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     Date : 20000207

     Dossier : T-3466-90



ENTRE :


     SUNSHINE UNIFORM SUPPLY (1983) LTD.

     demanderesse


     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse



     MOTIFS DU JUGEMENT



LE JUGE EVANS


  1. .      INTRODUCTION

[1]      Le 25 février 1986, une série de documents a été signée et des opérations effectuées qui, si leur intention juridique s"était réalisée, auraient entraîné des économies fiscales importantes pour la société Sunshine Uniform Supply (1983) Ltd. et sa société mère, Perth Services Ltd.

[2]      Le ministre du Revenu national a refusé les différentes déductions réclamées par les sociétés au titre de dépenses engagées pour la recherche scientifique et le développement expérimental par l"entremise du mécanisme établi dans le plan auquel elles participaient.

[3]      Les contribuables ont appelé de ces décisions. Le présent appel a trait aux déductions réclamées par Sunshine pour l"année d"imposition 1986. Les parties conviennent que le résultat du présent appel réglera aussi les cinq autres appels découlant des mêmes opérations.

[4]      L"issue de l"appel repose essentiellement sur la question de savoir si les faits sous-jacents justifiaient la forme juridique des documents et sur l"interprétation d"un élément-clé de la disposition de la Loi de l"impôt sur le revenu définissant la portée de la déduction relative à la recherche scientifique.


  1. .      LE CONTEXTE

     a) les intervenants

         (i) Sunshine et Perth

[5]      Les sociétés Sunshine et Perth sont constituées en personnes morales en vertu des lois du Manitoba et elles exploitent leur entreprise à Winnipeg. Elles louent, livrent, ramassent, lavent et nettoient à sec du linge de table et des uniformes portés, par exemple, par les serveurs de restaurant et les employés d"hôtels.

[6]      Les sociétés sont maintenant la propriété de Stewart Leibl, qui en est également le président. Il travaille chez Perth depuis 1977 et a été le témoin principal cité au nom de la contribuable.

[7]      Au milieu des années 1980, quand les événements à l"origine du présent litige se sont produits, il était vice-président des deux sociétés et n"était responsable que de l"exploitation quotidienne du secteur location de l"entreprise. Il était également l"un des quatre propriétaires, et l"un des signataires pour les sociétés. Bien que la signature de M. Leibl ne figure pas sur les documents signés au nom de Sunshine, il a déclaré en connaître le contenu.

[8]      Au milieu des années 1980, Sunshine était une société prospère dont les bénéfices avant impôts dépassaient 500 000 $. En 1985, elle avait investi dans des crédits d"impôt à la recherche afin de réduire son obligation fiscale, et à la fin de 1985 et au début de 1986 Sunshine cherchait activement un autre abri fiscal. Son exercice financier se terminait à la fin de février.

         (ii) Anaquan Scientific Research Ltd.

[9]      Anaquan, qui est également une société manitobaine, a été constituée en 1983. Son activité portait sur la recherche, particulièrement dans le domaine de la construction. Le propriétaire et président d"Anaquan était Alexander (Paddy) McLellan.

[10]      En 1984 et 1985, Anaquan a recueilli environ 16 millions de dollars pour financer ses activités de recherche auprès d"investisseurs à la recherche d"un abri fiscal. En retour, la société a remis aux investisseurs des crédits d"impôt à la recherche scientifique qui, en vertu des dispositions législatives en vigueur à l"époque, leur ont permis de réduire leur obligation fiscale.

[11]      Ces fonds d"investissement étaient imposables dans les mains d"Anaquan, qui pouvait s"acquitter de sa dette fiscale soit en payant l"impôt soit en dépensant les fonds dans des recherches admissibles aux fins de la déduction. Anaquan a dépensé tous les fonds qu"elle a recueillis, mais Revenu Canada a décidé que des dépenses de cinq millions de dollars n"étaient pas admissibles à la déduction pour recherche.

[12]      Par conséquent, au début de 1986, Anaquan devait à Revenu Canada approximativement 2,5 millions de dollars et se trouvait dans une situation financière précaire. M. McLellan était donc très désireux d"attirer de nouveaux investisseurs dans la société pour lui permettre de payer ses dettes et financer d"autres recherches. Il a communiqué à Richard Shead les grandes lignes d"un plan qui lui permettrait de recueillir entre 500 000 $ et 1,5 million de dollars pour Anaquan.

         (iii) Richard Shead

[13]      Richard Shead est le personnage essentiel qui a structuré et conçu l"abri fiscal qui fait l"objet du présent litige ; à l"époque, il était associé principal au cabinet d"avocats Buchwald Asper Henteleff de Winnipeg, où il se spécialisait en droit fiscal et en planification fiscale.

[14]      Avec d"autres associés du cabinet Buchwald, M. Shead était administrateur de Corporate Growth Systems, une société qui était exploitée de concert avec le cabinet d"avocats et par l"entremise de laquelle les associés donnaient des conseils d"affaires à leurs clients. M. Shead n"est plus associé dans le cabinet d"avocats depuis 1993.

[15]      M. Shead s"occupait des affaires des sociétés Sunshine et Perth et leur a suggéré le plan d"économie d"impôt auquel ils ont subséquemment souscrit. M. Shead a agi à titre de conseiller juridique des sociétés dans la structuration de l"abri fiscal qui fait l"objet du présent appel. En outre, en 1989, il a correspondu en leur nom avec Revenu Canada quand le ministère a refusé les pertes que réclamaient Sunshine et Perth comme étant leur quote-part des pertes de la société en nom collectif Anwin Partnership. M. Shead siégeait également au conseil d"administration de Perth.

[16]      Les liens entre M. Shead, Anaquan et M. McLellan, qui est le premier président d"Anaquan, remontent à 1984, quand M. Shead a constitué la société et qu"il en a été par la suite le conseiller. Au cours de la même année, M. Shead a acheté en son propre nom des débentures émises par Anaquan Corporation, la société-mère d"Anaquan, aux fins de la recherche scientifique.

[17]      Au début de février 1986, M. McLellan a rencontré M. Shead pour lui expliquer la nécessité pour Anaquan de recueillir du capital et lui a exposé une proposition d"abri fiscal susceptible d"attirer de nouveaux investisseurs. Le défi était de trouver une façon de continuer à vendre les pertes d"Anaquan liées à la recherche, malgré l"abolition du crédit d"impôt à la recherche scientifique. Les détails du plan qui est à l"origine du présent appel ont été mis au point au cours d"une série de réunions auxquelles ont assisté M. Shead, M. McLellan et d"autres personnes, notamment des comptables et des représentants d"Equion Securities Canada Ltd., une autre société pour le compte de laquelle M. Shead agissait. Equion avait fait des levées de fonds pour d"autres abris fiscaux et faisait office de courtier en valeurs mobilières en rapport avec le plan d"Anaquan.

[18]      Les principaux documents énonçant ce plan ont été préparés par M. Shead. Malgré les intérêts manifestement incompatibles de l"auteur du plan, d"Anaquan, des investisseurs, de Perth et Sunshine, et d"Equion, le courtier en valeurs mobilières, M. Shead semble avoir agi pour leur compte à tous.

     b) le plan

[19]      Le premier document, qui est le contrat de la société en nom collectif, énonçait les conditions en vertu desquelles Anaquan, en tant que commanditée, était disposée à créer une société en nom collectif qui porterait le nom d"Anwin Research Partnership. La commanditée était autorisée à recueillir des fonds pour la société en offrant des parts et en admettant dans ses rangs des acheteurs comme commanditaires.

[20]      La société en nom collectif devait avoir comme activités l"élaboration d"un " projet de R. & D. " et l"exploitation commerciale de ses résultats. Le projet était décrit plus en détail comme consistant en des recherches devant être effectuées à l"établissement d"Anaquan à Winnipeg. Le contrat de société en nom collectif a été signé par M. McLellan au nom d"Anaquan et par MM. Johnson et Mehkary, deux des autres copropriétaires, au nom de Sunshine et Perth.

[21]      Le deuxième document est une notice d"offre dans laquelle 535 parts de la société Anwin étaient mises en vente à 1 000 $ chacune, et dont une partie devait être payée comptant (65 %) et l"autre par des billets à ordre garantis par des lettres de crédit irrévocables (35 %). La notice renfermait une clause de dénégation concernant la capacité d"Anaquan de poursuivre l"activité de la société en nom collectif, et indiquait que les états financiers d"Anaquan ne seraient pas mis à la disposition des acheteurs.

