Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980708


Dossier : IMM-4610-97

ENTRE :

     MOHAMMAD SALEEM TAHIR

     ROBINA SALEEM

     UMAIR SALEEM

     IMAD SALEEM,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (exposés verbalement à l'audience de Toronto (Ontario)

     le jeudi 7 juillet 1998)

LE JUGE HUGESSEN

[1]      La présente demande sollicite de la Cour l'examen et l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié rejetant la revendication, par le demandeur, du statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]      Si la Commission s'est prononcée en ce sens, c'est surtout parce qu'elle estimait que le demandeur, auteur à titre principal de la revendication de statut, n'était pas crédible en raison des invraisemblances et des contradictions relevées dans son témoignage et aussi en raison de certaines omissions constatées dans le formulaire de renseignements personnels versé au dossier.

[3]      Le droit reconnaît maintenant que l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur est tout particulièrement du ressort de la Commission et que les conclusions auxquelles elle peut parvenir en la matière appellent beaucoup de réserve de la part des tribunaux. Ainsi, la Cour ne s'immisce dans de telles conclusions que si elles sont déraisonnables ou si elles ne sont pas fondés au regard de la preuve1.

[4]      La Commission est investie d'une mission particulièrement difficile. Pour juger de la validité d'une demande de statut, il lui faut, en général, se fonder uniquement ou principalement sur le témoignage du demandeur, sans avoir accès à des preuves autres que les preuves documentaires provenant du pays d'origine du demandeur. La tâche est donc ardue et, souvent, la Commission doit se prononcer, chose extrêmement délicate, en fonction du degré de crédibilité qu'elle reconnaît au demandeur. La Cour est mal placée pour se substituer en cela à la Commission à moins que, je le répète, il puisse être démontré que la Commission a dépassé les limites du raisonnable ou s'est fondée soit sur des éléments qui ne figuraient pas au dossier, soit sur des considérations dénuées de pertinence.

[5]      La Commission a tiré, en l'espèce, un certain nombre de conclusions quant à l'invraisemblance du récit fait par le demandeur, dans lequel elle relève plusieurs contradictions, notant aussi certaines omissions dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

[6]      Or, l'avocat du demandeur conteste l'ensemble de ces conclusions. Afin d'apprécier la valeur des arguments développés sur ce point, il convient d'examiner chacune des conclusions en question ainsi que les motifs invoqués à leur encontre.

[7]      La Commission a jugé invraisemblable le récit du demandeur qui prétendait n'avoir aucune connaissance précise des activités de son père et, dans une moindre mesure, des activités menées par son frère et son cousin au sein d'une organisation religieuse, et terroriste semble-t-il, dénommée SSP.

[8]      La Commission a relevé que, depuis 1989, le demandeur avait vécu dans la même maison que son père, qu'il était éduqué et intelligent, et qu'il était le fils aîné de la famille. Cela étant, la Commission a jugé invraisemblable que le demandeur n'en sache pas plus sur l'activité importante menée par son père au sein de la SSP car, en effet, ses connaissances sur ce point se limitaient à ce qu'il aurait pu apprendre dans les journaux et à la télévision.

[9]      La Cour ne saurait affirmer que sur ce point la conclusion de la Commission était déraisonnable. Je serais moi-même porté à juger le demandeur peu crédible lorsque, en de telles circonstances, il affirme ne pas savoir au juste ce que faisait son père. Mais là n'est pas la question; l'important est que la Commission s'est prononcée sur ce point, dans un domaine relevant de son pouvoir d'appréciation.

[10]      Les membres de la Commission se sont demandé pourquoi, dans son FRP, le demandeur n'avait rien dit des menaces qui auraient été proférées contre lui par la police lors de sa remise en liberté en avril 1995. Les membres de la Commission ont eu raison de relever que le demandeur n'avait rien dit de ces menaces et il n'appartient pas à la Cour de remettre en question le poids accordé par la Commission au fait que le demandeur n'avait rien dit des menaces en question.

[11]      La Commission s'est également interrogée au sujet d'un incident qui se serait produit en octobre de 1995 alors que le demandeur habitait Peshawar et où, d'après le formulaire de renseignements personnels, la police aurait perquisitionné dans la maison où habitait le demandeur, à la recherche du frère de celui-ci. C'est à tort que la Commission a cru que le demandeur avait déclaré que la police le cherchait lui, y voyant là une contradiction. Il existe effectivement une légère contradiction entre ce qui a été déclaré à l'audience et ce qui a été consigné dans le formulaire de renseignements personnels. Dans ce formulaire, le demandeur ne parle que de son frère alors qu'à l'audience, il a parlé à la fois de son père et de son frère. C'est également un fait que le malentendu concernant ce que le demandeur avait déclaré à l'audience s'explique dans une certaine mesure par les propos un peu confus du demandeur concernant la perquisition.

