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Date : 19980616


Dossier : IMM-3607-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 JUIN 1998

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :


GEORGE ELIAS GEORGE DAWLATLY,

ANNA NICOLAOS GLYPTIS,

MARIA GEORGIOS DAOULATLY,

et ILIAS GEORGIOS DAOULATLY,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l"affaire est renvoyée à la même formation pour qu"elle la réexamine compte tenu de la directive selon laquelle elle a mal appliqué l"article 1E de la Convention .


" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date : 19980616


Dossier : IMM-3607-97

ENTRE :


GEORGE ELIAS GEORGE DAWLATLY,

ANNA NICOLAOS GLYPTIS,

MARIA GEORGIOS DAOULATLY,

et ILIAS GEORGIOS DAOULATLY,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé d"accorder aux demandeurs le statut de réfugiés.

[2]      Le demandeur principal est un citoyen du Soudan. Il revendique le statut de réfugié sur le fondement qu"il craint d"être persécuté dans son pays d"origine en raison de ses opinions politiques présumées et de sa religion chrétienne.

[3]      L"épouse et les enfants du demandeur principal revendiquent également le statut de réfugiés en se fondant sur la revendication de celui-ci relativement au Soudan. En outre, ils craignent également d"être persécutés en Grèce, pays dont ils sont des citoyens, en raison de leur religion et de leur race.

[4]      La Commission a conclu que la crainte du demandeur principal d"être persécuté au Soudan était fondée, mais elle a également jugé que la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ne s"appliquait pas à lui en vertu de l"article 1E de celle-ci. Les membres de la formation étaient d"avis qu"il aurait dû revendiquer le statut de réfugié en Grèce, étant donné qu"il était admissible à y obtenir le statut de résident temporaire vu son mariage à une citoyenne grecque.

[5]      La revendication de son épouse et celles de ses enfants ont aussi été rejetées, la Commission n"étant pas convaincue qu"ils risquaient d"être persécutés en Grèce parce qu"ils étaient chrétiens.

[6]      À l"audition devant la Cour, les parties ont soulevé trois questions litigieuses. La première question portait sur la prétention du demandeur principal selon laquelle il craignait d"être persécuté au Soudan. L"avocat des demandeurs a soutenu que la Commission avait commis une erreur de droit lorsqu"elle avait jugé que la Convention ne s"appliquait pas au demandeur principal en vertu de l"article 1E de celle-ci. Le défendeur a cédé sur ce point.

[7]      Il ressort clairement du libellé de cet article que la Convention ne s"applique pas à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. En l"espèce, la preuve établit que le demandeur principal n"a jamais résidé en Grèce. La Commission a donc de toute évidence mal appliqué l"article 1E aux faits de la présente affaire.

[8]      Les deuxième et troisième questions se rapportaient aux prétentions de l"épouse du demandeur et de ses enfants. En ce qui concerne leur prétention selon laquelle ils risquaient d"être persécutés au Soudan, leur avocat a soutenu que la Commission avait commis une erreur en concluant qu"ils pouvaient se réclamer de la protection de l"État grec, étant donné qu"il se pouvait que l"épouse du demandeur n"ait pas le droit d"entrer en Grèce du fait qu"elle n"était pas d"origine grecque. Au soutien de son argument, l"avocat a renvoyé au rapport de 1996 du Department of State américain concernant la Grèce1, selon lequel les citoyens de ce pays qui ne sont pas d"origine grecque et qui quittent le pays sans intention manifeste d"y revenir risquent de perdre leur citoyenneté.

[9]      Le défendeur a manifesté son désaccord, expliquant qu"il ressortait en fait de la preuve documentaire à laquelle les demandeurs renvoyaient que les personnes qui risquaient de perdre leur citoyenneté étaient principalement les Musulmans de Thrace occidentale qui quittaient la Grèce sans avoir l"intention d"y revenir. Je suis d"accord avec le défendeur. La preuve documentaire ne s"applique pas à l"épouse du demandeur vu qu"elle n"est pas musulmane. En outre, j"ajouterais que celle-ci, n"ayant subi aucune difficulté à l"occasion de visites antérieures en Grèce, ne peut être considérée comme une réfugiée au sens de la Convention.

[10]      En ce qui concerne la prétention des demandeurs selon laquelle ils risquaient d"être persécutés en Grèce, leur avocat a soutenu que la Commission avait commis une erreur lorsqu"elle avait omis d"apprécier cette prétention en elle-même. L"avocat s"est fondé sur l"arrêt Canada (Procureur général) c. Ward2, selon lequel il incombe à la Commission d"entendre et d"apprécier toutes les prétentions du revendicateur. En conséquence, il incombait à la Commission en l"espèce d"examiner la prétention des membres de la famille selon laquelle ils risquaient d"être persécutés au Soudan, particulièrement compte tenu du fait qu"elle avait conclu que la crainte du demandeur principal d"y être persécuté était fondée.

