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Date : 19990322


Dossier : IMM-2798-98

ENTRE:

             HAIZER DJELAOUI, domicilié et

             résidant au 5551, rue St-Jacques,

             appt. 6, à Montréal, dit dis-

             trict, province de Québec


DEMANDEUR

ET:              LE MINISTRE, Complexe Guy-Favreau,

             200, boul. de René-Lévesque

             ouest, Tour Est, 5e étage,

             Montréal, dit district, province

             de Québec


DÉFENDEUR

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre de la décision du 12 mai 1998 de la Section du Statut de réfugié, refusant la revendication du demandeur au motif qu"il n"est pas réfugié au sens de la Convention. Le demandeur demande à cette Cour de casser la décision du 12 mai 1998 et d"ordonner le renvoi de cette affaire devant une nouvelle formation du Statut de réfugié.

FAITS

[2]      Le demandeur, un citoyen algérien âgé de 24 ans, allègue avoir une crainte de persécution fondée sur des opinions politiques imputées. À l"appui de sa revendication, le demandeur allègue les faits suivants tirés de la décision du Statut de réfugié.

[3]      En 1990, alors collégien âgé de 17 ans, le demandeur s"intéresse au Front islamique du salut (FIS) et participe à des activités humanitaires jusqu"à l"été 1991. Le demandeur soutient que le 29 mai 1997, la Sécurité nationale l"a interrogé et relâché sous condition qu"il se présente à leur bureau tous les samedis. Il aurait ensuite reçu deux lettres en date du 15 juin et du 6 juillet l"invitant à se joindre au Groupe islamique armé ("le GIA"). Le demandeur allègue que la première lettre indiquait qu"il ne devrait plus se rapporter à la Sécurité nationale s"il se joignait au GIA et que, sinon, il serait considéré comme un délateur en raison de ses contacts avec la Sécurité nationale et recevrait des menaces de mort. Le demandeur dit avoir déposé une plainte à la police mais qu"on ne l"a pas cru. Dans la deuxième lettre, on lui aurait accordé une semaine pour se joindre au GIA. Dès cet instant, il dit avoir cherché à quitter l"Algérie.

[4]      Le 17 juillet 1997, le demandeur quitte l"Algérie par bateau en destination de la Belgique pour arriver au Canada le 27 juillet 1997. Après avoir entendu le témoignage du demandeur lors d"une audience le 24 mars 1998, le Statut de réfugié a conclut que le demandeur n"est pas réfugié au sens de la Convention.

Décision du Statut de réfugié

[5]      Le Statut a jugé que le demandeur n"a pas démontré de façon crédible et digne de foi une crainte raisonnable de persécution par le Groupe islamique armé et la Sécurité nationale en raison de ses opinions politiques imputées .

[6]      En ce qui a trait à la Sécurité nationale, le Statut considère le comportement du demandeur et son récit invraisemblables. Le demandeur ne connaît pas "les événements qui ont marqué la progression du FIS, ne s"intéresse pas à la politique, n"a pas de carte de membre" et ne sait pas s"il est sous surveillance parce qu"il a sympathisé avec le FIS. En outre, le Statut juge invraisemblable les faits suivants: la Sécurité nationale ne lui a posé aucune question sur les rapports qu"il a entretenu avec le FIS de 1990 à 1991 et ses anciens camarades de lycée alors qu"il s"intéressait au FIS; la Sécurité nationale lui pose des questions sur le GIA mais il ne sait rien; il accepte de se rapporter à la Sécurité nationale sans savoir pourquoi il est sous surveillance et il ne demande aucune explication. De plus, le Statut juge qu"il est invraisemblable que la Sécurité nationale l"ait mis sous étroite surveillance avec possibilité d"emprisonnement s"il devait faire défaut de se rapporter, mais qu"on n"ait pas pris possession de sa carte d"identité et pris ses empreintes. Le Statut précise aussi qu"une fois en Belgique, la Sécurité se serait informée de lui auprès de sa famille, mais qu"il n"a fait aucune démarche auprès de sa famille pour connaître les conséquences du défaut de se présenter.

