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Date : 20040423

Dossier : T-541-03

Référence : 2004 CF 611

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                CHUM LIMITED, CTV INC., ASTRAL MEDIA INC.,

                              GROUPE TVA INC., COGECO CABLE CANADA INC.,

                  COGECO CABLE HALTON INC., COGECO CABLE LINDSAY INC.,

                 ROGERS CABLE INC., ROGERS CABLESYSTEMS ONTARIO LTD.,

                                          VIDÉOTRON LTÉE, CF CABLE TV INC.,

                                              VIDÉOTRON (RÉGIONAL) LTÉE, et

                                                MOUNTAIN CABLEVISION LTD.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

DAVID STEMPOWICZ (faisant affaire sous la raison sociale de LIZARD KING'S PLAYHOUSE), DAWN ELIZABETH BRANTON, 1254719 ONTARIO INC.

               (faisant affaire sous la raison sociale de TECH ELECTRONIC SERVICES),

                           HALTON SIGHT & SOUND INC., JONATHAN SHAPIRA,

                 ATILLA GYURKO (faisant affaire sous la raison sociale de SAT-TOYS),

             BILL DESTOUNIS (faisant affaire sous la raison sociale de ROXY STEREO),

                                     INTRACOMMAR INC., AFONSO JANUARIO,

                                              ORIT SHECK (alias ORIT SCHECK),

                                                   et M. UNTEL et MME UNTEL et

LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU, QUI FONT LE COMMERCE DE MATÉRIEL OU DISPOSITIF NON AUTORISÉS

                                                                                                                                          défendeurs


                                ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une audience pour outrage, tenue en vertu de l'article 467 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 mod. par DORS/2002-417 (les Règles). Le 10 décembre 2003, le protonotaire Morneau a accordé à CHUM Ltd. et al. (les demanderesses) une ordonnance de justification devant être signifiée à la défenderesse Intracommar Inc., lui enjoignant de se présenter devant la Cour et d'expliquer pourquoi elle ne devrait pas être reconnue coupable d'outrage au tribunal.

LES FAITS

[2]                Les demanderesses détiennent toutes des licences attribuées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) les habilitant à exploiter des entreprises de radiodiffusion en application de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11.

[3]                Intracommar Inc., dont le président est Afonso Januario, est la défenderesse.

[4]                En avril 2003, les demanderesses ont introduit une instance contre un certain nombre de défendeurs, notamment la défenderesse nommée dans l'ordonnance de justification, pour des dommages-intérêts ainsi que pour des injonctions parce que les défendeurs ont contrevenu aux alinéas 9(1)c) et 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R-2. Les principales activités illégales ont été les suivantes :


a)          importation, distribution, mise en vente, vente, modification, exploitation et possession de matériel ou dispositif, et composante de celui-ci, dans des circonstances donnant à penser que l'un ou l'autre est utilisé en vue de recevoir et de décoder illégalement un signal d'abonnement d'un satellite de diffusion directe (DTH);

b)          mise en vente et vente de système de réception et de décodage illégal de signaux d'abonnement DTH;   

c)        mise en vente et vente de cartes d'accès pour le décodage illégal de signaux d'abonnement DTH, de dispositifs servant à programmer ces cartes d'accès et de dispositifs illégaux d'émulation de cartes d'accès;

d)          programmation et reprogrammation illégale de cartes d'accès.

[5]                En juillet 2003, les demanderesses ont conclu des règlements avec les défendeurs Intracommar et son directeur Afonso Januario, Bill Destounis, Arie Reiser et Orit Sheck. Le procès-verbal des règlements est devenu le fondement des ordonnances sur consentement délivrées par le juge Pinard, de cette Cour, le 11 août 2003. Ces ordonnances prévoyaient que les défendeurs devaient s'abstenir à perpétuité de donner accès illégalement à des émissions encodées et prévoyaient également que tout matériel ou dispositif utilisé à de telles fins devait être remis aux demanderesses pour inspection et destruction, ou, dans le cas de cartes d'accès, celles-ci devaient être retournées au radiodiffuseur/propriétaire des cartes. Les conditions spécifiques de l'ordonnance concernant Intracommar Inc. sont ainsi libellées :

