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Date: 19990811


Dossier: T-1041-95

     ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS", ULYBEL ENTERPRISES LIMITED, JOSE PRATAS, et LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET TOUTE AUTRE PERSONNE AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS"         

ENTRE:

     MARIO NEVES ET CARLOS NEVES

     Demandeurs

     ET

     LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS",

     ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

     JOSE PRATAS, et LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS

     ET TOUTE AUTRE PERSONNE AYANT UN DROIT

     SUR LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS"

     Défendeurs

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Intervenante

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

Introduction

[1]      Par la présente requête, cette Cour est amenée à partager entre quatre réclamants le produit de la vente du navire "KRISTINA LOGOS".

[2]      Cette requête est mue par les demandeurs en vertu de la règle 491 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) suite à une ordonnance de cette Cour en date du 18 décembre 1996 ordonnant la vente du navire. Cette requête fait suite également à une ordonnance de cette Cour en date du 19 décembre 1997 prescrivant un processus complet permettant à chaque réclamant, suite à la vente du navire le 15 mai 1997, de faire valoir la preuve complète de sa réclamation à l'encontre des 605 000 $ qu'a rapportés la vente du KRISTINA LOGOS.

[3]      Pour se retrouver dans l'analyse des éléments essentiels reflétant la position prise par chaque réclamant quant à sa réclamation ainsi que quant à celles des réclamants pouvant affecter sa situation, un rappel des faits qui suivent s'impose.

Contexte

[4]      Les quatre réclamants dans la présente instance sont les suivants:

     I.      L'intervenante, Sa Majesté la Reine (la couronne);
     II.      Clearwater Fine Foods Inc. (Clearwater);
     III.      Les demandeurs dans la présente instance, Mario Neves et Carlo Neves (les Neves);
     IV.      Les défendeurs dans la présente instance, Ulybel Enterprises Limited et Jose Pratas (Ulybel et Pratas).

[5]      Le contexte justifiant la préséance de ces réclamants ressortira plus avant dans le cadre du rappel des faits principaux qui suit ainsi que lors de l'analyse par après de chaque réclamation.

[6]      L'on peut débuter ce rappel en se situant le 3 février 1992.

[7]      Le ou vers cette date, Pratas achète d'un prédécesseur de Clearwater le KRISTINA LOGOS. Le solde du prix de vente est reflété par un billet promissoire de 250 000 $ échéant le 1er mai 1992. Ce solde est également garanti par une hypothèque maritime de premier rang. C'est de cette hypothèque que Clearwater se réclame pour soutenir que sur le solde initial de 250 000 $, un montant de 125 000 $ lui serait toujours dû par Pratas. À ce montant, Clearwater rajoute un montant d'intérêts de 58 642 $ qu'elle calcule du moment pratiquement où le solde était dû, soit le 3 mai 1992, jusqu'aux environs de la date d'audition de la présente requête.

[8]      Le 2 avril 1994, le KRISTINA LOGOS ainsi que le poisson à son bord étaient saisis par la couronne aux termes de l'article 51 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, telle qu'amendée (la Loi), au motif que le navire avait servi à la perpétration d'infractions à la Loi. Quelques jours plus tard, le capitaine du navire, Antonio Tavares, Pratas en tant que directeur d'Ulybel ainsi que cette dernière corporation en tant que propriétaire du navire furent également accusés de diverses infractions à la Loi.

[9]      Le 5 avril 1994, Clearwater prenait action contre Ulybel et Pratas devant cette Cour dans le dossier T-799-94 aux fins de se faire rembourser le solde de vente précédemment mentionné. Clearwater procédait du même souffle à l'arrêt du KRISTINA LOGOS.

[10]      Le 27 juillet 1994, le capitaine Tavares était reconnu coupable des infractions portées contre lui et le KRISTINA LOGOS se voyait du même souffle confisqué au profit de la couronne. Cette reconnaissance de culpabilité de même que la confiscation du navire tiendront jusqu'au 9 septembre 1996 alors que la Cour d'appel de Terre-Neuve renversera ce verdict et cassera la confiscation, remettant ainsi le navire sous simple saisie de la couronne.

[11]      Le ou vers le 28 octobre 1994, le poisson à bord du navire fut vendu et le produit de cette vente au montant de 58 989,34 $ fut confisqué au profit de la couronne.

[12]      Le 23 mai 1995, les Neves prennent contre Ulybel et Pratas l'action dans le présent dossier.

