Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040331

Dossier : IMM-4333-03

Référence : 2004 CF 500

Toronto (Ontario), le 31 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                    

ENTRE :

                                                       RASAMMAH NADARAJAH

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Rasammah Nadarajah est une veuve de 82 ans originaire du Sri Lanka. Elle est d'origine tamoule et a toujours résidé dans le Nord du pays. Elle prétend avoir une crainte fondée d'être persécutée aux mains des forces militaires sri lankaises et de leurs associés. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Nadarajah, concluant qu'elle pouvait vivre à Jaffna sans s'exposer à une possibilité sérieuse de persécution. Mme Nadarajah cherche à faire annuler la décision de la Commission au motif que celle-ci a ignoré et mal interprété la preuve. La demanderesse affirme également que la Commission n'a pas fourni des motifs adéquats au soutien de sa décision.


Historique

[2]                Mme Nadarajah, son mari et ses quatre enfants vivaient tous dans le village de Pungudutivu, dans la province de Jaffna au Sri Lanka. En juillet 1983, le fils aîné de Mme Nadarajah a été tué par la mafia sri lankaise au cours d'une émeute anti-Tamoul à Colombo. Son fils cadet a échappé de justesse à la mort au cours des mêmes émeutes. Il est par la suite rentré à Jaffna, où il a ouvert une entreprise. En 1984, la fille de Mme Nadarajah et sa famille ont eu des problèmes avec des militants tamouls et les forces sri lankaises. Ils se sont enfuis vers la Suisse où ils ont obtenu l'asile.

[3]                En 1991, l'armée sri lankaise a envahi le village de Mme Nadarajah, provoquant la fuite de plusieurs personnes. Mme Nadarajah et son mari sont demeurés dans le village pour s'occuper de leur propriété. Le village était sous le contrôle de l'armée sri lankaise et du Parti démocratique du peuple de l'Eelam (EPDP), un regroupement tamoul qui, de toute évidence, collaborait avec les forces sri lankaises. Plusieurs années plus tard, la marine sri lankaise a commencé à harceler des civils innocents. Selon le témoignage de Mme Nadarajah, elle et son mari ont été victimes de harcèlement de la part de soldats qui tentaient de leur soutirer de l'argent et de la nourriture, sous la menace d'une arme à feu. M. et Mme Nadarajah se sont pliés aux demandes des soldats. Selon Mme Nadarajah, son mari et elle ont été choisis comme cibles d'extorsion en raison de leur âge et parce qu'ils étaient perçus comme vulnérables, et que leur fille habitait la Suisse.


[4]                En 1998, des soldats sri lankais ont violé et tué le prêtre hindou du couple. Selon le témoignage de Mme Nadarajah, la perpétration de ce genre d'atrocité sur une base continuelle a fait en sorte qu'elle et son mari ont tous les deux souffert moralement, et son mari est tombé malade. Le mari de Mme Nadarajah est décédé en août 2000. Son deuxième fils avait fui le Sri Lanka en 1999 et avait été accepté au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention. Son autre fille avait également fui le Sri Lanka et vit maintenant en Allemagne. Suite à la mort de son mari, Mme Nadarajah s'est retrouvée seule au Sri Lanka.

[5]                Mme Nadarajah a dit être devenue plus craintive après la mort de son mari. En 2001, elle a été victime d'une autre tentative d'extorsion. À la suite de cet incident, Mme Nadarajah a versé un pot-de-vin à des membres du EPDP qui soutiennent le gouvernement et ils l'ont emmenée à Jaffna. Elle a séjourné chez un parent éloigné et s'est ensuite rendue à Colombo par bateau et par train. Elle a quitté le Sri Lanka en août 2001. À son arrivée au Canada, Mme Nadarajah a demandé le statut de réfugiée, affirmant avoir une crainte fondée de persécution en raison de ses origines ethniques et de son statut de veuve âgée n'ayant plus de famille au Sri Lanka.


La décision de la Commission

[6]                La décision de la Commission est très brève, comptant onze paragraphes. La Commission a admis l'identité de Mme Nadarajah et a noté que la question déterminante était de savoir s'il existait une possibilité sérieuse que Mme Nadarajah soit persécutée si elle devait retourner au Sri Lanka, et si elle avait qualité soit de réfugiée au sens de la Convention soit de personne à protéger.