[traduction]


1.             Intracommar Inc. et Afonso Januario, et (le cas échéant) leurs administrateurs, dirigeants, employés, représentants et mandataires, doivent s'abstenir à perpétuité (en leur qualité personnelle et, directement ou indirectement, en tant que propriétaires, membres, administrateurs, dirigeants, employées, représentants, mandataires, entrepreneurs, ou associés de toute société, firme, partenariat, entreprise individuelle ou autre entité actuelle ou éventuelle) de fabriquer, d'importer, de distribuer, de louer, de mettre en vente, de vendre, d'installer, de modifier, d'exploiter ou de posséder tout matériel ou dispositif, ou composante de ceux-ci (y compris mais non de façon limitative l'ensemble du matériel et des dispositifs énumérés à l'annexe A des présentes) qui a été utilisé, est utilisé, ou donne ou donnait à penser qu'il serait utilisé pour recevoir et/ou décoder (ou pour faciliter la réception et /ou le décodage) un signal d'abonnement ou une alimentation réseau sans autorisation du distributeur légitime du signal ou de l'alimentation (au sens de la Loi sur la radiocommunication (Canada)).

2.             Tout matériel et dispositif (auquel le paragraphe 1, ci-dessus, s'applique) et tout fournisseur, client ainsi que tout dossier s'y rapportant, sous format papier ou électronique, en possession, sous l'autorité ou la garde d'Intracommar Inc. ou d'Afonso Januario doit être remis aux demanderesses pour destruction, ou dans le cas de cartes d'accès, pour destruction ou retour au radiodiffuseur directe/propriétaire légitime des cartes.

[6]                Les demanderesses prétendent maintenant qu'il existe des éléments de preuve que la défenderesse Intracommar est coupable d'outrage au tribunal parce qu'elle n'a pas respecté la première partie de l'ordonnance et continue de vendre et d'entretenir du matériel et des dispositifs permettant l'accès à DIRECTV ainsi que de fournir des cartes d'accès et de les programmer. DIRECTV est un service de radiodiffusion par satellite dont le siège social est aux États-Unis et on ne peut recevoir ni décoder légalement au Canada les signaux d'abonnement offerts par ce service.

LA PREUVE DES DEMANDERESSES

[7]                La Cour a entendu trois témoins produits par les demanderesses. Le premier témoin était Mme Karine Joizil, une avocate de la firme Fasken Martineau. Elle a déclaré que l'instance avait été introduite en Ontario et au Québec. Elle a donné des explications assez détaillées sur l'ensemble du processus et a expliqué que le procès-verbal du règlement a été accepté verbalement par les parties le 24 juillet 2003.


[8]                Le 4 août 2003, le bureau de l'avocate a reçu de la défenderesse une copie signée du procès-verbal du règlement. Le 11 août 2003, le juge Pinard a délivré une ordonnance sur consentement fondée sur le procès-verbal du règlement. Par la suite, Mme Joizil a tenté, à de nombreuses reprises, sans succès, de fixer un rendez-vous avec l'avocat de la défenderesse afin d'aller inspecter les locaux de la défenderesse comme le prévoyait l'ordonnance sur consentement.

[9]                En contre-interrogatoire, Mme Joizil déclare que l'ordonnance de type Anton Piller n'a pas été signifiée à la défenderesse Intracommar Inc., et ce, pour des raisons financières. Toutefois, le procès-verbal du règlement a été signé par M. Januario, en son nom et au nom d'Intracommar Inc.