[7]      En ce qui a trait au GIA, le Statut juge que le comportement du demandeur qui n"a fait aucune démarche pour obtenir une copie de la première lettre déposée à la police est incompatible avec ses motifs de crainte. Le Statut juge qu"il est invraisemblable que le GIA ne se soit pas rendu à son domicile ou n"ait causé aucun problème à sa famille une fois que le délai imparti pour se joindre à eux ait expiré. Le Statut juge aussi invraisemblable que le GIA le prenne pour un délateur et lui assure leur protection contre la Sécurité nationale.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[8]      Premièrement, le demandeur allègue que la décision du Statut de réfugié est déraisonnable à la lumière des faits et des explications du demandeur concernant la nature des événements qui ont motivé son départ de l"Algérie. Deuxièmement, le demandeur allègue que le Statut a commis une erreur en omettant de conclure que le demandeur serait forcé de faire son service militaire et serait en danger s"il devait retourner en Algérie.

[9]      Le défendeur soutient que la conclusion de non crédibilité du Statut de réfugié est raisonnable à la lumière de l"ensemble de la preuve au dossier, et que le Statut n"a pas commis d"erreur en omettant de considérer la question du service militaire obligatoire puisqu"il n"existait aucun élément au dossier suggérant un tel motif de persécution.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]      La demande de contrôle judiciaire du demandeur soulève deux questions:

         1)      la décision du Statut de réfugié concluant que le récit du demandeur n"est pas crédible et que ses craintes de persécution ne sont pas fondées est-elle déraisonnable?                         
         2)      La Commission a-t-elle commis une erreur en négligeant de considérer la possibilité que le demandeur soit persécuté du fait qu"il devra faire son service militaire s"il devait retourner en Algérie?                         

ANALYSE

Service militaire obligatoire

[11]      Le demandeur allègue que le Statut a commis une erreur en ne considérant pas la question du service militaire obligatoire. Il prétend essentiellement qu"en joignant les forces armées, il risque d"être persécuté par les terroristes islamiques et sera contraint de commettre des actes que condamne le droit international sur les droits de la personne. À l"appui de ses prétentions, le demandeur cite un passage du Rapport de 1997 préparé par Amnistie internationale ainsi qu"un passage d"un document préparé par le CISR intitulé Algérie: service militaire, désertion et refus de servir en date du 16 juin 1997 pour démontrer que les jeunes personnes joignant l"armée algérienne risquent de sérieuses menaces de mort par les terroristes islamiques. Ces documents sont annexés à son affidavit.

[12]      Le dossier de la Cour qui comprend la liste des documents examinés par le Statut de réfugié démontre que le document en date du 16 juin 1997 préparé par le CISR ne fait pas partie de la preuve documentaire examinée par le Statut. Seul le Rapport de 1997 d"Amnistie internationale en fait partie.

[13]      Le défendeur n"a soumis aucune objection concernant l"admissibilité de ses documents et, compte tenu de ma décision, ces documents ne sont pas pertinents.

                                        

[14]      Je constate que le passage tiré du Rapport d"Amnistie internationale que cite le demandeur n"étaye pas ses allégations que les militaires risquent d"être persécutés par les terroristes islamiques. Ce passage démontre plutôt que de nombreux civils sont tués par les forces de sécurités. Force m"est aussi de constater que le Statut de réfugié disposait aussi d"un document d"information d"une page sur la violence et les activités récentes du GIA en vue de décourager les jeunes à effectuer le service militaire. Ce document fait état de menaces de mort contre les jeunes de 19 à 22 ans, et mentionne qu"aucun renseignement n"est disponible sur l"exécution de ces menaces.