[7]                Le résumé des faits établi par la Commission tient en un seul paragraphe. Même si la Commission ne le dit pas de manière explicite, elle ne paraît pas avoir eu de doute quant à la crédibilité de Mme Nadarajah, et elle n'a pas douté de la véracité de son récit.


[8]                La Commission a ensuite analysé la demande de Mme Nadarajah. Cette portion de la décision comprend deux paragraphes. La conclusion selon laquelle Mme Nadarajah était « une victime d'extorsion opportuniste et non pour l'un ou l'autre des motifs prévus à la Convention » est au coeur de la décision de la Commission. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Nadarajah ne s'était pas enfuie du Sri Lanka pour cause de persécution, mais parce qu'elle avait peur de vivre seule après la mort de son mari et qu'elle voulait vivre là où des membres de sa famille pourraient s'occuper d'elle. La Commission a fait remarquer que la réunification des familles ne fait pas partie du mandat de la SPR. La Commission a conclu que Mme Nadarajah n'avait pas de crainte fondée de persécution et qu'elle pouvait vivre à Jaffna sans s'exposer à une possibilité sérieuse de persécution.

Questions en litige

[9]                Mme Nadarajah soulève plusieurs questions dans sa demande. Toutefois, elle affirme essentiellement que la Commission a ignoré et mal interprété la preuve en tirant la conclusion qu'elle n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, et que cette conclusion était manifestement déraisonnable.

Analyse

[10]            Il y a, au coeur de la demande de Mme Nadarajah, son affirmation selon laquelle elle a été choisie comme cible d'extorsion, d'abord faisant partie d'un couple âgé, et ensuite en tant que veuve âgée, mère d'un enfant vivant dans un pays industrialisé, qui, par le fait même, était perçue comme ayant accès à de l'argent.


[11]            Même si elle ne le dit pas explicitement, la Commission semble avoir admis que le témoignage de Mme Nadarajah sur ce qui lui est arrivé au Sri Lanka était vrai. Il est certain qu'une conclusion négative concernant la crédibilité d'un demandeur de statut de réfugié doit être exprimée « en termes clairs et explicites » : Hilo c. Canada (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.). Cela n'est pas le cas ici.

[12]            L'analyse que fait la Commission de la demande de Mme Nadarajah n'est pas très étoffée, et se compose principalement d'une série de conclusions qui ne contiennent aucune véritable explication sur la façon dont on est arrivé à ces conclusions. La Commission n'a pas accepté l'affirmation selon laquelle Mme Nadarajah avait été choisie comme cible d'extorsion parce qu'elle était vulnérable et parce qu'elle avait un enfant qui vivait en Suisse. Plutôt, la Commission a conclu que Mme Nadarajah était « une victime d'extorsion opportuniste » , et non une cible de persécution au sens de la Convention. Rien dans la décision n'explique comment la Commission est arrivée à cette conclusion. Il n'y a ni analyse véritable, ni renvoi à la preuve. Par conséquent, cette conclusion ne peut être maintenue.

[13]            La conclusion de la Commission selon laquelle Mme Nadarajah ne s'exposait plus à la persécution paraît avoir été fondée sur le fait que l'armée sri lankaise contrôle présentement la péninsule de Jaffna. On n'a pas tenu compte du témoignage de Mme Nadarajah selon lequel ce sont les autorités gouvernementales sri lankaises qui étaient les auteurs de la persécution à son endroit. Par conséquent, la conclusion de la Commission à cet égard est également manifestement déraisonnable.

[14]            Par conséquent, la décision de la Commission est annulée et la demande de statut de réfugié de Mme Nadarajah est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

Certification

[15]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question pour certification, et aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :                         

1.         Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie et la demande de statut de réfugié de Mme Nadarajah est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire; et

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                              « Anne Mactavish »          

                                                                                                                                                     Juge                    

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4333-03

INTITULÉ :                                                       RASAMMAH NADARAJAH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 29 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                      LE 31 MARS 2004

COMPARUTIONS:

Helen P. Luzius                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Greg G. George                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Helen P. Luzius                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                     

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                     


                         COUR FÉDÉRALE

                                         

Date : 20040331

Dossier : IMM-4333-03

ENTRE :

RASAMMAH NADARAJAH

                                                                                   

                                                            demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                   

                                                                                   


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.