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Date : 20040810

Dossier : T-199-04

Référence : 2004 CF 1098

ENTRE :

                                                                XL FOODS INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                        L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

et LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'AGROALIMENTAIRE

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

INTRODUCTION


[1]                La présente procédure soulève le point de savoir si un rapport d'inspection d'établissement préparé par l'Agence canadienne d'inspection des aliments à propos d'une usine de conditionnement des viandes (ci-après le « rapport » ) peut être soumis à communication en vertu de la Loi sur l'accès à l'information (la « Loi » ). La demanderesse s'oppose à la communication du rapport parce que, selon ce que je crois comprendre, la demande de communication concerne les rapports relatifs à des abattoirs soumis à la réglementation fédérale qui « ... donnaient le détail des manquements ou des entorses à la Politique sur le matériel à risque spécifié (la "Politique MRS") » . La position de la demanderesse est que le rapport ne fait pas état de manquements ou d'entorses à la Politique sur le matériel à risque spécifié.

[2]                Étant donné que cette procédure est sujette à une ordonnance de confidentialité et qu'il y a au greffe à la fois un dossier public et un dossier privé, je me suis demandé si les présents motifs tombent sous le coup de l'ordonnance de confidentialité : la réponse est négative. J'ajouterais aussi que le juge Pelletier (sa fonction à l'époque) a examiné la question des ordonnances de confidentialité et de leurs motifs dans l'affaire Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2000] 2 C.F. 423 (C.F. 1re inst.), à la page 425. Il était saisi d'une affaire qui avait été instruite à huis clos et dans laquelle l'ordonnance de confidentialité n'abordait pas expressément la question de la communication de motifs. Il s'était exprimé ainsi :

L'ordonnance de confidentialité vise à protéger les renseignements confidentiels des parties. Lorsque les motifs ne renferment aucun renseignement confidentiel, il n'y a en principe aucune raison d'interdire leur publication.

Ces propos s'accordent avec l'avis du juge Rothstein (sa fonction à l'époque) dans l'affaire Sulco Industries Ltd. c. Jim Scharf Holdings Ltd. (1997), 69 C.P.R. (3d) 71 et 73 (C.F. 1re inst.). Le juge Rothstein faisait observer que les tribunaux ne siègent pas dans le secret et que, bien qu'il puisse y avoir des cas faisant intervenir des renseignements confidentiels, les tribunaux devraient adopter sur ce point une approche mesurée. Les présents motifs pourront donc être versés dans le dossier public.

[3]                La présente requête soulève la question de savoir s'il convient d'accorder une prorogation du délai à l'intérieur duquel sera contre-interrogé M. Mark Bielby, un agent vétérinaire régional, qui expose dans un bref affidavit les fonctions d'un agent vétérinaire régional, à savoir la rédaction de rapports d'inspection d'établissement et ce qu'il doit y consigner, notamment les lacunes qui doivent être corrigées.

[4]                En l'espèce, le délai à l'intérieur duquel devait être contre-interrogé M. Bielby a expiré parce que l'avocat de la demanderesse, qui a écrit à sa cliente pour lui recommander de procéder au contre-interrogatoire, ne s'est rendu compte qu'après l'expiration du délai que le paragraphe de sa lettre sollicitant des instructions s'était « perdu au cours de la dictée » .

ANALYSE


[5]                Les deux avocats se sont référés au critère de la prorogation de délai qui est exposé dans l'arrêt Canada c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.). Tous deux ont mentionné l'arrêt Grewal c. Canada (MEI) [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.). Le principe général exposé dans l'arrêt Grewal consiste à se demander, dans tous les cas, s'il convient, pour assurer la justice entre les parties, d'accorder la prorogation de délai. J'ai aussi gardé à l'esprit les propos tenus par la juge Sharlow dans l'arrêt Bernier c. Ministre du Développement des ressources humaines, 2004 CAF 58, daté du 5 février 2004. Au paragraphe 7, la juge Sharlow écrivait : « ... le non-respect des Règles n'est pas nécessairement fatal s'il y a un effort raisonnable fait de bonne foi pour corriger ce non-respect, surtout si le non-respect en question peut être facilement corrigé et que l'autre partie n'a subi aucun préjudice important » .

[6]                Le critère à appliquer, exposé dans l'arrêt Hennelly, précité, est que celui qui demande la prorogation de délai doit démontrer :

1.              une intention constante de poursuivre sa demande;

2.              que la demande est bien fondée;

3.              que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4.              qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

(Page 400)

[7]                Ainsi que le prescrit l'arrêt Grewal, je me dois de mettre en équilibre les quatre branches du critère Hennelly, une position faible dans l'une des branches pouvant être compensée par une position forte dans une autre branche, l'objectif étant de réaliser la justice entre les parties. L'avocat des défendeurs souligne que le retard de la demanderesse à procéder au contre-interrogatoire ne repose sur aucune explication raisonnable, mais il convient d'examiner tous les éléments pour exécuter intégralement la mise en équilibre requise par l'arrêt Grewal.