[22]      Perth et Sunshine ont tous deux acheté les 535 parts pour un total de 535 000 $. Une fois les honoraires professionnels s"élevant à 37 450 $ payés, les 497 550 $ restants devaient être dépensés par Anwin pour le projet de R. & D. décrit dans le contrat de société en nom collectif. Par suite de l"achat de ces parts, Perth et Sunshine possédaient 99,999 % d"Anwin, alors qu"Anaquan n"en possédait que 0,001 %. Il n"y avait pas d"autres commanditaires.

[23]      Le troisième document est une entente de coentreprise entre Anwin Research Partnership et Anaquan. L"entente stipule qu"entre le 25 février 1986 et le 31 janvier 1987, Anaquan engagerait [TRADUCTION] " des dépenses admissibles au titre de la recherche scientifique " en effectuant des recherches dans son établissement de Winnipeg.

[24]      Le prix du contrat payable par Anwin comprenait un chèque de 310 300 $ et la cession de billets à ordre payables le 31 janvier 1987 pour une somme de 187 250 $ et 10 % d"intérêt, garantis par une lettre de crédit irrévocable tirée sur une banque. Ces sommes représentent le montant total payé par Perth et Sunshine pour les parts d"Anwin, moins les 37 450 $ versés en honoraires professionnels et en commissions aux conseillers qui ont monté l"abri fiscal.

[25]      L"entente disposait également qu"Anwin aurait droit, à titre de contrepartie, pendant les cinq premières années de l"entente, à 10 % par année du revenu brut d"Anaquan provenant de son établissement de recherche, jusqu"à un plafond annuel de 20 % du prix du contrat. Pour chacune des cinq années suivantes, Anwin toucherait 5 % du revenu brut, jusqu"à un plafond annuel de 10 % du prix du contrat.

[26]      Autrement dit, si Anaquan faisait des bénéfices considérables dans chacune des 10 années de la durée prévue de l"entente, Anwin ne pourrait faire mieux que de recouvrer le prix du contrat à la fin de la cinquième année, et à la fin de la dixième année elle aurait fait un bénéfice de 50 % sur celui-ci. Il va sans dire que, s"il s"agissait là du rendement maximum de l"investissement d"Anwin sur une période de 10 ans, c"était un bénéfice très maigre, même dans les conditions les meilleures.

[27]      D"autres documents clés du plan traitaient des sommes d"argent versées et des billets fournis par Perth et Sunshine pour l"achat des parts d"Anwin. Il y avait trois clauses portant sur les sommes d"argent faisant partie du prix d"achat.

[28]      Tout d"abord, une somme de 310 300 $ devait être placée en dépôt par le cabinet Buchwald en fidéicommis pour Anaquan en attendant qu"Anaquan s"acquitte de ses obligations en vertu de l"entente de coentreprise. Deuxièmement, Anaquan s"autorisait elle-même, en sa capacité de commanditée d"Anwin, à reprêter son argent à Perth et Sunshine, à titre de prêts libres d"intérêt, pour les aider à acheter les parts d"Anwin.

[29]      Troisièmement, Perth et Sunshine pouvaient effectivement rembourser leur dette de 310 300 $ entre janvier et mars 1988 en exerçant une option de vente qui obligeait Anaquan à racheter les 535 parts de la société en nom collectif d"Anwin pour 58 % du prix d"achat : 58 % de 535 000 $ équivaut à 310 000 $. Au cas où les résultats des recherches effectuées par Anaquan connaîtraient un succès commercial, on espérait que Perth et Sunshine choisiraient de ne pas exercer l"option de vente, mais plutôt de conserver leurs parts dans Anwin et de rembourser le " prêt d"aide à l"achat des parts " à même le revenu généré par la recherche.

[30]      Les billets à ordre devaient être cédés par Anwin à Anaquan et, si Perth et Sunshine ne les honoraient pas, Anaquan pourrait faire valoir la lettre de crédit de soutien tirée sur la banque qui avait été consentie comme garantie. En tant que premiers émetteurs des billets à ordre, Perth et Sunshine demeuraient responsables envers la banque en cas de défaillance.

[31]      Le 7 mars 1986, Perth et Sunshine n"ont pas honoré les billets à ordre, et, par conséquent, Anaquan a reçu 177 000 $ de la Banque Continentale en réalisant la lettre de crédit de soutien aux termes de cette entente. Entre les 7 et 17 mars, Anaquan a dépensé cet argent pour payer ses dettes préexistantes.

         c) les événements ultérieurs

[32]      La construction de l"établissement dans lequel Anaquan devait effectuer les recherches n"a jamais été terminée. Aucune activité de recherche n"y a été effectuée par Anaquan, comme elle s"était engagée à le faire dans l"entente de coentreprise. L"établissement de recherche non terminé a par la suite été vendu dans le cadre d"une vente hypothécaire. M. McLellan n"a pas réussi à recueillir d"autres fonds pour Anaquan et en janvier 1987, le créancier principal d"Anaquan, Revenu Canada, a déposé une requête en faillite contre elle. À ce moment, Anaquan devait plus de 4 millions de dollars à Revenu Canada.

[33]      Le ministre du Revenu national a finalement refusé la totalité des déductions réclamées par Perth et Sunshine en raison de leur participation dans la société en nom collectif Anwin. Bien que diverses dispositions de la Loi de l"impôt sur le revenu régissent différents aspects des réclamations, les avocats ont convenu à l"audience que l"issue du présent appel repose essentiellement sur les trois questions qui sont analysées ci-dessous à la partie C des présents motifs.

         d) sommaire

[34]      Une fois le calme revenu après la frénésie d"opérations qui ont eu lieu le 25 février 1986, la situation était la suivante. Tout d"abord, sur les 535 000 $ fournis par Sunshine et Perth pour l"acquisition des parts dans la société en nom collectif Anwin, 37 450 $ avaient été versés pour les frais d"opération, 177 000 $ payés à Anaquan et le reste leur a été retourné aux termes du bon de garantie d"exécution, du prêt et des options de vente.

[35]      Deuxièmement, Sunshine et Perth demeuraient responsables envers la banque d"une somme de 187 000 $ correspondant au paiement par la banque des billets à ordre aux termes des lettres de crédit de soutien. Le reste de l"argent, soit 310 300 $, avait été remboursé aux contribuables à titre de prêt, qui a par la suite été annulé. En fait, ce prêt n"avait jamais été mis à la disposition d"Anaquan.

[36]      Troisièmement, si l"intention juridique des opérations s"était réalisée sur le plan des économies fiscales, les sociétés auraient encaissé un gain net de 104 634 $, qui a été partiellement compensé par une obligation fiscale applicable à un gain en capital d"environ 83 500 $ qui a été reportée jusqu"en 1989.

[37]      Quatrièmement, en raison des graves difficultés financières d"Anaquan, aucune fraction des 177 000 $ qui lui avaient été versés en vertu de l"entente de coentreprise n"a en fait été consacrée à la recherche et au développement mais, comme on l"a déjà noté, cette somme a été utilisée entre les 7 et 17 mars 1986 pour rembourser les dettes d"Anaquan.

[38]      Cinquièmement, si les contribuables n"obtiennent pas gain de cause dans le présent appel concernant les avis de cotisation, elles devront payer environ 250 000 $. Elles ont intenté des poursuites juridiques contre le cabinet Buchwald et M. Shead dans lesquelles elles réclament des dommages-intérêts à titre d"indemnisation pour cette perte.

     e) l"avis de cotisation

[39]      Revenu Canada a refusé toutes les pertes réclamées par Sunshine et Perth à cause de l"échec de ce plan. Le ministère s"est dit d"avis que les contribuables n"avaient pas dépensé leur argent dans le but de produire un revenu parce qu"il n"était pas possible qu"Anwin tire un quelconque bénéfice des recherches d"Anaquan. Le ministère notait que, même si la recherche est habituellement considérée comme un placement à long terme, l"entente de coentreprise prévoyait qu"Anwin recevrait au cours des cinq premières années, un pourcentage des bénéfices plus élevé que celui qu"elle toucherait au cours de la deuxième période de cinq ans, et que, par la suite, elle ne toucherait plus aucun bénéfice.

[40]      Revenu Canada a également fait valoir que les contribuables n"avaient pas droit au traitement fiscal particulièrement favorable qui était à cette époque prévu dans la Loi de l"impôt sur le revenu pour les dépenses engagées relativement aux recherches scientifiques et au développement expérimental parce que la disposition pertinente, le sous-alinéa 37(1)a)(v), ne s"appliquait que si les fonds étaient réellement dépensés pour des recherches admissibles qui avaient été effectuées, ce qui n"était pas le cas en l"espèce.