[15]      Le Statut a-t-il fait une erreur en négligeant de considérer si son enrôlement dans les forces armées s"il devait retourné en Algérie justifiait une crainte de persécution fondée. Le défendeur soumet qu"on ne peut reprocher au Statut de réfugié d"avoir négligé de se prononcer sur un motif qui ne ressort pas de façon perceptible de la preuve et invoque deux décisions de la Cour d"appel fédérale: Pierre-Louis c. Canada (M.E.I.) (C.A.F.) (A-1264-91, 29 avril 1993) et Guajardo-Espinoza c. Canada (M.E.I.) (C.A.F.) (A-304-92, 5 août 1993).

[16]      Dans Guajardo-Espinoza, supra, la Cour d"appel fédérale sous la plume du juge Létourneau s"exprimait comme suit :

         Les appelants ont présenté leur demande devant la Section du statut sur la base d'une crainte de persécution en tant que membres d'un groupe social particulier et elle fut à bon droit rejetée par le tribunal. Cette phrase de quatre lignes se retrouve isolée dans un Formulaire de renseignements personnels de dix-huit pages. Et si tant est qu'on peut l'interpréter ainsi, ce que nous ne saurions admettre, elle constituerait la seule preuve des opinions politiques imputées aux appelants.                 
         Avec respect, nous ne croyons pas que les appelants puissent ex post facto, c'est-à-dire une fois la décision de la Section du statut rendue, changer la nature du débat qu'ils ont porté devant le tribunal à partir d'une seule et unique phrase qu'ils ont pu dénicher dans le dossier après s'y être livrés à un ratissage au peigne fin. Comme notre Cour l'a exprimé récemment dans l'arrêt Louis c. M.E.I., l'on ne saurait reprocher à la Section du statut de ne pas s'être prononcée sur un motif qui n'avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l'ensemble de la preuve faite. Accepter le contraire conduirait à un véritable jeu de cache-cache et de devinette et forcerait la Section du statut à se livrer à des enquêtes interminables pour éliminer des motifs qui ne s'appliquent pas de toute façon, que personne ne soulève et que la preuve ne fait ressortir en aucune manière, le tout sans compter les appels vains et inutiles qui ne manqueraient pas de s'ensuivre.                 

[17]      Dans l"affaire Pierre-Louis , supra, la Cour d"appel fédérale précisait aussi ce qui suit:

         Nous ne croyons pas, en l'espèce, qu'il soit possible de reprocher à la section du statut de ne s'être pas prononcée sur un motif qui n'avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l'ensemble de la preuve faite. Mais quand bien même nous aurions été d'avis que la section du statut avait l'obligation de se pencher sur ce moyen inédit, et même en acceptant, pour les fins du débat, que le procureur soulève à l'audience ce moyen fort différent de celui qu'il avait soulevé devant la section du statut et dans son mémoire, il est manifeste, à la lecture du dossier, que les quelques extraits cités l'ont été hors contexte et qu'en réalité, la crainte qu'entretenaient les appelants l'était à l'égard d'un policier qui cherchait tout au plus à se venger personnellement d'un affront que les appelants lui avaient fait subir. Il n'y a pas là crainte de persécution.                 

[18]      Le formulaire de renseignement personnel du demandeur, qui comporte une section sur le service militaire, ne fait pas référence au risque de persécution dans les forces armées ou au fait que le demandeur craint d"être persécuté s"il devait faire son service militaire. En réponse à la question 19 portant sur le service militaire, le demandeur a indiqué qu"il n"avait pas fait son service militaire parce qu"il n"avait pas reçu de convocation. Lors de l"audience, on a posé quelques questions au demandeur concernant le service militaire. Le demandeur a uniquement répondu qu"il n"avait pas fait son service et n"a fait aucune allusion aux risques ou à ses craintes de persécution dans l"armée. En outre, il ne ressort pas de l"ensemble de la preuve documentaire qu"il existe des risques de persécution ou que le demandeur craignait d"être persécuté s"il devait joindre les forces armées en retournant en Algérie. À mon avis, on ne peut reprocher au Statut de réfugié de n"avoir considéré ce motif.

