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Date : 20050615

Dossier : IMM-5302-04

Référence : 2005 CF 841

ENTRE :

                                              FREDDY EDER CAMPOS GUTIERREZ

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs sont prononcés à la suite de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande que le demandeur avait présentée en vue de faire rouvrir sa demande d'asile après que le désistement eut été prononcé. La décision en question est datée du 26 mai 2004.


[2]                En réponse à une demande visant l'obtention de motifs à l'appui de la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a fourni les motifs suivants :

[TRADUCTION]

Motifs et commentaires :

Le FRP [le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur] devait être remis le 22 novembre 2003 et le désistement a été prononcé le 27 novembre 2003. L'avis quant à la première adresse a été reçu le 24 décembre 2003 et le FRP a été reçu en janvier 2004. L'intéressé était tenu d'informer la Commission de son adresse et de déposer le FRP dans un délai de 28 jours. Il ne l'a pas fait. Il n'y a rien dans les documents qui ont été déposés qui indique qu'il y ait eu déni de justice naturelle lorsque la Commission a prononcé le désistement.

LES FAITS

[3]                Le demandeur, qui est citoyen péruvien, est arrivé au Canada le 25 octobre 2003; il avait alors dix-neuf ans. Ce jour-là, il a déclaré qu'il avait l'intention de demander l'asile. Il a été brièvement détenu. Pendant la période de détention, il a rédigé à la main, dans sa langue maternelle, un exposé circonstancié dans lequel il expliquait pourquoi il demandait l'asile. Avant d'être mis en liberté, le demandeur a été avisé de son obligation de donner à la SPR son adresse ici au Canada et de déposer son formulaire sur les renseignements personnels (le FRP) dans un délai donné. Il n'a pas été contesté devant la Cour que ce délai a expiré le 22 novembre 2003 ou vers cette date. À ce moment-là, le demandeur n'avait pas encore donné à la SPR son adresse ici au Canada ou son FRP. Le 27 novembre 2003, le désistement a donc été prononcé, sans qu'aucun avis soit signifié au demandeur.


[4]                Comme il en a déjà été fait mention, le demandeur avait dix-neuf ans lorsqu'il est arrivé au Canada. Il allègue ne pas avoir de famille ou d'autre soutien ici, au Canada. Il allègue en outre n'avoir jamais vécu hors de chez lui [traduction] « par lui-même » auparavant. Il a été pris en charge par un étranger serviable qui s'est occupé de le loger et qui lui a donné certains conseils.

[5]                Les fêtes de fin d'année, de la mi-décembre à la fin du mois de décembre, approchaient à grands pas. Malgré tout, le 24 décembre 2003, le demandeur a fourni à la SPR son adresse au Canada. Le 8 janvier 2004, il a présenté son FRP pour dépôt. La SPR a accepté le FRP pour dépôt.

[6]                En date du 23 janvier 2004, le demandeur avait retenu les services d'un conseil pour le représenter dans le cadre de sa demande d'asile. Ce jour-là, le conseil a avisé la SPR que le demandeur avait retenu ses services et qu'il informerait la SPR de l'adresse du demandeur.

[7]                À la fin du mois de janvier 2004, et en fait à la date de l'audience qui a eu lieu devant la Cour, la SPR n'avait toujours pas informé le demandeur, que ce soit directement ou par l'entremise de son conseil, que le désistement de sa demande d'asile avait été prononcé.


[8]                Le demandeur, par l'entremise de son conseil, a demandé un permis de travail au défendeur. Au début du mois de mai 2004, le défendeur, plutôt que la SPR, a informé le demandeur que le désistement de sa demande d'asile avait été prononcé, qu'il n'avait donc pas de statut au Canada et qu'il n'avait pas droit à un permis de travail.

[9]                Le demandeur a ensuite présenté une demande en vue de faire rouvrir sa demande d'asile, ce qui a donné lieu à la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce.

