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Date : 20051130

Dossier : IMM-7583-04

Référence : 2005 CF 1617

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

ELI NEHEMIAS SOLIS MARTINEZ

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 octobre 2004 par M. L. Fournier de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle il a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, parce qu’il manquait de crédibilité et qu’il disposait d’une protection adéquate de l’État au Salvador. Le demandeur allègue que M. Fournier a fait preuve d’hostilité envers l’interprète, son avocat et lui-même; il aurait donc violé les règles de justice naturelle et il l’aurait privé d’une audience équitable.

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur, un citoyen du Salvador âgé de 20 ans au moment de l’audience, prétend craindre avec raison d’être persécuté aux mains des bandes Maras, qui l’agresseraient en raison de sa foi religieuse : il appartient au mouvement pentecôtiste.

 

[3]               Le demandeur était membre de l’Église « Assemblies of God », et c’est pour cette raison qu’il a refusé d’être membre des bandes « Maras ». Celles-ci l’ont persécuté lui et ses frères en raison de leur refus d’y adhérer. Plus précisément, le demandeur prétend :

i.          que, le 2 novembre 2003, lorsque le demandeur est rentré chez lui du travail, il a trouvé le cadavre de son frère Joël pendu avec les mains attachées dans le dos;

 

ii.          que son frère a été enterré le 3 novembre 2003; le même jour, il a fui avec son autre frère chez sa tante, qui les accueillis chez elle à la frontière salvadoro– guatémaltèque, où il est demeuré caché;

 

iii.         qu’il a fui le Salvador le 8 novembre 2003, craignant pour sa vie;

 

iv.         que son autre frère est toujours au Salvador, mais qu’il demeure toujours caché chez des membres de sa famille, changeant régulièrement de cachette afin d’éviter de se faire repérer par les Maras;

 

v.         que, à la suite de son départ, son père l’a informé que ces bandes voulaient toujours savoir où il se trouvait.

 

 

[4]               Le 9 avril 2004, le demandeur est arrivé au Canada en passant par les États-Unis et il a fait une demande d’asile.

LA DÉCISION

 

[5]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’avait pas de crainte subjective et parce qu’il disposait d’une protection adéquate de l’État au Salvador. Elle a conclu qu’il y avait des contradictions dans le témoignage du demandeur et que, comme il n’avait pas fait de demande d’asile aux États-Unis alors qu’il pouvait le faire, il n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté. 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               La présente demande soulève les deux questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle donné lieu à une crainte raisonnable de partialité et donc agi contrairement aux règles de justice naturelle et à l’obligation d’équité?

 

2.         Les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité sont-elles manifestement déraisonnables?

 

 

 

ANALYSE

 

1re question :   La Commission a-t-elle donné lieu à une crainte raisonnable de partialité et donc agi contrairement aux règles de justice naturelle et à l’obligation d’équité?

 

[7]               Le demandeur a produit un extrait de la transcription dans son mémoire à titre d’exemple de la prétendue hostilité de la part du commissaire envers l’interprète, envers l’avocat du demandeur et envers le demandeur lui-même. La controverse a éclaté parce que le demandeur a déclaré qu’il avait trouvé son frère pendu à l’extérieur de leur maison avec les mains liées dans son dos. Le demandeur a produit un rapport de police, avec sa traduction, dans lequel il était dit que son frère avait été [TRADUCTION] « apparemment étranglé à mains nues », et un certificat de décès, avec sa traduction, dans lequel il était dit que la cause du décès était la :  [TRADUCTION] « suffocation par strangulation ». L’extrait de la transcription correspond aux 19 à 22 de la transcription officielle. Je conviens que le commissaire qui a dirigé l’audience en question a fait preuve d’impatience avec l’interprète qui essayait d’expliquer que, en espagnol, le même terme se traduit par « pendre » et « étouffer ». Je conviens aussi que le commissaire a interrompu l’avocat du demandeur, comme on le voit à la lecture des pages 21 et 22. La transcription montre clairement que le commissaire a effectué à la fois l’interrogatoire principal et le contre-interrogatoire du demandeur et de l’interprète. Il n’a pas été grossier ou impoli. Il a demandé sèchement des éclaircissements de certains éléments de la déposition du demandeur relatifs au rapport de police et du certificat de décès. Je conclus que ses interventions avaient pour but de concilier ou de préciser des éléments divergents de sa déposition. Si le comportement du commissaire a été agressif, il n’a pas dépassé les bornes et il n’a pas donc pas donné une impression de partialité. Voir les observations du juge Stone dans l’arrêt Kanagasekarampillai c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.F.C. no 599 (C.A.), au paragraphe 12.

