Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051105

Dossier : IMM-9155-04

Référence : 2005 CF 1507

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

MARY MICHAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.         Introduction

[1]                La demanderesse, Mary Michal, sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable datée du 11 mai 2004 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[2]                La demanderesse demande à la Cour d'annuler la décision de la Commission et de renvoyer l'affaire devant un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

2.         Les faits

[3]                La demanderesse est une citoyenne de l'Iraq âgée de 62 ans. Elle a dit devant la Commission qu'elle était Assyrienne chrétienne et que, pour cette raison, elle avait été victime de harcèlement, de discrimination et de persécution. Selon la demanderesse, le parti Ba'ath de Saddam Hussein souhaitait que son époux adhère au parti et, après que celui-ci eût refusé de le faire et quitté la maison familiale en 1991, les dirigeants du parti Ba'ath auraient harcelé et persécuté la demanderesse. Elle allègue qu'elle a été poussée, giflée et frappée de coups de poings à plusieurs reprises.

[4]                La demanderesse déclare qu'elle a quitté sa maison à Turkuk pour se rendre à Zahko, près de la frontière turque, où elle a rejoint son époux. Ils sont demeurés à Zahko pendant cinq ans et ensuite ils sont allés en Turquie. Elle prétend que son époux a quitté la Turquie en 1995 et qu'elle y est demeurée jusqu'au mois de mai 2002, auquel moment elle est venue au Canada pour présenter une demande d'asile.

[5]                La demanderesse allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa religion et de sa nationalité. Elle prétend également avoir qualité de personne à protéger parce qu'elle serait exposée à une menace à sa vie.

[6]                L'audience devant la Commission a eu lieu le 19 avril 2004. La décision défavorable a été rendue le 11 mai 2004. L'autorisation d'introduire la présente demande a été accordée le 7 juin 2005.

3.          La décision contestée

[7]                La Commission a traité la demande de la demanderesse comme une demande d'asile sur place parce que les conditions avaient changé en Iraq depuis l'époque où la demanderesse y vivait. La Commission a relevé que l'instabilité générale de l'Iraq n'était pas de son ressort. Elle devait plutôt décider si la demanderesse risquait d'être ciblée en Iraq, soit personnellement, soit à titre de membre d'un groupe identifiable. La Commission a dit que, même si elle avait jugé crédible le récit de la demanderesse, elle n'était « pas en mesure de déterminer » si la demanderesse était bien mariée et, le cas échéant, si son époux était vivant. La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et qu'elle n'avait donc pas établi une crainte bien fondée et subjective de persécution. La Commission a rejeté l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle serait persécutée si elle devait retourner en Iraq. De plus, la Commission a décidé que la preuve documentaire n'étayait pas une crainte objective de persécution. Même si la preuve documentaire avait établi que la situation en Iraq était très instable, elle n'avait pas démontré que la demanderesse ferait face à un risque en tant que femme et en tant qu'Assyrienne chrétienne.

[8]                Par conséquent, la Commission a dit que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger et elle a rejeté sa demande.

4.         Les questions en litige

[9]                La demanderesse, dans ses observations écrites, a formulé les questions en litige en ces termes :

a.     La Commission a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle en obligeant la demanderesse à se concentrer sur la question de savoir si elle serait ciblée dans l'Iraq de l'après-Saddam et, ensuite, en rejetant la demande (en se fondant sur des conclusions relatives à la crédibilité ou à la vraisemblance) au motif que certains événements allégués par la demanderesse avaient eu lieu avant son départ d'Iraq?

b.       La Commission a-t-elle mal interprété la preuve de la demanderesse, particulièrement la preuve documentaire non contredite (la Commission n'ayant pas été saisie de documents établissant le contraire), qui démontre clairement que les chrétiens, surtout les femmes chrétiennes, sont des cibles en Iraq et ce faisant, la Commission a-t-elle pris une décision manifestement déraisonnable?

c.        En tirant un certain nombre de conclusions relatives à la vraisemblance qui ne sont pas étayées par la preuve, la Commission a-t-elle commis des erreurs graves susceptibles de contrôle qui justifient l'annulation de sa décision?

[10]       À mon avis, la présente demande soulève la question de savoir si la Commission a commis une erreur en évaluant la crainte objective ou subjective de persécution de la demanderesse dans le contexte d'une demande d'asile sur place?

5.         La requête préliminaire

[11]       Au début de l'audience, la demanderesse a déposé une requête visant à corriger son nom dans l'intitulé de la présente cause. Ella a sollicité une ordonnance de modification de l'intitulé de la cause pour faire remplacer son nom par « Mary Michal » . Le défendeur a consenti à la requête. La Cour a accueilli la requête et rendra une ordonnance en conséquence.

