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Date : 20000824


Dossier : IMM-2316-99


OTTAWA (Ontario), le 24 août 2000

En présence de Monsieur le juge Rouleau


ENTRE :


BHHARAT BUSHAN BHARDWAJ


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



O R D O N N A N C E


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



« P. Rouleau »

                                             J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000824


Dossier : IMM-2316-99


ENTRE :


BHHARAT BUSHAN BHARDWAJ


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 19 février 1999, dans laquelle l'agent des visas Victor Lum, de la section de l'Immigration du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (l'agent des visas), a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en matière d'immigration au Canada prévues à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1976-77, ch. 52 (la Loi).

[2]      Le demandeur est un citoyen de New Delhi (Inde).

[3]      Au fil des ans, il a présenté plusieurs demandes de résidence permanente au Canada.

[4]      Le 11 octobre 1996, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au centre de traitement des demandes d'immigration de Buffalo (New York), demande qui a plus tard été transférée à New Delhi. Il y a joint une lettre d'emploi de la Vishnu Hindu Temple Society lui offrant un poste de ministre du culte hindou à temps plein.

[5]      Le 25 novembre 1998, le demandeur a eu une entrevue avec l'agent des visas à New Delhi au sujet de sa demande de résidence permanente au Canada. La demande a été rejetée par l'agent des visas le 19 février 1999.

[6]      L'agent des visas a apprécié le demandeur sur le fondement des renseignements qu'il avait fournis dans son formulaire de demande et à l'entrevue, au regard des exigences relatives à la profession de ministre du culte, CCDP code 2511-110, et lui a accordé au total 61 points d'appréciation, en fonction des critères de sélection.

[7]      L'agent a traité la demande en renvoyant expressément au poste que la Vishnu Hindu Temple Society avait offert au demandeur; cet organisme était à la recherche d'un ministre du culte compétent qui connaissait très bien les écritures et cérémonies religieuses hindoues.

[8]      À l'entrevue, l'agent des visas a appris que le demandeur n'avait pas d'antécédents professionnels directement liés au poste en cause et il a conclu qu'on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ce dernier acquière dans un délai raisonnable les compétences nécessaires en vue d'occuper ce poste.

[9]      L'agent des visas a également apprécié le demandeur en appliquant la Classification nationale des professions (CNP) et la Liste générale des professions (LGP) au regard de la profession de ministre (CNP 4154). Il a conclu que le demandeur n'était pas admissible à exercer cette profession en vertu des critères d'appréciation révisés.

[10]      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit ou violé un principe d'équité procédurale ou de justice naturelle en rejetant la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée?

[11]      Le demandeur soutient que la norme de contrôle que l'agent des visas doit appliquer pour déterminer si une demande satisfait aux critères de sélection est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[12]      Le demandeur soutient que la description de la profession de ministre du culte, CCDP code 2511-110, au regard de laquelle il a été apprécié, n'est pas pertinente vu qu'elle ne renvoie qu'à ceux qui exercent des fonctions religieuses chrétiennes et qu'elle ne traite pas directement des fonctions d'un ministre du culte hindou. Il fait valoir que l'agent des visas a agi de façon déraisonnable en omettant de l'apprécier au regard d'autres descriptions de la CCDP pertinentes en ce qui concerne ses compétences et la profession qu'il entendait exercer (en particulier « CCNP 2511-199 « Autres ministres du culte » et CCNP 2519-199 « Autres membres du clergé et assimilés » , ou conformément à la nouvelle Classification nationale des professions (CNP), CNP 4154 « Ministres du culte » et CNP 4217 « Autres membres des ordres religieux » ). Il avance que l'agent des visas a agi de façon déraisonnable lorsqu'il a abusé de son pouvoir discrétionnaire en se fondant exclusivement sur ces descriptions de professions. Il ressort clairement d'un examen de la lettre de refus que l'agent des visas a agi de façon déraisonnable en appliquant une norme beaucoup trop stricte pour apprécier le travail d'une personne exerçant des fonctions religieuses. Il a omis de tenir compte de la nature du poste et des exigences de la congrégation religieuse en cause en déterminant si le demandeur pourrait ou non satisfaire aux besoins de son éventuel employeur.

[13]      Le demandeur soutient en outre qu'il s'attendait légitimement à ce que l'agent des visas puisse appliquer, voire appliquerait la politique en matière de personnel religieux qui se trouve à l'art. 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l'immigration en appréciant sa demande de résidence permanente selon les critères de sélection du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement). En rejetant la demande de 1997, l'agent des visas de New Delhi n'a pas accordé de point au demandeur au titre de l'emploi réservé, et ce sans expliquer pourquoi il agissait ainsi. Selon le demandeur, s'il avait été apprécié au regard de la catégorie « autre personnel religieux » , il aurait reçu un nombre de points suffisant pour obtenir un visa d'immigrant conformément à l'alinéa 10(1)b) du Règlement, étant donné qu'il avait reçu une offre d'emploi d'un organisme religieux.