[13]      Par leur action, les Neves demandent à ce qu'on les reconnaisse comme détenant un intérêt de 49% à titre de propriétaires dans le KRISTINA LOGOS. Cet intérêt de 49% se justifie parce que les Neves auraient contribué pour 49% du coût d'achat et des réparations du navire alors que Pratas aurait contribué pour 51%. Cet intérêt de 49% devait se refléter dans les mains des Neves par l'octroi de 49% des parts ou actions de Ulybel; Pratas devant détenir 51% des actions. Ulybel aurait été mise en place par Pratas aux fins de servir de propriétaire enregistré du navire et devait détenir le KRISTINA LOGOS au nom de ses deux groupes de propriétaires. Comme les Neves tardaient à recevoir une reconnaissance formelle et officielle de leur intérêt dans le navire et vu la saisie du navire par la couronne le 2 avril 1994, les Neves ont donc pris action contre Pratas et Ulybel afin de sécuriser à tout événement leur situation.

[14]      Dans le présent débat, Ulybel et Pratas en s'attaquant au bien-fondé des réclamations de Clearwater et de la couronne demandent à ce que le produit de vente du navire, avec les intérêts qui se sont accumulés depuis, soit partagé entre eux pour 51% et les Neves pour 49% moins des frais qui, selon eux, doivent être équitablement supportés par les Neves dans la mesure de leur intérêt de propriétaires du navire. Il faut retenir en effet que Ulybel et Pratas reconnaissent que les Neves ont un intérêt de 49% dans le KRISTINA LOGOS. Toutefois, ils soutiennent qu'en raison de cet intérêt, les Neves se doivent maintenant de contribuer leur juste part des frais engagés par Ulybel et Pratas pour défendre le navire dans le cadre des diverses procédures judiciaires ainsi qu'à l'égard de leur propre défense, soit celle de Ulybel et Pratas, dans le cadre des poursuites engagées sous la Loi. Partant, Ulybel et Pratas soutiennent que l'intérêt de 49% des Neves dans le navire, intérêt qui se porte maintenant sur le produit de la vente de ce dernier, doit être réduit du montant correspondant à la part proportionnelle des Neves dans ces frais.

[15]      Le 28 novembre 1996, les poursuites sous la Loi contre Ulybel ont débuté. Ulybel a depuis (soit le 2 juillet 1997) été condamnée à payer une amende de 120 000 $ et la Cour suprême de Terre-Neuve a également ordonné, entre autres, la confiscation au profit de la couronne de 50 000 $ sur le produit de la vente du KRISTINA LOGOS. Cette décision de la Cour suprême de Terre-Neuve a été portée en appel. La couronne a apparemment logé un contre-appel quant à l'ampleur limitée de la confiscation et le tout est présentement pendant devant la Cour d'appel de Terre-Neuve.

[16]      Le 6 décembre 1996, le juge Russell de la Cour suprême de Terre-Neuve a rejeté une requête de Ulybel et de Pratas qui cherchaient essentiellement à faire reconnaître que la couronne en raison de ses obligations statutaires quant à la conservation du navire suite à la saisie du 2 avril 1994 ne pouvait s'adresser à la Cour fédérale aux fins d'obtenir de cette Cour une ordonnance de vente du navire.

[17]      Le 18 décembre 1996, la Cour autorisait par ordonnance la couronne à intervenir dans la présente action et accueillait la requête de cette dernière aux fins d'ordonner que le KRISTINA LOGOS soit vendu. Cette décision fut confirmée en première instance le 4 février 1997 et l'appel logé à l'encontre de cette dernière décision fut rejeté. Cette Cour a accepté en décembre 1996 que le navire soit vendu puisque les coûts encourus alors et ceux qu'aurait à encourir la couronne pour le maintien et la préservation du navire sous sa saisie étaient importants et continueraient tout vraisemblablement à s'accroître.

[18]      Le 15 mai 1997, la Cour approuvait la vente du KRISTINA LOGOS pour un montant de 605 000 $.

Analyse

[19]      Qu'en est-il maintenant de la validité de chaque réclamation et surtout, pour ce qui a trait à la réclamation de la couronne et de Clearwater, aux rangs prioritaires que l'on doit ou non leur accorder?

[20]      Dans le cadre de la présente analyse, je n'ai pas l'intention de reprendre et de discuter tous les éléments que l'un ou l'autre des réclamants a pu faire valoir en faveur de sa réclamation ou à l'encontre de celles des autres.