[8]                S'agissant d'abord de l'intention constante de faire avancer la demande, les facteurs ici sont substantiels, bien que l'on ne sache pas exactement à quelles dates les événements sont survenus. Nous savons que l'avocat de la demanderesse a reçu les affidavits des défendeurs le 17 mai 2004 et que l'un de ses associés a confirmé, par audio-messagerie adressée à l'avocat des défendeurs le 14 juin 2004, son intention de procéder au contre-interrogatoire. Entre ces dates, j'admets que l'avocat de la demanderesse a bien dicté une lettre destinée à sa cliente, dans laquelle il lui recommandait le contre-interrogatoire, mais que le contenu de la lettre s'est perdu au cours de la dictée, sans que l'avocat ne s'en rende compte. D'ailleurs l'avocat ne s'est rendu compte de la perte du contenu de cette lettre qu'après l'expiration du délai précisé par l'article 308 des Règles pour les contre-interrogatoires. Cela ne veut pas dire disparition de l'intention de faire progresser la demande, et le délai aurait continué de courir jusque vers le 7 juin 2004. Il n'importe pas qu'il y ait eu un intervalle d'environ une semaine entre le moment où l'avocat s'est rendu compte du problème, a obtenu de nouvelles directives de sa cliente et a communiqué avec le ministère de la Justice et le moment où il a été informé qu'une requête serait nécessaire. Le présent dossier confidentiel de requête a été déposé à la Cour le 30 juin 2004, là encore dans le délai. Comme je l'ai dit, il existe une preuve appréciable attestant une intention constante de faire progresser la demande.

[9]                S'agissant du bien-fondé de la demande, la preuve pourrait sembler faible, l'avocat de la demanderesse ayant simplement indiqué que la demande est fondée, tout comme serait fondé le contre-interrogatoire demandé. Cependant, en toute justice, il faudrait, pour aller plus loin, juger l'affaire elle-même, car il s'agit de savoir si une décision a été prise sans pouvoir, ou par excès de pouvoir, contrairement à la procédure prévue par la Loi, et de savoir si le document que les défendeurs se proposent de divulguer entre effectivement dans la description des documents demandés. Aucune injustice n'est alléguée. J'admets qu'il n'existe aucun élément de nature temporelle qui puisse entraîner un préjudice ou une injustice. Il faut maintenant se demander si le retard repose sur une explication raisonnable.


[10]            L'avocat des défendeurs fait observer que l'affidavit au soutien de la requête, un affidavit établi sous serment par un assistant juridique, renferme des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits. Les affidavits de cette nature sont autorisés, s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, conformément au paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998). Dans les petits cabinets, c'est là presque une concession nécessaire, car un avocat ne peut pas à la fois déposer par voie d'affidavit et présenter des arguments écrits ou oraux sur cet affidavit, lorsque l'affidavit porte sur le fond de l'affaire en cause. Par ailleurs, le déclarant du présent affidavit est un assistant juridique : je montrerais, envers une personne ayant cette qualité, une retenue considérable pour ce qui est de comprendre la nature d'un affidavit, et la nécessité de sa véracité.

[11]            Les défendeurs font valoir qu'aucune date n'est donnée pour les événements survenus entre la réception de l'affidavit sur lequel la demanderesse voudrait maintenant procéder au contre-interrogatoire et la réception d'instructions en ce sens. Il est possible, ainsi que l'a indiqué l'avocat des défendeurs, que l'avocat de la demanderesse ne connaissait pas très bien les délais propres à la Cour fédérale, mais je ne suis pas sûr que cette observation soit pertinente. Comme je l'ai dit précédemment dans les présents motifs, je suis d'avis que les choses ont évolué à un rythme acceptable.


[12]            L'avocat des défendeurs s'en remet à la jurisprudence en ce qui a trait à l'inattention d'un avocat vue comme une excuse. Il se réfère à la décision rendue par la juge Reed dans l'affaire Chin c. Canada (MEI) (1993), 69 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), où la Cour avait rejeté, comme motif du retard, la lourdeur de la charge de travail. La juge Reed aurait accordé une prorogation si le motif du retard avait échappé au contrôle de l'avocat, c'est-à-dire avait résulté d'un « événement inattendu ou imprévu » (voir les pages 79 et 80). Puis l'avocat des défendeurs affirme que la perte du contenu d'une lettre au cours de sa dictée ne constitue pas un événement inattendu ou imprévu, bien que, selon moi, cela puisse constituer une surprise, voire une catastrophe. L'avocat des défendeurs fait ensuite remarquer que la demanderesse n'a fait état que de trois précédents dans lesquels l'inattention de l'avocat a été considérée comme une excuse raisonnable, et il relève que ces trois précédents sont des décisions de protonotaires.

[13]            Les protonotaires, qui essentiellement gagnent leur vie en aidant les avocats dans les procédures qu'ils introduisent pour leurs clients, et en rendant jugement sur lesdites procédures, présument peut-être que tout le monde a une bonne compréhension des règles de procédure et a peut-être tendance à considérer comme évident ou banal tel ou tel aspect fondamental des règles de procédure.


