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Date : 20000720


Dossier : IMM-3785-99


Ottawa (Ontario), le jeudi 20 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON


ENTRE :

     VERDETTE D. JACK


demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


     ORDONNANCE


     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent d'immigration qui fait l'objet du contrôle est annulée et la demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que la demanderesse a présentée sans quitter le Canada est renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent statue à son tour sur celle-ci.

     Aucune question n'est certifiée.

                                 FREDERICK E. GIBSON

                                     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.





Date : 20000720

Dossier : IMM-3785-99

ENTRE :

     VERDETTE D. JACK

     demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision, datée du 16 juillet 1999, dans laquelle un agent d'immigration a rejeté la demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que la demanderesse a présentée sans quitter le Canada. Aucun motif de la décision n'a été fourni à la demanderesse.

[2]      Les notes crées par ordinateur qui constituent une partie du dossier du tribunal, et qui, conformément à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1 (ci-après Baker), constituent selon moi les motifs de la décision, attestent que la demanderesse est arrivée au Canada, de sa résidence de Trinité-et-Tobago, en novembre 1998, pour rendre visite à sa mère, qui elle-même était en visite au Canada à ce moment-là. La demanderesse est demeurée ici depuis ce temps, [TRADUCTION] « [...] étant donné de meilleures occasions » . La demanderesse a trois enfants de moins de dix-huit ans, dont deux qui sont nés à Trinité-et-Tobago; ils y demeurent et la mère de la demanderesse en prend soin. Le troisième enfant, qui était âgé de neuf ans au moment où les notes ont été faites, est né au Canada et vit ici avec sa mère. Les notes indiquent que ni la demanderesse ni son enfant ne reçoivent au Canada une quelconque aide du père de l'enfant et qu'il n'existe pas de lien étroit entre l'enfant et le père. Les notes énumèrent seulement certains des antécédents de travail au Canada de la demanderesse, à de faibles taux de rémunération, lesquels sont documentés, ainsi que les efforts déployés par la demanderesse pour améliorer ses compétences. En dernier lieu, les notes faisaient état du fait que la demanderesse va à la messe et du fait que, à part son plus jeune fils, elle n'a pas de famille au Canada. Par contraste, il ressort des notes que les parents de la demanderesse et ses deux enfants les plus âgés se trouvent à Trinité-et-Tobago.

[3]      Les notes se terminent par l'analyse et la conclusion suivantes :

         [TRADUCTION] Madame Jack se trouve au Canada depuis plus de dix ans. Elle a eu un emploi pendant la majeure partie de son séjour au Canada et a participé à la vie de la communauté. Elle a un fils de neuf ans qui est né au Canada et deux autres enfants mineurs. Ces derniers, de même que ses parents, sont dans son pays d'origine. Madame Jacks craint que si elle retourne à Trinité, elle serait incapable de trouver du travail et que par conséquent, elle aurait de la difficulté à subvenir aux besoins de ses enfants. Selon les renseignements fournis, je ne suis pas convaincu que l'intéressé subirait des difficultés indues ou excessives si elle devait retourner dans son pays d'origine. Bien qu'elle ait un fils qui est né au Canada, elle a également 2 enfants mineurs dans son pays d'origine de même que ses parents. Son enfant né au Canada est suffisamment jeune pour s'adapter aux changements advenant qu'elle choisisse de l'amener avec elle et elle a bel et bien une famille à laquelle retourner.
             Selon ce qui précède, je suis d'avis qu'il n'y a pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour accorder une dispense en vertu de A9 (1) en l'espèce.