[21]      D'autre part, il faut bien comprendre que dans l'établissement d'un état de collocation tel le présent, chaque réclamant a un intérêt certain à miner non seulement la position des réclamants se situant potentiellement au-dessus de lui mais également celle de ceux se situant à la même hauteur que lui puisque dans ce dernier cas, il ressort suivant les prétentions de l'ensemble des réclamants que le partage doit s'établir au prorata respectif des réclamations.

I.      La réclamation de la couronne

[22]      La réclamation de la couronne recèle plusieurs éléments qu'il importe de traiter séparément. Elle inclut:

     a)      les frais reliés directement à la vente du navire;
     b)      les 50 000 $ confisqués par suite de la condamnation d'Ulybel;
     c)      un montant de 359 043,69 $ encouru par la couronne pour le maintien et la préservation du navire entre le 5 avril 1994 et la vente en justice du navire;
     d)      un montant de 120 000 $ représentant l'amende imposée à Ulybel.
     a)      Les frais reliés directement à la vente du navire

[23]      Il appert que ces frais demeurent à être taxés. Ils ne sont donc pas encore liquidés. Ils découlent particulièrement, sinon exclusivement, de l'ordonnance de cette Cour du 15 mai 1997 approuvant la vente du KRISTINA LOGOS.

[24]      Il ne fait pas de doute dans mon esprit que ces frais doivent être considérés comme des frais de nature custodia legis. Une fois taxés, ils devront donc être payés en priorité à toute autre réclamation.

[25]      Il n'y a pas lieu tel que demandé par Ulybel et Pratas de modifier en la présente l'octroi de ces frais à la couronne par l'émission d'une ordonnance au contraire, voire même par l'émission d'une ordonnance de type "bullock".

     b)      Les 50 000 $ confisqués par suite de la condamnation d'Ulybel

[26]      Cette somme doit également être payée à la couronne en priorité et son paiement doit suivre celui des frais de vente. Il importe par principe que ce montant soit ainsi payé et non pas, tel que suggéré par les Neves, qu'il soit défalqué de toute somme qui reviendrait à Ulybel et Pratas au terme de la distribution.

[27]      Il appert que cette confiscation est présentement pendante devant la Cour d'appel de Terre-Neuve. Son ampleur, à la hausse ou à la baisse, est donc possiblement sujette à changement. Toute modification à cet égard aura donc un impact sur les sommes restant à distribuer aux réclamants. C'est pourquoi - et tous les réclamants ont semblé agréer en ce sens - l'ordonnance accompagnant les présents motifs disposera, entre autres, que la distribution y contenue ne pourra prendre place qu'au terme de la modification possible par les tribunaux de l'ampleur de la confiscation accordée à ce jour à la couronne.

     c)      Un montant de 359 943,69 $ encouru par la couronne pour le maintien et la préservation du navire entre le 5 avril 1994 et la vente en justice du navire

[28]      La procureure de la couronne a reconnu qu'une somme de 15 850,74 $ au titre de la TPS devait être retranchée de ce montant. Ceci nous laisse donc avec un montant de 343 192,95 $ que réclame la couronne à l'encontre du produit de la vente du KRISTINA LOGOS.

[29]      La couronne soutient en résumé que non seulement ces frais donnent droit à une réclamation in rem mais que la nature de ceux-ci font que l'on doit les voir comme des frais de nature custodia legis. Les autres réclamants s'insurgent contre ces prétentions. De façon plus particulière, Ulybel et Pratas ont soutenu que la couronne ne devait rien recevoir en cette Cour parce qu'en recherchant la vente du navire, la couronne aurait contrevenu à l'économie de diverses dispositions de la Loi qui l'obligent suite à une saisie à conserver le navire, ou tout autre bien non périssable, à titre de fiduciaire jusqu'à ce que le navire soit confisqué à son profit ou qu'elle doive le remettre à son propriétaire.

[30]      Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur cet argument. Par ordonnance en date du 18 décembre 1996, cette Cour a accepté que le KRISTINA LOGOS soit vendu en cette Cour à la demande de la couronne et cette ordonnance est passée en chose jugée. De plus, le juge Russell de la Cour suprême de Terre-Neuve a refusé de reconnaître que la couronne ne pouvait agir comme elle l'a fait. Je n'ai donc pas l'intention de retenir cet argument à l'encontre de quelque octroi en faveur de la couronne.

