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Date : 20000602


Dossier : IMM-1087-99


ENTRE :



PRAKASH PATEL


demandeur


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision qu"a rendue Mona Fahmy (l"agente des visas) le 5 janvier 1999. L"agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente de Prakash M. Patel (le demandeur).

[2]      Le demandeur a présenté une demande à titre de demandeur indépendant. Il a été évalué au regard de la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP) et de la Classification nationale des professions (la CNP) en rapport avec la profession envisagée de technicien-spécialiste de laboratoire médical (catégorie 3156-122 de la CCDP) et de technologue de laboratoire médical (catégorie 3211.1 de la CNP). Le demandeur a obtenu les points d"appréciation suivants :

     Âge                          10
     Facteur professionnel                  05
     Préparation professionnelle spécifique          15
     Expérience                      06
     Emploi réservé ou profession désignée          00
     Facteur démographique                  08
     Études                          13
     Connaissance du français et de l"anglais          06
     Points supplémentaires                  00
     Personnalité                      03
     TOTAL :                      66

[3]      Dans l"arrêt To c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)1, le juge Stone a analysé la norme de contrôle applicable dans le cadre du contrôle de la décision d"un agent des visas. Le juge Stone a écrit :

     En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef adjoint Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour:
         C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision2.

[4]      Le demandeur prétend qu"il y a des éléments de preuve présentés irrégulièrement. Plus particulièrement, les notes au STIDI ont été incluses dans le dossier du tribunal. Comme il n"y a pas d"affidavit accompagnant les notes au STIDI, le demandeur prétend que ces notes devraient être radiées du dossier.

[5]      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le défendeur) soutient que les notes au STIDI font partie du dossier certifié du tribunal, qui contient des éléments de preuve régulièrement soumis à la Cour.

[6]      Dans la décision Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)3, le juge Reed se prononce sur cette question. Le juge Reed écrit :

     L"avocat de la demanderesse a soulevé la question préliminaire suivante : comment faut-il traiter les notes STIDI, dans la mesure où elles font état de ce qui s"est passé lors de l"entrevue de la demanderesse par l"agent des visas, étant donné que ces notes ne sont pas étayées par un affidavit de l"agent des visas?
     Je fais mien l"avis soumis par le défendeur selon lequel les notes font bel et bien partie intégrante du dossier certifié étant donné qu"elles expriment les motifs de la décision prise par l"agent des visas. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1999) 243 N.R. 22 (C.S.C.).
     Toutefois, en l"absence d"un affidavit de l"agent des visas qui a une connaissance personnelle des événements en cause, la valeur des notes à titre d"élément de preuve des faits qui y sont évoqués est douteuse. Dans Wang c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1991] 2 C.F. 165 (C.A.), une note de service ainsi que des notes manuscrites sur l"entrevue rédigées par un agent des visas ont été supprimées du dossier parce que la teneur de ces documents n"était pas étayée au moyen d"un affidavit. La Cour d"appel a écrit :
L'intimé allègue que, en raison des inconvénients qu'il y a à organiser les dépositions des agents des visas qui, par définition, se trouvent à l'extérieur du Canada, la Cour doit accepter leurs notes comme preuve de la véracité de leur contenu même si aucun affidavit n'est produit pour en attester la véracité. Dans le présent appel, comme dans certains des autres appels entendus en série, l"agent des visas concerné a présenté des notes prises pendant l"entrevue et/ou un compte rendu rédigé beaucoup plus tard pour exposer ce dont il se souvenait. [...]
Je ne vois rien qui puisse justifier que l'on s'écarte des normes de la preuve dans les circonstances présentes. L'intimé n'a démontré l'existence d'aucun fondement juridique permettant d'accueillir ses allégations et, à mon avis, elles sont dénuées de tout fondement pratique. En premier lieu, à moins que l'erreur qui entacherait la décision de nullité ressorte du dossier, l'immigrant envisagé, qui se trouve également, par définition, à l'extérieur du Canada, doit certifier ses éléments de preuve et, contrairement à l'agent des visas, peut ne pas être bien situé pour le faire. Il n'est pas juste d'accorder à un témoin au procès la possibilité de présenter des éléments de preuve d'une manière qui empêche leur vérification au moyen d'un contre-interrogatoire. En deuxième lieu, l'hypothèse selon laquelle il y aurait des inconvénients sur le plan administratif ne semble pas fondée solidement. Vu que les