[41]      Finalement, Revenu Canada s"est dit d"avis que le refus des déductions était justifié en vertu de la disposition anti-évitement, soit le paragraphe 245(1), principalement parce que la plupart des fonds que les contribuables prétendaient avoir consacré à la recherche leur ont en fait été remis sous forme de prêts qui n"auraient jamais eu à être remboursés à même les ressources générales de Sunshine et de Perth.


  1. .      QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE
     Première question :      Anwin Research Partnership était-elle composée de " personnes qui exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice " au sens de la définition d"une société en nom collectif donnée à l"article 4 de la Loi sur les sociétés en nom collectif , L.R.M. 1970, ch. P-30 ?

[42]      Les avocats de Sunshine ont concédé que, pour les raisons qui suivent, l"appel de la contribuable devra être rejeté si les parties au contrat de société en nom collectif Anwin n"ont pas réussi, en droit, à créer une société valide.

[43]      Tout d"abord, en l"absence d"une société en nom collectif, aucune dépense n"a pu être engagée par Anwin que les commanditaires pourraient réclamer comme pertes à des fins fiscales. Deuxièmement, pour être admissible à la déduction pour la recherche scientifique et le développement expérimental en vertu du sous-alinéa 37(1)a )(v), une dépense doit être engagée pour des recherches qui sont liées à l"entreprise de la contribuable. Si Anwin Research Partnership était en droit une société en nom collectif, Perth et Sunshine pourraient prétendre qu"en tant que commanditaires d"Anwin leur entreprise incluait les activités de la société en nom collectif, c"est-à-dire le développement et le financement d"une recherche devant être effectuée par Anaquan, comme le prévoyait le contrat de société en nom collectif.

[44]      Toutefois, s"il n"y a pas de société en nom collectif, alors puisque les seules activités de Perth et Sunshine étaient le nettoyage à sec, le lavage et la location d"uniformes, leurs dépenses engagées en vertu de l"entente de coentreprise aux fins de la recherche dans le béton effectuées par Anaquan ne seraient pas admissibles à la déduction pour recherche scientifique et développement scientifiques, parce que la recherche faisant l"objet du contrat passé avec Anaquan n"était pas liée à leur entreprise.

[45]      La première question peut être scindée en deux questions subsidiaires : la société en nom collectif était-elle en fait " en exploitation " et, dans l"affirmative, était-ce " en vue de réaliser un bénéfice " ? Les parties conviennent qu"on ne peut répondre à ces questions simplement en examinant les documents ; il faut également examiner l"ensemble de la preuve pour déterminer si leurs affirmations sont conformes aux faits.

[46]      Il a été également convenu que le fait que la société en nom collectif Anwin avait été créée principalement dans le but d"éviter de payer de l"impôt était en soi insuffisant pour établir que la société " [exploitait] une entreprise ", ou qu"elle le faisait " en vue de réaliser un bénéfice ", ce qui lui aurait permis de se qualifier comme société en nom collectif au sens de la définition contenue dans la Loi sur les sociétés en nom collectif . Par ailleurs, si c"était là le seul but de sa création, la société n"était pas valide. Comme il a été dit dans l"arrêt Moloney c. La Reine 92 DTC 6570, 6570 (C.A.F.), " la réduction de leurs propres impôts ne peut en soi constituer une entreprise aux fins de la Loi de l"impôt sur le revenu ".

[47]      Toutefois, comme il n"a pas été allégué que les parties ont agi dans l"intention de tromper, la Couronne n"a pas prétendu que la documentation était un " trompe-l"oeil " au sens plutôt restrictif dans lequel cette expression est comprise en droit fiscal : voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine , [1984] 1 R.C.S. 536, aux pages 545 à 573.

     a) " qui exploitent une entreprise "

         (i) l"argument de la demanderesse

[48]      L"argument présenté par l"avocat de Sunshine fait valoir que trois des opérations effectuées par Anwin le 25 février correspondent à l"exploitation d"une entreprise au sens de la définition d"une société en nom collectif donnée dans la loi. La première était la signature de l"entente de coentreprise avec Anaquan, dont il est question dans le contrat de société en nom collectif.

[49]      Anwin a fait deux autres opérations aux termes de l"entente de coentreprise : elle a cédé à Anaquan des billets à ordre émis par les contribuables, et elle a remis à Anaquan l"argent comptant qui représente une partie du prix du contrat de recherche. Cette dernière somme, on s"en rappellera, devait être placée en dépôt par le cabinet Buchwald en vertu de la clause relative au bon de garantie d"exécution applicable au plan, et devait être retournée par la suite à Sunshine et à Perth sous forme de prêt.

[50]      M. Pustogorodsky a cité Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298 comme étant l"arrêt de principe qui appuie la proposition selon laquelle il faut très peu de choses pour conclure qu"il y a une activité commerciale au sens de la définition d"une société en nom collectif. Dans cette affaire, la société en nom collectif n"existait que depuis quelques jours et n"avait fait aucune opération. Toutefois, comme le fait observer le juge Bastarache (au paragraphe 33) :

     Il est courant qu"une société en nom collectif soit formée par deux parties qui conviennent d"exploiter l"entreprise de l"une d"entre elles, tandis que l"autre fait un apport de capital.

[51]      En fait, prétend l"avocat, c"est précisément la situation en l"espèce. Anaquan avait recueilli et dépensé 16 millions de dollars dans les deux années précédentes, elle était en exploitation le 25 février 1986 et a continué de l"être jusqu"à ce qu"elle soit mise en faillite en septembre 1987. Perth et Sunshine ont fait, par l"entremise d"Anwin, des apports de capital à une entreprise qui était en exploitation.

[52]      Il a également été dit dans l"arrêt Continental Bank (paragraphe 34) que le fait que les associés auraient délégué à l"un d"entre eux la gestion de la société n"est pas incompatible avec le fait qu"ils exploitaient l"entreprise en commun. Ainsi, le fait qu"Anaquan en tant que commanditée, gérait les affaires d"Anwin Research Partnership, à l"exclusion des commanditaires, Sunshine et Perth, n"empêchait pas l"existence d"une société en nom collectif valide.

         (ii) l"argument de la défenderesse

[53]      L"avocat de la Couronne, M. Gibson, a cherché à faire une distinction entre Continental Bank et l"espèce à partir des faits en signalant que dans cette affaire la société en nom collectif avait repris une entreprise active qui était la propriété de l"un des associés et avait continué de l"exploiter. Par conséquent, les contrats existants avec les locataires étaient demeurés en vigueur, pour autant que ces tiers étaient concernés, et les affaires s"étaient poursuivies de façon normale.

[54]      Par contre, soutient-il, l"entreprise d"Anwin Research Partnership n"a jamais débuté. On se rappellera que l"entreprise d"Anwin a été définie très précisément dans le contrat de société en nom collectif comme étant l"élaboration d"un projet de R. & D. et la contribution de fonds aux dépenses courantes liées à ce projet décrit à l"annexe A du contrat, c"est-à-dire la recherche et le développement dans un établissement appartenant à Anaquan et exploité par elle à Winnipeg. Puisqu"Anaquan n"avait pas les moyens financiers de terminer la construction de cet établissement, les activités de la société en nom collectif ne pouvaient être exercées.

         (iii) analyse

[55]      Je conviens avec l"avocat de la défenderesse que les faits de l"espèce sont moins favorables à la contribuable que ceux de l"arrêt Continental Bank , précité. Toutefois, à mon avis, cela ne suffit pas pour régler la question. La question est de savoir si la participation d"Anwin au contrat de société, la cession à Anaquan des billets à ordre, et son utilisation de l"argent comptant faisant partie du prix du contrat de recherche aux termes des ententes étaient liées de suffisamment près à l"élaboration du projet de R. & D., et à l"apport de capital à ce projet, pour conclure qu"Anwin exploitait une entreprise.

[56]      Comme le montre le partage des opinions sur une question semblable dans l"arrêt Spire Freezers Limited c. Canada , [1999] 4 C.F. 381 (C.A.F.) il peut être difficile de répondre à cette question en s"appuyant sur une série de faits donnée. Toutefois, à mon avis, le rôle qu"a joué Anwin dans la frénésie de signatures qui ont eu lieu le 25 février 1986 ne constitue pas l"exploitation d"une entreprise.

[57]      Tout d"abord, ayant mis à pied son personnel en décembre 1985, et étant par ailleurs désespérément à court de liquidités, Anaquan n"effectuait pas d"activités de recherche en février 1986. En fait, puisque l"établissement désigné pour la recherche était toujours en construction quand les parties ont signé les documents, et qu"il n"a jamais été terminé, la société n"a pas été en mesure de lancer le projet de R. & D. décrit dans le contrat de société et dans l"entente de coentreprise.