[31]      Par ailleurs, on a également soutenu chez les réclamants que le paragraphe 71.1(1) de la Loi signifiait que tout dédommagement que la couronne pouvait obtenir suite à la saisie du navire se devait de venir des cours visées indirectement par ce paragraphe, soit la Cour provinciale ou la Cour suprême de Terre-Neuve, et non de cette Cour. Ce paragraphe se lit comme suit:

71.1 (1) Where a person is convicted of an offence under this Act, the court may, in addition to any punishment imposed, order the person to pay the Minister an amount of money as compensation for any costs incurred in the seizure, storage or disposition of any fish or other thing seized under this Act by means of or in relation to which the offence was committed.

(Mes soulignés)

71.1 (1) Le tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction à la présente loi peut, en sus de toute autre peine infligée, ordonner au contrevenant d'indemniser le ministre des frais engagés dans le cadre de la saisie, de la garde ou de l'aliénation du poisson ou des objets saisis qui ont servi ou donné lieu à la perpétration de l'infraction.

[32]      En se référant uniquement au texte anglais de ce paragraphe, la couronne a soutenu que ce dernier ne pouvait viser la saisie à long terme d'un navire puisque si le mot "seizure" avait une telle fin, le législateur n'aurait pas employé juste après le mot "storage". Selon la couronne, c'est ce terme "storage" qui vise potentiellement la détention à long terme d'un bien. En se référant à quelques définitions anglaises du mot "storage", on réalise selon la couronne qu'il vise non pas des navires mais des biens qui peuvent être placés ou gardés dans un entrepôt. Toutefois une lecture du texte français de ce même paragraphe 71.1(1) nous permet de noter les termes "de la saisie, de la garde ... des objets saisis". Le terme anglais "storage" a été repris par le terme "garde" en français. La couronne ne m'a pas du tout démontré que le terme "garde" ne pouvait viser l'entretien, voire justement la garde à long terme qu'elle a effectuée du KRISTINA LOGOS.

[33]      À mon avis, c'est cette version du paragraphe 71.1(1) qui doit prévaloir puisqu'elle ne contredit pas la version anglaise du texte mais, de plus, elle permet une interprétation de ce dernier qui soit en accord avec les enseignements de l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21 (Opetchesaht Indian Band et al. v. Canada et al. (1997), 211 N.R. 241, paragraphes 72 et 73).

[34]      Partant, même si la couronne pouvait venir devant cette Cour pour faire vendre le KRISTINA LOGOS aux fins d'arrêter les frais qu'elle avait engagés dans la garde ou la préservation du navire, elle ne peut selon mon interprétation du paragraphe 71.1(1) de la Loi venir devant cette même Cour pour en réclamer le remboursement. C'est aux tribunaux de Terre-Neuve en l'occurrence qu'il fallait s'adresser.

[35]      Par ailleurs, même si j'en avais conclu que le paragraphe 71.1(1) de la Loi ne visait pas les frais sous étude et que ces mêmes frais pouvaient être réclamés devant cette Cour, j'en aurais conclu néanmoins qu'ils ne pouvaient recevoir la priorité custodia legis.

[36]      C'est dans le cadre de la poursuite de ses propres fins sous la Loi que la couronne a encouru les frais mentionnés plus avant. Ce n'est pas en raison des arrêts du navire en cette Cour que la couronne s'est retrouvée en charge de veiller à l'entretien du KRISTINA LOGOS. C'est plutôt par l'application des dispositions de la Loi que cet entretien lui est revenu. C'est donc le contexte de la Loi et non celui de cette Cour qui a amorcé les choses.

[37]      Il appert que peu de temps après la date de saisie, soit le 2 avril 1994, tout a été fait pour que le procès du capitaine Tavares ait lieu. Tel que mentionné auparavant, le 27 juillet 1994 ce dernier était condamné et de cette date jusqu'au 9 septembre 1996 (soit à peine deux (2) mois avant que la couronne ne s'adresse à cette Cour pour faire vendre le navire), le KRISTINA LOGOS était confisqué au profit de la couronne.

[38]      On peut donc soutenir qu'en tout temps pertinent, la couronne s'occupait du navire dans le contexte de la Loi. Qui plus est, du 27 juillet 1994 au 9 septembre 1996, c'est à titre de propriétaire du navire que cette dernière voyait au maintien du KRISTINA LOGOS. C'est donc dire que pendant cette période, la couronne a certes veillé au maintien du navire mais ce, non pas dans l'intention et le but que cela profite à tous les créanciers mais bien dans la perspective que cela protège son bien. Les coûts ainsi encourus par la couronne ne l'étaient pas en vue de créer un fonds commun à tous les réclamants.

