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Date : 20040311

Dossier : T-224-02

Référence : 2004 CF 342

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                              SELWYN PIETERS

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Selwyn Pieters est un ancien employé du Greffe de la Cour fédérale. Il a été engagé pour une période déterminée de six mois, allant du 14 juin au 14 décembre 1999.


[2]                À la fin de sa période d'emploi d'une durée déterminée, M. Pieters a déposé un grief conformément à la convention collective applicable. Il alléguait que le défaut de renouvellement de son contrat constituait un congédiement déguisé de son poste. À l'appui de sa demande, il a soumis par écrit une longue description des mauvais traitements qu'il aurait subis dans l'exercice de son emploi. Un arbitre du premier palier a rejeté son grief parce que : 1) le grief avait été déposé hors du délai imparti; 2) la fin d'un emploi d'une durée déterminée ne correspond pas à un congédiement. M. Pieters a porté l'affaire au palier suivant en ayant recours aux voies de droit qui lui étaient ouvertes. M. Robert Biljan, ancien administrateur de la Cour fédérale du Canada, a examiné l'affaire et a rejeté le grief aux mêmes motifs que ceux invoqués par l'arbitre.

[3]                M. Pieters a sollicité le contrôle judiciaire de trois décisions : la décision de ne pas renouveler son contrat; la décision de l'arbitre de rejeter son grief; et la décision ultérieure de l'administrateur.

[4]                Le défendeur s'oppose au cumul des trois demandes de contrôle judiciaire. En vertu de l'article 302 des Régles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance à moins que la Cour ne rende une ordonnance contraire. De plus, si la décision faisant l'objet du contrôle a été rendue par suite d'un appel, la Cour ne doit examiner que la décision rendue en appel : Unrau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 1434. Par conséquent, je ne traiterai la demande de M. Pieters qu'en ce qui a trait à la dernière décision rendue en l'espèce, c'est-à-dire, le rejet de son grief par l'administrateur.

I. Questions en litige

[5]                M. Pieters soulève cinq questions :

1.          Quelle est la norme de contrôle à appliquer?


2.          La décision de l'administrateur a-t-elle satisfait à la norme de contrôle applicable?

3.          La procédure de présentation des griefs constitue-t-elle une entrave à une audience impartiale?

4.          Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité?

5.          A-t-on refusé à M. Pieters le droit à l'égalité que lui garantit l'article 15 de la Charte?

[6]                Je ne trouve aucune erreur de la part de l'administrateur et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

1. Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

[7]                Tel que je l'ai mentionné plus haut, l'administrateur a tiré deux conclusions. La première était purement une question de fait, à savoir si le grief avait été déposé en dehors du délai imparti. La deuxième était une question de droit, à savoir si la fin d'un emploi d'une durée déterminée peut constituer un congédiement.

[8]                Pour ce qui est de la première question, la décision de l'administrateur doit bénéficier d'un degré élevé de retenue judiciaire. En effet, une décision de ce genre est considérée _ finale et obligatoire _ en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, paragraphe 96(3). De plus, l'administrateur avait la pleine responsabilité de la supervision du personnel du Greffe et il possédait beaucoup d'expérience et d'expertise dans ce domaine. Je n'aurais dû intervenir que si j'avais trouvé sa décision manifestement déraisonnable.

[9]                Cependant, pour ce qui est de la deuxième question, je suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte. Il s'agit d'une question pour laquelle l'expertise de la Cour est égale sinon supérieur à celle des décideurs.

2. La décision de l'administrateur a-t-elle satisfait à la norme de contrôle applicable?

[10]            Le 23 novembre 1999, M. Pieters a reçu une lettre lui rappelant que son emploi d'une durée déterminée prendrait fin le 14 décembre 1999. Aux termes de la convention collective (article 18.10), un grief doit être déposé au plus tard le 25e jour qui suit la date à laquelle l'employé a pris connaissance de l'objet du grief. Compte tenu des congés de Noël et du Nouvel An, M. Pieters aurait dû déposer son grief au plus tard le 4 janvier 2000. Les documents qu'il a soumis étaient en date du 24 décembre 1999 mais ils portaient la date d'oblitération postale du 12 janvier 2000. La convention collective indique expressément que la date pertinente est la date d'oblitération postale qui apparaît sur le grief (art. 18.06). L'arbitre du premier palier a décidé que le grief de M. Pieters était _traduction_ _ rejeté pour cause de retard _.


[11]            L'administrateur a approuvé la conclusion de l'arbitre. Dans sa lettre à M. Pieters, l'administrateur a conclu que le grief avait _traduction_ _ été déposé après l'expiration des délais fixés par l'article 18.10 de [sa] convention collective et [qu'il était] rejeté pour cette raison _.

[12]            M. Pieters n'a présenté aucune raison sérieuse de modifier la conclusion de fait de l'administrateur quant au non-respect du délai prévu pour présenter un grief.

[13]            Pour ce qui est de savoir si M. Pieters avait été _ congédié _, l'arbitre du premier palier a conclu que, selon son interprétation de l'article 25 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch.-P-33, la fin d'un emploi pour une durée déterminée ne constituait pas un congédiement. Cette disposition indique simplement qu'_ [un] fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période _. Étant donné que dans son grief, M. Pieters s'était plaint d'un _ congédiement déguisé _ de son poste, l'arbitre a conclu que le grief était effectivement sans fondement.


