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Date : 20060517

Dossier : IMM-4319-05

Référence : 2006 CF 611

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

JUAN MANUEL CAMACHO GARCIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente affaire concerne la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) selon laquelle il existait une protection de l’État adéquate, même si elle n’était pas parfaite, en Bolivie. M. Garcia allègue que la SPR a commis des erreurs en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité et de la protection de l’État. Il demande que la décision soit annulée. Je conclus que la décision doit être maintenue.

 

I. Le contexte

[2]               M. Garcia, un citoyen de la Bolivie, a écrit un rapport sur la faisabilité de nationaliser le gaz naturel dans ce pays. Il a recommandé la nationalisation du gaz naturel et a exposé les avantages économiques pour la Bolivie qui en découleraient, en raison des vastes ressources de gaz naturel du pays. Après avoir soumis son rapport, il allègue que certains représentants de l’État lui ont demandé d’en changer le contenu.

 

[3]               En bref, les faits allégués par M. Garcia sont les suivants. En mai 2004, il a reçu plusieurs appels de menaces à son bureau. De plus, en son absence, deux hommes se sont présentés à son bureau et ont dit à sa secrétaire qu’il serait dans son intérêt de changer le rapport. M. Garcia a par trois fois signalé à la police ces incidents. Vers la même époque, plusieurs marches ont été organisées au sujet du gaz naturel. Les policiers ont violemment réprimé les participants à ces marches. En juillet, tant M. Garcia que son employeur ont reçu un autre appel au sujet du rapport. Leur interlocuteur alléguait que le rapport comportait des données erronées et qu’il causait des complications au gouvernement.

 

[4]               En août 2004, M. Garcia et sa petite-amie se sont vu barrer la route par un [TRADUCTION] « Blazer noir avec une plaque d’immatriculation jaune du gouvernement ». Trois hommes armés sont sortis du véhicule et l’ont battu. Les hommes sont partis, mais lui ont dit qu’il n’aurait pas autant de chance la prochaine fois. Sa petite‑amie, qui s’était enfuie, est revenue et l’a amené à une clinique médicale. M. Garcia s’est adressé de nouveau aux policiers, qui lui ont dit qu’il pouvait déposer une plainte. Cependant, ils ne pouvaient rien faire pour lui.

 

[5]               Il s’est immédiatement enfui à Potosi, où il s’est réfugié chez sa tante. Lorsqu’il a communiqué avec ses parents, ils lui ont dit que deux hommes, qui se disaient être des agents du gouvernement, le recherchaient et qu’ils avaient dit qu’ils ne plaisantaient pas et qu’ils reviendraient. M. Garcia a quitté la Bolivie et est venu au Canada. Depuis son arrivée au Canada, deux agents du gouvernement se seraient présentés à la maison de sa mère et auraient demandé où il se trouvait.

 

II. La décision

[6]               La SPR a examiné les déclarations orales et écrites de M. Garcia, les observations de son avocat et la preuve documentaire. Elle a conclu que M. Garcia n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Elle a noté que le témoignage de M. Garcia comprenait des faits importants qui avaient été omis dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Elle n’était pas satisfaite des réponses qu’il a offertes lorsqu’on l’a interrogé au sujet de ces omissions. La SPR a fait remarquer que M. Garcia n’avait pas tenté d’obtenir de l’aide d’institutions de l’État autres que la police. La SPR a retenu la preuve documentaire impartiale plutôt que le témoignage oral et écrit de M. Garcia.

 

III. Les questions en litige

[7]               M. Garcia a abandonné son argument au sujet de la Directive no 7, qui faisait partie de ses observations écrites, avant et pendant l’audition de la présente demande. Il a soulevé deux questions à trancher :

            a)         la SPR a-t-elle commis une erreur en tirant sa conclusion au sujet de la crédibilité?

 

b)         la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait une protection de l’État?

 

 

IV. La norme de contrôle

[8]               La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées au sujet de la crédibilité, soit des conclusions de fait, est la décision manifestement déraisonnable. En ce qui a trait à la protection de l’État, j’adopte l’analyse pragmatique et fonctionnelle de ma collègue, la juge Danièle Tremblay-Lamer, dans l’affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193. Par conséquent, la norme de contrôle est la décision raisonnable.

 

V. Analyse

A.  La crédibilité

[9]               M. Garcia allègue que, si elle n’exprime pas clairement qu’elle tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité, il faut supposer que la SPR a accepté la preuve dont elle était saisie. Par conséquent, elle aurait accepté le fait qu’il avait préparé un rapport sur la nationalisation du gaz naturel en Bolivie et qu’il avait tenté plusieurs fois d’obtenir la protection de l’État, sans succès. Elle n’a tiré aucune conclusion défavorable au sujet des preuves qu’il avait déposées à l’appui de son témoignage.