[39]      Jusqu'au 9 septembre 1996, la couronne détenant la confiscation du navire, elle n'a pas eu à se soucier d'assurer à ses dépenses un rang prioritaire en Cour fédérale. Toutefois, lorsque la confiscation a tombé, la dynamique pour la couronne a changé. De manière à ce que ses dépenses se voient assurer un rang prioritaire en cas de tel revirement, la couronne aurait pu et dû le ou vers le 5 avril 1994 - soit au moment du premier arrêt du KRISTINA LOGOS - ou encore, dans les semaines suivant l'arrêt alors qu'il devenait évident que le navire ne serait pas relâché sur cautionnement, s'adresser à cette Cour afin que ses dépenses, passées et à venir, soient vues et sues de tous et toutes comme étant des dépenses équivalant à celles du shérif. De cette manière, tel que le précise le procureur des Neves dans le cadre de ses représentations écrites:

                 All potential claimants against the Vessel would then have known that the ongoing care and maintenance expenses would be depleting the fund from which their claims could be satisfied. As well, the expenses incurred would then have remained subject to Court scrutiny over the course of the period the Vessel remained under seizure and under Federal Court arrest. However, rather than taking such steps which, in the words of the "Alexandros G. Tsavliris" case, "would have enabled other claimants including the plaintiff to most effectively protect their interests", the Crown incurred the claimed expenses without any consultation with other parties or claimants and without any notice that it would subsequently seek to claim these costs in custodia legis, until it commenced steps to arrange judicial sale of the Vessel.                 

[40]      Somme toute, tel que le même procureur le souligne:

                 ... in incurring these expenses over a number of years while seeking forfeiture of the Vessel, the Crown took its chances that those expenses would be rewarded upon forfeiture of the Vessel to it.                 

[41]      Il est vrai que les frais encourus par la couronne ont profité en bout de course à tous les réclamants. Toutefois, vu les motifs qui précèdent, il est loisible d'appliquer à la couronne les propos suivants de cette Cour dans l'arrêt Banco Do Brasil S.A. v. Ship Alexandros G. Tsavliris et al. (1993), 68 F.T.R. 284, page 290:

                 "While I have some sympathy for the position of Fraser Surrey which unquestionably provided services to the defendant Ship that accrued to the benefit of the plaintiff as well as other claimants against the proceeds of sale of the defendant Ship, I am not satisfied that Fraser Surrey acted through the period of time that the defendant Ship was under arrest, and indeed later, in a reasonable and prudent way that would have enabled other claimants including the plaintiffs to most effectively protect their interests.                 

[42]      Pour les motifs qui précèdent, je ne puis également voir en faveur de la couronne des circonstances spéciales - au sens des arrêts The Montreal Dry Docks and Ship Repairing Company v. Halifax Shipyards, Limited (1920), S.C.R. 359 et Llido v. the Vessel "Lowell Thomas Explorer", [1980] 1 C.F. 339 - ou appliquer des institutions légales telles l'équité ou l'enrichissement sans cause pour accorder la priorité recherchée par la couronne.

[43]      Néanmoins et nonobstant ce qui précède, même si j'en avais conclu que le paragraphe 71.1(1) de la Loi ne visait pas les frais de la couronne au montant de 343 192,95 $ (voir paragraphes 32 à 34, supra) et que partant ces mêmes frais pouvaient être réclamés devant cette Cour, j'aurais néanmoins fait droit à ces frais de 343 192,95 $ à titre de simple créance in rem. À cet égard je maintiens la position que j'ai tenue dans ma décision du 18 décembre 1996 (voir Neves v. Ship Kristina Logos et al. (1996), 124 F.T.R. 167, à la page 171, paragraphes 27 et 28).

     d)      Un montant de 120 000 $ représentant l'amende imposée à Ulybel

[44]      Tel que mentionné précédemment au paragraphe 15, le 2 juillet 1997, Ulybel se voyait condamnée à une amende de 120 000 $.

[45]      La couronne réclame cette somme à titre de créancier ordinaire. Il n'y a donc pas de priorité de réclamée à cet égard.