agents des visas occupent normalement des locaux où l'on peut trouver d'autres fonctionnaires devant lesquels ils peuvent prêter serment relativement à des affidavits admissibles devant les tribunaux canadiens, il ne semble exister aucune raison pratique pour laquelle sa version de la vérité ne puisse pas, avec tout autant de facilité, être présentée dans le cadre d'un affidavit tout comme sous la forme d'une note. Enfin, si un requérant désappointé voulait créer des ennuis à un agent des visas en réclamant un contre-interrogatoire, il s'ensuit que ce droit devrait s'exercer, du moins au début, à un coût assez élevé pour le requérant.
     Le fait que les notes STIDI d"un agent des visas soient saisies par ordinateur plutôt que rédigées à la main n"a pas pour effet d"en changer la nature. La seule différence entre ces notes est le mode par lequel elles sont portées au dossier : dans un cas, elles sont dactylographiées, dans l"autre, écrites à la main.
     Plusieurs décisions ont suivi l"arrêt Wang . Elles sont énumérées dans Yan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), (1999) (3 juin 1999), IMM-2202-98 (C.F. 1re inst.). L"arrêt Wang a en outre été cité récemment avec approbation par la Cour d"appel fédérale dans Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration ) (1999), 1 Imm. L.R. (3d) 105 (C.A.F.).
     Le défendeur n"est pas tenu de présenter un affidavit à l"appui de ses prétentions, mais le défaut de le faire fera en sorte que les seuls éléments déposés en preuve sous serment devant la Cour sur ce qui s"est passé lors de l"entrevue seront ceux produits par la demanderesse. Dans la décision Yan , précité, le juge Cullen a écrit :
En l'absence d'un affidavit établi sous serment par l'agent des visas pour attester ce qui s'est passé à l'entrevue, la seule preuve dont la Cour soit saisie sur ce point est l'affidavit du demandeur qui indique que l'agent des visas l'avait évalué positivement et lui avait souhaité bonne chance pour se trouver un emploi au Canada. Comme cela n'a pas été contredit, la version des événements présentée par le demandeur doit être présumée véridique.

[7]      Je souscris au raisonnement du juge Reed. En conséquence, les notes au STIDI ne seront pas radiées du dossier, mais je suis consciente de la valeur probante réduite des notes.

[8]      Le demandeur affirme que l"agente des visas a commis une erreur en lui accordant 13 points d"appréciation plutôt que 15 parce qu"il avait seulement complété 11 années d"études secondaires, plutôt que 12, avant d"entrer à l"université.

[9]      Le défendeur prétend que l"agente des visas a raisonnablement évalué le demandeur en lui accordant 13 points d"appréciation pour le facteur des études.

[10]      Le demandeur a complété sept années d"études primaires, quatre années d"études secondaires, sept années d"études universitaires ou collégiales et deux années de formation réglementaire par l"apprentissage.

[11]      Je suis d"avis que l"agente des visas a commis une erreur en accordant au demandeur 13 points d"appréciation, parce qu"il est visé à l"alinéa d ) du facteur des études figurant à l"annexe I du Règlement sur l"immigration de 1978, DORS/78-172, et ses modifications. Cet alinéa est rédigé comme suit :

     lorsqu'un diplôme universitaire de premier cycle, comportant au moins trois ans d'études à temps plein, a été obtenu, 15 points;

[12]      Compte tenu du fait que l"agente des visas a commis une erreur en évaluant le demandeur au regard du facteur des études, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[13]      Les avocats des parties ont sept jours suivant la réception des présents motifs pour demander la certification d"une question.

                                 " E. Heneghan "
                             __________________________
                                     J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 juin 2000


Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-1087-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      PRAKASH PATEL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 8 mars 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :          le 2 juin 2000

ONT COMPARU :

M. Max M. Chaudhary                      POUR LE DEMANDEUR
M. Marcel Larouche                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Max M. Chaudhary                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1[1996] A.C.F. no 696, A-172-93 (22 mai 1996) (C.A.).

2Ibid., au paragraphe 3.

3[2000] A.C.F. no 141, IMM-1022-99 (28 janvier 2000) (1re inst.).

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