans la manière dont leur demande a été traitée. Finalement, ils affirment que la décision était déraisonnable et qu'elle ne peut résister à un examen quelque peu poussé sur le fond.

Les faits

[3]                Les demandeurs sont citoyens du Brésil. Ils ont un fils de neuf ans né au Canada, Johnathan, et une fille mariée, Debora Costa. Madame Costa est résidente permanente du Canada. Elle a été parrainée par son mari canadien après leur mariage en 2001. Au moment où la demande CH de sa famille a été présentée, Mme Costa avait 21 ans.

[4]                Les membres de la famille Cordeiro sont arrivés au Canada en décembre 1989 et Johnathan est né ici le 15 novembre 1993. Ils sont retournés au Brésil en février 1994, y sont restés jusqu'en octobre 1998, puis sont revenus au Canada à titre de visiteurs. Ils ont par la suite présenté des demandes du statut de réfugiés en alléguant la persécution en raison de la criminalité et de la violence qui sévissaient au Brésil. Ces demandes ont été rejetées en février 2000. En décembre 2001, la famille a présenté sa demande CH. Entre autres documents, une entente de parrainage signée par Mme Costa et son mari accompagnait la demande.                     


[5]                M. Cordeiro est charpentier et il a exercé ce métier au Canada. Il possède maintenant sa propre entreprise dans ce domaine. Madame Cordeiro a travaillé comme nettoyeuse et a terminé un programme de formation pour être soignante. Ils ont tous deux été actifs sur le plan religieux et social dans leur collectivité et ont participé bénévolement à de nombreuses activités. Pendant la période qu'ils ont vécu au Canada, les demandeurs ont eu des emplois stables, ont amassé des économies substantielles et ils ont payé leurs impôts tous les ans.

[6]                Dans l'affidavit qu'elle a déposé aux fins de la présente instance, Mme Costa affirme qu'elle est désireuse et capable de parrainer ses parents. Elle affirme que, après avoir signé l'entente de parrainage et avoir fourni des copies de sa fiche d'établissement, elle a dit à l'ancien avocat de la famille, qui s'occupait de la demande CH de ses parents, qu'elle fournirait tout autre document nécessaire au soutien du parrainage. On ne lui a pas dit qu'autre chose était requis et elle et les membres de sa famille ont cru qu'ils avaient présenté tous les documents nécessaires.

[7]                Dans sa lettre du 12 janvier 2002, Citoyenneté et Immigration Canada a informé les demandeurs que : [traduction] « Si nous découvrons que nous avons besoin d'autres renseignements vous concernant, nous communiquerons avec vous [...] » .

[8]                Madame Costa affirme qu'elle a donc été étonnée lorsque, dans ses motifs de décision, l'agente a affirmé que la demande ne contenait pas assez de renseignements pour lui permettre d'évaluer si elle respectait le seuil de faible revenu (SFR) fixé en matière de parrainage. Mme Costa affirme qu'elle s'est fiée aux conseils donnés par le consultant incompétent qui avait préparé la demande CH pour ses parents et qu'elle croit qu'elle et son mari auraient atteint le SFR.


La décision de l'agente

[9]                Après avoir noté les faits entourant l'immigration de la famille et la présence de parents tant au Brésil qu'au Canada, l'agente a affirmé qu'elle n'était pas convaincue que la séparation de Mme Costa de ses parents et de son frère entraînerait pour elle des difficultés disproportionnées et indues. Elle a fait remarquer que Mme Costa avait commencé à fonder sa propre famille et que la séparation d'avec ses parents aurait pu être entrevue, compte tenu que leur statut d'immigrant était incertain.

[10]            En ce qui concerne l'entente de parrainage, l'agente a noté que Mme Costa n'avait pas fourni de preuves suffisantes qu'elle remplissait les conditions de parrainage, telles que des renseignements sur ses finances qui lui auraient permis de savoir si elle satisfaisait aux exigences en matière de revenu et pouvait donc parrainer sa famille. Par conséquent, elle n'avait pas pu faire un examen complet.

[11]            En ce qui concernait Johnathan, l'agente a noté que, bien que Johnathan eût été de retour au Canada depuis ses cinq ans, elle n'était pas persuadée qu'il ne pourrait pas apprendre le portugais. Elle a fait remarquer que, de façon générale, l'intérêt supérieur d'un enfant commande qu'il reste avec ses parents. En l'espèce, l'agente n'a pas été convaincue que Johnathan courrait un plus grand risque au Brésil que tout autre Brésilien.

[12]            Étant Canadien, Johnathan aurait le droit de revenir au Canada. L'agente a affirmé que, bien qu'il puisse y avoir une période d'ajustement s'il revenait un jour au Canada après une longue période, ses parents pourraient prendre des mesures pour le préparer à ce retour, par exemple en lui faisant suivre des cours d'anglais.

[13]            Finalement, l'agente a noté qu'il n'y avait aucune preuve au soutien de l'affirmation selon laquelle Johnathan pourrait éprouver des difficultés relativement à son éducation et à sa connaissance de l'anglais écrit s'il était renvoyé au Brésil.