[46]      La question qui se pose toutefois est de savoir si la couronne peut réclamer cette somme contre le produit de la vente du KRISTINA LOGOS. Je pense que oui. À cet égard, j'abonde dans le sens de la procureure de la couronne à l'effet que cette condamnation d'Ulybel peut être exécutée contre tout bien de cette dernière, ce qui inclut ici le navire ou son produit de vente.

[47]      Se pose ici une question particulière. Cette somme de 120 000 $ due à la couronne, doit-elle être colloquée au prorata au même rang que les réclamations des autres créanciers ordinaires ou doit-elle, tel que suggéré par les Neves, être prise à même les sommes qui devraient revenir à Pratas et Ulybel en raison de leur 51% dans le navire? Bien entendu si la somme n'est pas prise du 51% de Pratas et Ulybel, sa collocation affectera le montant revenant aux Neves en raison de leur intérêt de 49%.

[48]      Face à la prépondérance de preuve au dossier, j'en viens à la conclusion que cette amende de 120 000 $ adjugée contre Ulybel doit être payée à même les sommes qui devraient revenir à Pratas et Ulybel.

[49]      En effet, bien que l'on doive retenir que les Neves détenaient également un intérêt de 49% dans une corporation portugaise du nom de Marqueirpesca Lda. et que c'est cette dernière entité qui opérait le KRISTINA LOGOS en vertu d'une charte-partie coque-nue au moment de la saisie par la couronne, il n'en demeure qu'il ressort que les Neves n'avaient en réalité aucune implication dans les activités du navire. Je fais miennes à cet effet les représentations écrites suivantes des Neves.

                 The Plaintiffs have faced no charges in the Newfoundland courts and, as deposed in their Affidavits, it was Mr. Pratas who was responsible for the direction of the Vessel's fishing activities and its administrative affairs, including registration, the maintenance of applicable certificates, and liaison with appropriate government authorities. Messrs. Neves had no involvement with these matters and, until the Vessel was seized by Canadian fisheries authorities, they believed that it was registered in Panama. They had no knowledge of it being registered in Canada or information that could have led them to conclude that it was registered in Canada. As indicated in the decision of the Newfoundland Supreme Court convicting Ulybel, Mr. Pratas' involvement in and knowledge of the Vessel's Canadian registration was a prerequisite to the conviction of Ulybel, while the Vessel's Master, Captain Tavares, was acquitted of similar charges on the basis that he reasonably and honestly believed that the Vessel was Panamanian.                 
II.      La réclamation de Clearwater

[50]      La toile de fond de la réclamation de Clearwater a déjà été tracée dans ses grandes lignes au paragraphe 7 des présents motifs.

[51]      Pratas et Ulybel ont tenté d'établir en preuve qu'ils ne devaient plus aucune somme à Clearwater puisque le montant réclamé par Clearwater, soit 125 000 $, aurait été largement compensé par des sommes d'argent dues par Clearwater à Pratas et Ulybel.

[52]      Suivant Pratas et Ulybel, de février 1992 à mai 1992, Pratas aurait affrété à Clearwater le KRISTINA LOGOS afin que ce dernier navire participe à un projet de pêche expérimentale à la crevette en Guinée-Bissau, un pays d'Afrique occidentale. Le prix de cet affrètement aurait été de 250 000 $. Ce même projet aurait entraîné de plus des frais de 79 403,38 dus par Clearwater à Pratas.

[53]      Toutefois, en appui à un affidavit du président de Clearwater daté du 2 mars 1998, Clearwater joint à titre de pièce A une lettre datée du 18 septembre 1992 - donc une lettre qui se trouve à être postérieure à la période de la charte-partie prévalant de février à mai 1992 - dans laquelle Pratas reconnaît toujours son endettement envers Clearwater pour un montant de 225 000 $. Dans mon appréciation de la preuve soumise de part et d'autre, cette lettre du 18 septembre 1992 est des plus significative et me permet d'écarter l'existence alléguée de dettes qu'aurait antérieurement contractées Clearwater au profit de Pratas.

[54]      Je ne saurais de plus retenir contre Clearwater à cet égard l'allégation à l'effet que Clearwater ainsi que ses procureurs auraient reconnu en juillet 1997 que des sommes étaient effectivement dues par Clearwater à Pratas en raison de cette charte-partie de 1992. Cette allégation se retrouve dans une requête introductive d'instance que Clearwater aurait présentée à la Cour suprême de Terre-Neuve afin d'obtenir en vertu du paragraphe 75(4) de la Loi une déclaration à l'effet que ses droits n'étaient pas affectés par la confiscation ordonnée le 2 juillet 1997.

