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Date : 20050815

Dossier : T-2172-99

Référence : 2005 CF 1109

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 15 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                          HARRY DANIELS, LEAH GARDNER et

                                  LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

                                                                                                                   demandeurs (intimés)

                                                                          - et -

                                     SA MAJESTÉLA REINE, représentée par LE

                 MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

                                     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                défendeurs (appelants)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans le présent appel, les appelants contestent la façon dont le protonotaire responsable de la gestion de l'instance, M. Hargrave, a exercé son pouvoir discrétionnaire pour autoriser Gabriel Daniels et Terry Joudrey (les demandeurs proposés) à être ajoutés en qualité de demandeurs à la présente action en raison du décès du premier demandeur, Harry Daniels.

[2]                Les appelants, les défendeurs dans la présente action, reconnaissent que les questions soulevées dans la requête ne jouent pas un rôle déterminant dans la présente affaire.

[3]                Le présent appel ne peut être accueilli. Sur ce point, j'accepte les observations présentées par les demandeurs (intimés) dans leurs observations écrites. Je suis convaincu que, dans sa décision, le protonotaire n'a pas commis d'erreur suffisamment grave pour justifier l'intervention de la Cour, dans le sens que le protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou une mauvaise compréhension des faits. Les juges ou les protonotaires responsables de la gestion de l'instance ont besoin d'une certaine latitude pour gérer les instances. La Cour n'interviendra que dans les cas où la discrétion judiciaire a été manifestement mal exercée (Bande Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346; 2001 CAF 338; [2001] A.C.F. n ° 1684 (C.A.), au paragraphe 11). Ce n'est certainement pas le cas ici. De toute façon, même si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire de novo, elle en arriverait à la même conclusion que le protonotaire Hargrave.


[4]                Dans ses motifs (et dans l'ordonnance), le protonotaire fait référence à la proposition suivant laquelle « [l]a présente instance était et demeure un recours collectif engagé, en application de l'ancien article 114 des Règles (non souligné dans l'original) bien que cette proposition soit en principe inexacte. Cette proposition ne joue toutefois pas un rôle déterminant. De plus, le protonotaire Hargrave n'a pas commis une erreur manifeste lorsqu'il s'est fondé sur le point de vue général adopté par le juge Hugessen dans la décision Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2001 CFPI 181; [2001] A.C.F. n ° 347 (C.F. 1re inst.) (QL) :

[...] Les règles de la Cour sont fort libérales en ce qui concerne les modifications, la jonction des parties et la réunion de causes d'action et, en principe, il me semble que l'on ne saurait s'y opposer dans un cas comme celui-ci. De fait, comme je l'ai mentionné lors d'une audience antérieure, si les demandeurs intentaient une action en dommages-intérêts distincte, la Cour ordonnerait fort probablement, à un stade quelconque, la réunion des deux instances. Si, à une date ultérieure, la réunion s'avère peu commode ou par ailleurs non appropriée, la Cour conserve, en vertu de la règle 107, le pouvoir d'ordonner que des instructions distinctes soient tenues. [...]

Dans la décision Shubenacadie, précitée, le juge Hugessen a autorisé l'ajout d'autres demandeurs qui affirmaient être bénéficiaires de droits ancestraux issus de traités et de la common law.

[5]                Les appelants soutiennent en outre que [TRADUCTION] « [l]a seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d'une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l'issue de l'action; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie » (commentaires du juge Devlin (tel était alors son titre) dans la décision Amon c. Raphael Truck & Sons Ltd., [1956] Q.B. 357 (D.B.R.), à la page 380, cités avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d'enquête), [1998] 4 C.F. 125, au paragraphe 20). Ces commentaires s'appliquent à la plupart des situations mais doivent être adaptés au contexte particulier de l'espèce et tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une action commerciale ou civile ordinaire.

[6]                En fait, ce qu'on sollicite essentiellement en l'espèce, c'est un jugement de la Cour déclarant que la compétence fédérale aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 englobe les Métis ainsi que les Indiens non inscrits et que les défendeurs ont une obligation fiduciaire envers les Métis ainsi que les Indiens non inscrits et ils doivent négocier avec des représentants des Métis ainsi que des Indiens non inscrits concernant tout ce qui touche [traduction] « les droits, les intérêts et les besoins des peuples autochtones » . Dans ces circonstances, on peut dire que la présente action ressemble davantage à l'affaire Dyson c. Attorney General, [1911] 1 KB 410, un arrêt de la Cour d'appel. Je note que l'article 104 des Règles, qui est invoqué par les appelants, parle des cas dans lesquels la Cour peut « constituer » une personne comme partie à l'instance; il s'agit, habituellement, de défendeurs qui sont constitués partie à l'instance contre leur volonté. Sur ce point, la requête présentée par les demandeurs ne soulève pas les mêmes questions qu'une requête visant à obliger que soient constituées comme parties à l'instance des personnes qui ne le souhaitent pas dans les affaires civiles ou commerciales ordinaires. Je réitère que la présente instance soulève des questions de droit constitutionnel qui revêtent une importance extrême pour les Métis ainsi que les Indiens non inscrits du Canada et qu'elle comporte un certain nombre d'aspects qui en font une affaire unique et tout à fait différente de la situation factuelle qui existait dans les affaires qu'ont citées les appelants dans leurs observations écrites, dont certaines ont été prises en considération par le protonotaire dans ses motifs.