[12]      Les membres de la Commission étaient particulièrement troublés par le fait que le demandeur affirmait être entré dans la clandestinité après octobre 1995 et, en particulier, par le fait qu'il avait affirmé à la toute fin de son contre-interrogatoire que, contrairement à ce qu'il avait laissé entendre plus tôt, il s'était caché non seulement à Lahore mais également à Rawalpindi, deux villes situées à de nombreux kilomètres l'une de l'autre. Dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur, rien n'est dit de Rawalpindi et, je le répète, le formulaire de renseignements personnels qu'il avait rempli et son témoignage, du moins jusqu'aux derniers moments de son contre-interrogatoire, laissaient clairement entendre qu'il s'était caché à Lahore. J'estime que la préoccupation que cela a suscitée de la part de la Commission était entièrement justifiée.

[13]      La Commission s'est également souciée du fait que, dans son témoignage, le demandeur a dit que son père était entré dans la clandestinité en juin 1995. Là encore, les interrogations de la Cour se justifiaient car la revendication de statut présentée par le demandeur se fondait en grande partie sur le fait que les autorités de son pays d'origine ne faisaient guère de distinction entre le demandeur et son père, ou les activités reprochées à celui-ci. Le passage de son père à la clandestinité n'est pas évoqué dans le formulaire de renseignements personnels alors que, selon les instructions explicites qui accompagnent ce formulaire, les demandeurs sont tenus d'y consigner tout épisode important. Or, le fait d'entrer dans la clandestinité est effectivement, s'agissant d'un proche parent, un épisode important.

[14]      Ainsi que l'a relevé la Commission, au cours de la période où il était censé se cacher, le demandeur semble avoir pu régler ses affaires et, au vu de certains éléments du dossier, la Commission a pu conclure qu'il était même parvenu à vendre certains biens immobiliers. À mes yeux, il n'était pas, de la part de la Commission, déraisonnable de se soucier de cela.

[15]      Abstraction faite des détails consignés dans le formulaire de renseignements personnels, la Commission s'est également posée des questions au sujet de la manière dont le demandeur lui avait expliqué pourquoi, en quittant leur pays d'origine, les membres de sa famille n'avaient pas apporté leurs papiers avec eux. Ainsi que l'a relevé la Commission, un temps considérable s'était écoulé entre le jour où ils décidèrent de quitter et le jour où ils sont effectivement partis. Encore une fois, on ne saurait dire que les interrogations de la Commission sur ce point étaient déraisonnables ou hors de propos.

[16]      Le demandeur, enfin, reproche à la Commission de n'avoir accordé aucun poids à une lettre écrite par un médecin qui est censé l'avoir soigné après sa remise en liberté en avril 1995. Si je pense, effectivement, que la Commission a été un peu sévère dans les critiques qu'elle a formulées au sujet de cette lettre et des circonstances entourant sa rédaction, il n'en reste pas moins que la Commission ayant conclu que le récit du demandeur n'était pas crédible, la lettre du médecin n'était guère susceptible d'influencer le débat. C'est seulement dans le cas où la Commission aurait reconnu la crédibilité du demandeur, que la lettre du médecin aurait pu servir à confirmer ses dires.

[17]      J'estime donc, somme toute, que si la décision de la Commission n'échappe pas entièrement à la critique, son caractère raisonnable n'est pas en cause et, au vu de ce critère, il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir.

[18]      En conséquence, la Cour entend rejeter la demande, mais avant cela, il y a lieu d'entendre les avocats sur la question de savoir si cette affaire soulève une question de portée générale.


" James K. Hugessen "

juge

Toronto (Ontario)

le 8 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :      IMM-4610-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MOHAMMAD SALEEM TAHIR ET AL.

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 7 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE HUGESSEN

DATE :      LE 8 JUILLET 1998

ONT COMPARU :

     Me Tom McIver

         pour le demandeur

     Me Neeta Logsetty

         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

     McIver & McIver

     372, Bay Street

     Pièce 900

     Toronto (Ontario)

     M5H 2W9

         pour le demandeur

     George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada

         pour le défendeur

__________________

1      Voir Aguebor c. MEI (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.