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Date : 20040127

Dossier : IMM-2713-03

Référence : 2004 CF 117

ENTRE :

VICTOR MANUEL DURAN BREUCOP

ALEJANDRA LOREN SALCEDO LOPEZ

ARIEL ALEJANDRO DURAN SALCEDO

PATRICIA LISETT SALCEDO LOPEZ

CAMILA GAMBOA SALCEDO

                                                                                                                              demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 31 mars 2003, par laquelle il a été décidé que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]         La demanderesse principale, Alejandra (la reporter demanderesse) est mariée à Victor (le mari demandeur) et Ariel est leur enfant. Patricia est la soeur d'Alejandra et la mère de Camila. Tous les demandeurs sont citoyens du Salvador. La reporter demanderesse est également citoyenne du Guatemala, étant donné qu'elle y est née. Elle a travaillé comme journaliste au Salvador et prétend craindre avec raison d'être persécutée en raison de ses opinions politiques. Les demandes des autres demandeurs sont fondées sur l'appartenance à un groupe social particulier, précisément leur appartenance à la famille de la reporter demanderesse et ils fondent leurs demandes sur la situation particulière de la reporter demanderesse. En outre, les demandeurs prétendent qu'ils sont des personnes à protéger parce qu'ils craignent une menace à leur vie ou d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités au Salvador.


[3]         Les demandeurs prétendent qu'après que la reporter demanderesse a publié deux articles dans le journal El Diario de Hoy, ils ont été menacés de mauvais traitements s'ils ne cessaient pas d'écrire des articles sur les enlèvements et les activités criminelles. Le premier article a été publié le 28 janvier 2001 et le second le 22 avril 2001. Les demandeurs prétendent que les menaces se sont intensifiées après la publication du second article et qu'ils ont reçu de nombreux appels où ils se sont fait raccrocher au nez, ainsi que des appels menaçants, et la gardienne de leur enfant a prétendu qu'un homme avait surveillé leur résidence à plusieurs reprises. En plus, le 10 mai 2001, le mari demandeur aurait été arrêté par des gens armés, une arme aurait été pointée sur sa tête et il aurait reçu des coups de pieds, et on lui aurait vivement recommandé d'empêcher son épouse d'écrire d'autres articles.

[4]         Les demandeurs n'ont demandé l'aide ni du gouvernement ni d'une quelque autre personne au Salvador. Ils prétendent que c'est parce que la police ne leur inspire pas confiance et parce qu'ils craignent que la police ne soit impliquée dans les menaces.

[5]         En outre, bien que la reporter demanderesse soit citoyenne du Guatemala, elle a quitté il y a un certain nombre d'années et elle n'y a plus vécu depuis. Elle a également prétendu qu'au Guatemala aussi, les journalistes sont exposés à des risques.

[6]         Dans des motifs écrits de sa décision, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. En particulier, elle a conclu qu'il n'existait pas suffisamment de motifs crédibles et dignes de foi pour établir que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés ou qu'ils étaient des personnes à protéger.


[7]         La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient été ni menacés ni surveillés et que le mari demandeur n'avait pas été victime d'agressions physiques. Même si la Commission a admis que la reporter demanderesse était journaliste et qu'elle avait écrit les articles, elle a noté qu'elle n'avait pas exprimé des opinions dans les articles en

question et qu'elle n'avait fait que des reportages sur l'actualité. En outre, bien que la reporter demanderesse ait témoigné qu'elle connaissait des journalistes qui avaient été persécutés au Salvador, elle ne connaissait personne de son journal ou d'une autre publication qui ait été menacée ou qui ait subi des menaces de mauvais traitements de quelque manière que ce soit.

[8]         La Commission a examiné la preuve documentaire relative aux journalistes au Salvador et elle a conclu qu'elle était contradictoire. La Commission a conclu que cela minait les prétentions de la journaliste demanderesse selon lesquelles d'autres employés du journal étaient vraisemblablement mêlés aux menaces que sa famille et elle prétendent avoir reçues ou que les journalistes sont en général au Salvador ciblés à cause de leurs articles. En outre, la journaliste demanderesse a témoigné qu'elle ne savait pas si la personne qui avait cosigné son deuxième article de reportage avait eu des ennuis à cause du reportage. La Commission a conclu qu'il était surprenant qu'elle ne soit pas en mesure de confirmer des problèmes semblables qui auraient pu être vécus au journal par d'autres reporters; comment pouvait-elle être la seule cible alors que le second article avait été cosigné?


[9]         La reporter demanderesse a également témoigné qu'elle n'avait informé personne, là où elle travaillait, des problèmes qu'elle vivait, étant donné qu'elle ne faisait confiance à personne. La Commission a conclu qu'il était déraisonnable qu'elle craigne ses collègues qui, comme elle, rapportaient l'actualité; la Commission a conclu que cela minait également sa crédibilité. La demanderesse a également témoigné qu'elle n'avait signalé aucun des incidents allégués à la police qui, d'après elle, est corrompue. La Commission a conclu que cela était déraisonnable vu que la demanderesse avait allégué par la suite que leur maison faisait l'objet d'une surveillance.