DISPOSITIONS DE LA LOI ET DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES PERTINENTES

[10]            Le paragraphe 168(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] est rédigé comme suit :


168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication. [je souligne]

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so. [emphasis added]


[11]            Le paragraphe 58(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés[2] (les Règles) prévoit ce qui suit :


58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if:

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées. [je souligne]

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information. [emphasis added]

Au moment où le désistement de la demande d'asile a été prononcé, le défendeur n'avait pas encore été avisé que le demandeur avait retenu les services d'un conseil et, en fait, le demandeur n'avait pas retenu les services d'un conseil.

[12]            Le paragraphe 61(1) des Règles exige que la SPR avise les personnes comme le demandeur lorsqu'elle rend une décision comme celle à l'égard du désistement en l'espèce. À la date du désistement, la SPR ne pouvait pas donner d'avis parce qu'elle ne connaissait pas l'adresse du demandeur. Toutefois, le 24 décembre 2003, moins d'un mois après la date du prononcé du désistement, la SPR a été avisée de l'adresse du demandeur. Malgré tout, il n'a pas été contesté devant la Cour que le demandeur n'avait pas reçu l'avis prévu au paragraphe 61(1) des Règles et qu'à ce jour, le demandeur et son conseil n'ont toujours pas reçu d'avis.


ANALYSE

[13]            Comme il en a déjà été fait mention, la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce, c'est-à-dire la décision de ne pas rouvrir la demande d'asile du demandeur, était fondée sur l'opinion selon laquelle il n'y avait pas eu un manquement aux principes de justice naturelle ou un déni de justice naturelle lorsque la SPR avait prononcé le désistement de la demande d'asile. La forme des motifs à l'appui de la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce est conforme aux dispositions des paragraphes 55(1) et 55(4) des Règles, qui sont ainsi libellés :


55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

...

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

...

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle. [Non souligné dans l'original.]

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice. [emphasis added].


[14]            L'article 55 des Règles a été interprété comme empêchant la SPR de rouvrir une demande d'asile qui a fait l'objet d'un désistement dans des circonstances autres que celles dans lesquelles, en vertu du paragraphe 55(4) des Règles, elle accueille la demande visant à faire rouvrir l'affaire. Cette interprétation n'est pas en litige en l'espèce. Il s'agit uniquement de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu un manquement à un principe de justice naturelle eu égard aux faits de l'affaire. À cet égard, je suis convaincu que la SPR a commis une erreur susceptible d'examen.

[15]            Il est certain que la SPR était autorisée à prononcer le désistement de la demande d'asile lorsqu'elle a prononcé ce désistement. Cela dit, le fait qu'à la date du désistement, la SPR ne connaissait pas l'adresse du demandeur, de façon à pouvoir s'acquitter de l'obligation qui lui incombait d'aviser celui-ci du prononcé du désistement, ne la libérait pas complètement, selon moi, de l'obligation qui lui incombait en vertu du paragraphe 61(1) des Règles de l'aviser de sa décision.

[16]            Le prononcé du désistement a de graves répercussions, des répercussions possiblement fatales, pour des personnes comme le demandeur. Je tiens à répéter que le demandeur avait dix-neuf ans seulement au moment pertinent. Il venait d'arriver au Canada et c'était la première fois qu'il vivait hors de chez lui. Selon toute probabilité, sa langue maternelle n'était ni l'anglais ni le français. Le demandeur n'avait pas de famille ou d'autre soutien établi ici au Canada et la Cour est prête à supposer, eu égard aux circonstances dans leur ensemble, qu'il était vulnérable et désorienté. Toutefois, moins d'un mois après le prononcé du désistement et moins de deux mois après son arrivée au Canada, le demandeur a donné son adresse à la SPR.


[17]            En réponse, la SPR a décidé de ne pas reconnaître les circonstances spéciales qui s'appliquaient au cas du demandeur, elle a décidé de ne pas l'aviser qu'elle avait prononcé le désistement lorsqu'il a fourni son adresse et elle a décidé de ne pas lui signifier pareil avis lorsque, un mois plus tard, après qu'elle eut accepté son FRP pour dépôt, le conseil dont le demandeur avait retenu les services a communiqué avec elle. En fait, la SPR a refusé au demandeur, dans ces circonstances spéciales, la possibilité de tenter de la convaincre qu'aucun désistement n'aurait dû être prononcé ou elle lui a par ailleurs refusé la possibilité de demander le contrôle judiciaire du prononcé du désistement.