Évaluation de la crédibilité

[19]      Le demandeur soutient que la décision du Statut n"est pas fondée. Il cite en exemple qu"il est vraisemblable qu"il ne sache pas pourquoi il est sous surveillance puisque la police a refusé de lui donné ces renseignements; qu"il était sympathisant du FIS puisqu"il avait distribué des documents sur le programme du FIS et ses réunions; que le GIA ne soit pas intervenu après l"expiration du délai prévu dans la deuxième lettre puisqu"il a quitté le pays peu après; qu"il accepte de se rapporter au poste de police sans savoir pourquoi puisqu"on l"avait menacé d"emprisonnement; qu"on n"ait pas confisqué sa carte d"identité nationale ou pris ses empreintes puisqu"il avait déjà accepté de se rapporter tous les samedis, etc.

[20]      Le défendeur soutient que le Statut a déjà pris en considération ces explications et les a rejetées et réfère la Cour à l"affaire Muthuthevar c. M.E.I. , (C.F. 1ere instance) (IMM-2095-95, 15 février 1996) dans laquelle le juge Cullen précisait ce qui suit:     

         While the applicant seeks to "explain away" testimony that the Board found implausible, it must not be forgotten that these same explanations were before the Board and were not accepted as credible. The Applicant has not directed to this Court evidence that was ignored or misconstrued, and in the absence of such finding, the Board"s conclusions on credibility must stand.                 

[21]      Il ne fait aucun doute que le Statut de réfugié a la discrétion requise pour apprécier la crédibilité du demandeur et de son récit. Dans le cadre de l"appréciation de la crédibilité, le Statut peut tenir compte de nombreux éléments, y compris les contradictions et les incohérences ainsi que la raison et le sens commun: Shahamati c. M.E.I. , (C.A.F.) (A-388-92, 24 mars 1994); Kabeya c. Canada (M.C.I.) (C.F. 1ere instance) (IMM-813-97, 7 janvier 1998).

[22]      Le demandeur nous demande de soupeser les éléments de preuve sur lesquels se fonde la décision de crédibilité. Bien qu"il soit possible d"isoler un commentaire et d"en tirer une toute autre conclusion ou d"y trouver une erreur, cette Cour ne peut substituer ses propres conclusions ou intervenir lorsque l"ensemble de la preuve permet raisonnablement de conclure à l"absence de crédibilité.

[23]      Le demandeur ne m"a pas convaincu que la décision du Statut est déraisonnable à la lumière de l"ensemble de la preuve. À mon avis, il était loisible au Statut de juger invraisemblable que le demandeur ne sache rien du FIS, ses événements ou ses politiques alors qu"il soutient avoir été actif au sein du regroupement; que le GIA n"ait pas tenté d"entrer en contact avec lui ou sa famille après lui avoir envoyé deux lettres en guise d"ultimatum; que le GIA le prenne pour un délateur et accepte de le protéger contre la police; que le demandeur accepte de se rapporter à la police une fois par semaine sans connaître les raisons de cette surveillance, etc. En somme, il était loisible au Statut de conclure à l"absence de crédibilité.

CONCLUSION

[24]      Le Statut n"a pas commis d"erreur justifiant l"intervention de la Cour lorsqu"il a négligé de considérer si le demandeur risquait d"être persécuté en faisant son service militaire puisque ce motif n"a pas été allégué et n"apparaissait pas de façon perceptible de l'ensemble de la preuve au dossier.

[25]      La décision du Statut de réfugié est raisonnable à la lumière de l"ensemble de la preuve au dossier.

[26]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]      Aucune question à certifier n"a été soumise par les parties.

                            

                             "Max M. Teitelbaum"

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 1999

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