[14]            Là encore, l'administrateur a approuvé la décision de l'arbitre. Dans sa lettre à M. Pieters, il a déclaré _traduction_ _ vous n'avez pas été "congédié", mais votre contrat a expiré à la fin de sa "durée déterminée" conformément à l'article 25 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique _. Sa décision est appuyée par une jurisprudence importante : Mireille Dansereau c. L'Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100 (QL) (C.A.); Eskasoni School Board/ Eskasoni Band Council v. MacIsaac, [1986] F.C.A. no 263 (QL) (C.A.); Marta v. Treasury Board (Royal Canadian Mounted Police), [2001] CRTFP no 21, 2001 CRTFP 31, dossier no 166-2-29643.

[15]            Par conséquent, la décision de l'administrateur concorde avec la loi applicable, ainsi qu'avec la jurisprudence pertinente. M. Pieters n'a présenté aucun document susceptible de jeter le doute sur la décision de l'administrateur sur cette question. Selon moi, sa décision était fondée.

[16]            Il n'y a donc aucune raison de contester la décision de l'administrateur quant à l'un ou l'autre des motifs invoqués par M. Pieters. La question qu'il reste à trancher est de savoir s'il existe d'autres motifs aux termes desquels la décision de l'administrateur pourrait être contestée.

[17]            M. Pieters a invoqué les trois motifs supplémentaires suivants :

3.          La procédure de présentation des griefs constitue-t-elle une entrave à une audition impartiale comme le garantit l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits?

4.          Existe-il une crainte raisonnable de partialité?

5.          A-t-on refusé à M. Pieters le droit à l'égalité que lui garantit l'article 15 de la Charte?


[18]            Le défendeur s'oppose à ce que ces questions soient soulevées à cette étape-ci du processus parce qu'aucune d'entre elles ne l'a été pendant la procédure de grief comme telle. C'est donc dire qu'il n'y a aucun dossier factuel sur lequel baser un examen éclairé de ces questions et aucune décision rendue à leur égard qui pourrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[19]            Dans une procédure parallèle à la présente, le juge McKeown a radié l'action civile de M. Pieters contre la Couronne au motif que le mécanisme approprié pour soulever toutes les questions concernant son emploi était par voie de grief et de contrôle judiciaire. Par exemple, pour ce qui est des questions relatives à la Charte, le juge McKeown a soutenu que M. Pieters _ aurait pu soumettre ces questions à un arbitre. Si l'arbitre avait refusé de trancher ces questions, le demandeur aurait eu le droit de les soumettre à la Cour fédérale dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre _ : Pieters c. Sa Majesté la Reine, 2001 A.C.F. 496, [2001] A.C.F. no 769 (QL) (1re inst.), au paragraphe 15; confirmé par [2001] A.C.F. 1756, (2001) 288 N.R. 60 (C.A.F.).

[20]            En règle générale, les tribunaux n'interviennent pas dans les domaines où le législateur a prévu un mode substitut de règlement des différends, comme la procédure de règlement des griefs en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la Loi) : Johnson-Paquette c. Canada, [2000] A.C.F. no 441 (C.A.). Les employés doivent donc présenter toutes les questions soulevées dans le cadre de leurs griefs aux personnes à qui cette Loi donne le pouvoir de rendre une décision.

[21]            Pour ce qui est des prétentions de M. Pieters fondées sur la Charte, je suis d'accord avec le juge McKeown quand il a déclaré en rejetant l'action civile :


[L]e de demandeur aurait pu procéder par voie d'arbitrage et de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre, ou par voie de contrôle judiciaire du grief déposé. La Cour aurait pu se prononcer sur les questions liées à la Charte dans l'un ou l'autre cas. Toutefois, le demandeur n'a pas évoqué la Charte au cours de la procédure de traitement des griefs. (Pieters c. Sa Majesté la Reine, précitée, au paragraphe 18.)

[22]            En effet, M. Pieters a ensuite fait part à la Commission des relations de travail de la fonction publique de ses doléances pour fin d'adjudication. La Commission a cependant rejeté sa demande aux motifs qu'elle n'avait pas la compétence requise, étant donné que la fin de l'emploi pour une durée déterminée de M. Pieters ne constituait pas un _ licenciement _. (Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada)), [2001] CRTFP no 100.

[23]            Pour ce qui est des autres questions que M. Pieters entend soulever, soit celles de l'équité et de la crainte de partialité, je partage l'avis du défendeur quand il affirme que M. Pieters ne peut soulever ces nouvelles questions dans le cadre d'un contrôle judiciaire. En effet, il aurait dû les soulever devant le décideur qui a statué sur son grief. Je tiens à préciser que M. Pieters n'a pas soulevé la question de la partialité dans sa demande de contrôle judiciaire, mais seulement dans ses observations écrites.

[24]            Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.


                                                                   JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR EST que :

1.          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _               

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-224-02

INTITULÉ :                                                                SELWYN PIETERS

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

JUGEMENT RENDU SUR DOSSIER

SANS COMPARUTION DES PARTIES :               OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE O'REILLY

DATE :                                                                        LE 11 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Selwyn Pieters                                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Joseph K. Cheng                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Selwyn Pieters                                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                                                                        Annexe


Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106

Limites

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

Federal Court Rules, 1998, SOR/98-106

Limited to single order

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35

Compétence de l'arbitre

Décision définitive et obligatoire

96. (3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

Public Service Staff Relations Act, R.S.C. 1985, c. P-35

Jurisdiction of Adjudicator

Binding effect

96. (3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken thereon.

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, LRC 1985, ch. P-33.

Nomination pour une période déterminée

25. Le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période.

Public Service Employment Act, R.S.C. 1985, c. P-33.

Term appointments

25. An employee who is appointed for a specified period ceases to be an employee at the expiration of that period.


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