[11]      À l"audition, j"ai fait une remarque similaire, car j"estimais que les conséquences de la décision de la Commission étaient graves. En effet, la décision pourrait entraîner le démembrement de la famille, la demanderesse et ses enfants devant rentrer en Grèce et le demandeur devant rester au Canada.

[12]      L"avocate du défendeur a soutenu que la Commission n"avait commis aucune erreur et qu"elle n"était pas tenue d"examiner la prétention des membres de la famille selon laquelle ils risquaient d"être persécutés au Soudan, étant donné qu"elle avait déjà conclu que la demanderesse et les enfants n"avaient aucune crainte d"être persécutés dans leur pays de citoyenneté. Après avoir réfléchi à la question, j"en suis venue à souscrire au point de vue du défendeur.

[13]      Selon le principe établi dans l"arrêt Ward , le demandeur d"asile doit établir qu"il craint avec raison d"être persécuté dans chacun des pays dont il a la nationalité avant de pouvoir obtenir le statut de réfugié au Canada. Le raisonnement qui sous-tend ce principe est que si le demandeur d"asile peut se réclamer de la protection de son pays de nationalité, il n"a pas le droit de se réclamer de celle d"un autre État. Comme l"a dit le juge La Forest dans l"arrêt Ward :

                 En examinant la revendication d"un réfugié qui bénéficie de la nationalité de plus d"un pays, la Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité. [...] [L]a protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure "auxiliaire" qui n"entre en jeu qu"en l"absence d"appui national. Lorsqu"il est possible de l"obtenir, la protection de l"État d"origine est la seule solution qui s"offre à un demandeur3.                 

[14]      Il s"ensuit que lorsque la Commission a déterminé que le revendicateur ne serait pas persécuté dans l"un ou l"autre des pays dont il a la nationalité, elle n"est pas tenue d"examiner les autres prétentions de ce dernier. En conséquence, compte tenu de l"arrêt Ward , je conclus que la Commission n"a pas commis d"erreur en l"espèce.

[15]      Cependant, je fais remarquer que cet arrêt n"envisage pas la situation difficile qui se pose lorsque le revendicateur appartient également à la catégorie de la famille. Comme je l"ai déjà dit, les conséquences du refus d"accorder le statut de réfugié aux personnes à charge du demandeur principal semblent graves à première vue. Toutefois, selon la jurisprudence, la définition de réfugié au sens de la Convention ne fait intervenir aucune notion d"unité de la famille4, notre Cour ayant choisi d"interpréter la définition de façon restrictive.

[16]      Cependant, la Loi sur l"immigration prévoit heureusement d"autres moyens permettant d"accorder le statut de résident permanent aux personnes à charge d"un réfugié au sens de la Convention. Par exemple, le paragraphe 46.04 prévoit :

46.04(1) Any person who is determined by the Refugee Division to be a Convention refugee may, within the prescribed period, apply to an immigration officer for landing of that person and any dependant of that person ... "My emphasis >

46.04(1) La personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention est reconnu par la section du statut peut, dans le délai réglementaire, demander le droit d'établissement à un agent d'immigration pour elle-même et les personnes à sa charge ... "Je souligne >

[17]      Vu la conclusion que j"ai tirée en ce qui concerne la prétention du demandeur principal concernant le Soudan, je suis d"avis d"accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. La décision de la Commission est annulée et l"affaire est renvoyée à la même formation pour qu"elle la réexamine compte tenu de la directive selon laquelle elle a mal appliqué l"article 1E de la Convention .

" Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 juin 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              IMM-3607-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      GEORGE ELIAS GEORGE DAWLATLY ET AUTRES c. MCI
LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 11 juin 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              16 juin 1998

ONT COMPARU :

M. Harvey Savage                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Marissa Bielski                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Harvey Savage                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada                      POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      Dossier du demandeur, onglet no 5, 170.

2      [1993] 2 R.C.S. 689.

3      Ibid., aux pp. 751 et 752.

4      Le juge Nadon a dit, dans la décision Casetellanos c. Canada (Solliciteur général) (1re inst.) , [1995] 2 C.F. 190 (1re inst.), aux pp. 199 et 201 : " Le principe de l"unité de la famille veut que les personnes auxquelles est accordé le statut de réfugié ne soient pas séparées des membres les plus proches de leur famille, particulièrement lorsque des personnes à charge sont visées. Ce principe concerne donc l"union des membres d"une famille. [...] La notion de l"unité de la famille est absente de la définition de réfugié au sens de la Convention à laquelle le Canada souscrit en tant que signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (adoptée à Genève le 28 juillet 1951), [1969] R.T. Can. 1969, no 6. [...] Il est bien évident que le principe de l"unité de la famille n"est pas mentionné dans la définition actuelle de réfugié au sens de la Convention. Afin d"appliquer ce principe en l"espèce, je devrais donc élargir cette définition, mais rien ne le justifierait ".

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