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Date : 20200401


Dossier : IMM‑3207‑19

Référence : 2020 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

ABDULRA ABDULRAHIM
(ALIAS HUSSAIN ABDULRA ABDULRAHIM)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Abdulra Abdulrahim, est un citoyen du Qatar. Bien qu’il ait demandé l’asile au Canada en 2003, son statut de réfugié pourrait maintenant être révoqué en raison d’une décision rendue le 26 avril 2019 [la décision], par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a annulé la décision ayant accueilli sa demande d’asile parce qu’il a fait une présentation erronée sur un fait. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[3]  Le 22 juillet 2004, la SPR a accordé le statut de réfugié au Canada au demandeur et à son épouse. Cependant, le 5 novembre 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a
présenté une demande fondée sur l’article 109 de la LIPR afin d’obtenir la révocation du statut de réfugié du demandeur (mais pas celui de son épouse) parce que ce dernier aurait fait une présentation erronée sur un fait important et une réticence sur ce fait. Cet article est ainsi libellé :

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[4]  Le ministre a affirmé que le demandeur avait été accusé de fraude et de falsification de documents au Qatar avant son arrivée au Canada et qu’il avait dissimulé le fait qu’il avait commis les actes dont il était accusé. Par conséquent, la SPR n’a pas été en mesure de déterminer si le demandeur était interdit de territoire parce qu’elle n’était pas au courant de ces accusations ou ces actes.

[5]  Le ministre a présenté les éléments de preuve suivants pour appuyer sa demande : les empreintes digitales du demandeur et des empreintes digitales provenant de la base de données d’INTERPOL qui concorderaient avec celles du demandeur; un rapport de la section de la Fraude et de la Falsification de documents du ministère de l’Intérieur du Qatar contenant des documents d’enquête au sujet d’une fraude commise au Qatar, dont des documents indiquant que (a) les directeurs des deux banques touchées par la fraude et (b) le frère du demandeur auraient identifié ce dernier comme l’auteur de la fraude.

[6]  La SPR a accueilli la demande du ministre. Dans sa décision, la SPR a d’abord cité le juge Harrington dans la décision Canada (Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181, au paragraphe 7 [Gunasingam], lorsqu’il a énoncé les trois conditions qui doivent être remplies avant d’accueillir une demande en vertu du paragraphe 109(1) : « a) il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait; b) ce fait doit se rapporter à un objet pertinent; et c) il doit exister un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu ».

[7]  En appliquant le critère établi dans la décision Gunasingam, la SPR a résumé la preuve du ministre et la position du demandeur à l’égard de cette preuve. Tous les éléments de preuve présentés par le ministre visaient à démontrer que le demandeur avait commis un acte frauduleux pour obtenir 500 000 riyals qataris avant son arrivée au Canada. Le demandeur a répliqué que ces éléments de preuve ne l’identifiaient pas comme l’auteur de la fraude, mais ses arguments n’ont pas convaincu la SPR. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la SPR a conclu que le ministre avait satisfait au critère établi dans la décision Gunasingam.

[8]  Ensuite, la SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable en
application de l’article 98, qui est ainsi libellé :

98  La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98  A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[9]  L’article 98 incorpore au droit la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, qui est ainsi libellée :

F   Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

[…]

F  The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[…]

[10]  La SPR a conclu que le demandeur a commis un crime grave de droit commun au Quatar en 2002 avant son arrivée au Canada. Le critère d’exclusion s’appliquait donc, et la demande d’asile du demandeur était irrecevable. La SPR a accueilli la demande du ministre et la décision portant annulation a été assimilée au rejet de la demande d’asile du demandeur.

III.  Questions en litige et norme de contrôle applicable

[11]  Le demandeur conteste les conclusions de la SPR. Il accuse la SPR de s’être appuyée sur des éléments de preuve erronés et d’avoir tiré des conclusions inexactes en ce qui a trait aux crimes qu’il aurait commis au Qatar.

[12]  Les parties conviennent que ces erreurs doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. L’application d’une telle norme concorde avec la reformulation récente des règles de droit applicables par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], dans lequel la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable. Je ne vois aucune raison de réfuter cette présomption en l’espèce.

IV.  Positions des parties

A.  La décision était‑elle raisonnable?

(1)  Position du demandeur

[13]  Le demandeur conteste le poids que la SPR a accordé aux éléments suivants ou les conclusions qu’elle a tirées à leur égard : (1) les séries d’empreintes digitales, (2) le témoignage du frère du demandeur, (3) les déclarations des représentants des banques qui ont été fraudées et de la victime de la fraude, (4) le témoignage et les explications du demandeur au sujet des raisons pour lesquelles il n’a pas essayé de [traduction] « blanchir son nom » en communiquant avec des membres de sa famille ou INTERPOL, (5) le fait que les accusations portées contre le demandeur étaient des accusations de droit commun, (6) le défaut de la SPR de tenir compte du fait que la [traduction] « notice rouge » émise par INTERPOL n’avait pas été renouvelée, (7) le fait qu’aucun élément de preuve n’avait été produit pour démontrer que le demandeur était au courant des allégations pesant contre lui lorsqu’il a présenté sa demande d’asile. Selon le demandeur, les éléments de preuve présentés par le ministre et acceptés par le tribunal sont des [traduction] « conjectures et hypothèses ». Il soutient par ailleurs que les allégations contre lui ont été inventées de toutes pièces.