[14]            Le droit a progressé depuis la notion selon laquelle l'avocat et son client ne font qu'un, l'avocat entraînant avec lui son client dans l'abîme dès le moment où il commet une erreur substantielle. Ainsi que le faisait observer le juge Pigeon dans l'arrêt Bowen c. Ville de Montréal, [1979] 1 R.C.S. 511, à la page 519, une partie ne saurait être privée de ses droits à cause d'une erreur commise par son avocat si l'erreur peut être rectifiée sans injustice. Dans cet arrêt, l'avocat avait commis une erreur et, se rendant compte de son erreur, il avait cherché, à la fin du procès, à faire modifier la réclamation. Le juge du procès le lui avait refusé, de même que la Cour d'appel. Le juge Pigeon, s'exprimant sur les modifications apportées à la Loi sur la Cour suprême, avait estimé qu'il serait contraire au principe fondamental qui est au coeur de l'article 50 de la Loi sur la Cour suprême de refuser réparation à une partie en raison d'une erreur commise par son avocat. Il s'était exprimé ainsi :

Ce principe, c'est qu'une partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse.

(Page 519)

En l'espèce, comme je l'ai indiqué, un contre-interrogatoire reporté n'entraînera ni injustice ni préjudice.

[15]            De même, le juge Décary, dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 315 N.R. 175 (C.A.F.), à la page 193, s'est référé à un passage de l'arrêt Lubrizol Corp. et autre c. Imperial Oil Ltée et autre, [1996] 3 C.F. 40 (C.A.F.), à la page 62 :


« Il est un principe établi de longue date selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties au litige et non à sanctionner les erreurs commises dans le déroulement de la procédure, sauf circonstances exceptionnelles. Ce principe est énoncé comme suit par le lord juge Bowen dans l'arrêt Cropper v. Smith [1884], 26 Ch. D. 700 (C.A.), à la page 710] :

[TRADUCTION] Je crois qu'il est un principe bien établi selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties et non à punir celles-ci pour les erreurs qu'elles commettent dans le déroulement d'une affaire en prenant des décisions défavorables à la reconnaissance de leurs droits. Pour ma part, et conformément à ce qui a été établi par l'autre section de la Cour d'appel et par moi-même en tant que juge de celle-ci, je ne vois pas pourquoi une erreur qui n'est ni frauduleuse ni délibérément trompeuse ne devrait pas être corrigée par la Cour si cela peut être fait sans commettre d'injustice à l'endroit de l'autre partie. La raison d'être d'un tribunal n'est pas de faire régner la discipline, mais bien de trancher des litiges [...] »

(Merck & Co. c. Apotex Inc., à la page 193)

En citant ce passage de l'arrêt Lubrizol Corp., le juge Décary a ajouté les soulignements. Eu égard à la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour d'appel fédérale, et appliquant cette jurisprudence dans le contexte de l'erreur relativement mineure commise par l'avocat de la demanderesse, c'est-à-dire la perte d'une lettre, ce qui l'a conduit à manquer de peu un délai fixé dans les Règles, il m'apparaît qu'il existe pour le délai une explication qui est à tout le moins une explication raisonnable et substantielle.

DISPOSITIF

[16]            Même si l'on admet que la preuve qui concerne le bien-fondé du dossier est plus faible que les trois autres éléments requis par l'arrêt Hennelly, la mise en équilibre milite en faveur de l'octroi d'une prorogation de délai, car, ainsi que le fait observer la Cour suprême dans l'arrêt Bowen (précité), une partie ne devrait pas être privée d'un droit à cause de l'erreur de son procureur et, ainsi que le fait observer la Cour d'appel dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., le rôle des tribunaux est de statuer sur des droits, non de sanctionner des erreurs commises durant la conduite des procès, sauf circonstances exceptionnelles. En l'espèce, l'erreur en est une qui, par inadvertance et sans être remarquée, pourrait être commise par n'importe quel avocat.

[17]            Pour conclure sur la même note que la juge Sharlow dans l'arrêt Bernier (précité), je dirais que le manquement dont il s'agit ici n'est pas fatal au contre-interrogatoire sur l'affidavit de M. Bielby, car une démarche raisonnable et de bonne foi a été accomplie pour corriger le manquement, une démarche qui est relativement facile à décider et qui ne cause aucun préjudice.

[18]            Puisque les vacances d'été risquent d'empêcher le contre-interrogatoire, le délai applicable au contre-interrogatoire est prorogé jusqu'à la fermeture des bureaux le 10 septembre 2004. La date à laquelle devra être signifié et déposé le dossier de la demanderesse, qu'il s'agisse du dossier public ou du dossier confidentiel, est reportée jusqu'à 30 jours à compter de l'achèvement du contre-interrogatoire.

[19]            Les dépens sont adjugés à la demanderesse et sont payables sur-le-champ.

                                                                                                                            « John A. Hargrave »               

                                                                                                                                         Protonotaire                     

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 10 août 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                           T-199-04

INTITULÉ :                                          XL FOODS INC. c. L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS ET AUTRE

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                         LE 10 AOÛT 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Brian Kaliel                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Tracy J King                                                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Corbett Smith Bresee LLP                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Edmonton (Alberta)

Morris A Rosenberg                                                                  POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)


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