 

[10]           Cette allégation n’est pas entièrement exacte. La SPR a soulevé deux points au sujet de la crédibilité. Elle a noté qu’il y avait des omissions importantes dans le FRP de M. Garcia et elle a relevé des incohérences dans sa preuve. La jurisprudence est bien établie à ce sujet. Des omissions et des incohérences dans un FRP peuvent constituer un fondement pour une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité : Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536. La conclusion de la SPR au sujet des incohérences était claire et sans équivoque. La SPR a tenu compte de l’explication de M. Garcia, mais a finalement conclu qu’elle n’était pas convaincante. Elle a rendu des motifs justifiant sa conclusion. Après avoir interrogé M. Garcia au sujet des incohérences portant sur les hommes qui s’étaient présentés à la maison de ses parents et après avoir conclu que ses réponses étaient évasives, la SPR pouvait raisonnablement conclure que son explication était insuffisante.

 

[11]           De plus, l’omission dans le FRP des raisons pour lesquelles il aurait été battu était pertinente quant à sa demande. Par conséquent, il n’était pas manifestement déraisonnable pour la SPR de mettre en doute la crédibilité de M. Garcia en ce qui avait trait à l’identité des attaquants présumés.

 

[12]           En ce qui a trait au défaut de la SPR de mentionner la lettre de l’employeur de M. Garcia et la plaque d’immatriculation du véhicule, il ressort clairement des motifs, lorsqu’ils sont lus en entier, que la SPR n’a pas accepté l’allégation de M. Garcia au sujet de l’implication de l’État dans sa « persécution ». Ses conclusions à ce sujet ne sont pas manifestement déraisonnables.

 

[13]           Les arguments de M. Garcia au sujet de la crédibilité doivent être écartés. Bien que la SPR pût tirer d’autres conclusions, elle pouvait tout autant tirer légitimement les conclusions énoncées. Il n’est pas du ressort de la Cour d’intervenir à ce sujet, même si la Cour aurait pu avoir un autre point de vue. À moins qu’elle décide que les conclusions étaient manifestement déraisonnables, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, son intervention n’est pas justifiée.

 

B. La protection de l’État

[14]           M. Garcia prétend que la SPR a commis une erreur en retenant la preuve documentaire et en rejetant son témoignage. Il allègue qu’il a déployé des efforts raisonnables afin d’obtenir la protection de l’État en se présentant au poste de police quatre fois et qu’il n’avait reçu aucune aide. De plus, selon M. Garcia, la SPR a effectué une lecture sélective de la preuve documentaire et a omis de tenir compte du fait que la corruption et l’inefficacité de l’appareil judiciaire sont toujours des problèmes majeurs en Bolivie.

 

[15]           Comme j’ai conclu que les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables, l’argument de M. Garcia quant à la protection de l’État est sérieusement compromis, parce que la SPR a conclu que l’État n’avait pas participé aux actes de persécution dont il aurait été victime.

 

[16]           La SPR a examiné les rapports sur la situation du pays et a mentionné les aspects positifs ainsi que les aspects négatifs en ce qui a trait à la capacité de la Bolivie de protéger ses citoyens. Elle a noté que le pays est une démocratie constitutionnelle et multipartite avec un président élu et un corps législatif bicaméral. L’État est constitué de pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire distincts et son procureur général est indépendant. La force de police nationale est principalement responsable de la sécurité intérieure, mais les forces armées peuvent être appelées à intervenir en cas de situation critique. Des mesures ont été mises en place afin d’améliorer la situation et de corriger les lacunes (l’inefficacité, la corruption et l’intimidation pratiquées par des trafiquants de drogues) au sein des forces policières et de l’appareil judiciaire. Un médiateur pour les droits de l’homme, choisi par le Congrès, est chargé de superviser la défense, la promotion et la protection des droits de la personne et s’occupe particulièrement de défendre les citoyens contre les abus du gouvernement.

 

[17]           La SPR a aussi noté que la preuve documentaire atteste qu’aucun cas d’enlèvements ou de meurtres politiques perpétrés par des agents du gouvernement n’a été rapporté. La liberté d’expression est généralement respectée et est protégée par la Constitution. Aucun assassinat ou enlèvement lié à la « guerre du gaz » n’a été rapporté depuis octobre 2003. La preuve au sujet de la mauvaise conduite des policiers portait sur des protestations en masse et il n’y avait aucune indication que l’État usait de mesures de rétorsion contre des personnes. Les événements de la « guerre du gaz » qui ont eu lieu en août 2004 se sont terminés de façon pacifique par des négociations et il n’y a eu aucune violence. Le président a refusé d’utiliser la force pour mettre fin aux protestations lors d’une grève générale en janvier 2005.

 

[18]           En conclusion, la SPR a conclu qu’il existait une protection de l’État adéquate, même si elle n’était pas parfaite, en Bolivie et que M. Garcia avait l’obligation de demander la protection de son pays avant de demander une protection internationale. Elle a conclu qu’il avait les connaissances et les capacités nécessaires afin de se prévaloir de la protection de l’État auprès d’agences autres que la police de sa localité et qu’il n’avait pas épuisé tous les recours possibles. Pour les motifs qu’elle a rendus, la SPR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion au vu de la preuve dont elle était saisie.

 

[19]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune question ne sera énoncée.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle soit rejetée.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4319-05

 

INTITULÉ :                                       JUAN MANUEL CAMACHO GARCIA

                                                             c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 avril 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Byron Thomas

 

POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Byron Thomas

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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