[4]      Ce qui précède paraît constituer l'ensemble de l'analyse de l'agent d'immigration. La brève référence à l'enfant né au Canada est particulièrement digne de mention. Cette référence se limite à une conclusion, sans aucune analyse à l'appui, selon laquelle l'enfant [TRADUCTION] « [...] est suffisamment jeune pour s'adapter aux changements advenant qu'elle [la demanderesse] choisisse de l'amener avec elle [...] » . Il n'y a absolument aucune référence relative à l'implication scolaire et communautaire de l'enfant né au Canada. De même, il n'y a absolument aucune analyse sur ce que serait l'incidence sur l'enfant né au Canada de la décision de forcer sa mère à quitter le pays et du choix de celle-ci de partir sans lui; et ce, malgré le fait que ni la demanderesse ni l'enfant né au Canada ne reçoivent d'aide du père de l'enfant et qu'il n'existe pas de lien étroit entre l'enfant et le père.

[5]      Il est intéressant de noter, bien que je conclue à sa moindre importance, l'absence absolue de toute référence à savoir si la demanderesse est susceptible d'être l'objet d'un examen aux termes de la [TRADUCTION] « politique sur les résidents de fait illégaux [...] » du défendeur.

[6]      Dans I. G. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, mon collègue le juge Lemieux a fait une analyse exhaustive de l'incidence de Baker sur les obligations qui incombent aux agents d'immigration relativement à une demande d'établissement présentée au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire, particulièrement lorsqu'un ou plusieurs enfants seront touchés par la décision. À la suite de cette analyse, alors qu'il l'appliquait aux faits dont il était saisi, il a écrit aux paragraphes 37 à 39 :

         À mon avis, il est clair que l'arrêt Baker de la Cour suprême du Canada appelle une nouvelle perspective et un nouvel examen de la part des agents d'immigration lorsqu'ils rendent des décisions fondées sur des motifs d'ordre humanitaire en vertu de la Loi sur l'immigration. Lorsque l'affaire porte touche des enfants, l'agent d'immigration doit tenir compte des intérêts de ces derniers, qui constituent un facteur important, accorder beaucoup d'importance à ces intérêts, et en être conscient. Bien que l'arrêt Baker mette l'accent sur une considération des intérêts des enfants, les propos du juge L'Heureux-Dubé s'appliquent non seulement aux intérêts des enfants, mais également à ceux de la demanderesse, qui est adulte.
         Cet aspect de l'arrêt Baker est clair, comme il ressort du paragraphe 72, où le juge L'Heureux-Dubé dit :
             [...] les agents d'immigration sont censés rendre la décision qu'une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d'une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches. [Non souligné dans l'original.]
         Non seulement l'arrêt Baker exige-t-il que les agents d'immigration aient une démarche plus ciblée, mais il confère également une nouvelle responsabilité, plus « pratique » , au juge de révision. Le juge de révision doit considérer « en profondeur » la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s'ils résistent à l'examen assez poussé sur le fondement de la preuve.
         En examinant la décision de l'agente d'immigration dans la présente affaire, je remarque que l'analyse fondée sur des motifs d'ordre humanitaire porte exclusivement sur la demanderesse elle-même, [...]. Dans ces motifs, il n'a été tenu compte ni des intérêts de l'enfant né au Canada, ni de ceux de l'enfant né en République tchèque.

[7]      Vers la même époque à laquelle mon collègue a écrit ce qui précède, je me livrais à une analyse semblable dans Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3. Aux paragraphes 12 à 14 de mes motifs dans cette affaire, j'ai écrit :

         La décision Baker se concentre en grande partie sur les intérêts des enfants comme Jerusha. Le juge L'Heureux-Dubé a conclu, au paragraphe 65 :
             À mon avis, la façon dont elle traite l'intérêt des enfants montre que cette décision était déraisonnable au sens de l'arrêt Southam, [...]

         Le juge L'Heureux-Dubé a continué, au paragraphe 65 :
             L'agent n'a prêté aucune attention à l'intérêt des enfants de Mme Baker. [...] j'estime que le défaut d'accorder de l'importance et de la considération à l'intérêt des enfants constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article [le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration], même s'il faut exercer un degré élevé de retenue envers la décision de l'agent d'immigration.

         Je suis convaincu qu'en l'occurrence, comme dans Baker, compte tenu des documents présentés à la Cour, l'agent d'immigration « ...n'a prêté aucune attention à l'intérêt [de Jerusha] » .