[18]            Dans la décision Matondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], mon collègue le juge Harrington, également dans le contexte d'un désistement, a écrit ce qui suit au paragraphe 18 de ses motifs :

Il est peut-être utile de rappeler à certaines personnes que le droit d'être entendu se situe au coeur même de nos principes de justice et d'équité.

À l'appui du principe concernant le droit d'être entendu, le juge Harrington a cité un grand nombre d'arrêts. Le droit d'une personne d'être avisée d'une décision qui influe énormément sur ses droits et privilèges est au coeur du droit d'être entendu. Je conclus que l'obligation de la SPR d'aviser le demandeur du désistement n'a pas disparu du fait qu'il a omis de fournir à la SPR, dans un délai prescrit, l'adresse à laquelle l'avis pouvait être envoyé, lorsque tous les faits de l'affaire sont pris en considération. Le fait que le demandeur a donné une adresse à la SPR moins d'un mois après la date du prononcé du désistement est crucial eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, c'est-à-dire eu égard à l'âge du demandeur et au fait qu'il était vulnérable pendant la période pertinente.

[19]            Compte tenu encore une fois des faits particuliers de l'affaire, je suis convaincu que la SPR ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombait en vertu du paragraphe 55(4) des Règles d'accueillir la demande que le demandeur avait présentée en vue de faire rouvrir l'affaire parce que, dans ce cas-ci, la SPR a omis d'observer un principe de justice naturelle en raison de son omission de donner au demandeur, en temps opportun, un avis du désistement.

[20]            Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura jamais de circonstances dans lesquelles l'omission de donner un avis de désistement ne donnerait pas lieu à un manquement aux principes de justice naturelle. Cependant, il reste à déterminer quelles sont ces circonstances dans d'autres cas, c'est-à-dire dans des cas différents de celui-ci, qui suscitent moins de compassion qu'en l'espèce.

CONCLUSION

[21]            Compte tenu de la brève analyse qui a ci-dessus été faite, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR de ne pas rouvrir la demande d'asile qui a fait l'objet d'un désistement sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle décision.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION


[22]            À la fin de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, les avocats ont été informés que la demande serait accueillie. Lorsqu'ils ont été consultés, ni l'un ni l'autre n'a recommandé la certification d'une question. La Cour est convaincue que, bien que le point qui est en litige en l'espèce soulève une question grave, il la soulève à cause de faits fort précis et qu'il ne peut donc pas être considéré comme soulevant une question grave de « portée générale » . Dans ces conditions, aucune question ne sera certifiée.

                                                                        « Frederick E. Gibson »                    

                                                                                                     Juge                                  

Ottawa (Ontario)

Le 15 juin 2005

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-5302-04

INTITULÉ :                            FREDDY EDER CAMPOS GUTIERREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE : le 9 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :           le 15 juin 2005

COMPARUTIONS :

Patricia Wells                            pour le demandeur

Mary Matthews                         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)                      pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20050609

                    Dossier : IMM-5302-04

ENTRE :

FREDDY EDER CAMPOS GUTIERREZ

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 


Date : 20050615

Dossier : IMM-5302-04

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                  FREDDY EDER CAMPOS GUTIERREZ

                                                                                                                   demandeur

                                                                 et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

                                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.          la décision rendue à la suite de la demande que le demandeur avait présentée en vue de faire rouvrir la demande d'asile qui avait fait l'objet d'un désistement est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen.

                                                                                                « Frederick E. Gibson »                    

                                                                                                                             Juge                                 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.



[1]      L.C. 2001, ch. 27.

[2]      DORS/2002-228.

[3]      [2005] A.C.F. no 509 (QL).

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