6.         Analyse

[12]       À l'audition de la présente demande, l'avocat de la demanderesse a prétendu que la question principale était de savoir si la Commission avait commis une erreur en omettant d'examiner si la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l'État advenant son renvoi en Iraq. Je suis d'accord avec l'argument du défendeur selon lequel la question de la protection de l'État ne doit être prise en compte que si la Commission est convaincue que la demanderesse a établi les éléments subjectifs et objectifs de sa crainte. La Commission n'a pas commis d'erreur en omettant d'examiner expressément la question de la protection de l'État si elle est convaincue que la demanderesse ne court aucun risque si elle doit retourner en Iraq. Je vais maintenant examiner la question de savoir si la Commission a commis une erreur en étudiant la demande d'asile sur place de la demanderesse.

[13]       Pour avoir qualité de réfugié au sens de la Convention, le demandeur 1) doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté et 2) cette crainte doit être objectivement bien fondée. L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du demandeur et l'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte pour déterminer si elle est fondée. Il incombe au demandeur d'établir une « possibilité sérieuse » de persécution : Chan c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 119.

[14]            Un demandeur peut être considéré comme un réfugié sur place lorsque sa peur d'être persécuté découle d'une situation survenue dans son pays d'origine pendant son absence ou d'actes accomplis par le demandeur lui-même pendant qu'il se trouve à l'extérieur de son pays d'origine : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 836.

[15]            Lors de l'audience devant la Commission, l'avocat de la demanderesse ne s'est pas objecté à ce que la Commission ait traité la demande comme une demande sur place.

            A)        La crainte subjective

[16]            La Commission a estimé que la crainte de persécution de la demanderesse n'était pas subjectivement bien fondée. Elle a conclu au manque de crédibilité de l'affirmation de la demanderesse voulant qu'elle craigne toujours les membres du parti Ba'ath. La Commission a trouvé peu vraisemblable que d'ex-membres du parti Ba'ath s'intéressent à une dame âgée de 62 ans ou à son époux. En se fondant sur la preuve documentaire, la Commission a conclu que l'époux de la demanderesse n'aurait présenté aucun intérêt pour le parti Ba'ath, une organisation qui recrutait ses membres parmi l'élite sans recourir à la force. La Commission a conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que l'appartenance au parti Ba'ath était un privilège pour les Iraquiens et que seules les personnes qui adhéraient strictement aux idées du parti et qui avaient subi une enquête approfondie sur leur personnalité pouvaient devenir membres. De plus, la Commission n'a pas cru que la demanderesse et son époux se soient installés à Zahco sans que les membres du parti Ba'ath ne puissent les retrouver si, comme l'avait allégué la demanderesse, les membres du parti poursuivaient son époux. La Commission a conclu que, dans ces circonstances, il était peu vraisemblable que des dirigeants de l'ancien parti Ba'ath aient ciblé la demanderesse.

[17]            La demanderesse prétend que la Commission, après avoir accepté de traiter la demande comme une demande sur place, a violé les principes de justice naturelle en l'obligeant, à l'audience, à se concentrer uniquement sur la situation actuelle de l'Iraq et sur la question de savoir si elle serait ciblée à son retour. Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur quand, par la suite, elle a mis en doute la crédibilité de la demanderesse concernant un événement qui se serait déroulé pendant qu'elle vivait en Iraq, sous le régime de Saddam Hussein, lequel événement n'avait jamais eu lieu, selon la Commission.

[18]            Je rejette l'argument de la demanderesse. Un examen attentif de la transcription de l'audience révèle qu'à l'audience, l'avocat de la demanderesse a prétendu qu'il y avait une corrélation ou un lien entre les expériences passées de la demanderesse en Iraq sous le régime de Saddam Hussein et la situation actuelle dans ce pays. La demanderesse a ensuite témoigné au sujet des circonstances la concernant à l'époque, y compris au sujet de l'incident allégué relatif à l'engagement de son époux dans le parti Ba'ath. Étant donné cette preuve, la demanderesse ne peut affirmer maintenant que la Commission a violé les principes de justice naturelle en tenant compte de ladite preuve. De plus, ce n'est pas parce que la demande a été traitée comme une demande d'asile sur place que la Commission n'avait pas le droit d'évaluer la crédibilité de la preuve relative au traitement subi par la demanderesse avant que cette dernière ne quitte l'Iraq. Manifestement, la demanderesse était consciente que la Commission avait été saisie d'une preuve concernant sa situation avant qu'elle ne quitte l'Iraq et il était loisible à la Commission de tenir compte de cette preuve lors de l'évaluation de la crédibilité de la demanderesse.

[19]            Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la Commission est le mieux placé pour apprécier la crédibilité d'un demandeur. De plus, il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions quant à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 62 (QL).