[58]      Deuxièmement, bien que les opérations effectuées par Anwin sur lesquelles la contribuable s"appuie étaient des paiements pour les recherches faites par Anaquan aux termes de l"entente de coentreprise, en fait le produit des billets à ordre a été utilisé par Anaquan pour acquitter ses dettes existantes. Bien entendu, Anaquan était aussi la commanditée d"Anwin, et, à ce titre, était responsable de sa gestion, et devait donc savoir comment les fonds seraient utilisés.

[59]      Troisièmement, puisque la partie du prix du contrat payé comptant n"a jamais, à toutes fins pratiques, été mise à la disposition d"Anaquan par suite de la réalisation du bon de garantie d"exécution, du prêt et des options de vente, les opérations d"Anwin concernant les 310 300 $ étaient même encore plus éloignées de l"exploitation de la société en nom collectif.

[60]      Par conséquent, la contribuable n"a pas réussi à me convaincre que, d"après l"ensemble des circonstances de cette affaire, les participants exploitaient une entreprise par l"entremise d"Anwin Research Partnership. Les opérations financières auxquelles Anwin a participé n"étaient guère plus que des opérations préparatoires à l"exploitation des activités de la société en nom collectif, et n"étaient pas reliées d"assez près à l"exploitation de cette entreprise.

[61]      Bien que la société en nom collectif ait été maintenue, du moins formellement, jusqu"en septembre 1987, l"avocat a concédé qu"aucune activité commerciale n"a été exercée après la signature des divers documents le 25 février 1986. En l"absence du témoignage de M. McLellan, qui n"a pas été cité comme témoin, je ne peux attacher beaucoup d"importance à la suggestion selon laquelle il a continué de chercher activement du financement pour Anaquan auprès des banques jusqu"en juillet 1986.

[62]      Il convient de souligner de nouveau la définition très stricte et très précise de l"exploitation de la société en nom collectif : la mise sur pied d"un projet de R. & D. à l"établissement de recherche d"Anaquan, partiellement construit, a [TRADUCTION] " précisément pour but de faire un apport de capital en vue des dépenses de recherche scientifique engagées en rapport avec celui-ci ". Il n"y avait pas le 25 février, et il n"y a pas eu par la suite, d"activités de recherche comme celles qui ont été précisées dans le contrat de société et, par conséquent, il n"y avait pas d"activités de recherche en cours auxquelles Anwin pouvait contribuer.

[63]      Toutefois, au cas où j"aurais tort de conclure que la demanderesse n"a pas établi que les participants " exploitaient une entreprise ", j"examinerai la deuxième des conditions de validité de la société en nom collectif qui est contestée en l"espèce.

     b) " en vue de réaliser un bénéfice "

         (i) l"argument de la demanderesse

[64]      Afin d"établir que la société en nom collectif Anwin exploitait une entreprise " en vue de réaliser un bénéfice ", la contribuable a mentionné le contrat de société et l"entente de coentreprise, qui prévoyaient tous deux que les résultats de la recherche seraient exploités commercialement et qu"Anwin toucherait un pourcentage fixe du revenu brut découlant de cette exploitation.

[65]      L"avocat a fait valoir qu"il ressort de la jurisprudence que cet arrangement aide grandement ses clients à prouver que la définition de la Loi sur la société en nom collectif a été satisfaite. Il s"appuie particulièrement sur l"arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada , précité, pour justifier cette proposition.

[66]      Au sujet de la preuve, l"avocat fait valoir qu"au vu de la grande importance qui doit être accordée aux documents, qui n"ont pas été allégués comme étant un trompe-l"oeil par la Couronne, la preuve est suffisante pour établir les faits nécessaires. Toutefois, il concède également que, puisqu"Anaquan a fait faillite en 1987, et que les registres de la société ont été détruits, les problèmes de preuve auxquels la contribuable a dû faire face dans le présent appel ont été extraordinaires.

[67]      Qui plus est, il a souligné que les questions de fait devaient être déterminées d"après les faits tels qu"ils étaient, et tels qu"ils étaient connus des parties le 25 février 1986. Le fait qu"Anaquan n"a jamais été en mesure de se sortir de ses difficultés financières et qu"elle a été mise en faillite moins d"un an après la signature des documents faisant l"objet du présent appel n"est pas directement pertinent à l"espèce.

[68]      La Cour ne devrait pas procéder à l"évaluation de la preuve en ayant l"avantage d"une analyse rétrospective, mais elle devrait se placer dans la position d"un entrepreneur qui était disposé à prendre des risques financiers considérables dans la poursuite d"une fin commerciale. La Cour ne devrait pas substituer son opinion selon laquelle il n"y avait pas de possibilité réaliste de profit pour ceux des hommes d"affaires qui ont participé à cette entreprise en croyant qu"il y en avait.

[69]      En outre, la condition que l"entreprise soit exploitée " en vue de réaliser un bénéfice " peut être satisfaite même si l"on sait que les activités ne généreront pas immédiatement un bénéfice. La loi permet aux sociétés en nom collectif d"être constituées de personnes qui s"attendent à ce qu"un certain temps s"écoule avant que leurs activités commerciales se traduisent par des bénéfices.

[70]      L"avocat soutient que le critère à appliquer est de savoir si le 25 février 1986, Anaquan, en tant que commanditée d"Anwin Research Partnership, pouvait s"attendre que les dépenses engagées aux termes de l"entente de coentreprise mèneraient à la réalisation d"un bénéfice provenant des activités de recherche d"Anaquan.

[71]      À l"appui d"une réponse positive à cette question, M. Pustogorodsky a signalé qu"Anaquan avait recueilli 16 millions de dollars dans les deux années antérieures, dont la plupart avaient été dépensés dans des recherches qui étaient admissibles en vertu du programme de crédit d"impôt à la recherche scientifique qui était alors en vigueur. Anaquan n"était donc pas une société " trompe-l"oeil ", mais elle avait un plan commercial et, puisque ses pertes déclarées n"ont pas été refusées quand son obligation fiscale a été évaluée, elle a été traitée par Revenu Canada comme une société exploitant une entreprise en vue de réaliser un bénéfice.

[72]      De plus, la construction de l"établissement où la recherche devait être effectuée était presque terminée, et M. McLellan a continué de chercher du financement pour la recherche jusqu"en juillet 1986, bien après la signature des documents le 25 février de cette année. En fait, la société a existé jusqu"en septembre 1987.

[73]      L"avocat s"appuie également sur le fait qu"il ressort d"une note contemporaine rédigée par M. Shead que, dans une réunion au cours de laquelle le plan était élaboré avec M. Shead avant le 25 février, M. McLellan avait apparemment réduit le pourcentage de revenu brut payable aux commanditaires à même le produit de la recherche. L"avocat soutient qu"une telle situation ne peut s"expliquer que parce que M. McLellan croyait que la recherche d"Anaquan pouvait générer des bénéfices.

[74]      En outre, avant de s"engager eux-mêmes dans cette entreprise Sunshine et Perth s"étaient appuyées sur l"avis de comptables réputés, d"un professeur de l"Université du Manitoba et de M. Shead. De plus, M. Leibl a déclaré dans son témoignage que, même si l"évitement fiscal avait été la raison principale de la conclusion de ce plan, il s"attendait à ce que la recherche soit faite et considérait la possibilité d"un bénéfice comme une " prime ".

         (ii) les principes juridiques

[75]      Deux questions doivent être posées avant d"en venir à une conclusion finale quant à savoir si la société exploitait une entreprise " en vue de réaliser un bénéfice ". La première porte sur les documents que la Cour peut examiner pour décider quelle était l"intention des parties. La deuxième est de savoir si le critère exige une détermination de leur intention réelle et subjective ou s"il suffit que cette intention soit, du moins d"un point de vue minimal, réaliste.

     a) la preuve de l"intention des parties

[76]      Le point de départ de cette analyse doit être le jugement du juge Bastarache dans l"arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada , précité. Bien qu"il s"agisse d"un jugement dissident, la juge McLachlin (maintenant juge en chef), qui a rédigé le jugement majoritaire de la Cour, a expressément souscrit à l"analyse du juge Bastarache sur ce point.

[77]      Le juge Bastarache a déclaré que, si les documents constituant la société en nom collectif alléguée n"étaient pas un trompe-l"oeil, le fait que le motif premier des parties dans la constitution de cette société ait été d"éviter l"impôt n"empêchait pas de donner un effet juridique au libellé des documents correctement interprétés. Adoptant l"énoncé de droit tiré de l"ouvrage Lindley & Banks on Partnership 17e édition (Londres : Sweet & Maxwell, 1995), aux pages 10 et 11, le juge Bastarache a déclaré (au paragraphe 43) qu"une société en nom collectif existait si " la réalisation et le partage d"un bénéfice constituaient un but accessoire ".