[55]      Ce n'est ni Clearwater ni, du surcroît, Pratas et Ulybel qui ont introduit en preuve cette requête. C'est la couronne qui a joint cette procédure à son dossier de réclamation. De fait, le procureur de Pratas et d'Ulybel s'est objecté à ce que ce document soit utilisé par la couronne en argumentation. Enfin, cette requête, tel qu'on le devine, a été produite dans une autre instance que la présente.

[56]      De façon parallèle, je considère que Clearwater détient une hypothèque valable et que l'on ne peut, tel que l'a plaidé Pratas et Ulybel, considérer que le 14 octobre 1992, cette hypothèque a cessé d'exister à toutes fins pratiques en raison du fait qu'à son verso une partie intitulée "Memorandum of its Discharge" fut complétée par le détenteur de cette hypothèque.

[57]      Il est clair des explications fournies en Cour par Clearwater ainsi que du texte dactylographié qui se retrouve au verso de cette même hypothèque en dessous de l'intitulé "Transfer of Mortgage" que le détenteur de l'époque, Hillsdown International Limited, n'a jamais réellement consacré cette "Discharge" vu que Pratas n'a pas payé son solde, sauf pour un montant de 100 000 $ reçu d'un tiers quelque temps après.

[58]      Il reste donc un solde dû à Clearwater en vertu de son hypothèque de 125 000 $.

[59]      Toutefois, et suivant en cela les représentations de Pratas et d'Ulybel, on doit constater que tant le billet à ordre que l'hypothèque ne prévoient de paiement d'intérêts en cas de non-paiement à l'échéance. C'est là la loi du contrat que les parties se sont donnée entre elles et la Cour ne voit pas de motifs suffisants en l'espèce pour pallier en équité à cette situation en faveur de l'octroi d'intérêts à Clearwater. Entre mai 1992 et le 2 avril 1994, Clearwater n'a pas établi si elle avait entrepris des démarches de recouvrement de son solde. Après le 2 avril 1994, beaucoup de facteurs sont entrés en ligne de compte pour retarder ce paiement du solde. Pratas et Ulybel ne sont pas responsables de tous ces facteurs.

[60]      Un solde de 125 000 $ est donc payable à Clearwater.

[61]      Cette somme doit-elle maintenant être payée en priorité, c'est-à-dire avant les sommes dues aux Neves et à Pratas et Ulybel ou doit-elle être prise, tout comme l'amende de 120 000 $, à même les sommes pouvant revenir à Pratas et Ulybel?

[62]      Pour des raisons similaires à celles ayant prévalu à l'égard de ladite amende, je considère que Clearwater doit être payée en priorité, mais ce, sur les sommes revenant à Pratas et Ulybel. En effet, j'abonde dans le même sens que le procureur des Neves lorsqu'il indique au paragraphe 20 de ses représentations écrites que:

                 As set out in the reply Affidavits of the Neves brothers, when they contributed the sum of $512,750 to the purchase and repair of the Vessel, representing 49% of the cost of such purchase and repair, they understood and believed that Mr. Pratas was contributing the remaining 51% by way of cash. Mr. Pratas did not advise them that any portion of the purchase price of the Vessel or the later costs of repairs was being financed by means of a promissory note in favour of Peche Nordique Incorporated or a mortgage upon the Vessel. Messrs. Neves had no knowledge of the promissory note or the mortgage prior to the seizure of the Vessel by Canadian fisheries authorities in 1994, and at no time did they authorize, consent to, or acquiesce in the mortgage of the Vessel by either Mr. Pratas or Ulybel.                 

[63]      Compte tenu des sommes qui reviendront ultimement à Pratas et Ulybel au terme du partage, j'estime que Clearwater peut ainsi être payée sans préjudicier à ses droits à titre de détentrice d'une hypothèque.

III.      La réclamation des Neves

[64]      Pareillement à Clearwater, l'on a pu saisir précédemment aux paragraphes 13 et 14 la dynamique générale impliquant ces réclamants.

[65]      La seule question qui reste à déterminer à ce stade-ci est de savoir si l'intérêt de 49% des Neves dans le KRISTINA LOGOS, intérêt qui se porte maintenant sur le produit de la vente de ce navire, doit être réduit du montant correspondant à la part proportionnelle que les Neves, suivant Pratas et Ulybel, devraient assumer dans les frais engagés par ces derniers pour défendre le navire dans le cadre des diverses procédures judiciaires ainsi qu'à l'égard de la défense de Pratas et d'Ulybel dans le cadre des poursuites engagées sous la Loi.