[20]            Eu égard aux conclusions de la Commission relatives à la crédibilité et après avoir lu la décision dans son ensemble et examiné le témoignage de la demanderesse, les observations des parties et la preuve présentée à la Commission, je suis d'avis que les conclusions que la Commission a tirées n'étaient pas manifestement déraisonnables et qu'elles étaient étayées par la preuve dont elle disposait. Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant ses conclusions défavorables en matière de crédibilité.

            B.         La crainte objective

[21]            La Commission a décidé que la crainte de persécution de la demanderesse n'était pas objectivement bien fondée. Elle a reconnu que, dans l'Iraq de l'après-guerre, les chrétiens, en général, et les Assyriens chrétiens, en particulier, forment une minorité. La Commission a cependant conclu que la preuve ne montrait pas que les Assyriens chrétiens constituaient un groupe ciblé ni que la demanderesse risquait fort probablement la persécution, comme l'avait allégué cette dernière.

[22]            La demanderesse prétend que les musulmans ciblent et tuent les chrétiens en Iraq et que la preuve documentaire confirme sa crainte à cet égard. La demanderesse soutient que les motifs de la Commission sont incohérents puisqu'elle a affirmé que des éléments de preuve concernent le meurtre de chrétiens tout en concluant que la preuve documentaire n'était pas suffisante pour établir que les chrétiens, en général, étaient persécutés. La demanderesse prétend que la preuve documentaire qu'elle a soumise appuie sa crainte et indique clairement que la minorité chrétienne serait toujours la cible des musulmans chiites, même après le retrait des troupes américaines de l'Iraq. En outre, à l'appui de son argument, la demanderesse relève des éléments de preuve qui établissent que les femmes sont forcées de porter le voile, qu'elles sont diffamées et qu'on refuse de les soigner à l'hôpital.

[23]            Pour l'essentiel, la demanderesse prétend que la Commission a omis d'examiner et d'évaluer régulièrement la preuve documentaire présentée, en particulier les deux rapports d'Amnistie International soumis le jour de l'audience. Il est clair, selon la demanderesse, que ces rapports étayent sa demande. Elle prétend que la preuve documentaire établit que, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, la situation des chrétiennes en Iraq s'est détériorée. La demanderesse est d'avis que l'ensemble de la preuve documentaire étaye son argument et que la Commission a commis une erreur en omettant d'examiner ladite preuve.

[24]            La Commission a reconnu que la situation en Iraq était très instable et que cette instabilité présentait un risque général pour la population, mais non un risque particulier pour la demanderesse qui justifierait que, vu sa situation personnelle, on lui reconnaisse la qualité de personne à protéger. Dans ses motifs, la Commission a expressément examiné la preuve documentaire confirmant la persécution de certains chrétiens propriétaires de magasins d'alcool. La Commission a également examiné l'article intitulé « Four Christian Women Killed in Iraq » (Quatre femmes chrétiennes tuées en Iraq), mais cet article ne permettait pas à la Commission de conclure que ces femmes avaient été tuées parce qu'elles étaient ciblées en tant que chrétiennes. La Commission a également examiné des documents traitant des difficultés des femmes chrétiennes, au sein de certaines communautés urbaines, qui avaient été forcées de porter le voile; elle a jugé qu'il n'y avait aucune preuve documentaire digne de foi qui indique que le problème était généralisé en Iraq. La Commission a conclu que le « sentiment d'incertitude » chez les Assyriens chrétiens en Iraq, tel que décrit dans la preuve, « [était] loin d'établir » qu'ils étaient persécutés.

[25]            Après avoir examiné la preuve documentaire présentée à la Commission et tenu compte des observations des parties, je suis convaincu que la conclusion de la Commission est bien fondée. Je suis convaincu que la Commission a bel et bien tenu compte de la preuve qui lui a été soumise et qu'elle n'a pas commis d'erreur en omettant d'examiner expressément toute la preuve documentaire dans ses motifs. En évaluant cette preuve, la Commission pouvait conclure comme elle l'a fait. Dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne doit pas apprécier de nouveau la preuve documentaire. Ce travail relève entièrement de la compétence de la Commission. Lors d'un contrôle judiciaire, la question n'est pas de savoir si la Cour aurait pris la même décision, mais plutôt de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle selon la norme applicable. En l'espèce, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en décidant que la preuve était insuffisante pour établir une crainte objective et bien fondée de persécution ou que la demanderesse n'était pas une personne à protéger.

7.         Conclusion

[26]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[27]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale comme le prévoit l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et elles ne l'ont pas fait. Je suis convaincu qu'aucune question grave de portée générale n'est soulevée en l'espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   L'intitulé de la cause est modifié de manière à corriger la faute dans le nom de la demanderesse, « Mary Michal » .

3.                   Aucune question n'est certifiée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9155-04

INTITULÉ :                                        MARY MICHAL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 7 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Omar Shabbir Khan                              POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Omar Shabbir Khan                              POUR LA DEMANDERESSE

Hamilton (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.