[14]            L'agente a noté que la famille s'était, jusqu'à un certain point, établie au Canada. Cependant, malgré leur contribution à la société canadienne, elle n'était pas convaincue qu'il y avait des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour qu'elle rende une décision favorable.

Les questions en litige

[15]            Dans la présente demande, les demandeurs soulèvent quatre questions :

1.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de prendre adéquatement en considération les intérêts de Johnathan?

2.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de prendre adéquatement en considération les intérêts de Debora Costa?


3.         Les demandeurs ont-ils subi un déni d'équité en matière de procédure en ce qui concerne le traitement de leur demande CH en raison de l'omission de l'agente de demander d'autres renseignements relativement à la question de savoir si Mme Costa et son mari atteignaient le SFR applicable au parrainage?

4.         La décision de l'agente était-elle déraisonnable?

Je suis d'avis que je peux rendre une décision sur la présente demande en me prononçant sur la première question et qu'il n'est par conséquent pas nécessaire d'examiner les autres.

L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de prendre adéquatement en considération les intérêts de Johnathan?            

[16]            Les demandeurs soutiennent que l'agente a commis une erreur en n'accordant pas suffisamment d'attention à l'intérêt supérieur de Johnathan. En particulier, ils affirment que l'agente a omis de prendre en considération la relation très étroite qu'il a avec sa soeur et son beau-frère et le tort qu'il subirait s'il était séparé d'eux.

[17]            En outre, les demandeurs soutiennent que l'agente a omis de prendre en considération l'engagement de Johnathan dans les activités scolaires, sportives et musicales de sa collectivité.

[18]            L'avocate du défendeur affirme qu'elle [traduction] « prend à coeur » les commentaires au sujet de l'engagement de Johnathan dans les diverses activités mentionnées par sa famille, mais qu'il faut présumer que l'agente les a prises en considération.

[19]            Le défendeur soutient que la principale préoccupation dictée par l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et les arrêts Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), prononcés ultérieurement par la Cour d'appel fédérale, est que l'agent doit être « réceptif, attentif et sensible » aux intérêts des enfants et aux effets que la séparation peut avoir sur les enfants, les parents et leurs proches.

[20]            Le défendeur affirme que l'agente n'a pas commis d'erreur de droit, qu'elle a soupesé tous les facteurs pertinents et que sa décision est raisonnable, vu que ses motifs résistent à un examen assez poussé.

[21]            Il ressort des arrêts Baker, Hawthorne et Legault que, lors de l'examen des demandes CH, les agents d'immigration se doivent d'être réceptifs, attentifs et sensibles aux intérêts des enfants. Pour être en mesure d'être réceptive, attentive et sensible aux intérêts de l'enfant ici en cause, l'agente devait s'assurer que les intérêts de l'enfant étaient bien qualifiés et définis.


[22]            Il n'existe pas à première vu de présomption que les intérêts supérieurs des enfants doivent l'emporter sur toute autre considération. En fait, bien que l'agent doivent être sensible aux intérêts de l'enfant, il lui revient en dernier lieu de déterminer quel poids donner aux besoins de l'enfant dans les circonstances de l'espèce.

[23]            Je ne suis pas convaincue que l'agente a bien qualifié ou a suffisamment défini les intérêts de Johnathan. Elle s'est concentrée en grande partie sur la question du risque et des habiletés linguistiques de Johnathan et sur l'effet que son retour au Brésil aurait sur son éducation. Il ressort du dossier que Johnathan a une relation exceptionnellement bonne avec sa soeur et son beau-frère, qui sont voisins des demandeurs. Alors que l'agente s'est interrogée sur l'incidence que le renvoi de la famille aurait sur Mme Costa, elle n'a à peu près pas porté attention à l'incidence que ce renvoi aurait sur le jeune Johnathan s'il était séparé de ces personnes qui ont une si grande importance pour lui.

[24]            Il était loisible à l'agente de soupeser ce facteur et d'en comparer l'importance avec celle des autres facteurs à prendre en considération dans l'examen de la demande CH, et de décider si ces autres facteurs l'emportaient sur l'intérêt de Johnathan à demeurer près de sa soeur et de son beau-frère. Il ne lui était pas loisible, cependant, de ne pas se livrer à cet examen.

[25]            Pour ces motifs, la décision sur la demande CH sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu'il la réexamine.

                                                                             


La certification

[26]            Ni l'une ni l'autre partie n'ont demandé la certification d'une question, et l'affaire n'en soulève aucune.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour qu'il la réexamine.

2.          La Cour ne certifie aucune question grave de portée générale.

                     « Anne Mactavish »                  

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-6171-03

INTITULÉ :                                       JOSE CORDEIRO et al

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE L'AUDIENCE :                     LE 1er SEPTEMBRE 2004        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                     LE 8 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :                        

Geraldine MacDonald                          POUR LES DEMANDEURS

Matina Karvellas                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine MacDonald                         

Avocate

80, rue Richmond Ouest,

Bureau 1505

Toronto (Ontario)

M5H 2A4

POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                                      Date : 20040901

                  Dossier : IMM-6171-03

ENTRE :

JOSE CORDEIRO et al

                                                              demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


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