[10]            Le deuxième témoin produit pour la demanderesse était Gary Osmond, coordonateur national du Programme canadien d'anti-piratage du Bureau de surveillance-film et vidéo de l'Association canadienne des distributeurs de films. L'Association représente un certain nombre de studios cinématographiques importants en rapport avec la distribution au Canada de films, de programmes de télévision, de services de télé payante et de vidéos. M. Osmond est un enquêteur spécialisé. Il a travaillé pendant un certain nombre d'années comme agent de la Gendarmerie royale du Canada et durant les neuf dernières années qu'il a passées à la GRC, il s'est surtout vu confier des affaires concernant la violation du droit d'auteur et d'accès illégal aux signaux transmis par satellite.

[11]            M. Osmond a déclaré qu'il a acheté d'Intracommar Inc. un service par satellite avec une carte d'accès lui donnant accès à DIRECTV, un système qu'il est illégal de recevoir au Canada. Si on veut avoir accès à DIRECTV, il est nécessaire de se doter d'un récepteur et d'une carte de DIRECTV ainsi que d'une antenne parabolique que l'on peut se procurer auprès d'une autre société.

[12]            Le système a été acheté avant que l'ordonnance du 11 août 2003 n'ait été délivrée. Le 9 octobre 2003, M. Osmond a reçu une nouvelle carte d'accès d'Intracommar Inc. pour continuer d'avoir accès à DIRECTV. Le 23 octobre 2003, la carte d'accès a été désactivée au moyen de mesures électroniques d'anti-piratage. M. Osmond a pu rétablir son branchement grâce à Intracommar qui a reprogrammé sa carte d'accès.


[13]            Lorsque M. Osmond est allé renouveler sa carte le 24 octobre 2003, Mme Ranger, l'employée d'Intracommar avec laquelle il avait déjà fait affaire auparavant, lui a dit qu'il y avait eu une « importante descente » et qu'un certain nombre de clients avaient appelé pour se plaindre que leur carte d'accès ne fonctionnait plus. D'après les conversations qu'il a entendues alors que Mme Ranger parlait au téléphone avec des clients (un tiers a fait l'objet d'une descente, environ 150 descentes) et d'après la discussion qu'il a eue avec elle à la suite de ces appels téléphoniques, M. Osmond a conclu qu'un tiers représentait environ 150 clients, ce qui signifiait qu'Intracommar avait peut-être 450 clients quant à DIRECTV.

[14]            En contre-interrogatoire, l'avocat de la défenderesse a souligné qu'il était très douteux qu'il y avait un nombre aussi important de clients, compte tenu que M. Osmond a admis n'avoir jamais vu un autre client lorsqu'il se rendait au bureau d'Intracommar, alors qu'une « importante descente » aurait dû entraîner un déluge de clients insatisfaits.

[15]            J'ai jugé que M. Osmond était un témoin très crédible et très expérimenté. Il a témoigné qu'on lui avait fourni un numéro de téléavertisseur lui permettant de communiquer avec Intracommar. Lorsqu'il est allé faire rétablir sa carte d'accès, il a vu une petite pile, de sept ou huit cartes environ, de laquelle on a retiré sa nouvelle carte que l'on a ensuite activée par ordinateur. Le seul point faible dans son témoignage était l'extrapolation qu'il a faite quant au nombre de clients d'après les conversations qu'il a entendues alors que Mme Ranger parlait au téléphone. Cette faiblesse, toutefois, ne diminue en rien la très solide preuve qu'il y a effectivement eu outrage au tribunal et qu'Intracommar a sciemment vendu des systèmes illégaux, même après que le juge Pinard eut délivré son ordonnance.


[16]            Le troisième témoin produit par la demanderesse était M. Gilles Marcotte, directeur des ventes chez Bell Canada, lequel, selon moi, s'est révélé être un témoin très crédible. M. Marcotte a déclaré très clairement qu'Intracommar n'est pas agent autorisé de Bell ExpressVu, l'un des deux systèmes autorisés au Canada. Selon M. Marcotte, à partir du 1er janvier 1999, il n'existait plus aucune relation d'affaires entre Bell ExpressVu et Intracommar (les données antérieures n'étaient pas disponibles, et, de toute façon, elles n'étaient pas pertinentes à la présente instance). Il n'y avait aucune trace de facture ou de livraison et M. Marcotte ne pouvait pas imaginer comment il pouvait y avoir une quelconque relation d'affaires étant donné qu'un distributeur agréé devait se faire au moins quatre clients par mois pour conserver sa concession.