[7]                Le jugement déclaratoire général recherché par les demandeurs dans la présente action est expressément autorisé par l'article 64 des règles. Dans les « causes types » comme celle-ci, il est nécessaire que les personnes appropriées soient constituées parties à l'instance pour qu'elles puissent établir le contexte factuel qui permettra à la Cour de se prononcer. En raison du décès de Harry Daniels, je note qu'il n'y a plus de demandeur Métis individuel dans la présente affaire. En outre, je note également que, dans leur défense, les appelants contestent la qualité du Congrès des peuples autochtones dans leur défense et que cette question doit être tranchée au procès. Si Gabriel Daniels n'est pas constitué en partie, les intimés craignent qu'aucune partie n'ait qualité pour soulever la question du statut des Métis, une question qui revêt une grande importance pour près de 200 000 personnes. De plus, les intimés soutiennent que Gabriel Daniels, en qualité de Métis de l'Ouest canadien, et Terry Joudrey, un Indien non inscrit des provinces de l'Atlantique, seront en mesure d'établir le contexte factuel dont la Cour a besoin pour se prononcer sur les diverses questions que soulève la présente « cause type » . Le protonotaire Hargrave n'a pas commis d'erreur manifeste lorsqu'il a adopté les observations qu'ont présentées les intimés sur ce point.


[8]                Je souscris également aux observations additionnelles de l'avocat des intimés selon lesquelles il ne convient pas de lire de façon isolée l'article 104 des Règles et que les articles 3, 102 ainsi que 105 des Règles autorisent la jonction de parties dans ce genre de situation. La Cour suprême et, par la suite, les juridictions provinciales ont toujours insisté sur le fait que les affaires constitutionnelles devaient être tranchées dans un contexte factuel approprié (R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533; Sandy Ridge Sawing Ltd. c. Norrish and Carson (1996), 140 Sask. R. 146; Ochapowace First Nation c. Canada, [1999] S.J. no 56). J'estime que les Règles peuvent être interprétées de manière assez souple pour autoriser la constitution des demandeurs proposés en partie à l'instance, lorsque cela est juste et approprié. En fait, l'article 3 des Règles invite la Cour à adopter une telle interprétation et je ne vois pas comment cette constitution en partie pourrait être contraire aux Règles. De plus, l'ajout volontaire de deux nouveaux demandeurs ne cause aucun préjudice aux parties et n'entraînera pas d'autres délais. Je note sur ce point que l'instance en est encore à ses débuts, même si l'action a été introduite en décembre 1999. Il convient d'éviter dans toute la mesure du possible la multiplicité des procédures. Comme l'a noté le protonotaire Hargrave dans les motifs de l'ordonnance, si chacun des demandeurs proposés devait instituer sa propre action, il est bien probable que la Cour ordonnerait à un moment ou l'autre leur réunion, tel qu'il ressort de l'opinion du juge Hugessen dans la décision Shubenacadie, précitée, confirmée en appel (2002) 291 N.R. 393.


[9]                Quoi qu'il en soit, tous ces éléments justifient que la Cour ordonne, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que les demandeurs proposés soient constitués en partie à cette étape de l'instance, au lieu de les obliger à instituer des actions séparées dans lesquelles ils demanderaient le même jugement déclaratoire à titre de réparation. En conclusion, il n'existe aucun motif susceptible d'amener la Cour à modifier l'ordonnance prononcée le 13 mai 2005 par le protonotaire Hargrave, si ce n'est qu'il conviendrait de supprimer de cette ordonnance les mots « recours collectif » . Enfin, les intimés auront droit aux dépens dans le présent appel.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          L'ordonnance prononcée le 13 mai 2005 par le protonotaire Hargrave est modifiée par la suppression de l'expression « recours collectif » qui se trouve dans la première phrase de l'ordonnance et qui se lit à l'heure actuelle comme suit :

[TRADUCTION]

Gabriel Daniels et Terry Joudrey sont ajoutés en qualité de demandeurs au présent recours collectif.

2.          Les dépens du présent appel sont adjugés aux intimés.

     « Luc Martineau »     

   Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               T-2172-99

INTITULÉ:               HARRY DANIELS ET AL.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Andrew K. Lokan                                           POUR LES DEMANDEURS

Cynthia J. Dickins                                          POUR LES DÉFENDEURS

Karen Metcalfe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)


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