[78]      Le juge Bastarache a insisté (aux paragraphes 45 et 46) sur le fait que les documents constituent le fondement primordial pour déterminer si les parties avaient l"intention d"exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Toutefois, en concluant que la documentation était suffisante dans cette affaire pour créer une société en nom collectif, il a également noté (au paragraphe 44) qu"il ne s"agissait pas " d"un cas où aucun bénéfice n"était envisagé pendant la durée de la participation d"un associé ". En fait, dans cette affaire, la société avait véritablement fait des bénéfices et les avait distribués aux associés.

[79]      Par conséquent, à mon avis, l"arrêt Continental Bank , précité, ne peut être invoqué pour appuyer la proposition selon laquelle, en l"absence d"un élément de duperie, le tribunal est empêché d"examiner les faits de l"espèce dans leur ensemble afin de déterminer si les parties avaient comme objectif accessoire de faire un bénéfice. En fait, le juge Bastarache a cité en y souscrivant (au paragraphe 23) un autre passage de Lindley & Banks , précité, qui dit ceci : " pour déterminer l"existence d"une société en nom collectif [...] il faut tenir compte du contrat et de l"intention véritable des parties ressortant de l"ensemble des faits de l"affaire " [non souligné dans l"original].

[80]      C"est ce raisonnement de Continental Bank , précité, qu"a suivi la Cour d"appel fédérale dans Spire Freezers Limited c. Canada , précité, dans lequel la Cour a statué que, même si la documentation était compatible avec la création d"une société en nom collectif, les faits accessoires ne permettaient pas de conclure que les parties avaient créé une société en nom collectif avec une intention autre que d"acquérir une perte fiscale. Comme le dit le juge Linden (au paragraphe 17) :

     On ne peut affirmer dans un écrit qu"une société de personnes a été créée alors que les faits objectifs ne justifient pas une telle conclusion. C"est aussi un principe élémentaire de droit qu"on ne peut nier dans un écrit l"existence d"une société de personnes lorsque les faits objectifs démontrent qu"une société de personnes a bel et bien été constituée. Les écrits sont très importants, mais ils ne disent pas tout. Pour être connue en droit, une société de personnes doit donc avoir une existence réelle.

[81]      Dans une autre affaire décidée après Continental Bank, soit Backman c. La Reine, 99 DTC 5602, la Cour d"appel fédérale a statué que, malgré l"existence de documents qui avaient été soigneusement préparés avec l"intention de créer une société en nom collectif, cette société n"avait pas véritablement été créée parce que le seul objectif de certains des associés était l"acquisition d"une perte fiscale. La supposée société en nom collectif était " une coquille vide qui n"exploitait pas réellement une entreprise " (paragraphe 24). Il est manifeste que, dans cette affaire, la Cour est allée au-delà de la documentation afin de déterminer si l"intention nécessaire à la création d"une société en nom collectif valide était présente.

[82]      Par conséquent, après avoir accordé l"importance appropriée à la preuve de l"intention énoncée dans les documents signés par les parties, je dois néanmoins examiner également toutes les circonstances de l"affaire.

     b) l"intention était-elle subjective ou objective ?

[83]      Il semblerait que l"intention de tous les participants dans Anwin Research Partnership, Sunshine, Perth et Anaquan doive être examinée : voir Spire Freezers Limited c. Canada , précité, au paragraphe 40. Il n"est donc pas suffisant qu"Anaquan seule ait eu l"intention d"exploiter en commun une entreprise avec Sunshine et Perth " en vue de réaliser un bénéfice ".

[84]      Deuxièmement, puisque la question ultime est l"intention subjective des parties. Il ne revient pas à la Cour d"examiner s"il était raisonnable ou même réaliste pour les parties de croire que l"entreprise qu"ils exploitaient en commun produirait un rendement. Il s"agit d"un cas où l"intention prédominante des commanditaires, à tout le moins, était d"acquérir une perte fiscale afin de réduire leur obligation fiscale. La question est de savoir s"ils avaient également l"intention subsidiaire de réaliser un bénéfice par l"entremise d"Anwin à même les activités de recherche d"Anaquan. Si telle était leur intention, alors cela suffit pour créer une société en nom collectif valide.

[85]      Toutefois, pour déterminer quelle intention peut être prêtée aux parties, la Cour doit examiner de façon objective la preuve dont elle est saisie, particulièrement les faits tels qu"ils étaient connus quand les documents pertinents ont été signés. La preuve fournie par un participant, comme M. Leibl, selon laquelle la réalisation d"un bénéfice était une raison suffisante pour créer le lien de droit ne peut être acceptée comme prouvant nécessairement la véritable intention des parties. Et pour parvenir à une telle conclusion, il ne faut pas nécessairement ou implicitement inférer que le témoin avait une autre intention que celle de dire toute la vérité.

[86]      Des sentiments semblables ont été exprimés dans la décision Backman, précitée, où, en tenant compte d"autres éléments de preuve, la Cour a attaché peu d"importance (au paragraphe 20) à un " témoignage oral vague [de l"appelant] selon lequel les Canadiens s"attendaient à réaliser un bénéfice annuel de 1 000 à 1 500 $ par suite de l"investissement relatif au pétrole et au gaz ". Et, dans Spire Freezers , précité, à la page 413, au paragraphe 56 des motifs de son jugement, le juge Robertson est tout aussi sceptique quant à la valeur d"un témoignage dans les causes fiscales :

     Les éléments de preuve clairs et objectifs quant à l"intention valent toujours mieux que les ruminations subjectives des témoins qui sont naturellement réticents à donner un témoignage qui risquerait de nuire à leurs intérêts. En outre, on ne peut passer sous silence l"influence que les conseillers juridiques et fiscaux exercent sur leurs clients lorsqu"on évalue l"intention des parties.

[87]      Finalement, dans Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 736, le juge Iacobucci a déclaré ce qui suit concernant la preuve que les dépenses avaient été engagées en vue de tirer un revenu de l"entreprise au sens de l"alinéa 18(1)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu :

     Comme dans d"autres domaines du droit, lorsqu"il faut établir l"objet ou l"intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l"objet subjectif d"une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l"objet se manifeste objectivement, et l"objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.

     c) l"application du critère

         1. La preuve documentaire

[88]      Abordant maintenant la preuve, j"examinerai tout d"abord les documents qui sont supposés indiquer que les contribuables ont conclu un contrat avec Anaquan quand elles ont créé Anwin Research Partnership " en vue de réaliser un bénéfice ". Le contrat de société en nom collectif lui-même appuierait certainement la conclusion que les participants " avaient l"intention de réaliser un bénéfice ". Donc, l"alinéa 2.03(b) décrit les objectifs de la société en nom collectif comme incluant l"exploitation commerciale des résultats du projet de R. & D. par l"octroi de licences, la production et la commercialisation. En outre, l"article 4.05-08 prévoit la détermination et la répartition entre les associés, du revenu ou des pertes nets de la société.

[89]      Par ailleurs, l"entente de coentreprise fait ressortir une preuve un peu plus équivoque quant à savoir si les parties avaient " l"intention de réaliser un bénéfice ". Plus particulièrement, à la clause 7 de l"entente, les sommes payables à Anwin à même les revenus bruts générés par Anaquan dans le cadre du projet de R. & D. sont plafonnés à 20 % du prix du contrat pour chacune des cinq premières années de celui-ci. Donc, abstraction faite du succès commercial des recherches d"Anaquan, Anwin ne réaliserait aucun bénéfice dans les cinq premières années ; la société en nom collectif récupérerait simplement les fonds qu"elle avait versés à Anaquan aux fins de la recherche. Il faut cependant convenir que, pour les cinq années suivantes, l"entente fixe le plafond annuel de la part d"Anwin des revenus bruts à 10 % du prix du contrat, de sorte qu"un bénéfice, si minime soit-il, était possible, du moins en théorie.

[90]      Si je devais restreindre mes recherches concernant l"intention poursuivie ou l"objet recherché par les parties à un examen des documents, je serais disposé à conclure que les participants dans la société en nom collectif Anwin exploitaient une entreprise " en vue de réaliser un bénéfice ". Toutefois, étant donné qu"aucun bénéfice, au sens d"un rendement sur l"achat des parts d"Anwin, ne pouvait être réalisé avant la sixième année de l"exploitation de la coentreprise avec Anaquan, et compte tenu également de la définition très restreinte du projet de R. & D., je ne peux considérer la preuve documentaire comme fournissant une preuve particulièrement convaincante de l"intention requise.