[17]            On a montré à M. Marcotte une pièce qui semblait être une facture pour publicité, mais M. Marcotte a nié que cela pourrait prouver l'existence d'une quelconque activité en rapport avec des clients car Bell ExpressVu était légalement tenue de communiquer directement avec les clients parce que des renseignements confidentiels devaient être obtenus et qu'il n'y avait pas eu de tel cas au cours des quatre dernières années.

LA PREUVE DE LA DÉFENDERESSE

[18]            Dans l'affidavit qu'il a déposé au nom d'Intracommar Inc. le 12 janvier 2004, Afonso Januario a fait valoir qu'il était agent autorisé de Star Choice et de Bell ExpressVu, les deux seuls services par satellite autorisés au Canada par le CRTC. Il a de plus affirmé que c'est avec l'autorisation du distributeur légitime de signal qu'il détenait tout matériel ou dispositif.

[19]            Malheureusement, j'ai jugé que l'on ne pouvait aucunement se fier à ce témoin. Il a déclaré que, après avril 2003 (après avoir reçu la déclaration de la demanderesse), il avait cessé de vendre le système américain pour se concentrer sur les systèmes canadiens. Pourtant, en juillet 2003, Mme Ranger a appelé M. Osmond pour lui rappeler qu'il devait renouveler sa carte d'accès.

[20]            Il a déclaré qu'il s'était départi de l'ensemble du matériel qui avait trait au système américain et qu'il avait la certitude qu'il était distributeur agréé de Bell ExpressVu. En fait, il avait été très surpris d'entendre le témoin de Bell ExpressVu affirmer qu'il n'était plus un distributeur autorisé.

[21]            Il a déclaré que bien qu'il fut au courant du procès-verbal du règlement, il avait conservé environ huit clients qui étaient branchés au système DIRECTV afin d'honorer le contrat qu'il avait conclu avec eux. Après juillet 2003, il se servait d'un téléavertisseur pour entrer en communication avec son magasin, afin, selon lui, d'aider les clients qui étaient déjà branchés à DIRECTV ainsi que les clients spéciaux comme les hôtels, les restaurants et les bars. Je ne crois rien de ce qu'il a affirmé quant à ce dernier point.


[22]            Le témoin a également affirmé qu'il avait acheté du matériel auprès d'autres fournisseurs et qu'il avait envoyé des clients faire affaire directement avec Bell ExpressVu ou Star Choice, ce qui contredisait carrément le témoin de Bell ExpressVu. Il a ajouté qu'il ne recevait aucune commission de la part de Bell ExpressVu car il y avait renoncé et qu'il ne faisait de l'argent que par la seule installation de systèmes. Là encore, je trouve cela tout à fait invraisemblable.

[23]            M. Januario n'a produit aucun document pour démontrer l'existence de sa clientèle ni aucune preuve qu'il avait dirigé des clients vers Bell ExpressVu ou Star Choice. Le seul document qu'il a produit était une simple facture ayant trait au coût du démo d'ExpressVu qu'il avait acquis pour son magasin, une facture remboursée par ExpressVu.

LA QUESTION EN LITIGE

[24]            Les demanderesses ont-elles réussi à prouver qu'il y a eu outrage au tribunal de la part de la défenderesse Intracommar Inc.?

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25]            Les Règles de la Cour fédérale (1998)


466. Sous réserve de la règle 467, est coupable d'outrage au tribunal quiconque :

[...]

466. Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

. . .

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour; (...)

(b) disobeys a process or order of the Court; . . .


