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                                                                                                                                          Date : 20020212

                                                                                                                            Dossier : IMM-6507-00

                                                                                                        Référence neutre : 2002 CFPI 156

Ottawa (Ontario), le 12 février 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE EDMOND P. BLANCHARD

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                                           Maleke Nicole BOFUNDA

                                                            Ekila Jessica BOSEKOTA

                                                           Bofunda Axel BOSEKOTA

                                                           Lokilo Jeremy BOSEKOTA

                                                          Ekumbo Olivier BOSEKOTA

                                                         Mapemba Frank BOSEKOTA

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente est une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Me Raymond Boulet, Commissaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « CISR » ), Section du statut de réfugié, rendue viva voce lors de l'audience du 12 décembre 2000, reconnaissant aux défendeurs le statut de réfugié au sens de la Convention.


Exposé des faits

[2]                 La défenderesse principale, Maleke Nicole Bofunda est née au Zaïre qui, depuis, est devenu la Réplique démocratique du Congo ( « RDC » ). Elle affirme être citoyenne de ce pays.

[3]                 La défenderesse principale a complété ses études primaire et secondaire en Belgique et y a également fait des études universitaires en sciences juridiques. En effet, la défenderesse principale a déclaré que son père et elle-même avaient étudié en Belgique et qu'elle a passé la majeure partie de son existence en Europe.

[4]                 Toujours selon la défenderesse principale, son conjoint de fait, Philippe Bossekota a réalisé ses études en sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles en Belgique et est retourné dans son pays d'origine pour oeuvrer au sein du gouvernement zaïrois. Il a été embauché par le Centre national de la documentation ( « CND » ) un des principaux organes de sécurité du gouvernement de ce pays.

[5]                 En 1984, la défenderesse principale est entrée au pays pour aller vivre avec son conjoint, M. Bossekota avec qui elle a eu quatre enfants.

[6]                 Son conjoint, M. Bossekota, est devenu avec le temps, un grand dirigeant au sein de la CND et, selon la défenderesse principale, un homme craint par le peuple zaïrois. Elle précise qu'il était plus ou moins le numéro deux de la sécurité au sein du gouvernement dirigé par Mobutu.


[7]                 La défenderesse principale prétend que le couple aurait vécu à Kinshasa dans le quartier aisé où habitaient les dirigeants du régime Mobutu.

[8]                 En septembre 1991, alors que la situation politique évoluait et les tensions augmentaient, il y a eu le premier des grands pillages de Kinshasa mené par l'armée zaïroise. Peu de temps avant ces émeutes, la défenderesse principale et ses enfants ont quitté le pays pour aller vivre en Belgique. Après y avoir séjourné pendant plus d'une année, ils y ont revendiqué, sans succès, le statut de réfugié.

[9]                 Dans son témoignage écrit, que l'on retrouve dans son Formulaire de renseignement personnel, (FRP), la défenderesse principale a déclaré qu'elle est la conjointe de fait de M. Bossekota. Ce n'est qu'au cours de l'audience du 12 décembre 2000, que la défenderesse principale a reconnu avoir épousé un certain Jean-Richard Denis en 1995 dans l'espoir de se voir octroyer la citoyenneté belge.

[10]            La défenderesse principale et ses enfants sont arrivés au Canada le 4 septembre 1999 et y ont revendiqué le statut de réfugié. Elle prétend qu'elle ne peut retourner au RDC ou en Belgique car ses enfants portent le nom de l'un des plus grand bourreaux du régime Mobutu et en conséquence demande la protection du Canada.

DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[11]            Je juge utile de reproduire les brefs motifs prononcés viva voce par la Section du statut.


La revendicatrice est madame Maleke Nocle BOFUNDA, né le 2 octobre 1962, ainsi que pour les dossiers M99-07407, M99-07408, M99-07409, M-99, 07410, M99-07411qui sont sa fille Jessica et ses fils Axel, Jérémy, Olivier et Franck.

Dans la présente cause, il y a un certain embroglio qui est causé par le fait que madame serait citoyenne belge, selon la prétention de la représante [sic] du Ministre. Selon, également, l'opinion des documents produits par l'agent d'audience, monsieur Jacques Courteau.