     2. La situation financière d"Anaquan

[91]      Si la preuve accessoire indique qu"Anaquan n"avait pas la capacité financière ou le potentiel pour s"acquitter de ses obligations en vertu de l"entente de coentreprise et de réaliser un bénéfice à partir des recherches qu"elle s"était engagée par contrat à effectuer, et que les parties connaissaient l"incapacité d"Anaquan de lever les fonds nécessaires pour poursuivre ses recherches et réaliser un bénéfice, ou ont fermé les yeux sur cette incapacité, Sunshine et Perth ne peuvent raisonnablement prétendre qu"elles ont participé à Anwin Research Partnership " en vue de réaliser un bénéfice ".

[92]      Un raisonnement semblable a été exposé dans l"arrêt Moloney c. La Reine , précité, à la page 6571, où le juge Hugessen de la Cour d"appel a maintenu la conclusion du juge de première instance indiquant que le contribuable n"avait pas l"intention d"exploiter une entreprise parce qu"il n"avait pas les moyens ou la capacité de commercialiser le produit qui, selon les allégations, était l"objet de l"entreprise.

[93]      Il n"est pas nécessaire de faire preuve de la perspicacité que le recul pourrait nous donner pour apprécier le sérieux de la situation financière d"Anaquan le 25 février 1986. Elle devait 2,5 millions de dollars à Revenu Canada, et elle était considérablement endettée envers les fournisseurs du matériel informatique nécessaire à la poursuite de ses recherches. La construction de son établissement de recherche n"était pas terminée et il lui fallait environ 1 million de dollars pour terminer cette construction. Anaquan a dû mettre son personnel à pied en décembre 1985.

[94]      Même si la société avait réussi à recueillir des fonds considérables dans les deux années antérieures, elle l"avait fait à une époque où les crédits d"impôt à la recherche scientifique étaient toujours disponibles. Leur abolition a sérieusement affaibli la capacité d"Anaquan de recueillir suffisamment de fonds pour rembourser ses dettes existantes et financer de nouvelles recherches. En outre, au début de 1986, les planificateurs fiscaux, y compris M. Shead, s"attendaient vraisemblablement à ce que des modifications soient apportées le 26 février 1986 à la Loi de l"impôt sur le revenu, qui auraient pour effet de modifier le traitement fiscal réservé aux sociétés en nom collectif, ce qui réduirait l"attrait du genre d"abri fiscal qui fait l"objet du présent litige.

[95]      En fait, les seuls fonds qu"Anaquan a réussi à recueillir par l"entremise de ce mécanisme d"abri fiscal conçu par M. McLellan et par M. Shead en 1986 a été une somme de 177 000 $ qui lui a été fournie par Perth et Sunshine au moyen de billets à ordre. Les autres sources potentielles de financement explorées par M. McLellan n"ont rien donné.

[96]      Il ne ressort nulle part de la preuve qu"Anaquan était sur le point de réaliser un bénéfice. Aucune preuve n"a été fournie qui puisse indiquer que ses recherches avaient produit des résultats qui pourraient être exploités commercialement.

     3. La connaissance des participants

[97]      Ce que les participants savaient à l"époque pertinente est lié à leur intention ou à leur but quand ils ont adhéré au plan d"Anwin. Au 25 février 1986, tous les faits décrits ci-dessus étaient connus de M. McLellan, le président d"Anaquan, qui était la commanditée de la société en nom collectif Anwin. Au vu de la preuve dont je suis saisi concernant la situation financière d"Anaquan en 1986, qui s"est détériorée dramatiquement après le mois de février, toute attente de la part de M. McLellan d"obtenir d"une banque qu"elle avance des fonds à Anaquan aurait été purement chimérique.

[98]      Il aurait été utile d"entendre le témoignage de M. McLellan qui aurait pu expliquer pourquoi, au cours des entretiens qu"il a eus avec M. Shead au sujet de la constitution de la société en nom collectif, il semble avoir décidé de réduire le pourcentage des revenus bruts devant être payés à Sunshine et Perth dans les cinq premières années suivant la signature de l"entente de coentreprise. Toutefois, en l"absence de ce témoignage, je ne suis pas disposé à inférer du désir apparent de M. McLellan de limiter la rétribution financière de Sunshine provenant de la recherche, qu"il y avait des faits sur lesquels il pouvait fonder une conviction véritable que l"entreprise était rentable.

[99]      Je ne considère pas comme particulièrement important le fait que Revenu Canada ait apparemment accepté que les pertes d"Anaquan avaient été engagées en essayant de tirer un revenu ou de réaliser un bénéfice. La preuve n"indique pas qu"il s"agit là d"une question qui a fait l"objet d"une vérification ou d"une enquête par les représentants officiels, et, par conséquent, les pertes commerciales réclamées par Anaquan ont simplement été acceptées pour ce qu"elles paraissaient être.

[100]      Je conclus que M. Shead doit aussi avoir été au courant de la situation précaire d"Anaquan en raison des réunions et des entretiens qui ont eu lieu au début de 1986 entre M. McLellan et lui-même pour discuter de l"urgent besoin de financement d"Anaquan et de l"idée de M. McLellan d"offrir un abri fiscal pour attirer des investisseurs, et du lien de longue date qui liait M. Shead à Anaquan et à M. McLellan. En fait, M. Shead a déclaré qu"il était au courant qu"Anaquan n"avait plus de liquidités pour poursuivre ses objectifs de recherche, et que sur les 500 000 $ à 1,5 million de dollars que M. McLellan recherchaient, il n"avait réussi à recueillir que les 177 000 $ fournis par Perth et Sunshine.

[101]      M. Shead a également déclaré qu"il savait que l"établissement dans lequel Anaquan s"était engagée, en vertu de l"entente de coentreprise, à poursuivre ses recherches était toujours en construction le 25 février. Il reconnaît qu"il n"avait aucune raison de croire que la construction serait terminée dans les quelques semaines suivantes.

[102]      Au vu de ces faits, et de l"intérêt qu"il a dans l"issue de ce litige à titre de défendeur dans les poursuites instituées contre lui par Perth et Sunshine, je ne peux accepter le témoignage de M. Shead dans lequel celui-ci déclare qu"en février 1986 il n"était pas au courant des difficultés financières d"Anaquan.

[103]      Pour deux raisons, je considère également que l"allégation de Sunshine selon laquelle elle n"avait aucune connaissance de l"incapacité probable d"Anaquan d"effectuer des recherches potentiellement rentables comme étant peu convaincante. Tout d"abord, comme M. Shead semble avoir agi pour toutes les parties dans les différentes opérations à l"étude en l"espèce, malgré le fait que ces parties avaient des intérêts différents et contradictoires, il ne serait pas inapproprié d"imputer à Sunshine la connaissance qu"avait M. Shead, peu importe à quel titre il a acquis cette connaissance.

[104]      Deuxièmement, il ressort clairement de la preuve que Sunshine a conclu l"opération sans véritablement penser à la possibilité d"un bénéfice découlant des recherches d"Anaquan. À mon avis, la preuve ne démontre pas que Sunshine a été simplement négligente en ne faisant pas l"enquête qu"un homme d"affaires prudent aurait faite avant de s"embarquer dans une entreprise commerciale en vue de réaliser un bénéfice. Au contraire, au regard de toute pratique commerciale raisonnable, Sunshine ne se souciait pas du tout de la capacité d"Anaquan d"effectuer des recherches qui, si elles obtenaient le succès escompté, auraient pu constituer un bénéfice pour Anwin.

[105]      Ainsi, M. Leibl a témoigné que Sunshine n"a pas demandé à voir les états financiers d"Anaquan : en fait, elle savait d"après les clauses de la notice d"offre que les commanditaires n"avaient pas droit aux renseignements financiers concernant Anaquan et qu"elle renfermait une clause de dénégation concernant la capacité d"Anaquan de respecter l"option de vente ou de continuer l"entreprise exploitée par la société en nom collectif. La notice d"offre attirait également l"attention des investisseurs sur les facteurs de risque inhérents à ce type de placement et leur conseillait de consulter leurs propres conseillers juridiques.

[106]      M. Leibl n"a fait aucune recherche au sujet des sources de financement disponibles pour Anaquan et ne s"est pas renseigné à cette époque au sujet du montant qu"Anaquan toucherait par suite des opérations qui sont à l"origine du présent litige. En fait, comme il l"a avoué franchement dans son témoignage, cette question ne le préoccupait pas du tout.