         Le juge L'Heureux-Dubé a continué, au paragraphe 67 :
                 À mon avis, l'exercice raisonnable du pouvoir conféré par l'article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d'ordre humanitaire centrales dans la société canadienne.
         Au paragraphe 73, Madame la juge L'Heureux-Dubé a conclu :
             Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l'attention particulière à prêter à l'enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d'ordre humanitaire qui guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu'étant donné que les motifs de la décision n'indiquent pas qu'elle a été rendue d'une manière réceptive, attentive ou sensible à l'intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée.
         Je suis convaincu que la même chose peut être dite des faits de l'espèce et que le même résultat doit en découler.
         Cela ne veut pas dire qu'il n'était pas loisible à l'agent d'immigration de rendre la décision qui fait l'objet du contrôle mais plutôt, qu'en rendant cette décision, son défaut de souligner les droits, intérêts et besoins de Jerusha et de porter une attention particulière à la question de l'enfance dans les motifs finalement donnés de la décision, a résulté en une décision qui, quel que soit son ultime fondement, n'a simplement pas été rendue d'une manière « ...réceptive, attentive ou sensible » aux intérêts de Jerusha ou qui indique que « [...] [son intérêt] ait été considéré comme un facteur décisionnel important » , avec pour résultat que, compte tenu de l'analyse qu'il a faite, il n'était pas loisible au décideur de rendre cette décision.                          [citation omise]

[8]      Je tire précisément la même conclusion en ce qui a trait aux faits en l'espèce que celle que j'ai tirée dans Navaratnam. Pour reprendre mes propres mots extraits du dernier paragraphe de la citation ci-haut, je suis convaincu que la décision qui fait l'objet d'un contrôle en l'espèce doit être annulée. Cela ne veut pas dire qu'il n'était pas raisonnablement loisible à l'agent d'immigration de rendre la décision qui fait l'objet du contrôle, mais plutôt qu'en rendant cette décision, son défaut de souligner les droits, intérêts et besoins de l'enfant de la demanderesse né au Canada et de porter une attention particulière à la question de l'enfance dans les motifs de la décision qu'il a finalement exposés, a résulté en une décision qui, quel que soit son ultime fondement, n'a simplement pas été rendue d'une manière « [...] réceptive, attentive ou sensible » aux intérêts de l'enfant de la demanderesse né au Canada ou qui indique que « [...] [son intérêt] ait été considéré comme un facteur décisionnel important » ; en conséquence, compte tenu de l'analyse qu'il a faite, il n'était pas raisonnablement loisible au décideur de rendre cette décision.

[9]      Renvoyant de nouveau à l'extrait de la décision I. G. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), particulièrement à son dernier paragraphe, je remarque que, comme dans cette affaire, l'agent d'immigration dont la décision fait l'objet d'un contrôle en l'espèce ne paraît aucunement avoir mis l'accent sur l'intérêt des enfants de la demanderesse nés à l'étranger et auxquels elle donne un soutien à partir du Canada.

[10]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent d'immigration qui fait l'objet d'un contrôle est annulée et l'affaire est renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent statue à son tour sur celle-ci.

[11]      Aucun des avocats n'a recommandé qu'une question soit certifiée. Aucune question ne sera certifiée.


                                 FREDERICK E. GIBSON

                                     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 20 juillet 2000.




Traduction certifiée conforme




Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-3785-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      VERDETTE D. JACK

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 JUILLET 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              20 JUILLET 2000



ONT COMPARU :


PREVANDA K. SAPRU                      POUR LA DEMANDERESSE

MARCEL LAROUCHE                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


PREVANDA K. SAPRU                      POUR LA DEMANDERESSE


Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      [1999] 2 R.C.S. 187.

2      [1999] A.C.F. no 1704 (Q.L.)(C.F. 1re inst.).

3      [1999] A.C.F. no 1870 (Q.L.) C.F. 1re inst.).

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