Le tribunal convient que madame, si elle devait retourner en République Démocratique du Congo (RDC), serait persécutée de même que ses enfants. Elle est au Canada avec ses enfants depuis le 4 septembre 1999. Il y a un moratoire du Canada pour ne pas retourner les Zaïrois dans leur pays.

Madame a marié un Zaïrois qui est né à Géména, au Zaïre. En vertu de l'article 59 de la Loi au Zaïre et de l'article 27 de la Loi belge, elle perd la citoyenneté d'un de ces 2 pays si elle marie un étranger. Or, elle a marié un Zaïrois. Elle est donc zaïroise. La représentante du Ministre produit un document d'internet en pièce M-9. C'est un document fort sérieux, mais jusqu'à quel point le tribunal doit-il donner une force probante à ce document lorsqu'il s'agit de la vie des gens. Le tribunal n'a pas devant lui la possibilité de transquestionner qui que ce soit, le tribunal n'a pas un document comme une lettre signée provenant de l'Ambassade de Belgique attestant que la revendicatrice est citoyenne belge. Dans les circonstances, le tribunal se réfère à l'article 200 du Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour donner le bénéfice du doute à la revendicatrice.

Le tribunal vous accorde donc, à vous et à vos enfants, le statut de « réfugié au sens de la Convention » tel que défini à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration. (Citations omises)

QUESTION EN LITIGE

[12]            Deux conclusions sous-tendent la décision du Commissaire Boulet. Dans un premier temps, il en vient à la conclusion que les défendeurs sont de nationalité zaïroise. Dans un second temps, il juge que les défendeurs ont fait à la preuve d'une crainte fondée de persécution à la RDC. Le demandeur soutient que ces deux conclusions sont erronées en fait et en droit particulièrement :

                1.             Ces conclusions sont fondées sur des erreurs de fait déterminants.

                2.             Elles s'appuient en outre sur des éléments non pertinents.


                3.             Les deux conclusions qui sous-tendent la décision du commissaire sont également déraisonnables, abusives et arbitraires, compte tenu de la preuve qui était devant lui.

                4.             En effet, en tirant ces conclusions, le commissaire a erré en fait et en droit en omettant de considérer des éléments de preuve déterminants.

                5.             Il a de plus erré en droit en passant sous silence des éléments de preuve déterminants qui contredisaient sa décision.

                6.             Enfin le commissaire a erré en droit en ne requérant pas des défendeurs qu'il démontrent le bien-fondé de leur revendication, imposant plutôt à la représentante du ministre et à l'agent chargé de la revendication d'établir que la revendication des défendeurs était mal fondée.

ANALYSE

[13]            La Section du statut a conclu que la défenderesse principale était Zaïroise parce qu'elle était marié à un Zaïrois. La preuve documentaire démontre cependant, sans l'ombre d'un doute, que la défenderesse principale avait, le 31 mai 1995, épousé un citoyen Belge d'origine Zaïroise né à Gemena au Zaïre, M. Jean-Richard Denis. On retrouve également au dossier une attestation de mariage, la carte d'identité nationale de son époux ainsi que l'extrait de « composition de ménage » du gouvernement belge trouvés en possession de la défenderesse principale et déposés comme Pièce « M-7 » . De plus, il est important de souligner que la défenderesse principale n'a jamais prétendu que son concubin zaïrois, un dénommé Philippe Bossekota, était ou avait été son mari, déclarant au contraire qu'il avait été son conjoint de fait. Ce dernier, comme l'a souligné la défenderesse principale, avait occupé un poste au Centre national de documentation et était en prison.    

[14]            Une lecture de la transcription de l'audience qui s'est tenue le 12 décembre 2000, nous permet de constater l'échange suivant entre la demanderesse principale et le Commissaire :

Q             Voua avez marié un monsieur qui est né à Gemena. Gemena c'est bien au Zaïre ça, c'est pas en Belgique. Ce monsieur-là s'appelle Jean-Richard Denis.


R             Oui.

Q             Il est où actuellement, en prison?

R             Non non non, en Belgique.

-              Il est en Belgique.

                                 Q             Mais il a été emprisonné?

                                R             C'est pas lui qui est en prison, c'est leur père qui est en prison.

                                -              Ah bon.

Q             Celui qui était dans le Centre national de documentation?

                                 R             Oui oui.