[107]      M. Leibl semble n"avoir rien su de la nature ou du déroulement des recherches devant être effectuées par Anaquan, au-delà du fait qu"elles étaient liées au béton, et que la société avait des antécédents dans ce domaine. Il n"a fait aucune étude pour évaluer la possibilité qu"Anwin réalise un bénéfice à partir des activités de recherche d"Anaquan. Toutefois, s"étant rendu sur les lieux de la recherche d"Anaquan, il savait que l"établissement où les recherches devaient être faites n"était pas prêt et qu"il ne serait pas opérationnel dans les semaines suivant le 25 février 1986.

[108]      Tout ce qui précède est compatible avec l"impression évidente que je tire du témoignage de M. Leibl : l"intérêt de Sunshine dans ce plan était l"argent comptant qu"elle pourrait récupérer de l"abri fiscal, et si la recherche permettait de réaliser des bénéfices, cela constituerait une " prime ". Dans les circonstances, je ne crois pas que la preuve objective établisse que Sunshine a signé l"entente avec Anwin en ayant l"intention véritable " de réaliser un bénéfice ", même en tant qu"objectif accessoire.

[109]      Je ne suis pas non plus convaincu que le désintérêt apparent de Sunshine à l"égard de la viabilité financière d"Anaquan, ou de l"état de ses recherches, puisse s"expliquer en invoquant la confiance que la contribuable témoignait à ses conseillers professionnels.

[110]      Premièrement, comme je l"ai déjà noté, Sunshine est réputée avoir eu une connaissance approfondie des affaires d"Anaquan, par la connaissance qu"en avait son avocat, M. Shead. Deuxièmement, l"avis des responsables de l"impôt sur le revenu, datée du 24 février 1986, que Sunshine a obtenu par le cabinet de comptables ne traitait pas de la possibilité d"un bénéfice découlant des activités de recherche d"Anaquan.

[111]      Cet avis indique clairement dès le début qu"il est fondé sur certaines informations, notamment sur le fait qu"Anwin était une société en nom collectif [TRADUCTION] " dûment constituée en vertu du droit du Manitoba ". Essentiellement, un avis fiscal explique simplement les différents éléments du plan proposé et leurs effets, en supposant que les déductions d"impôt pertinentes sont autorisées par Revenu Canada.

[112]      Pour ce qui est de l"avis que le professeur Wedepohl a donné à Anwin, cet avis constitue simplement l"opinion de l"auteur selon laquelle les recherches proposées et devant être effectuées par Anaquan à son établissement de Winnipeg seraient considérées comme des " recherches scientifiques " aux fins de l"impôt sur le revenu. Ici encore, le rapport ne dit rien de la capacité financière d"Anaquan d"effectuer des recherches ou de la rentabilité de celles-ci.

     d) conclusion

[113]      Appliquant le droit aux faits tels qu"ils m"apparaissent, je conclus que ni la confiance apparente de M. McLellan dans la viabilité de son projet de recherche au vu de la preuve convaincante concernant les difficultés financières d"Anaquan, ni l"espoir mal informé et spéculatif de Sunshine selon lequel les recherches d"Anaquan pourraient générer un bénéfice, qui relèverait davantage d"une aubaine inattendue ou d"une prime, qu"ils soient examinés individuellement ou ensemble et remis dans le contexte de l"ensemble de la preuve, ne suffisent pas pour conclure qu"Anwin répond à la définition réglementaire d"une société en nom collectif.

[114]      D"après les faits tels qu"ils sont et tels qu"ils étaient connus le 25 février 1986, je ne suis pas convaincu que, d"après la prépondérance des probabilités, les parties ont convenu d"exploiter une entreprise par l"entremise d"Anwin Research Partnership " en vue de réaliser un bénéfice ", même en tant qu"objectif accessoire.

[115]      Puisque la détermination de la véritable intention des parties dépend de la preuve dont est saisie la Cour dans la présente espèce, d"autres causes ne peuvent apporter qu"une aide limitée. Néanmoins, les mots utilisés dans l"affaire Backman , précitée, semblent appropriés en l"espèce : plus particulièrement, la qualification de l"arrangement qu"on décrit comme un " camouflage " (paragraphe 20) et " une coquille vide " (paragraphe 24).

[116]      Bien que mes conclusions sur la première question soient suffisantes pour rejeter l"appel, au cas où j"aurais à tort conclu qu"il n"y avait pas de société en nom collectif, je traiterai de la deuxième question. Toutefois, les avocats ont convenu que puisque les dispositions pertinentes de la Loi de l"impôt sur le revenu ont maintenant été abrogées, mon jugement aura vraisemblablement peu d"application au-delà de l"espèce.

     Question 2 :      En supposant qu"Anwin Research Partnership était une société en nom collectif valide, les dépenses qu"elle a engagées aux termes de l"entente de coentreprise peuvent-elles bénéficier du traitement spécial accordé aux paiements tombant sous le coup du sous-alinéa 37(1)a )(v) de la Loi de l"impôt sur le revenu ?

[117]      La disposition de la Loi de l"impôt sur le revenu qui était en vigueur en 1986, et qui est contestée dans le présent appel, est la suivante :


37.(1) Scientific research and experimental development. - Where a taxpayer files with his return of income under this Part for a taxation year a prescribed form containing prescribed information, carried on a business in Canada and made expenditures in respect of scientific research and experimental development in the year, there may be deducted in computing his income for the year the amount, if any, by which the aggregate of


(a) such amounts as may be claimed by the taxpayer not exceeding all expenditures of a current nature made in Canada by the taxpayer in the year or in any previous taxation year ending after 1973

(i) on scientific research and experimental development related to the business and directly undertaken by or on behalf of the taxpayer,

(ii) by payments to an approved association that undertakes scientific research and experimental development related to the class of business of the taxpayer,

(iii) by payments to an approved university, college, research institute or other similar institution to be used for scientific research and experimental development related to the class of business of the taxpayer, ...



(v) by payments to a corporation resident in Canada for scientific research and experimental development related to the business of the taxpayer;

37.(1) Recherches scientifiques et développement expérimental. Lorsqu"un contribuable produit avec sa déclaration de revenu en vertu de la présente partie pour une année d"imposition un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits et qu"il a exploité une entreprise au Canada et a fait des dépenses pour des recherches scientifiques et du développement expérimental dans l"année, est déductible dans le calcul de son revenu pour l"année la fraction éventuelle du total

a) toute somme que peut réclamer le contribuable et qui ne dépasse pas le total des dépenses de nature courante faites au Canada par le contribuable durant l"année ou toute année d"imposition antérieure se terminant après 1973

(i) pour recherches scientifiques et développement expérimental se rapportant à l"entreprise du contribuable et effectués directement par lui ou pour son compte,

(ii) sous forme de paiements à une association agréée qui entreprend des recherches scientifiques et du développement expérimental en rapport avec la catégorie d"entreprise du contribuable,

(iii) sous forme de paiements à quelque université, collège, institut de recherches ou autre établissement semblable agréés, lesquels paiements doivent servir à des recherches scientifiques et à du développement expérimental en rapport avec la catégorie d"entreprise du contribuable,

...

(v) sous forme de paiements à une corporation résidant au Canada, à des fins de recherches scientifiques et de développement expérimental en rapport avec l"entreprise du contribuable;

[118]      La principale question litigieuse entre les parties est de savoir, du point de vue de l"interprétation, si le sous-alinéa 37(1)a )(v) s"applique uniquement lorsque la dépense a réellement été faite pour effectuer la recherche.

     a) la position de la demanderesse

[119]      L"avocat de la contribuable a fait valoir que cette condition n"existe pas ; il suffisait que la dépense ait été engagée en vertu d"un contrat comme paiement en vue de faire la recherche, que des recherches aient ou non été véritablement effectuées.

[120]      M. Pustogorodsky a signalé que le sous-alinéa (v) traite d"une dépense " à des fins " de recherches scientifiques et de développement expérimental, alors que le sous-alinéa (i) utilise le mot " pour ". Il prétend que, puisque le législateur a utilisé des prépositions différentes, il faut présumer qu"il avait l"intention de donner un sens différent à ces deux sous-alinéas.

[121]      Ainsi, selon son argument, pour être admissibles à une déduction aux termes du paragraphe 37(1), les " dépenses [...] pour recherches scientifiques [...] " visées au sous-alinéa (i) doivent être des dépenses pour des recherches qui ont en fait été effectuées. Par ailleurs, les " [...] paiements [...] à des fins de recherches scientifiques [...] " peuvent inclure des paiements faits en vue de la recherche qui sont déductibles en vertu du paragraphe 37(1), que la recherche ait ou non été faite.