467. (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu'une personne puisse être reconnue coupable d'outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d'une personne ayant un intérêt dans l'instance ou sur l'initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

467. (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court's own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

b) d'être prête à entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

c) d'être prête à présenter une défense. [...]

c) to be prepared to present any defence that the person may have. . . .

469. La déclaration de culpabilité dans le cas d'outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

469. A finding of contempt shall be based on proof beyond a reasonable doubt.

470. (1) Sauf directives contraires de la Cour, les témoignages dans le cadre d'une requête pour une ordonnance d'outrage au tribunal, sauf celle visée au paragraphe 467(1), sont donnés oralement.

470. (1) Unless the Court directs otherwise, evidence on a motion for a contempt order, other than an order under subsection 467(1), shall be oral.

(2) La personne à qui l'outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner.

(2) A person alleged to be in contempt may not be compelled to testify.


L'ANALYSE

[26]            Les articles 466 à 472 des Règles ont codifié les principes de common law qui s'appliquent aux procédures d'outrage au tribunal. Par conséquent, la norme de preuve est celle de la preuve hors de tout doute raisonnable (article 469 des Règles) et la personne à qui l'outrage au tribunal est reproché a droit à une audience au cours de laquelle les témoignages seront donnés oralement (article 470 des Règles) et au cours de laquelle elle aura la possibilité de présenter une défense (article 467 des Règles).

[27]            Si elle veut établir l'existence d'un outrage au tribunal, la demanderesse doit démontrer que la défenderesse a eu connaissance de l'ordonnance de la Cour (Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217. Compte tenu que M. Januario a signé le procès-verbal du règlement en juillet 2003, en son propre nom ainsi qu'au nom d'Intracommar Inc., il ne fait aucun doute qu'il était au courant des modalités de l'ordonnance de consentement. Une copie de l'ordonnance a été envoyée à son avocat, ce qui, dans un contexte comme celui de l'espèce, constitue un avis suffisant de l'ordonnance (Apple Computer Inc. c. Minitronics of Can. Ltd., [1988] A.C.F. no 9 (1re inst.)).

[28]            Il incombe à la demanderesse de prouver hors de doute raisonnable que les actes de la défenderesse devraient donner lieu à une déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal.

[29]            Je n'ai aucune hésitation à conclure que, à partir de la preuve qui m'a été présentée à l'audience, il y a effectivement eu outrage au tribunal. Le témoignage de M. Osmond et les propres aveux de la défenderesse m'amènent à conclure que, même après que le juge Pinard eut délivré l'ordonnance sur consentement, Intracommar vendait et fournissait toujours des services illégaux d'entretien de systèmes par satellite.

[30]            L'avocat de la défenderesse a tenté de plaider que les cartes d'accès n'étaient pas visées par l'ordonnance du juge Pinard. J'estime que cet argument n'a aucun fondement. L'ordonnance du juge Pinard mentionne clairement ce qui suit :


[. . .] tout matériel ou dispositif, ou composante de ceux-ci [...] qui a été utilisé, est utilisé, ou donne ou donnait à penser qu'il serait utilisé pour recevoir et/ou décoder (ou pour faciliter la réception et /ou le décodage) un signal d'abonnement ou une alimentation réseau sans autorisation du distributeur légitime du signal ou de l'alimentation [. . .].

[31]            De plus, l'avocat de la défenderesse a également prétendu que le fait de continuer d'offrir, le service DIRECTV aux clients qui recevaient déjà le signal satellite signal, même après que l'ordonnance de la Cour eut été délivrée, ne faisait que constituer une pratique commerciale correcte. Cette prétention est tout simplement ridicule. La vente illégale du service par satellite allait à l'encontre de la loi même avant que le juge Pinard ne rende son ordonnance. Un contrat illégal ne peut être rendu licite en raison de sa simple existence.

[32]            L'autre question en litige qu'il reste à trancher, maintenant qu'une déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal a été prononcée, est celle de la sanction.