[15]            Il n'y a aucune preuve qui aurait permis à la Section du statut de conclure que la défenderesse principale était mariée à un Zaïrois. Il s'agit là d'une conclusion entièrement arbitraire fondée sur une conclusion de faits erronés. Il s'agit aussi d'une conclusion qui est à la base de la décision de la Section du statut, soit de reconnaître à la défenderesse principale la citoyenneté zaïroise. Je fais miens les propos du demandeur, cette conclusion erronée est déterminante et est de nature à amener l'intervention de cette Cour au terme de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7.


[16]            La Section du statut a également invoqué à cet égard les articles 59 de la Loi du Zaïre et 27 de la Loi belge. Un examen de l'article 27 de la Loi_belge confirme qu'une femme de par son mariage avec un citoyen belge n'est pas considérée comme Belge de naissance. Au deuxième paragraphe de l'article 27, on prévoit qu'une femme Belge mariée à un non-Belge, pouvait conserver, à certaines conditions, la nationalité belge. Cet article ne concerne nullement les femmes étrangères mariées à des Belges. Rien dans cet article permet l'autorisation par la Section du statut de conclure que la défenderesse principale était de nationalité zaïroise.

[17]            La Section du statut a également invoqué l'article 59 de la Loi du Zaïre. Il n'y avait devant la Section du statut aucun document relatant l'article 59 de la Loi du Zaïre. On retrouve dans la preuve un document préparé par le Dr. Kalongo Mbikayi. Au paragraphe 60 de cet article, le professeur Kalongo Mbikayi affirme que la femme Zaïroise qui épouse un étranger perd la citoyenneté zaïroise à condition d'y renoncer expressément. Encore là, je ne peux voir comment on peut conclure de ce document que la défenderesse principale était Zaïroise.

Éléments de preuve non-considérés

[18]            Le demandeur soumet que la Section du statut n'a pas considéré deux autres éléments de preuve tout aussi déterminants et incontournables qui démontrent que les enfants de la défenderesse principale étaient également de citoyenneté belge. La réponse à la question 15 de son FRP démontre clairement que tous les enfants de la défenderesse principale étaient âgés d'au moins 18 ans lors de l'audition. On retrouve dans la preuve le Code de la nationalité Belge, qui prévoit à l'article 12 que la nationalité belge est automatiquement accordée en Belgique aux enfants de moins de 18 ans d'un auteur qui acquiert volontairement la nationalité belge.


[19]            Le silence complet de la Section du statut sur ces éléments de preuve additionnels qui collaborent les informations contenues dans la pièce M-9 militent en faveur de l'acquisition, par la défenderesse principale et ses enfants, de la citoyenneté belge et contredisent ses conclusions. Monsieur le juge Evans dans l'arrêt Cepeda-Gutierrez c. M.C.I., (1998) 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.) énonçait qu'un tribunal commet une erreur en omettant de mentionner dans ses motifs d'importants éléments de preuve qui soutiennent une conclusion différente de celle du tribunal.    

[20]            Je suis d'avis que le tribunal aurait du examiner, analyser et écarter, de façon explicite, dans ses motifs ces éléments qui supportaient l'obtention de la nationalité belge par la défenderesse principale et ses enfants. Ces éléments contredisent directement les conclusions voulant à l'effet que la défenderesse principale était de nationalité zaïroise. Je suis d'avis que d'avoir passé outre ces éléments de preuve, auxquels la Section du statut ne fait aucune référence, constitue une erreur de droit. (Voir Atwal c. Canada (Secretary of State), [1994] 25 Imm L.R. (2d) 80 (C.F. 1re inst.)

[21]            Je conclus donc que la détermination de la Section du statut concluant que la défenderesse principale soit de nationalité zaïroise, est une conclusion qui va au coeur de sa décision et qui s'appuie sur des erreurs de faits déterminants justifiant l'intervention de cette Cour au terme de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[22]            À la lumière de mes conclusions, il n'est donc pas nécessaire de considérer les autres points en litige soulevés par le demandeur. Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


[23]            Les parties ne m'ont pas demandé de certifier une question grave de portée générale comme le prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration, 1985, L.R.C. c. I-2, et ce, même si elles ont eu la possibilité de le faire. Je ne me propose donc pas de certifier pareille question.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                                                                                                                "Edmond P. Blanchard"                

                                                                                                                                                                 Juge                     

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