[14]      Le défendeur soutient que [TRADUCTION] « lorsqu'il s'agit d'une demande de l'intérieur qui, en conséquence, n'est pas susceptible d'avoir de graves conséquences, la norme de contrôle que l'agent des visas doit appliquer pour déterminer si la demande satisfait ou non aux critères de sélection est celle de la décision manifestement déraisonnable » .

[15]      Le défendeur soutient que l'agent des visas a tenu compte de la politique en matière de personnel religieux qui se trouve à l'art. 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l'immigration. L'agent des visas a mentionné l'offre d'emploi qui a été faite au demandeur dans ses notes CAIPS ainsi que dans la lettre de refus. L'article 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l'immigration est une politique. Le défendeur soutient que la politique n'est pas une disposition législative que les agents des visas doivent strictement respecter, et qu'on ne peut empêcher les agents des visas d'exercer leur pouvoir discrétionnaire par l'entremise de directives qui n'ont pas force de loi. Selon le défendeur, le demandeur n'a pas établi que l'agent des visas a omis de tenir compte de la politique énoncée au ch. IS-1 du Guide ou qu'il a commis une erreur en appliquant cette politique. Pour ce qui est de la question de l'attente légitime, le défendeur soutient qu'il s'agit d'une question purement théorique étant donné que le demandeur ne possédait ni l'expérience ni les connaissances voulues afin de pouvoir occuper le poste en question.

[16]      Selon le défendeur, le demandeur a dit à tort que l'agent des visas avait omis d'apprécier ses compétences au regard de la profession CNP 4154 « Ministres du culte » . L'agent des visas a expressément dit dans sa lettre de refus qu'il avait apprécié la demande au regard de cette profession, mais que le demandeur n'avait pas les compétences voulues. L'agent des visas a conclu que le demandeur avait fait des études suffisantes en vue de devenir un ministre du culte hindou. Le défendeur est d'avis que l'affaire porte uniquement sur la question de savoir si la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur n'avait pas les connaissances nécessaires des écritures et cérémonies hindoues était fondée. En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur satisfaisait aux exigences relatives à la profession qu'il entendait exercer, l'agent des visas a dit dans sa lettre de refus qu'il n'était pas convaincu que le demandeur serait en mesure de satisfaire aux exigences relatives au poste de ministre du culte qui lui était offert. Pour parvenir à la conclusion que le demandeur ne possédait pas l'expérience voulue, l'agent des visas a également apprécié la crédibilité du demandeur relativement au fait qu'il avait déjà travaillé en tant que ministre du culte hindou après avoir terminé le cours qu'il avait suivi à la Vedic Shastri Foundation. Le défendeur soutient que l'agent des visas pouvait faire une appréciation défavorable de la crédibilité du demandeur.

[17]      Le défendeur fait également valoir que malgré la politique en vigueur du Guide de l'immigration concernant le personnel religieux, le demandeur devait toujours remplir le fardeau légal qui consistait à convaincre l'agent des visas qu'il pouvait occuper le poste qui lui avait été offert. Le défendeur soutient que la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur ne possède pas d'expérience en tant que ministre du culte ou ministre d'une religion était étayée par la preuve et qu'en conséquence, l'agent pouvait raisonnablement parvenir à celle-ci.

[18]      Dans l'arrêt To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (non publié), la Cour d'appel fédérale a conclu que la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer aux décisions discrétionnaires des agents des visas en ce qui concerne des demandes d'immigration était la même que celle qui avait été énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, dans lequel le juge MacIntyre a dit :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. (aux pages 7 et 8.)

[19]      Notre Cour a confirmé ce qui précède dans la décision Tajammul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 259. Compte tenu de l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, il semblerait que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter.