[66]      Je ne crois pas que l'on doive ainsi réduire le montant qui devrait revenir aux Neves.

[67]      Premièrement, Pratas et Ulybel n'ont pas précisé, donc liquidé pour les fins de la présente requête, le montant que leur demande reconventionnelle représenterait.

[68]      Deuxièmement, j'adopte ici mutatis mutandis les motifs que j'ai retenus précédemment aux paragraphes 48 et 62 lorsque j'ai établi que l'amende de 120 000 $ et l'hypothèque de Clearwater devaient être assumées par Pratas et Ulybel.

[69]      Il y a donc lieu de reconnaître que les Neves ont droit de recevoir 49% du produit de la vente du KRISTINA LOGOS une fois que les sommes prioritaires des frais de vente du navire (voir paragraphe 24, supra) et de 50 000 $ (voir paragraphe 26, supra) auront été payées.

IV.      La réclamation d'Ulybel et Pratas

[70]      Quant à ces derniers, les motifs qui précèdent délimitent leur situation. Avant que leur 51% soit calculé, les 50 000 $ qui furent confisqués ainsi que les frais de vente du navire devront être payés. De plus, une fois que le 51% pourra être arrêté, l'hypothèque de Clearwater ainsi que l'amende de 120 000 $ devront être colloquées de ce montant de 51%. Le reliquat reviendra alors à Ulybel et Pratas.

Conclusion

[71]      Suivant ma compréhension de la situation globale, deux éléments à venir font en sorte que l'état de collocation ci-après décrit ne pourra être réalisé en pratique avant que ces éléments soient parachevés.

[72]      Le premier de ces éléments est la taxation des dépens reliés directement à la vente du navire.

[73]      Le deuxième élément est la modification possible par les tribunaux de l'ampleur de la confiscation accordée à ce jour à la couronne, confiscation qui est de l'ordre pour l'instant de 50 000 $.

[74]      Alors sous réserve du parachèvement des deux éléments mentionnés ci-dessus, le produit de la vente du KRISTINA LOGOS devra être distribué dans l'ordre de priorité numérique qui suit:

     1)      À la couronne, les dépens reliés directement à la vente du KRISTINA LOGOS;
     2)      À la couronne, les 50 000 $ confisqués par suite de la condamnation d'Ulybel;
     3)      La somme restante du produit de la vente à être distribuée à 49% aux Neves;
     4)      La somme restante, soit 51%, à être distribuée comme suit:
         a)      À Clearwater, 125 000 $ représentant son hypothèque;
         b)      À la couronne, 120 000 $ représentant l'amende imposée à Ulybel;
         c)      Le reliquat devant aller à Ulybel et Pratas.

[75]      Chacune des sommes mentionnées aux paragraphes 73 et 74 ci-dessus devra recevoir au prorata les intérêts accumulés.

[76]      Comme la présente requête représente un effort commun de tous les réclamants, il n'y a pas lieu d'adjuger de dépens sur celle-ci.

[77]      Une ordonnance est émise en conséquence.

Richard Morneau

     Protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 11 août 1999

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1041-95

MARIO NEVES ET CARLOS NEVES

     Demandeurs

ET

LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS",

ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

JOSE PRATAS, et LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET TOUTE AUTRE PERSONNE AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE "KRISTINA LOGOS"

     Défendeurs

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

     Intervenante

LIEU DE L'AUDIENCE:Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE:les 19 et 20 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 11 août 1999

COMPARUTIONS:


Me Richard Southcott

pour les demandeurs


Me John R. Sinnott

pour les défendeurs


Me Danièle Dion

pour l'intervenante


Me Thomas Hart

pour Clearwater Fine Foods Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Stewart McKelvey Stirling Scales

Me Richard Southcott

Halifax (Nouvelle-Écosse)

pour les demandeurs


Lewis, Sinnott, Shortall, Hurley

Me John R. Sinnott

St. John's (Terre-Neuve)

pour les défendeurs


Brisset Bishop

Me Danièle Dion

Montréal (Québec)

pour l'intervenante


McInnes Cooper & Robertson

Me Thomas Hart

Halifax (Nouvelle-Écosse)

pour Clearwater Fine Foods Inc.


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