[33]            Les demanderesses demandent que soit imposée une amende de 100 000 $, sans expliquer exactement comment ils en sont arrivés à ce montant. Dans son affidavit, M. Osmond calcule que si Intracommar a 450 clients, qui, chacun, verse comme lui 50 $ par mois pour avoir accès à DIRECTV, cela représente un chiffre d'affaires d'environ 270 000 $ par année, ce chiffre qui ne comprend pas la vente et l'installation d'antennes paraboliques.


[34]            Le principe majeur qui ressort de la jurisprudence est le besoin de dissuasion, à la fois générale et spécifique. Dans l'arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter (Canada), Ltd., [1987] 2 C.F. 557, la Cour d'appel a soigneusement examiné les éléments dont il faut tenir compte lorsque l'on impose une amende. On avait demandé à la Cour de réviser le montant de l'amende qui avait été imposée à Cutter Ltd. pour avoir vendu, malgré une injonction, des poches de sang pour lesquelles il avait été conclu qu'elles avaient été faites en contravention d'un brevet. Cutter avait reçu une opinion juridique selon laquelle elle n'était pas liée par les motifs du jugement tant que l'ordonnance n'avait pas été délivrée. Après que la Cour suprême eut décidé qu'il pouvait y avoir outrage dès que les motifs sont rendus, avant même que l'ordonnance ne soit enregistrée, elle a été reconnue coupable d'outrage et condamnée à une amende de 100 000 $ par la Section de première instance de la Cour fédérale. Cutter a interjeté appel quant au montant de l'amende en invoquant que l'on n'avait pas suffisamment tenu compte de l'ensemble des circonstances. La Cour d'appel a déclaré que des dommages-intérêts au civil n'étaient pas pertinents quant à la détermination de l'amende.

[35]            Ce qui importe, c'est la gravité de l'outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l'espèce sur l'administration de la justice (paragr. 10).

[36]            Dans cette affaire, la Cour d'appel a conclu que, parce que le comportement ne tenait pas de la désobéissance étant donné que la défenderesse s'était fiée de bonne foi à l'opinion de son avocat, l'amende était trop élevée. Une erreur de droit n'a pas pu servir à parer à la déclaration de culpabilité d'outrage, mais elle a pu servir à diminuer l'amende à imposer. La Cour d'appel a réduit le montant de l'amende de 100 000 $ à 50 000 $ et a déclaré ce qui suit :


J'estime qu'une réduction plus poussée de ce montant ou l'imposition d'une amende symbolique serait incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquerait d'encourager d'autres personnes à se moquer de la loi s'il y va de leur intérêt pécuniaire (paragr. 17).

[37]            Dans Louis Vuitton S.A. c. Tokyo-Do Enterprises Inc.(1991), 37 C.P.R. (3d) 8 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a souligné l'importance de la dissuasion :

[...] si ceux ou celles qui se font prendre en sortent sans égratignures, ça a pour effet d'encourager ces activités et de détruire, en conséquence, l'effet visé par les lois qui sont édictées, surtout dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle et de la propriété industrielle.

Pour un, je suis très strict avant d'émettre des ordonnances d'injonction en matière de propriété intellectuelle et industrielle; mais lorsque j'ai la preuve et lorsqu'il y a une ordonnance défendant qu'on contrevienne à ces lois, je tiens cependant à ce qu'elles soient respectées, autrement c'est une perte de temps, d'argent, et c'est un accroc sérieux à la justice que de tolérer, de permettre ou de laisser passer ces choses sans punir suffisamment ceux qui sont fautifs (p. 15).

[38]            Dans la décision Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, [2000] A.C.F. no 341 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a évalué le montant de l'amende après avoir prononcé une déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal; l'exercice a forcément été une approximation mais l'objectif était clair :

Pour évaluer le montant de l'amende, j'ai tenu compte de la somme touchée par le défendeur [dans le cadre de l'activité contrevenant à l'ordonnance de la Cour]. [...] J'ai ajusté les recettes d'un montant que j'ai estimé nécessaire pour ne pas permettre au défendeur de tirer profit de son aventure [pour l'activité] afin de ne pas l'encourager à désobéir davantage à l'injonction de la Cour, ce qui est le but principal de l'imposition d'une amende (paragr. 24).