 


2e question :    Les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité sont-elles

                         manifestement déraisonnables?

 

[8]               Le demandeur s’appuie sur deux conclusions importantes concernant la crédibilité qui sont manifestement déraisonnables. Elles figurent toutes les deux dans la page 9 des motifs; les voici : 

Lorsqu’on lui a demandé où se trouvait son frère Angel, le demandeur d’asile a répondu qu’il continue de demeurer avec une tante à La Frontera. Le demandeur d’asile a déclaré qu’il ne pouvait se rendre à La Frontera et y résider en toute sécurité. Lorsqu’il a été réinterrogé par le conseil, le demandeur a modifié son témoignage et a affirmé que les bandes de jeunes sévissent dans toutes les parties du Salvador. Je préfère la première déclaration du demandeur. Elle est davantage compatible avec la preuve documentaire dont je dispose et était croyable, car spontanée.

 

[…]

et

 

J’ai constaté une grave contradiction dans la preuve du demandeur d’asile. Alors que, dans le FRP et dans les déclarations au point d’entrée, il est mentionné que le frère du demandeur d’asile a été étranglé à mains nues, l’exposé circonstancié du FRP et les notes au point d’entrée font état d’une pendaison au moyen d’une corde. La preuve documentaire déposée par le demandeur d’asile à l’appui de cette information, accompagnée de la déclaration d’un interprète, indique que la cause du décès est la strangulation à mains nues.

 

 

Ces deux passages sont confus et n’ont aucun sens. Il est évident que le commissaire a prononcé ses motifs verbalement à l’audience de manière précipitée. Comme je l’ai conclu dans la décision Mazouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.F.C. no 1927, au paragraphe 8, la précipitation peut donner à penser que le demandeur n’a pas eu droit à une audience équitable. A fortiori, cela peut être le cas lorsque le commissaire lit une décision de 13 pages à la conclusion de l’audience en fin de matinée.

 

[9]               Quoiqu’il en soit, les conclusions concernant la crédibilité doivent s’appuyer sur des motifs clairs et sans équivoque. Les extraits des motifs cités plus haut ne sont pas clairs et sans équivoque. Bien au contraire. Ces conclusions sont au cœur de la présente cause, et elles sont manifestement déraisonnables.

 

Conclusion

 

[10]           En l’espèce, il y a suffisamment de motifs d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué la Commission pour réexamen. Nul doute que le frère du demandeur a été tué de manière grotesque. Aux fins de la présente demande d’asile, il importe peu que le frère du demandeur ait été tué par strangulation ou par pendaison. Il est possible que les conclusions concernant la crédibilité aient eu une incidence sur la question du caractère adéquat de la protection assurée par l’État et, pour ce motif, elle doit être réexaminée.

 

[11]           Les parties n’ont pas demandé que soit certifiée une question de portée générale, et aucune ne l’est.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du commissaire L. Fournier est annulée, et l’affaire est renvoyée à tribunal différemment constitué la Commission pour réexamen.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 


 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7583-04

 

INTITULÉ :                                       ELI NEHEMIAS SOLIS MARTINEZ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Waikwa Wanyoike

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson

Ministère de la Justice

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waikwa Wanyoike

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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