[20]      La Cour a établi, dans la décision Man c. M.E.I., T-2351-91, [1993] A.C.F. no 36, que « l'agent des visas doit tenir compte non seulement de la profession envisagée indiquée par le requérant, mais aussi des autres professions à l'égard desquelles celui-ci est qualifié et auxquels son expérience peut s'appliquer » . L'agent des visas a apprécié le demandeur au regard de la profession subsidiaire de ministre (CNP 4154). L'agent des visas n'a pas apprécié le demandeur au regard d'autres professions subsidiaires. Le demandeur soutient que l'agent des visas a agi de façon déraisonnable lorsqu'il a omis de l'apprécier conformément aux descriptions de la CCDP qui traitent directement de ses compétences et de la profession qu'il entendait exercer, soit celle de ministre du culte hindou. Il ressort d'une lecture de la lettre de refus et des notes CAIPS que le demandeur a effectivement été apprécié au regard de l'emploi qui lui avait été offert, soit celui de ministre du culte compétent qui connaissait très bien les écritures et cérémonies religieuses hindoues. Les notes d'entrevue établissent clairement que le demandeur n'avait pas les connaissances voulues. J'estime que l'agent des visas a tiré une conclusion raisonnable lorsqu'il a estimé qu'il n'était pas tenu d'apprécier le demandeur relativement à d'autres professions subsidiaires.

[21]      Je suis d'accord avec le défendeur que la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur ne possède pas d'expérience en tant que ministre du culte ou ministre d'une religion était étayée par la preuve et qu'en conséquence, l'agent pouvait raisonnablement parvenir à celle-ci.

[22]      Dans l'arrêt Baker, le juge L'Heureux-Dubé a conclu que :

[A]u Canada, l'attente légitime fait partie de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle, et qu'elle ne crée pas de droits matériels [...]. Au Canada, la reconnaissance qu'une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l'obligation d'équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie, l'obligation d'équité exigera cette procédure [...]. De même, si un demandeur s'attend légitimement à un certain résultat, l'équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés [...]. Néanmoins, la doctrine de l'attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l'équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu'il serait généralement injuste de leur part d'agir en contravention d'assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.
                                     [Références omises]

[23]      L'agent des visas était-il tenu de suivre la politique qui se trouve à l'art. 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l'immigration, qui prévoit que si le demandeur se voit offrir un emploi par un organisme religieux, il doit recevoir dix (10) points d'appréciation, soit l'équivalent du nombre de points (10) qu'il recevrait au titre de l'emploi réservé?

[24]      Il a déjà été établi que l'agent des visas doit prendre sa décision conformément à la loi et qu'on ne peut l'empêcher d'exercer son pouvoir discrétionnaire par l'entremise de directives qui n'ont pas force de loi (Ho c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 11 Imm. L.R. (2d) 12 (C.A.F.)). Or, l'article 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l'immigration est une politique. Il ressort de la preuve en l'espèce que l'agent des visas a effectivement tenu compte de l'emploi qui a été offert au demandeur, mais qu'il a conclu 1) que le fait que la Vishnu Hindu Society attendait ses services depuis six ans établissait clairement qu'en fait, l'organisme religieux rendait service au demandeur, et 2) que le demandeur n'avait pas d'antécédents professionnels directement liés au poste en cause et qu'on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ce dernier acquière dans un délai raisonnable les compétences nécessaires en vue d'occuper ce poste. Compte tenu de ces faits, j'estime que l'agent des visas n'a pas agi de façon déraisonnable lorsqu'il a refusé d'accorder au demandeur les dix (10) points qui sont habituellement alloués au titre de l'emploi réservé.

[25]      J'estime que l'agent des visas a agi de façon raisonnable lorsqu'il a conclu que le demandeur n'avait pas d'antécédents professionnels en tant que ministre du culte ou ministre d'une religion et qu'il a, par conséquent, refusé de lui accorder des points d'appréciation au titre de l'emploi réservé. L'agent des visas a apprécié la demande de bonne foi et au regard de l'offre d'emploi qui lui a été présentée, et il n'a pas violé de principe de justice naturelle ou d'équité procédurale. À mon avis, la décision était raisonnable et la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[26]      Après l'audition, qui a eu lieu à Vancouver le 14 juillet 2000, l'avocat du demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

[TRADUCTION] L'agent des visas viole-t-il la justice naturelle en omettant d'accorder 10 points, soit l'équivalent du nombre de points alloués au titre de l'emploi réservé, à la personne qui a reçu une offre d'emploi en bonne et due forme d'un organisme religieux qui amènerait cette personne à exercer des fonctions religieuses conformément à la politique générale énoncée par le ministère de l'Immigration à IS 1.36, lorsque l'agent des visas a conclu que le demandeur ne possède pas d'expérience à ce titre?

[27]      Je suis convaincu que l'affaire ne soulève pas de question de portée générale. La question proposée se limite trop aux faits de l'affaire..



« P. Rouleau »

                                             JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 24 août 2000.












Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-2316-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Bhharat Bushan Bhardwaj

                     - c. -

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 14 juillet 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              24 août 2000


ONT COMPARU :

M. William J. Macintosh                          Pour le demandeur

Mme Pauline Anthoine                          Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William Macintosh Associates

Surrey (Colombie-Britannique)                      Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                      Pour le défendeur

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