[39]            Il est impossible de déterminer à partir de la preuve qui a été produite le nombre de clients qui ont obtenu des services par satellite illégaux par l'intermédiaire d'Intracommar. La défenderesse a admis qu'elle avait conservé 8 clients et qu'elle en avait 85 l'année précédente; M. Osmond a avancé le chiffre de 150, voir même de 450, d'après la conversation qu'il a eue avec Mme Ranger. À mon avis, le véritable chiffre se situe quelque part entre les deux chiffres mentionnés, mais compte tenu du but principal de l'imposition d'une amende dans ce contexte, c'est-à-dire la dissuasion, comme l'ont affirmé d'autres juges de la Cour, je crois qu'une amende de 25 000 $ serait appropriée en l'espèce. Il n'existe aucune circonstance atténuante car j'estime que la défenderesse a agi de très mauvaise foi en continuant d'offrir le service après la signature du procès-verbal du règlement et davantage de mauvaise foi après la délivrance de l'ordonnance de consentement.

[40]            Il est courant dans les affaires d'outrage au tribunal que les dépens soient adjugés sur une base avocat-client.

[41]            Dans la décision Louis Vuitton Malletier, S.A. c. Bags O'Fun Inc., [2003] A.C.F. no 1686, la juge Dawson a ainsi brièvement résumé la question des dépens avocat-client dans les affaires d'outrage au tribunal :

¶ 41       En ce qui concerne les dépens, lorsqu'une demande d'ordonnance déclarant une personne coupable d'outrage au tribunal est accueillie, la pratique habituelle consiste à accorder des dépens avocat-client raisonnables à la partie qui cherche à faire exécuter l'ordonnance. Cette pratique illustre la philosophie de la Cour selon laquelle celui qui l'aide à faire exécuter les décisions et à assurer le respect de ses ordonnances ne devrait pas être pénalisé sur le plan pécuniaire. Voir, par exemple, Coca-Cola Ltd. c. Pardhan (faisant affaires sous la raison sociale de Universal Exporters), 5 C.P.R. (4th) 333 (C.F. 1re inst.), décision confirmée (2003) 23 C.P.R. (4th) 173 (C.A.F) pour d'autres motifs, ainsi que les autorités que le juge Lutfy (alors juge en chef adjoint de la Cour fédérale) a passées en revue dans cet arrêt.

[42]            Je ne vois aucune raison pour ne pas suivre ce raisonnement en l'espèce. L'avocat du demandeur a fourni des éléments de preuve quant aux dépens et quant aux factures. En conformité avec l'alinéa 400 (6)c) des Règles, les dépens sont adjugés sur une base avocat-client. Le demandeur aura également droit à ses débours.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.        la défenderesse Intracommar Inc. soit déclarée coupable d'outrage au regard de l'ordonnance délivrée par le juge le 11 août 2003;

2.        la défenderesse Intracommar Inc. paye une amende de 25 000 $;

3.        la défenderesse Intracommar Inc. paye les dépens des demanderesses sur une base avocat-client.

                                                                                                                                     _ Pierre Blais _               

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-541-03

INTITULÉ :

                                                                                   CHUM LIMITED et al.

et

DAVID STEMPOWICZ et al.

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATES DE L'AUDIENCE :                                    LE 23 MARS ET LE 5 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                             LE 23 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Julie Desrosiers                                                            POUR LES DEMANDERESSES

Montréal                                                                     

Andrea Kokonis

Toronto

Roberto T. DeMinico                                                   POUR LES DÉFENDEURS

Montréal                                                                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau Du Moulin LLP                                POUR LES DEMANDERESSES

Toronto et Montréal

Roberto T. DeMinico                                                   POUR LES DÉFENDEURS

Montréal


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