[10]       En outre, la Commission a noté que le mari demandeur avait contredit le témoignage de son épouse, le témoignage de sa belle-soeur ainsi que son propre Formulaire de renseignements personnels lorsqu'il avait témoigné qu'ils n'avaient reçu que des appels où ils s'étaient fait raccrocher au nez après la publication du premier article et qu'à ce moment-là rien ne laissait croire qu'ils étaient harcelés. Il a témoigné qu'il n'avait pris conscience que sa famille était menacée que lorsqu'il avait reçu des appels menaçants à sa résidence après la publication du deuxième article. En outre, il a témoigné que la reporter demanderesse était retournée au travail juste après son agression. Cependant, aussi bien la reporter demanderesse que sa soeur ont témoigné qu'elle avait cessé de travailler. La Commission a conclu qu'il était déraisonnable que son mari n'ait pas été informé qu'elle avait cessé de travailler.


[11]       La Commission a également noté que la reporter demanderesse et son mari avaient présenté une demande d'immigration au Canada en 2000. Cependant, le mari demandeur a témoigné qu'il n'avait jamais reçu de réponse après avoir déposé sa demande et qu'il avait présumé que sa famille ne remplissait pas les conditions voulues. La Commission a conclu que les demandeurs avaient fabriqué des allégations en vue de fonder leur demande d'asile, n'ayant pas réussi à mener à bout une possible demande d'immigration au Canada.

[12]       En outre, la Commission a noté que les demandeurs sont arrivés aux États-Unis le 2 juin 2001 et sont arrivés au Canada le 4 juin 2001; que les demandeurs n'avaient pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis, même si le frère du mari de la demanderesse y réside. La Commission a conclu que le fait de n'avoir pas revendiqué le statut de réfugié à la première occasion minait davantage la crédibilité des demandeurs et que les actes qu'ils avaient posés ne révélaient pas une crainte subjective de persécution.

[13]       La Commission a examiné la disponibilité de la protection de l'État au Salvador et elle a noté que les demandeurs n'avaient fait aucun effort pour s'assurer eux-mêmes une protection. La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient fourni aucun élément de preuve clair et convaincant que l'État ne serait pas en mesure de les protéger et que, en conséquence, la présomption de la protection de l'État n'avait pas été réfutée.


[14]       La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles, qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés et que les demandeurs ne couraient aucun risque sérieux pour leur vie ou d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités s'ils retournaient au Salvador.

[15]       La Commission a alors subsidiairement examiné la question de savoir si la reporter journaliste pouvait solliciter la protection du Guatemala et si elle craignait avec raison d'y être persécutée. Elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que la reporter journaliste courrait un risque au Guatemala du fait de sa profession. La Commission a également conclu que si les membres de la famille retournaient au Salvador sans la reporter journaliste, ils ne courraient aucun risque, même si leur récit de harcèlement était vrai.

[16]       Les demandeurs ont soulevé cinq grandes questions dans la présente demande de contrôle judiciaire. Premièrement, les demandeurs prétendent que la Commission a appliqué la mauvaise norme de preuve pour rendre sa décision. Les demandeurs prétendent que la Commission a utilisé plusieurs normes de preuve tout au long de ses motifs, y compris celle de la _ prépondérance des probabilités _.


[17]       La Commission n'a pas appliqué la mauvaise norme de preuve pour rendre sa décision. Le fait que la Commission n'ait pas employé exactement les mêmes termes chaque fois qu'elle tirait une conclusion ne signifie pas qu'elle a appliqué différentes normes de preuve pour décider si les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés. La Commission a appliqué seulement la norme de la _ prépondérance des probabilités _ pour tirer des conclusions relatives à la preuve.

[18]       Deuxièmement, les demandeurs prétendent que l'appréciation que la Commission a faite de leur crainte subjective était incorrecte, cette appréciation étant fondée sur la conclusion qu'il était déraisonnable que la reporter demanderesse n'ait informé personne là où elle travaillait, qu'elle n'ait pas non plus informé la police, des problèmes qu'elle rencontrait. En outre, les demandeurs prétendent qu'étant donné que la Commission a admis que la reporter demanderesse était l'auteure des deux articles et de l'information sur la situation des journalistes au Salvador, elle aurait dû conclure que la reporter journaliste craignait avec raison d'être persécutée.

[19]       Je suis d'accord avec le défendeur que la Commission examinait les faits allégués pour pouvoir décider s'ils étaient plausibles et que ceci pouvait aller jusqu'à l'appréciation de la crédibilité ou de la crainte subjective. La Commission a apprécié les éléments de preuve que les demandeurs ont produits et, bien qu'elle en ait accepté quelques-uns, la Commission n'a pas pu conclure que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés.