[122]      Cette interprétation du texte peut être appuyée par deux autres arguments. Tout d"abord, les dépenses en vertu du sous-alinéa (i) portent sur des recherches effectuées par le contribuable lui-même ou par quelqu"un qui est engagé par le contribuable pour effectuer la recherche. Dans les deux cas, la recherche se fait directement sous le contrôle du contribuable qui peut alors s"assurer qu"elle est effectivement faite. Par conséquent, il est raisonnable de limiter les déductions aux fonds dépensés pour la recherche qui a en fait été effectuée.

[123]      Par contre, quand un contribuable fait des paiements " à une corporation résidant au Canada à des fins de recherche [...] ", ce qui est la situation décrite au sous-alinéa (v), l"interposition de la société, sur laquelle le contribuable n"a aucun contrôle, signifie que le contribuable n"a pas de façon de s"assurer que les paiements faits à des fins de recherches seront en fait utilisés de cette façon.

[124]      Donc, si le sous-alinéa (v) est interprété comme exigeant que la déduction ne peut être réclamée que si la recherche a été effectuée, le contribuable ne pourrait jamais être sûr qu"il aurait droit à cette déduction. Cet élément d"incertitude limiterait injustement la capacité des contribuables d"organiser leurs affaires de façon à minimiser leur obligation fiscale.

[125]      En outre, cela ferait échec à la politique du législateur d"augmenter les activités de recherche et de développement au Canada en offrant des incitatifs fiscaux à ceux qui acceptent de fournir du financement que des sources traditionnelles de financement, comme les banques, sont peu disposées à mettre à la disposition de personnes qui possèdent un esprit inventif ou qui ont une bonne idée à faire valoir.

     b) la position de la défenderesse

[126]      En réponse à l"argument de la demanderesse fondé sur le texte, M. Gibson fait valoir que si le législateur avait voulu que l"expression " à des fins de " au sous-alinéa (v) signifie " en vue de ", il l"aurait dit. Cette dernière expression se retrouve dans toute la Loi de l"impôt sur le revenu, par exemple aux sous-alinéas 20(1)c)(i) et (ii) (de l"argent emprunté ou une somme payable pour un bien acquis " en vue de " tirer un revenu).

[127]      Bien que l"avocat ne l"ait pas mentionné, je tiens à souligner que le texte français donne un certain appui à cette prétention. Aux sous-alinéas 20(1)c )(i) et (ii), l"expression utilisée est " en vue de ", alors qu"au sous-alinéa 37(1)a )(v), l"expression est " à des fins de ". Le texte français reflète également l"anglais en utilisant une préposition différente au sous-alinéa 37(1)a )(i), soit " pour recherches ".

[128]      L"avocat de la Couronne soutient également que la position de la demanderesse signifie qu"un contribuable a droit à une déduction simplement en libellant un chèque à une société résidant au Canada et en précisant que ce chèque doit être utilisé pour les fins de la recherche liée à l"entreprise du contribuable.

[129]      Il fait valoir que cela est incompatible avec les dispositions détaillées de la Loi et des règlements régissant les déductions pour recherches scientifiques, dont l"intention était de prévenir le genre d"abus qui a découlé de l"ancien régime de crédits d"impôt à la recherche scientifique, et d"assurer que le régime législatif soit conçu de façon à servir de plus près l"intérêt public en encourageant la recherche.

     c) conclusion

[130]      Tout en reconnaissant la force de l"argument de M. Pustogorodsky sur la différence entre les paiements faits " pour " et " à des fins de " recherches, j"ai conclu que l"interprétation de M. Gibson correspond plus étroitement au sens des autres clauses utilisées à l"alinéa 37(1)a ).

[131]      Plus particulièrement, le sous-alinéa 37(1)a)(iii) inclut dans la déduction pour la recherche des paiements faits à des universités et à d"autres établissements " agréés " " lesquels paiements doivent servir à des recherches scientifiques et à du développement expérimental ". Cette disposition fait clairement ressortir que la déduction peut être réclamée même si le contribuable ne peut établir que l"argent a en fait été consacré à la recherche. Par conséquent, si le législateur avait l"intention de donner au sous-alinéa (v) du même alinéa le même sens, pourquoi n"a-t-il pas utilisé les mêmes mots ?

[132]      Le sous-alinéa (ii) est également pertinent. Ce sous-alinéa s"applique à des " paiements à une association agréée qui entreprend des recherches scientifiques et du développement expérimental ". Ici encore, il semble clair que la déduction peut être réclamée en vertu du sous-alinéa (ii) même si le paiement n"a pas en fait été appliqué par l"association " agréée " à la recherche. Si le législateur avait l"intention de lui donner un sens semblable à celui du sous-alinéa (v), il aurait pu stipuler simplement qu"un contribuable est admissible à la déduction s"il a fait " un paiement à une corporation résidant au Canada qui effectue des recherches scientifiques et du développement expérimental ".

[133]      En fait, il y a une bonne raison pour laquelle le législateur a formulé la déduction de façon plus restrictive au sous-alinéa (v) qu"aux sous-alinéas (ii) ou (iii) : c"est l"identité des bénéficiaires des paiements. Seuls les paiements effectués à des associations " agréées " ou à des universités, à des instituts de recherche ou autres établissements semblables " agréés " peuvent se qualifier pour la déduction prévue aux sous-alinéas (ii) et (iii). Le terme " agréé " est défini à l"alinéa (37(7)a ) de la façon suivante :

     " agréé " signifie agréé par le ministre après qu"il a obtenu, s"il le juge nécessaire, l"avis du ministère de l"Expansion industrielle régionale ou du Conseil national de recherches du Canada ;

[134]      L"imposition d"une condition exigeant l"approbation du ministre donne l"assurance que les bénéficiaires des paiements pour lesquels les déductions ont été réclamées avaient la capacité de faire des recherches et étaient susceptibles de dépenser l"argent pour faire des recherches, ou d"engager d"autres dépenses qui libéreraient d"autres ressources pour la recherche. Par conséquent, le législateur n"avait pas à exiger qu"avant d"avoir droit en vertu du paragraphe 37(1) à une déduction pour le paiement effectué, le contribuable devait établir que la recherche avait en fait été effectuée avec l"argent reçu.

[135]      L"incitatif additionnel donné aux investisseurs par la règle plus libérale qui est énoncée aux sous-alinéas (ii) et (iii) aurait également eu pour effet de promouvoir la politique d"ordre public qui sous-tend cet article en favorisant l"apport de financement additionnel à des établissements établis et de renom pour des programmes de recherche qui avaient obtenu le sceau d"approbation ministériel.

[136]      Par conséquent, puisque le paiement fait par Anwin à Anaquan n"a pas été utilisé pour la recherche, le ministre n"a pas eu tort de refuser la déduction réclamée par Sunshine en vertu du sous-alinéa 37(1)a )(v).


  1. .      CONCLUSIONS

[137]      Ayant décidé en faveur de la Couronne sur chacune des trois principales questions débattues dans le présent appel, il n"est pas nécessaire d"examiner les questions de moindre importance, et qui ne sont pas pertinentes compte tenu de mes autres conclusions. Le fait que ces questions concernent des dispositions de la Loi de l"impôt sur le revenu qui ont été abrogées est un autre motif qui justifie de ne pas examiner dans les présents motifs chacune des questions soulevées par les parties.

[138]      Le fait que Sunshine et Perth aient été amenées à croire par leurs conseillers que leur participation dans le plan élaboré d"Anwin réduirait de façon importante leur obligation fiscale n"est pas une raison pour en faire porter les conséquences par les autres contribuables. Les demanderesses devront chercher ailleurs les réparations possibles, ce qu"elles ont apparemment déjà entrepris de faire.

[139]      Pour ces motifs, l"appel est rejeté avec dépens.

OTTAWA (ONTARIO)                      " John M. Evans "

                            

le 7 février 2000                              Juge




Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.




     Date : 20000207

     Dossier : T-3466-90

OTTAWA (ONTARIO), le 7 février 2000.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS


ENTRE :


     SUNSHINE UNIFORM SUPPLY (1983) LTD.

     demanderesse


     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse


     JUGEMENT


     L"appel est rejeté avec dépens.



                                 " John M. Evans "

                        

                                     Juge


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL. B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


N DU GREFFE :              T-3466-90
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SUNSHINE UNIFORM SUPPLY (1983) LTD. c.

                     SA MAJESTÉ LA REINE


LIEU DE L"AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L"AUDIENCE :          du 13 au 16 décembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE EVANS

DATE :                  le 7 février 2000


ONT COMPARU :

Sergio Pustogorodsky                      POUR LA DEMANDERESSE
Donald Gibson                          POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman                  POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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