(2)  Position du défendeur

[14]  Le défendeur soutient que la décision était dans son ensemble raisonnable. Il explique le raisonnement de la Commission sur différents points et fait remarquer que bon nombre des [traduction] « erreurs » alléguées par le demandeur sont négligeables ou sans importance.

V.  Analyse

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[15]  Premièrement, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SPR a accordé peu de poids aux observations du demandeur en ce qui concerne ses empreintes digitales ou son statut selon INTERPOL. La façon dont la SPR a traité les empreintes digitales ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. En effet, la SPR n’a mentionné les empreintes digitales que dans le résumé de la preuve du ministre. S’il est vrai que lesdites « empreintes digitales » ont été mentionnées de nouveau plus loin dans la décision de la SPR, cette dernière a uniquement souligné qu’elle a examiné la preuve, dont les déclarations dans lesquelles le demandeur est identifié comme l’auteur de la fraude, et qu’elle a effectivement établi un lien. La SPR ne s’est pas appuyée sur la concordance des empreintes digitales.

[16]  Deuxièmement, le demandeur n’a présenté aucun argument convaincant pour étayer sa prétention selon laquelle la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur le témoignage de son frère. En fait, la SPR a présenté les résultats de l’examen approfondi qu’elle a mené et le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi son frère l’aurait faussement identifié. Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que son frère travaillait avec son [traduction] « agent de persécution ». Cependant, la SPR n’est pas tenue de prendre en compte tous les arguments ou modes possibles d’analyse (Vavilov, au par. 128).

[17]  Troisièmement, en ce qui a trait à l’affirmation selon laquelle la SPR se serait appuyée sur des déclarations erronées et non vérifiées, il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle. Bien que le demandeur ait relevé de légères contradictions entre certains éléments du témoignage, le point déterminant était l’identification du demandeur : la SPR a conclu que les deux directeurs de banque avaient été en mesure d’identifier le demandeur comme un participant à la fraude. Il se peut que l’examen ait été entaché d’erreurs mineures, mais l’identification du demandeur en était le point déterminant. Aucun examen n’est parfait. La SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a déclaré que le demandeur avait été identifié et que des accusations avaient été portées contre lui.

[18]  Quatrièmement, la SPR n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a traité l’absence de volonté du demandeur de communiquer avec sa famille ou de [traduction] « blanchir son nom » en prenant des mesures pour faire retirer son nom de la base de données d’INTERPOL. Le demandeur soutient que cette attente de la part de la SPR était déraisonnable parce qu’il ne voulait pas [traduction] « causer de conflit dans sa famille ». Cette affirmation n’est pas suffisante pour établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. Quoi qu’il en soit, la SPR ne s’est pas appuyée sur cette affirmation pour mettre en doute sa crédibilité; elle en a seulement fait mention lorsqu’elle a précisé qu’il était étrange que le demandeur n’ait pas déployé de plus grands efforts pour réfuter les allégations du ministre. Il est vrai que la SPR estimait que ses actes étaient « déraisonnable[s] », mais cette déclaration n’est pas pertinente en l’espèce.

[19]  Cinquièmement, l’allégation selon lequel la SPR aurait fait une erreur en concluant que le crime commis était un crime de droit commun n’est pas fondée. Certes, le demandeur affirme que la SPR n’a pas tenu compte de la probabilité que sa famille ait été en accord avec les accusations que l’État avait portées contre lui, mais il n’a présenté aucun élément de preuve à cet égard, si ce n’est quelques conjectures. Là encore, une affirmation n’est pas suffisante pour établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. Je souligne une fois de plus que la SPR n’est pas tenue de prendre en compte tous les arguments ou hypothèses possibles (Vavilov, au par. 128).

[20]  Sixièmement, j’estime en outre que, contrairement à ce qu’a affirmé le demandeur, la SPR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte du fait que la notice rouge qu’INTERPOL avait émise à son encontre n’avait pas été renouvelée. Comme l’explique le défendeur, [traduction] « le fait que la [notice rouge émise par INTERPOL] n’a pas été renouvelée en 2015 ne change en rien la conclusion selon laquelle il a commis une fraude en 2002 ». De plus, il convient de souligner de nouveau que la SPR n’est pas tenue de prendre en compte tous les arguments ou hypothèses possibles (Vavilov, au par. 128).

[21]  Enfin, la SPR n’a pas commis d’erreur en rendant sa décision, et ce, peu importe que le demandeur ait été au courant ou non des allégations portées contre lui au Qatar. Cette prétention n’est pas pertinente. De fait, selon le paragraphe 109(1) de la LIPR, il n’est pas nécessaire qu’un élément de mens rea soit présent pour tirer une telle conclusion (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554, au par. 29).  

[22]  Aucun des arguments avancés par le demandeur ne permet de conclure que la décision de la SPR était déraisonnable. Il est certes vrai que la SPR aurait raisonnablement pu rendre une autre décision, mais il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve et ce rôle n’incombe pas à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La SPR disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer ses conclusions.

VI.  Conclusion

[23]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et, à mon avis, aucune question ne se pose.

[24]  Je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3207‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’avril 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑3207‑19

 

INTITULÉ :

ABDULRA ABDULRAHIM (ALIAS HUSSAIN ABDULRA ABDULRAHIM) c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 janvier 2020

jugement et motifs :

le juge FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 1er avril 2020

COMPARUTIONS :

Sonny Vincent

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sonny Vincent Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR le défendeur

 

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