[20]       Troisièmement, les demandeurs prétendent que leur témoignage ainsi que la présentation à la Commission de l'information sur la situation dans le pays étaient suffisants pour servir de fondement à leurs demandes. Je ne suis pas d'accord avec les demandeurs. Même si la Commission a accepté l'information sur la situation dans le pays, elle doit situer l'information en question dans le contexte des faits de l'espèce. Bien que la reporter demanderesse ait travaillé sur des récits de crime et de corruption et que des reporters aient été victimes d'enlèvements dans le passé, ceci n'était pas suffisant pour établir que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés.

[21]       Je conviens avec le défendeur que l'information présentée n'a pas établi que toute personne qui travaille comme journaliste rapportant des actes criminels au Salvador court des risques sérieux d'être persécutée ou que la personne en question craint avec raison d'être persécutée. En outre, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve que tout reporter au Guatemala craint avec raison d'être persécuté.

[22]       Quatrièmement, les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en examinant la preuve et que certaines conclusions de la Commission étaient incohérentes et qu'elles ont été tirées sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait.


[23]       En examinant une demande d'asile, un tribunal de la Commission devrait tenir compte de tous les éléments de preuve dont il dispose pour apprécier adéquatement la crédibilité d'un demandeur. En l'espèce, certains renseignements n'appuyaient pas la demande d'asile de la reporter demanderesse et en conséquence, la Commission a conclu que ceci nuisait à sa crédibilité. Il est bien établi en droit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire de tirer des conclusions sur la crédibilité d'un demandeur et qu'elle est dans la meilleure position pour le faire. En conséquence, la Cour fait preuve de grande retenue judiciaire à l'égard des conclusions de la Commission sur la crédibilité et une cour dotée d'un pouvoir de contrôle ne devrait en aucune façon intervenir dans les conclusions en question. Après un examen exhaustif des observations des parties et de la décision de la Commission, je ne vois aucune erreur qui nécessite l'intervention de la Cour.

[24]       En outre, les demandeurs prétendent que la conclusion défavorable tirée de leur omission de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis n'est pas un motif suffisant pour douter de la crédibilité d'une demande d'asile. Cependant, dans la décision Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2001, au paragraphe 27, citée par le défendeur, le juge Blanchard a affirmé que :

le fait d'être de passage dans un pays signataire de la Convention sans toutefois revendiquer le statut de réfugié dans les plus brefs délais peut être un facteur dans l'appréciation des facteurs subjectifs d'[une] revendication.

Bien que dans Pissareva,la durée du séjour de la demanderesse aux États-Unis ait été bien plus longue qu'en l'espèce, le fait que le mari de la demanderesse ait un frère qui vivait déjà aux États-Unis appuie la conclusion défavorable de la Commission. En conséquence, la conclusion défavorable de la Commission relativement au fait que les demandeurs n'aient pas revendiqué le statut de réfugié à la première occasion ne doit pas faire l'objet d'intervention de la part de la Cour.


[25]       Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a violé le principe de l'unité de la famille en examinant la demande de la reporter demanderesse par rapport au Guatemala. Cependant, le principe de l'unité de la famille, tel que l'a défini le juge Nadon dans Casetellanos c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 190, à la page 199, se présente comme suit :

Le principe de l'unité de la famille veut que les personnes auxquelles est accordé le statut de réfugié ne soient pas séparées des membres les plus proches de leur famille, particulièrement lorsque des personnes à charge sont visées. Ce principe concerne donc l'union des membres d'une famille.

Ainsi, le principe de l'unité de la famille s'applique à une personne à qui la qualité de réfugié a été reconnue. Étant donné qu'en l'espèce, les demandeurs n'ont pas été reconnus comme des réfugiés, le principe ne s'applique pas.

[26]       Enfin, en application de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, une partie de la décision sur le fait qu'un demandeur craint avec raison d'être persécuté porte sur la capacité ou la volonté de son État national d'assurer sa protection. Lorsque la présomption de la protection de l'État n'est pas réfutée par le demandeur, on ne peut pas dire que le demandeur craint avec raison d'être persécuté. En l'espèce, la Commission a conclu que les demandeurs ont omis de fournir une preuve claire et convaincante que l'État salvadorien ne pourrait pas les protéger; ainsi, ils n'ont pas réfuté la présomption de protection de l'État.

[27]       Les demandeurs ont présenté la question suivante pour certification


[TRADUCTION]

Lorsqu'un membre d'une famille a une double nationalité et que les autres membres n'ont pas la double nationalité, le principe de l'unité de la famille impose-t-il à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié d'examiner la demande d'une manière telle que toute la famille demeure réunie?

[28]       Comme je l'ai expliqué précédemment, le principe de l'unité de la famille ne s'applique pas à une personne qui n'a pas été reconnue comme réfugié. En conséquence, la présente question ne sera pas présentée pour examen.                  

[29]       La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

_ Paul Rouleau _

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                                                       IMM-2713-03

INTITULÉ :                                                                      VICTOR MANUEL DURAN BREUCOP et al.

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                 LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                                     LE 27 JANVIER 2004

COMPARUTIONS:                  

David Matas                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

225, rue Vaughan

Bureau 601

Winnipeg (Manitoba)

R3C 1T7                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                                                                           POUR LE DÉFENDEUR


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